Silence! Ici on expulse...
Par Isabelle Ponet et France Arets le Mercredi, 23 Novembre 2005 PDF Imprimer Envoyer

Parcours du combattant, travail au noir, aucun droits, marchands de sommeil, rafles, centres fermés, expulsions, ... Quelques mots qui ponctuent encore et toujours la vie des sans-papiers. Depuis quelques mois, avec le début des rafles dans les centres ouverts, les mouvements de résistance et de solidarité redressent la tête...

Nadia et Mohamed, un couple sans histoire ?

Nadia a enfilé sa robe de mariée pour manifester devant l'Office des Etrangers le 27 juillet, elle avait déjà manifesté face aux autorités communales de Borgerhout (Anvers). Elle crie à la face de tous qu'elle est mariée depuis trois ans à Mohamed, selon le rite musulman. Mais le Ministère de l'Intérieur ne veut rien entendre. Depuis trois ans, les autorités communales de Borgerhout refusent à Nadia, la Belge, et Mohamed, l'Algérien, le droit de se marier civilement parce qu'elles prétendent qu'il s'agit d'un mariage blanc. Plusieurs longues interviews ont eu lieu avec un fonctionnaire de la police communale. A chaque fois, ses conclusions ont été négatives. Pourtant, le policier de quartier témoigne de ce qu'il a enquêté à trois reprises et que le jeune couple vit bien ensemble. Mais voilà, le policier de quartier est Turc. Le fonctionnaire a donc décidé que son procès-verbal n'était pas crédible. Il est d'origine étrangère et donc partial !

Cela se passe en Belgique, dans un Etat de droit

Nadia n'en peut plus de se battre. On a arrêté Mohamed en mars, suite à un contrôle d'identité. Il a été placé en détention au centre fermé pour étrangers de Merksplas. Nadia a manifesté devant Merksplas avec diverses associations; Mohamed a été transféré au centre fermé de Vottem. Nouvelle répression dans la répression: à Merksplas, Nadia pouvait aller voir son mari tous les jours. A Liège pas, évidemment !

Depuis le début, les manifestations de soutien se multiplient, avec Basta (Anvers), le VAK (Gand), la CRER (Bruxelles), le CRACPE (Liège). Manifestations et aussi présences à l'aéroport, car Mohamed a été victime jusqu'à présent de sept tentatives d'expulsion. La septième a eu lieu le jeudi 8 septembre. Mohamed a été battu et amené à l'avion par sept agents de la police fédérale les mains menottées derrière le dos et les jambes entravées ! Le pilote de la SN Airlines a refusé de le prendre à bord…

Nous sommes face à un véritable acharnement de l'Office des Etrangers, sourd aux appels, aveugle face à une situation de fait et n'hésitant pas à bafouer les Droits humains pour montrer qu'il aura le dernier mot… En effet, il s'agit d'une grave atteinte au droit au mariage, garanti pourtant par la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme!

Des rafles à la pelle

Depuis trois mois, L'Office a donné l'ordre d'arrêter et de déporter autant que la machine policière le permet. Des candidats réfugiés ont été piégés dans les Centres ouverts alors que leur procédure de demande d'asile n'est pas achevée (recours au Conseil d'Etat). La Belgique a été condamnée en 2000 par la Cour Européenne de Justice pour cette raison. Qu'importe ! Un protocole a été conclu entre l'Office des Etrangers et Fedasil (l’agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile qui, entre autres, assume la gestion des centres ouverts) permettant à la police de pénétrer dans les centres et appelant à la collaboration des directeurs (voir La Gauche n°14) ! Sur la même période, des familles ont été piégées alors qu'elles étaient convoquées à l'Office des Etrangers à propos de leur dossier. Ce sont ainsi des dizaines de personnes qui ont été placées dans les centres fermés cet été.

Soulignons qu'aujourd'hui une quatrième aile est ouverte au centre fermé de Vottem, accroissant ainsi sa capacité de 40 places ! Le Ministre Dewael concrétise ainsi ses déclarations d'il y a quelques mois visant à augmenter le nombre d'expulsions. Par ses paroles et par ses actes, Patrick Dewael criminalise de plus en plus l'étranger, le candidat réfugié. Cela a comme résultat d'encourager l'extrême droite et de la renforcer. Celle-ci n'hésite plus à agir concrètement. Ainsi les militants de l'UDEP (Union de Défense des sans-papiers) d'Anvers nous ont expliqué combien il était dangereux pour eux de distribuer des tracts ou placer des affiches à certains endroits….

La résistance collective s'organise

Au centre ouvert de Jumet, quand ils sont venus arrêter un jeune Togolais pour le renvoyer vers sa dictature natale, la communauté entière s'est opposée et a forcé la négociation. Soutenus par les organisations syndicales, une cinquantaine de réfugiés du centre ont mené une grève de la faim dans l'église saint Christophe de Charleroi. A Bruxelles, les habitants du Petit Château ont organisé plusieurs manifestations. Le 26 août, ils étaient nombreux, avec aussi des sections de l'UDEP de tout le pays et les associations, pour réclamer que cessent ces arrestations et que les personnes placées en détention dans les centres fermés soient libérées. Tous demandent également une régularisation rapide de tous les sans-papiers et le droit de travailler pour ne pas dépendre de l'aide publique et pour casser l'autre machine bien rodée, le travail au noir.

A l'issue de la manifestation une délégation était reçue à l'Office des Etrangers et obtenait le gel du protocole entre celui-ci et Fedasil. La lutte paye ! Mais en ce début septembre de nouvelles arrestations ont eu lieu dans la rue face au Petit-Chäteau, ainsi qu'à l'Office. Le porte-parole des candidats réfugiés, membre de l'UDEP, son épouse et leur bébé de trois mois viennent d'être arrêtés après convocation et ont été incarcérés au 127 bis !

Comment expliquer ce renforcement de la répression ?

Cette politique n'est pas spécifiquement belge. Il s'agit d'une politique qui s'organise au sein de l'Union Européenne. Ce 1er septembre à Bruxelles la Commission européenne adoptait une proposition de directive recommandant des normes communes pour les expulsions, constatant que trop peu de rapatriements étaient exécutés en regard des décisions d'éloignement…

Aujourd'hui les raisons de migrer, de chercher asile ne font que se multiplier de par le monde: guerres, persécutions, catastrophes écologiques, misère… Les solutions impliquent un autre monde, à l'échelle planétaire, mais surtout une autre politique des pays du Nord… Au centre fermé de Vottem, quand les détenus congolais parlent avec les militants du CRACPE, ils n'hésitent pas à rappeler aussi l'héritage du passé: "Vous nous avez colonisés, vous avez pillé nos richesses, nos aïeuls ont servi dans vos armées lors de la 1e et de la seconde guerre mondiales… Et maintenant quand nous arrivons ici , vous nous enfermez...". En effet, aujourd'hui, l'Europe forteresse, c'est la négation du droit d'asile garanti par la Convention de Genève. Refuser l'accueil, c'est en fait encourager la clandestinité. Car tant qu'il sera impossible d'accéder légalement au séjour dans l'Union Européenne, ce sont les réseaux de passeurs, puis les réseaux d'exploitation de travailleurs clandestins qui se développeront. Et de cela s'accommodent fort bien les secteurs de la construction, du textile, de l'agriculture ou de l'Horeca. C'est là toute l'hypocrisie de la politique migratoire européenne.

Heureusement face à tout cela la revendication de la régularisation est soutenue par un mouvement de plus en plus large, témoin bien sûr le développement de l'UDEP dans tout le pays, mais aussi la multitude d'organisations, de groupements, d'associations… qui ont rejoint l'appel à la commémoration Semira du 24 septembre. Enfin une initiative importante vient de voir le jour à Liège, une campagne de syndicalisation des sans papiers, initiée par la FGTB Liège et l'UDEP Liège dès ce 21 septembre, meilleur moyen de lutter contre l'exploitation clandestine et contre la division des travailleurs !

Voir ci-dessus