Expulsion d'un sans papiers: trois personnes résistent. Témoignages avec Vidéo.
Par Chris Den Hond le Mardi, 29 Juillet 2008 PDF Imprimer Envoyer

Le 26 avril 2008, des passagers protestent quant à la manière dont une personne expulsée par la force à bord de leur vol est traitée par les policiers qui les accompagnent. A leur tour, ils sont maltraités par des policiers (plaqués au sol, détention arbitraire, interdiction de vol par la compagnie Brussels Airlines).

L'affaire Folefack

Grâce à leur résistance, l'expulsion est interrompue et l'avion décolle quand même sans la personne en voie d'expulsion. C'est un Camerounais de 32 ans. Il s'appelle Ebenizer Folefack et il va mourir quelques jours après, le 1er mai 2008, dans le centre fermé de Merksplas. Suicidé selon la version officielle, une version très contestée par ses proches, qui n'ont vu aucune trace de pendaison sur son cou.

Il y a exactement 10 ans, en septembre 1998, une jeune Nigérienne, Sémira Adouma, 21 ans, était morte étouffée par 6 gendarmes qui tentaient de l’embarquer de force dans un avion pour son expulsion. L’affaire avait provoqué une vive émotion et le ministre belge de l’Intérieur de l’époque fut contraint à la démission.

 

Les trois passagers qui ont subi ce mauvais traitement sur le vol de Bruxelles Airlines ont déposé plainte contre x, notamment du chef de coups et blessures et de détention arbitraire. La Ligue des droits de l’Homme et le CIRÉ ont décidé d'apporter leur soutien à ces passagers.

 

 

Voici leurs témoignages receuillis lors d'une conférence de presse à Bruxelles, le 8 juillet 2008:
M. Serge Ngajui Fosso, assistant commercial:

L'histoire débute le 26 avril. Je suis en transit à Bruxelles en me rendant à Cameroun pour passer mes vacances. J'arrive dans l'avion comme tous les passagers. On m'indique où se trouve mon siège et je constate aux environs de mon siège qu'il y a un cordon de la police. Il y a des personnes en civil et au fond de l'avion il y a cette personne d'origine africaine, dont je ne connaissais même pas la nationalité. Il est encadré par 4 personnes en tenu grise. Juste au moment où je mets mon bagage à main dans le porte bagage, cette personne se met à crier: "Au secours, aidez-moi, je ne veux pas partir". C'est à ce moment que je me rends compte qu'on assiste à une expulsion forcée.

Je me suis dit: "Je ne peux pas rester indifférent à cet appel au secours." Je me retourne vers une hôtesse de l'air et je lui dis: "Ceci est un vol commercial et dans ces conditions, moi je ne peux pas voyager. Je ne peux pas rester indifférent aux appels de secours de la personne qui est au fond et donc moi dans ces conditions, je ne peux pas voyager."

"Il y a une protestation générale et l'expulsion est interrompue."

A ce moment, d'autres passagers prennent le relais et protestent dans le même sens. Il y a une protestation générale et le commandant arrive, il parle aux policiers civiles et l'expulsion est interrompue. J'ai eu le temps de faire un petit film et je rends m'asseoir à mon siège. Une hôtesse vient me voir et dit: "Monsieur, tout est calme on va pouvoir voyager sans problème". A peine elle a terminé sa phrase que je constate qu'il y a des policiers qui n'étaient pas là dès le départ et qui arrivent en tenu de policier de l'aéroport qui se retrouvent devant moi. Un des policiers en civil me pointe le doigt et me dit en Néerlandais: "Celui-là aussi". Et donc on me demande de descendre. J'ai juste le temps de poser la question au policier pourquoi je dois descendre que des policiers me tombent dessus devant, derrière et me plaquent au sol. On me met des menottes et me traînent dans le couloir de l'avion et ensuite ils me jettent dans un fourgon de la police qui était en bas de l'avion. Pendant que j'y suis, je me rends compte que mon appareil photo se trouve entre les mains d'une dame de la police qui était dans l'avion. Elle est en train de visionner le film que j'ai pris. Ensuite on m'emmène. Nous sommes trois dans le fourgon. Un policier qui était dans l'avion me traite de "petit singe, tu n'as pas de droits ici, tu ne voyageras plus jamais avec cette compagnie, tu ne voyageras même plus avec une autre compagnie."

Je lui dis que j'ai des droits qui prévalent partout sur le territoire belge. On nous emmène en cellule. Les policiers nous disent: "De toute façon, les autorités de Bruxelles Airlines nous ont informé que vous êtes suspendu de tous leurs vols pendant 6 mois."

Le lendemain, Mr. Fontaine du service juridique de Bruxelles Airlines m'adresse une lettre dans laquelle est écrite officiellement que je suis suspendu de tous les vols de Bruxelles Airlines pour les six prochains mois.

Concernant la vidéo qui avait été effacée, il y a un informaticien qui me contacte pour me dire qu'on peut récupérer le petit film. Il m'aide donc à récupérer ce petit film et le soir même un journaliste belge m'appelle pour m'informer que Monsieur Folefack s'est suicidé. C'est la veille de mon voyage, je suis complètement assommé par cette nouvelle.

Mme Hermine Rigaud, adjointe au Maire d'une commune française:

Je ne comprends pas que des êtres humains en arrivent là. Moi et mon mari se rendent au Cameroun pour une fête d'un ami. On arrive à Bruxelles en transit et on rentre dans l'avion. On entend derrière, juste devant la cuisine des râles. On veut regarder, mais deux ou trois policiers avancent vers nous et nous disent: "Ecoutez, on est en train d'expulser un Africain. Il fait un peu le cinéma, mais une fois l'avion décollé il va s'arrêter parce qu'il saura qu'il n'y a plus rien à faire. Ca fait 3 fois qu'il fait le cinéma, mais là on est décidé de le faire partir et il va partir."

Avec mon mari, on range le bagage, mais ce râle continue, ce bruit de fond, quelque chose comme de très prenant. Ce n'était pas très fort, mais comme un étouffement, quelque chose qu'on ne pouvait pas laisser passer.

Donc je me lève, je vais voir le policier et lui dis: "Mais attendez, ce n'est quand même pas comme ça que vous allez laisser partir cette personne." Il me répond: "Ca ne vous regarde pas, le gouvernement belge a décidé d'appliquer une politique très rigoureuse d'expulsion, donc nous appliquons les directives du gouvernement." Je lui réponds: "Vous ne pouvez pas laisser partir quelqu'un qui est allongé avec trois ou quatre policiers sur lui." Il était dans une espèce de sarcophage avec comme une cagoule sur le visage. Je n'ai vu que ses yeux, je n'ai pas vu la figure de la personne. Cela m'a vraiment saisi, de voir quelqu'un dans ce genre de combinaison et le policier qui essayait d'arrêter les cris. Je leur ai dit: "On ne va pas décoller comme ça." Il me dit: "Si si, il fait du cinéma." Je lui réponds: "Vous plaisantez! Il fait du cinéma? Une personne plaquée par trois personnes avec quelqu'un qui essaie de l'empêcher de crier?"

"Les passagers de l'avion se sont révoltés: On ne part pas".

Comme j'ai une voix qui porte et que je parlais assez fort, il y a plein de gens tout d'un coup dans l'avion qui ont pris du courage et ont dit: "On ne peut pas le laisser comme ça". A cause du râle de la personne, des enfants commençaient à pleurer partout. Les gens se sont mis debout en disant: "On ne peut pas voyager comme ça." Tout d'un coup, les passagers de l'avion se sont révoltés: "On ne part pas".

Quand je voulais avancer vers mon mari, je me suis trouvée par terre, bloquée par l'autre policier qui m'avait mis par terre, avec ses coudes sur moi. C'était un colosse ce mec-là. Il me dit: "Je fais ce que je veux de vous. Je suis la loi. Je vous mets en garde-à-vue, je vous mets en prison, je peux faire de vous ce que je veux." Je sentais qu'il essayait de m'étouffer pour pas que je m'agite beaucoup. Il avait mis son coude sur ma gorge et faisait une pression. Par moment je pouvais respirer, par moment je manquais d'air.

Ils nous ont laissé aller à notre place, je me suis assise et j'ai craqué. Je crois bien que j'ai pleuré pendant 10 minutes. Comme je saignais il y a une hôtesse qui est allée chercher une trousse de secours. Elle m'a un peu soigné. Excusez-moi, je revis la scène.

M. Gilles Rigaud, policier à la retraite:

Je vous remercie de nous venir en aide. Excusez-moi, je suis toujours ému en fonction des récits que je revis. Je suis très mal à l'aise. Mais ma femme à très bien décrit la scène.

Quand je suis rentré dans l'avion, dès le départ, nous avons tous perçu des cris puissants qui venaient du fond de l'appareil. Notre place était à peu près 4 à 5 sièges devant la personne qui était en voie d'expulsion et c'est vrai ça devenait quand même insoutenable. Il y avait des cris étouffés. On sentait que la personne était mal à l'aise et devant ça on ne peut pas résister à intervenir. Ma femme a tout de suite compris ce qui se passait. Moi aussi, mais je me taisais pour éviter que des choses dégénèrent. Elle a manifesté son mécontentement, parce qu'en tant qu'être humain, on ne peut pas rester insensible à des cris comme ça, d'une personne qu'on expulse.

"J'ai compris qu'il voulait en découdre."

Je me suis avancé et je dis à mon épouse: "Je vais demander des renseignements sur comment il est maintenu". Et effectivement, je me suis avancé vers le policier qui faisait barrage dans l'aller pour pas qu'on s'avance près de l'expulsé et je lui ai demandé gentiment en lui précisant qu'en tant qu'ancien policier je voulais voir de quelle sorte était maintenu l'expulsé, parce que cela me semblait anormal. Moi-même, en tant qu'ancien policier, j'ai fait partie des escortes en France – je l'ai rarement fait – mais dans des conditions tout à fait normal à ce que j'ai pu voir. Donc j'étais inquièt de la façon dont ils procédaient. Ils étaient à plusieurs à le maintenir sur trois sièges de l'avion, donc je réitère ma demande au policier, qui mesurait environ 1m85, une armoire quoi. Je n'étais pas venu là pour me frictionner avec un policier, j'allais à une fête. Il a pris la mouche tout de suite, il m'a saisi et m'a sorti de l'avion et en même temps il m'empoignait et m'a tiré vers lui. Je n'ai absolument pas résisté, pour pas que ça dégénère. Ce monsieur m'a emmené à l'arrière de l'avion sur la passerelle arrière avec l'escalier qui descend à peu près 7 mètres au sol. Arrivé sur la passerelle il me dit: "Et alors, maintenant?" J'ai compris qu'il voulait en découdre. Je regardais derrière moi, j'ai vu que l'escalier descendait au moins 45 degrés et de l'autre côté sur les rambardes c'était le vide. Donc j'étais acculé là et j'ai compris qu'il voulait vraiment découdre. Donc je me suis tu, j'ai compris tout de suite que j'avais à faire à un gars qui était nerveux, dangereux.

Le grand qui m'avait saisi, qui m'avait expulsé sur la passerelle a empoigné mon épouse, parce qu'il ne voulait pas qu'elle vienne à l'arrière pour voir ce qui se passait. Il l'a empoigné et en deux temps elle a été mise à terre, mais d'une manière... Je vous garantie que c'est difficile à admettre. Elle était allongée sur le dos. Il avait le bras gauche posé en travers la gorge et il relâchait la pression, parce qu'elle criait, elle s'énervait, elle voulait disputer. "Je n'ai jamais vu des choses pareilles"

Ils nous ont fait promettre de nous tenir tranquilles pour nous faire réintégrer dans l'appareil. Ils nous ont accompagné dans le milieu de l'avion, loin de l'expulsé. Quand je suis passé près de la personne qui était en voie d'expulsion, j'ai remarqué qu'il était toujours allongé et avec un vêtement sur la tête qui l'empêchait de crier et tout. Donc je ne savais pas s'il était blessé ou quoi, mais c'est très choquant.

C'est de la méchanceté pur et simple. C'est vraiment catastrophique. Moi qui était policier, je n'ai jamais vu des choses pareilles et on dit qu'en France il y a des bavures, alors figurez-vous que je n'ai jamais vu de la sorte. Celle-là il faut faire fort. C'est impensable, même encore je ne m'en suis par remis et j'évite de parler de cette affaire même avec elle.

Je suis encore très choqué de cette histoire. Ca fait du mal à en parler. Je ne souhaite à personne de vivre ce que j'ai vécu et je suis égoïste. Mr. Fosso et mon épouse ont souffert plus que moi. Quand on voit sa femme à terre comme ça, c'est très difficile à admettre.

Véronique van der Plancke, avocate de M. Fosso, de la LDH et du CIRÉ:

Tant Mr. Fosso que Mr. et Mme. Rigaud ont légitimement exprimé leur droit de consommateur, donc leur droit de voyager dans des conditions sûres et sereines. Mais au delà de ça, ils ont aussi accompli leur droit d'assistance à une personne en danger.

Ici j'aimerais vous dire deux témoignages qui corroborent ce qu'a dit Mr. Fosso et Mme. Ribaud. Le premier témoignage, c'est juste une phrase, mais c'est un témoignage de Mr. Folefack lui-même. Mr. Folefack était la personne qui était sur le vol où était Mr. Fosso, la personne en voie d'expulsion, qui comme on l'a rappelé, s'est suicidé 5 jours après cette tentative d'expulsion. Mr. Folefack lui-même, dans son témoignage qu'il fait trois jours après son expulsion dit – un témoignage qui est en fait une plainte qu'il dépose -: "J'avais très mal au corps, mal au coeur, étouffé et j'ai commencé à crier." Donc clairement, effectivement, il y avait une agitation, il y avait une alerte qui comme l'a rappelé Mr. Fosso étaient des cris qui petit à petit ont pris une allure plus d'étouffement.

C'est certain qu'on assiste ici à la fois à une réaction tout à fait saine et citoyenne de deux passagers et face à cela à une réaction disproportionnée de la compagnie aérienne et abusive, inacceptable de la part de la police fédérale qui non seulement est abusive et inacceptable mais qui puis est constitutive d'infraction pénale.

"Petit singe"

Il y a une série de chefs d'inculpation, donc il y a notamment les coups et blessures volontaires avec la circonstance aggravante qu'on peut soupçonner le fait que la couleur de peau de Mr. Fosso a pu jouer un rôle. Le juge d'instruction fera la lumière sur cet aspect là. Il y a la détention arbitraire puisque Mr. Fosso a fait l'objet de 11h. de détention administrative dans une cellule de l'aéroport de Zaventem sans pouvoir ni boire, ni manger, ni appeler une personne de confiance, alors que la loi elle-même prévoit que ce sont des choses élémentaires auxquelles les personnes détenues doivent avoir droit. Il y a également les injures par les faits et par des mots, puisque Mr. Fosso l'a rappelé lui-même, il a été traité de "petit singe, t'as aucun droit et tu ne pourras plus jamais voyager."

Une autre chef d'inculpation est évidemment le vol, puisque les images que Mr. Fosso a pris dans l'avion ont été détruites or ce vol ou la destruction de biens comporte évidemment aussi le vol ou la destruction de biens immatériels.

Donc le juge d'instruction a été saisi le 10 juin 2008. La Ligue des Droits de l'Homme et le CIRE se sont constitués partie civile au côtés de Mr. Fosso ainsi que Mr. et Mme. Rigaud hier auprès donc du juge d'instruction Anciaux.

Voir ci-dessus