Algérie : Une bouffée d’espoir
Par Mohand Saddek Akrour le Jeudi, 03 Janvier 2008 PDF Imprimer Envoyer

Aux municipales algériennes du 29 novembre, à cause d’une loi électorale antidémocratique, le Parti socialiste des travailleurs (PST) n’a pu présenter que six listes. Là où il s’est présenté, il a obtenu 15,7% des suffrages, soit neuf sièges et une mairie. Mohand Saddek Akrour, militant infatigable des révoltes populaires, a ainsi été élu maire de Barbacha (Kabylie).

Parle-nous de cette victoire et de ta commune...

Mohand Saddek Akrour – Malgré d’importants acquis, le mouvement populaire de 2001 [en Kabylie, NDLR] a connu une fin décevante, au regard des énergies que nous avions déployées. J’ai rompu avec les auberges espagnoles qui produisent ce genre de gâchis, et j’ai décidé de m’organiser politiquement au PST.

L’ouverture politique prônée par ce dernier donne aujourd’hui, comme premier fruit, la victoire que nous venons d’obtenir à Barbacha. C’est une commune rurale de plus de 20 000 habitants, à une quarantaine de kilomètres de Bejaïa (Kabylie). Nous avons obtenu 66 % des voix exprimées, ce qui nous donne six sièges sur les neuf à pourvoir. Cette victoire est aussi le prolongement du score honorable que le PST a réalisé aux législatives du 17 mai dernier, même si nous n’avions pas eu de députés. L’objectif de visibilité que nous nous sommes assigné avait déjà été largement atteint.

Comment s’est déroulée la campagne?

M. S. Akrour – Le pouvoir a accouché d’une loi électorale scélérate, qui nous a obligés à quémander le parrainage de milliers d’électeurs pour chaque wilaya (« département ») et de quelques centaines d’électeurs pour les communes, même les plus petites. Aucun parti ou groupe n’a pu recueillir ces parrainages pour les wilayas. Au niveau national, le PST n’a pu se présenter que dans six communes. Toutefois, même après avoir dépassé toutes les contraintes imposées (légalisation des signatures par la mairie et leur validation par un magistrat), nos listes ont été rejetées par les services de la préfecture. Il a fallu un procès en référé pour qu’enfin nos listes soient acceptées.

Du fait de toutes ces barrières, nous n’avons pas pu préparer, comme il se doit, notre campagne. Malgré cela et le manque de moyens matériels et financiers, nous avons réussi à organiser deux meetings par jour, entre 18 heures et minuit, pour toucher les travailleurs et les autres catégories sociales pauvres des villages les plus reculés. L’intox, la désinformation et les calomnies orchestrées à notre encontre par nos adversaires, les partis du pouvoir et ceux de la prétendue opposition de droite ou de gauche (à l’image du Front des forces socialistes, affilié à l’Internationale socialiste) n’ont pas pu nous affaiblir. Nous avons réussi notre campagne, pleinement, à Barbacha, mais aussi à Tichy, Aokas et Adekar. Notre discours – 100 % à gauche – a été adopté par la population. Même sous la pluie et dans le froid de nos montagnes, des centaines de personnes nous ont obligés à débattre avec elles pendant plusieurs heures.

Et maintenant, quelles sont les perspectives?

M. S. Akrour – Nous avons pu balayer le tribalisme et le régionalisme, qui sont de mise en Kabylie. Nous avons aussi réussi à avoir un vote hautement politique. C’est ainsi que notre victoire est perçue, par les masses locales, et même à l’échelle régionale et nationale, comme une bouffée d’espoir et de dignité retrouvée. Nous avons obligé la presse bourgeoise à parler du PST et de cet espoir que nous avons réussi à susciter. Ce n’est qu’un début, le chemin est difficile mais, par cette modeste victoire, nous venons de montrer qu’il est possible de réussir et de semer les germes de la révolution socialiste. Nous sommes donc en marche.

Propos recueillis par le correspondant de « Rouge » (LCR-France)


Le « rebelle de Bab-el-Oued » nous a quittés

Notre camarade algérien Redouane Osmane, est mort, terrassé par une crise cardiaque pendant un cours qu’il donnait, samedi 15 décembre, à Alger. Voilà une bonne nouvelle pour le pouvoir, qui voit disparaître l’un des animateurs de toutes les luttes sociales depuis 2003.

La mort de Redouane Osmane, survenue brutalement, le samedi 15 décembre, crée un grand vide pour tous ceux qui se sont battus à ses côtés depuis près de 30 ans. Ce que toute la presse algérienne a dû reconnaître, le ministre de l’Éducation et la direction de l’Union générale des travailleurs algériens étant obligés de se fendre de messages de condoléances… En 1979, Redouane Osmane a rejoint l’organisation trotskyste Groupe révolution socialiste (GRS), devenu par la suite le Parti socialiste des travailleurs (PST, organisation solidaire de la IVe Internationale), avant de devenir un militant de tous les combats contre l’oppression. D’une énergie qui semblait inépuisable, Redouane a été, partout où il passait, un organisateur des luttes et de la résistance : dans des grèves ouvrières, comme à Rouiba et Beni Mered dans les années 1980 ; fondateur et animateur du Syndicat national des étudiants algériens autonome et démocratique, qui a déclenché une grève générale en 1987 et animé les mobilisations contre la répression et la torture après 1988, luttant pied à pied contre la dictature. Pendant toutes ses années, il a contribué à former des centaines de jeunes, notamment à travers les campings d’été du PST.

Après un séjour à Oran pour y développer le PST, il est revenu à Alger en 1993, enseignant au lycée Émir-Abdelkader, au cœur de Bab-el-Oued, fief des intégristes, où lui, le trotskyste, athée, a vécu sans jamais être menacé tant son engagement social dans le camp des opprimés forçait le respect. S’il avait quitté la direction du PST depuis la fin des années 1990, il était de toutes les initiatives de l’organisation. Il a consacré son énergie aux mobilisations enseignantes – presque continues de 2003 à 2006 –, créant un syndicat en rupture avec l’UGTA, le Conseil des lycées d’Alger. Il s’est efforcé d’aider à l’émergence et à la convergence des syndicats autonomes de l’UGTA dans différents secteurs.

Dimanche 16 décembre, Redouane a eu un enterrement à l’image de ce qu’a été sa vie : ils étaient des milliers de lycéens, d’enseignants, d’Alger et de tout le pays, de syndicalistes, de militants politiques indépendants du pouvoir, mais aussi de gens du quartier – y compris de nombreuses femmes, fait exceptionnel pour des obsèques en Algérie – qui connaissaient tous Redouane et son mégaphone. Quand ils ont voulu se rendre au lycée Emir-Abdelkader, ils en ont été empêchés physiquement par trois camions des brigades anti-émeutes et cinq véhicules de police, placés à 300 mètres du lycée. Le cortège avait traversé tout Bab-el-Oued, avec une foule immense reprenant des chants révolutionnaires, lançant des youyous, applaudissant. « Même mort, il dérange le pouvoir », scandait alors l’immense foule, transformant ainsi la cérémonie en manifestation. Un hommage militant au « rebelle de Bab-el-Oued », dont le cercueil était porté par ses élèves, qui l’avaient vu mourir en classe.

Cathy Billard, Rouge, 20/12/2007

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