Conférence de Bali sur le climat : premiers jugements à chaud
Par Daniel Tanuro le Mercredi, 02 Janvier 2008 PDF Imprimer Envoyer

Que penser du résultat de Bali ? Le fait que les objectifs chiffrés du GIEC n’ont pas été repris explicitement et directement dans la feuille de route conduit certains à parler de réunion pour rien, de victoire des USA, etc. C’est le sens de la chronique de George Monbiot dans le Guardian (« we have been suckered by the US, once again ») (17/12/07).

Cette analyse est contestable. Les médias se sont focalisés sur la question des recommandations chiffrées du GIEC et du bras de fer UE-USA concernant la référence à ces recommandations chiffrées dans la feuille de route. C’est un enjeu important, mais il peut produire un artefact. La conférence n’est pas un échec du point de vue de ses organisateurs. Elle a décidé d’élaborer un accord pour prendre le relais de Kyoto. L’intention affichée est de déboucher en 2009, à la quinzième conférence des parties (COP 15), sur un nouvel accord. Celui-ci devra fixer un « objectif de long terme » pour « renforcer la réalisation de la Convention » (UNFCCC) « dans le but de réaliser son objectif » (empêcher une dégradation dangereuse du climat). Cela nécessitera des « réductions profondes dans les émissions globales ». Le préambule souligne « l’urgence de répondre au CC comme indiqué dans le 4e rapport du GIEC ». Etc.

Le compromis n’est pas à l’avantage de Bush

La feuille de route de Bali a été signée par toutes les délégations présentes. Une lecture attentive révèle que le compromis avec les USA tourne principalement autour des points suivants:

 

- Il n’y a pas de référence directe aux recommandations chiffrées du GIEC dans le corps du texte, mais une référence indirecte dans le préambule (sous forme d’une note de bas de page qui renvoie aux passages précis du 4e rapport du GIEC où les recommandations chiffrées sont formulées). La victoire des USA sur ce point est largement symbolique (pas seulement symbolique, on y reviendra plus loin).

 

- La feuille de route maintient l’idée d’un traitement différencié des pays développés (ils devront accepter des « objectifs de réductions quantifiés ») et des pays en développement (ils devront entreprendre des « actions de mitigation »).

 

- La formule pour les pays développés (« mitigation commitment OR actions ») laisse une marge de manoeuvre aux USA, qui refusent les contraintes de réduction. Mais c’est une marge de manoeuvre très limitée. En effet, tout de suite après, le texte pose clairement la nécessité d’« objectifs de réduction et de limitation quantifiés des émissions ». Il est précisé que ces objectifs doivent être « mesurables, rapportables et comparables ». Or, c’est précisément cela que les USA refusent depuis 10 ans…

 

Le compromis, en fait, n’est pas à l’avantage de Bush. Il anticipe plutôt sur le tournant prévisible de la politique climatique US lorsque Bush sera parti. Pour l’expliquer, trois facteurs semblent devoir être pris en considération:

 

1°) L’isolement croissant de la ligne Bush aux USA même. Alors que la conférence s’ouvrait, le Sénat US entamait la discussion de la proposition de loi Warner-Lieberman qui impose des réductions d’émissions à une série de secteurs représentant 80% de l’économie américaine [1]. Selon une étude de Mc Kinsey commanditée par Shell et une série d’entreprises du secteur de l’électricité, les USA peuvent réduire de moitié leurs émissions par rapport aux prévisions, d’ici 2030, pour un coût minimal, avec les technologies existantes, et en épargnant de l’argent dans 40% des cas (Business Week, 14/12/07). De plus en plus, les grandes entreprises veulent des quotas et un un plan à long terme.

 

2°) L’isolement croissant des Etats-Unis sur la scène internationale. Le 13e jour de la conférence, non prévu au programme, a été spectaculaire de ce point de vue. L’obstruction et l’arrogance US ont en effet provoqué une vraie levée de boucliers, notamment des représentants des pays du Sud. Interpellé quelques jours plus tôt sur le manque de leadership américain dans la lutte pour le climat, James Connaughton, chef du Conseil du Président sur la Qualité Environnementale, avait lancé aux journalistes que « le leadership implique que les autres se mettent en file et suivent ». Le représentant de la Nouvelle Guinée Papouasie a répliqué en séance plénière : « Si vous ne voulez pas diriger, laissez les autres s’en charger. S’il vous plaît, dégagez la voie. » La pression sur les Etats-Unis est devenue maximale lorsque l’UE a menacé de ne pas participer à la réunion des « grandes économies » proposée par Bush au G8 et convoquée à Hawaï prochainement);

 

Un tournant majeur : l’implication du Sud

 

3°) L’implication croissante du Sud, en particulier des grandes économies émergentes (Brésil, Inde, Chine, Afrique du Sud). Le ton, de ce côté-là, a changé. Plusieurs représentants ont dit clairement leur volonté de participer à l’effort commun, mais dans le cadre de la « responsabilité différenciée ». La ministre de l’environnement du Brésil : « même si les pays en développement n’ont pas de responsabilité historique dans le changement climatique, ils doivent agir ». Le représentant de la Chine : « Etant donné la gravité sans précédent, l’ampleur et la profondeur des impacts du changement climatique, il ne peut être résolu par les efforts des seuls pays développés » (Le Monde, 18/12/07). Comme le notait le Christian Science Monitor: « Dans le passé, les pays industriels passaient des accords et pour l’essentiel ils présentaient les résultats aux pays en développement. Ce n’est plus le cas. A Bali, le « Groupe des 77 plus la Chine » (qui regroupe en fait 123 pays en développement) s’est affronté durement aux USA, notamment lorsque ceux-ci ont refusé un amendement relatif aux transferts de technologie et au financement de l’adaptation (Christian Science Monitor, 17/12/07).

 

En toile de fond de ces évolutions, on n’insistera jamais assez sur la solidité et le poids sans précédent que l’expertise scientifique concernant le climat exerce aujourd’hui sur les décideurs politiques. Les gouvernements qui freinent (USA, Canada, Japon, Russie, Nouvelle Zélande) ne peuvent plus arguer de l’incertitude scientifique. Il est très significatif qu’ils ne l’ont pas fait à Bali. Ces gouvernements sont dans une position inconfortable car ils n’ont plus que des considérations économiques ou géostratégiques à invoquer. En fin de compte, face à la gravité de la menace climatique, cela ne fait pas vraiment le poids, même dans un cénacle néolibéral.

 

Nouveaux défis, nouveaux dangers

 

Le jugement d’Hervé Kempf sur Bali, dans Le Monde daté du 18/12/07 [2] semble donc beaucoup plus proche de la réalité que celui de Monbiot: « Contrat rempli, écrit Kempf (…) Le schéma de l’accord planétaire qui se dessine pour Copenhague et la nouvelle attitude des pays du Sud signifient que la balle est maintenant dans le camp des pays riches. Il ne suffit plus d’invoquer des chiffres, mais de se mettre en situation de les respecter ». En effet. On n’est plus dans la situation de blocage du dossier. Bali nous fait entrer dans une situation de transition pouvant déboucher sur une politique sensiblement nouvelle, avec de nouveaux défis et de nouveaux dangers. Il faut en tenir compte et se préparer.

 

Quels défis, quels dangers ? Là-dessus, Hervé Kempf est muet. Par contre, George Monbiot dit vrai dans une certaine mesure quand il parle d’accord « pire que Kyoto »… même s’il ne dit pas en quoi cet accord serait pire. On pointera trois aspects:

 

1°) La non mention explicite des recommandations chiffrées du GIEC n’est évidemment pas sans conséquences. Cela ménage une possibilité de chipotage. Par exemple sur la question clé de la date de référence pour les réductions d’émission. Aux USA, la proposition de loi Warner-Lieberman [3] avance l’objectif de 70% de réduction... mais par rapport à 2005, pas par rapport à 1990. Arnold Schwarzenegger a déjà joué ce tour de passe-passe : le plan climat californien vise 25% de réduction en 2020… par rapport au niveau des émissions en 2020 sans plan. En fait, au-delà du chiffre choc de 25%, le résultat sera inférieur à ce que la Californie aurait dû atteindre en 2012 si elle avait ratifié Kyoto. Angela Merkel, lors du sommet du G8 à Heiligendamm, a parlé de même de 50% sans mentionner de date de référence. Tous comptes fait, l’Union Européenne n’est peut-être pas mécontente du fait que les recommandations chiffrées du GIEC ne soient pas mentionnées explicitement dans la feuille de route de Bali… La plus grande vigilance est de mise sur ce point, et sur d’autres du même genre.

 

2°) L’accentuation de la nature libérale de la politique climatique est sensible dans les décisions et les débats de Bali. A cet égard, il faut souligner que c’est bien un nouvel accord global qui va être négocié. Un accord dans le cadre de l’UNFCCC, certes. Mais un nouvel accord. Cela signifie que certains aspects relativement positifs du protocole de Kyoto [4] ne constituent plus d’emblée un acquis. Toute une série de questions sont donc à nouveau ouvertes. Par exemple : l’éligibilité des projets nucléaires dans le cadre du Mécanisme de Développement Propre, l’abolition des pénalisations pour non-respect des engagements par les parties, l’additionalité du MDP par rapport aux efforts « domestiques » de réduction des émissions, etc. Il s’agit évidemment de questions extrêmement importantes.

 

Un exemple de remise en cause d’un garde-fou inclus dans Kyoto est d’ailleurs déjà concrétisé par les décisions de Bali. Selon Kyoto, en effet, seuls les projets de plantations nouvelles d’arbres étaient générateurs de droits d’émission dans le cadre du MDP. La conférence de Bali a décidé d’étendre ce mécanisme à la protection des forêts existantes contre la déforestation, et même contre la dégradation. L’enfer, ici, est vraiment pavé de bonnes intentions vertes. C’est ce que ne comprennent pas les associations environnementales. On ne peut évidemment que se féliciter si un coup d’arrêt était donné à la destruction de la forêt tropicale, en Amazonie, dans le Sud-Est asiatique et ailleurs. Mais on ne peut pas se réjouir si ce coup d’arrêt génère des droits d’émission tellement bon marché qu’ils permettront aux économies capitalistes développées de différer, voire d’éviter à bon compte les efforts de réduction qu’elles devraient entreprendre. Or c’est de cela qu’il s’agit, et la protection de la forêt n’est qu’un prétexte. Selon Stern, la tonne de carbone générée par la protection des forêts existantes ne coûtera que 5 dollars (contre 10 actuellement dans le cadre du système européen d’échange de droits). La Banque Mondiale a déjà mis en place un fonds spécifique à cet effet. Face à un tel enjeu, gageons que les droits des communautés indigènes qui vivent de la forêt ne pèseront pas lourd. L’agriculture itinérante et le pâturage extensif dans les forêts claires, par exemple, risquent fort d’être considérés comme « déforestation » et « dégradation ». Il ne manque pas d’exemples qui le montrent concrètement, dès à présent [5].

 

Dans le même ordre d’idées, des voix se sont élevées à Bali pour que l’exportation dans les pays en développement des technologies de capture et séquestration du carbone (on injecte le CO2 dans un état supercritique dans des couches géologiques profondes) soit également générateur de droits dans le cadre du MDP. Par contre, les appels pour mettre fin au scandale des droits d’émission acquis à bon compte en brûlant le HFC-23 sont restés lettre morte, de même que les demandes de révision structurelle du système MDP en général, pour mettre fin à la fraude, à la corruption et aux abus [6] ].

 

Lourdes menaces pour les plus pauvres

 

3°) Un troisième défi et danger concerne les pays les plus pauvres. Ils risquent fort de faire les frais, en cas d’accord entre les gouvernements des pays développés et les classes dominantes grands pays émergents. Les discussions et les décisions relatives au « Fonds d’adaptation » sont ici très révélatrices. Mis en place à Nairobi (2006), ce fonds d’adaptation concerne les pays les moins développés (PMD, selon l’euphémisme officiel). Ces PMD sont les principales victimes du changement climatique et n’ont pas les moyens financiers, technologiques et humains de s’y adapter. A Nairobi, il avait été décidé que le fonds d’adaptation serait alimenté par un prélèvement de 2% sur les projets dans le cadre du MDP. En soi, ce mécanisme de financement est injuste, parce qu’il fait dépendre les budgets disponibles pour l’adaptation des pays les plus pauvres du volume des investissements des pays développés dans les pays émergents (où sont localisés l’immense majorité des projets MDP), et pas des besoins des populations menacées.

 

Dans les circonstances actuelles, les budgets prévus selon ce mécanisme de financement sont insuffisants : selon les estimations de la UNFCCC, le fonds pourrait récolter 300 millions de dollars par an d’ici 2030. A titre de comparaison : les dégâts causés par le cyclone qui a dévasté récemment les côtes du Bangladesh se montent à 4-5 milliards de dollars. En fait, dans la logique de Nairobi, l’augmentation des moyens du fonds nécessiterait une extension du MDP… donc une remise en cause du principe d’additionalité du MDP par rapport aux mesures de réduction dans les pays développés, principe qui est inscrit dans le Protocole de Kyoto. Mais ce n’est pas tout : Bali a effet décidé que le fonds d’adaptation serait dirigé par le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM), et que la Banque Mondiale serait associée à sa gestion. Les PMD se sont opposés à cette décision parce que le FEM fonctionne selon le principe « un dollar une voix », ce qui signifie que les baîlleurs de fonds – les pays riches - joueront un rôle déterminant dans la politique d’adaptation des pays les plus pauvres. Sur base de l’expérience des PMD avec le FEM, on peut s’attendre à ce que cette politique fasse des dégâts au moins aussi sérieux que ceux du changement climatique…

 

Conclusions provisoires

 

Que déduire de tout cela ? Essentiellement deux choses:

 

1°) Une mobilisation sociale pour le climat est plus que jamais nécessaire, à l’échelle mondiale. Les manifestations qui se sont déroulées dans divers pays le 8 décembre (et en Australie un mois auparavant) constituent un exemple et un point d’appui. Il s’agit de travailler à rassembler le front le plus large possible autour de l’idée simple que l’accord climatique en préparation doit s’inscrire intégralement dans les recommandations chiffrées du GIEC.

 

2°) Au sein de cette mobilisation unitaire, il est de plus en plus urgent de construire un pôle anti-libéral, qui couple la question du climat à la défense de la justice sociale et à la nécessaire redistribution des richesses. Entre Nord et Sud, mais aussi au sein des sociétés du Nord et du Sud.

 

Deux années nous séparent de la Conférence des Parties de Copenhague, en 2009. Ce seront deux années décisives. Pour le climat et pour une alternative au néolibéralisme.

 

[1] Lire sur ESSF (www.europe-solidaire.org) Kyoto +10 : un climat de plus en plus libéral

[2] Voir sur ESSF : Climat : le temps de l’action

[3] Cf. « Un climat de plus en plus libéral », sur ESSF, op. cité.

[4] Lire sur ESSF L’après-Kyoto risque d’être très libéral…

[5] Lire sur ESSF Les nouveaux habits verts de la domination coloniale

[6] Sur le scandale du HFC-23 lire sur ESSF (tiré du Guardian, 2 juin 2007)


Kyoto +10 : un climat de plus en plus libéral

 

Dix ans après la conclusion du Protocole de Kyoto, il semble de plus en plus probable que l’on va vers un accord climatique global et plus ambitieux incluant les Etats-Unis et dans lequel les grands pays en développement seront impliqués d’une manière substantielle. Mais il est pour le moins douteux que cet accord sera à la hauteur du défi écologique. Sur le plan social, il est certain qu’il sera plus que jamais marqué au coin du néolibéralisme. A moins que la mobilisation sociale internationale ouvre d’autres perspectives.

 

Depuis la Conférence de La Haye (2001), le débat sur l’après Kyoto est gelé par suite de l’allergie étatsunienne à toute idée de réduction obligatoire des émissions. Mais le vent tourne. Neuf propositions de loi en faveur d’une réduction obligatoire des émissions ont été déposées au Congrès. La plupart sont basées sur la mise en place d’un dispositif analogue au système européen d’échange de droits (« cap and trade system »). La proposition Warner-Lieberman est considérée comme la plus susceptible de servir de base à une future législation, après les présidentielles de 2008 (d’ici là, il est peu probable que le dossier se débloque). Elle envisage de stabiliser les émissions de trois secteurs (production électrique, transport, industrie manufacturière) au niveau actuel jusqu’en 2012, de les réduire de 2% par an de 2012 à 2020 (15% de réduction par rapport à 2005), puis de continuer vers 70% de réduction en 2050.

 

Les gouvernements ne peuvent plus se contenter de petits pas, à la Kyoto (5,2% de réduction pour les pays industrialisés à réaliser sur la période 2008-2012). Les scientifiques le répètent : le Protocole, c’est des peanuts, les émissions doivent diminuer de 80% d’ici 2050 au niveau mondial. L’opinion publique est inquiète. Le monde des affaires veut savoir à quoi s’en tenir, et que les mesures soient homogènes. C’est devenu une question de crédibilité politique : les gouvernements doivent sortir un plan à court, moyen et long terme, et frapper l’opinion avec un objectif qui semble ambitieux. Angela Merkel, au G8, proposait 50% en 2050. Warner-Lieberman surenchérissent : 70%. D’autres chiffres seront lancés. Pour ne pas se laisser abuser, il faudra (se) poser chaque fois quelques questions : réduction par rapport à quelle année de référence ? dans quels secteurs d’activité ? étalées comment ? Car la présentation peut être trompeuse : 15% de réduction en 2020 par rapport à 2005, c’est moins que ce que les USA auraient dû réaliser en 2012, s’ils avaient ratifié Kyoto. Un « objectif ambitieux » pour 2050 peut représenter moins que des peanuts à court et moyen termes.

 

Derrière ces chipotages, on retrouve la préoccupation exprimée par Nicholas Stern, dans le rapport sur l’économie du changement climatique remis au gouvernement Blair (oct. 2006). L’économiste en chef de sa Gracieuse Majesté y conseillait discrètement, au détour d’une page, « de ne pas en faire trop, ni trop vite ». Car « une grande incertitude demeure quant aux coûts de réductions très importantes. Creuser jusqu’à des réductions d’émissions de 60 ou 80% ou plus requérra des progrès dans la réduction des émissions de processus industriels, de l’aviation, et d’un certain nombre de domaines où il est difficile pour le moment d’envisager des approches effectives en termes de coûts ». Voilà la méthode : on commence par endormir la galerie avec de belles paroles sur la gravité de la menace puis, quand les micros sont coupés, on discute entre gens responsables. Alors que des millions, voire des centaines de millions de gens sont en danger, alors que les parades existent, on mégote pour ne pas égratigner les profits de ceux qui nagent dans le fric et sont responsables du gâchis : les pétroliers, l’industrie automobile, l’aéronautique, la pétrochimie, les transports… Croissance oblige !

 

Ceci dit, « ils » vont faire quelque chose. « Ils » y sont contraints. Même si « leurs » 70%, tels qu’ils les calculent, ne représentent que la moitié de l’effort qu’il faudrait fournir, il s’agit néanmoins d’une réduction substantielle. Comment espèrent-ils y arriver et sur le dos de qui ? Telle est la question clé. De déclaration en rapport, la réponse apparaît de plus en plus nettement. De façon synthétique, elle s’articule autour de cinq éléments :

 

1°) une extension très considérable des mécanismes de flexibilité du protocole de Kyoto, en particulier du « Mécanisme de Développement Propre ». Ce MDP permet au Nord d’obtenir des droits de polluer en échange d’investissements dans le Sud si ceux-ci réduisent les émissions (par rapport à un niveau de référence hypothétique). C’est principalement par ce biais, sans doute, que les pays en développement seront insérés dans le nouveau dispositif.

 

2°) une extension similaire des possibilités d’utiliser les droits d’émission générés par les « puits de carbone ». De plus, non seulement des plantations d’arbres mais aussi la sauvegarde de forêts existantes pourrait être considérée comme un moyen d’absorber le carbone de l’atmosphère, donc de compenser les émissions. On donnerait ainsi un lustre écologique à une politique qui n’a aucun caractère structurel et qui implique l’appropriation de la forêt et de ses ressources ;

 

3°) la détermination d’un prix mondial du carbone censé intégrer les coûts des dégâts futurs du réchauffement. La place manque pour expliquer ici les problèmes théoriques, éthiques et pratiques que cette intégration implique. Ce qui est clair par contre, c’est que les pauvres et le monde du travail paieront la note. Historiquement, les pays du Sud ne sont responsables du réchauffement qu’à hauteur de 25% ; un prix mondial du carbone signifie évidemment qu’ils paieront 100% des coûts, au prorata des marchandise qu’ils achètent. Par ailleurs, ils seront incités à se procurer les technologies « bas carbone » (nucléaire, par exemple), sans quoi leurs propres produits coûteront plus cher à l’exportation. Par ici, les contrats pour les multinationales ! Quant au monde du travail dans les pays développés, outre la hausse des prix, on lui concocte une sécurité sociale « climatisée » (réduction des cotisations patronales compensée par une taxe carbone, par exemple) ;

 

4°) le recours accru à des technologies d’apprenti-sorcier : plus de centrales nucléaires, plus d’agrocarburants, plus d’OGM (plantes de culture résistant à la sécheresse, arbres à croissance rapide pour stocker le carbone) ; 5°) la culpabilisation des citoyens, couplée à une politique de primes, de taxes, de quotas, etc. Dans ce domaine, l’imagination néolibérale semble sans limites : quotas de carbone individuels échangeables, octroi à l’entrée des grandes villes (8 £ pour entrer en voiture à Londres : la circulation est plus fluide, isn’t it ?).

 

C’est une guerre qui se prépare. La préparation médiatique bat son plein. L’attribution du Nobel de la Paix au GIEC, soit dit en passant, en fait partie : le GIEC est en effet primé non seulement pour son travail scientifique –admirable- ou pour la collaboration entre spécialistes de toutes nations –exemplaire-, mais aussi pour avoir défini « les fondements des mesures à prendre ». Comme si le prix du carbone était fixé par la physique, comme si le choix entre les camions et les trains, entre l’atome et le soleil, découlait d’une loi naturelle!

 

Plus de cent mille personnes ont manifesté en Australie, le 11 novembre, pour que le pays réduise ses émissions de 30% d’ici 2020. Que ce soit une source d’inspiration. La construction d’un mouvement de masse mondial, analogue aux mouvements contre la guerre, doit être mise sérieusement à l’ordre du jour.

Voir ci-dessus