Tour d’Europe des luttes sociales
Par LCR-Web le Dimanche, 11 Novembre 2007 PDF Imprimer Envoyer

Plusieurs luttes sociales significatives se déroulent depuis plusieurs semaines en Europe; grèves pour les retraites dans la fonction publique et dans les universités en France, mobilisations syndicales massives - mais confuses - en Italie, luttes étudiantes en Grèce, grèves des chemins de fer en Allemagne et enfin une lutte syndicale victorieuse contre le travail précaire dans l’Etat espagnol. Un tour d’horizon sur les luttes dans ces pays avec nos camarades des diverses sections européennes de la IVe Internationale… 

France : Novembre contre Sarkozy

« Nous sommes interchangeables », disait Sarkozy lorsque son « collaborateur », le Premier Ministre Fillon, était sous le feu des critiques, pour sa sortie publique sur l’État « en faillite ». Fillon n’arrête pas de jouer les boutefeux. Mais sa chute de confiance dans l’opinion (11 points, selon la Sofres) entraîne tout l’exécutif vers le bas, et elle pourrait agréger toutes sortes de colères, aussi bien des secteurs populaires, qui découvrent la réalité des boniments présidentiels, que de la droite, inquiète à l’approche des municipales du nombre astronomique de réformes déclenchant des foyers de mécontentement partout : marins pêcheurs en colère sur le prix du fuel, magistrats en rébellion contre Rachida Dati, députés désertant les bancs de l’Assemblée quand il faut voter les franchises médicales… Sarkozy est déjà dans une zone de crise possible de sa légitimité arrogante.

Avec la grève reconductible du 14 novembre à la SNCF, la grève à EDF-GDF et la jonction probable avec la grande mobilisation qui s’annonce dans la fonction publique le 20 novembre, la question revient fréquemment : va-t-on vers une répétition de décembre 1995 ? Il y a une différence importante : Juppé et Chirac avaient fait un tournant à 180°, en octobre 1995, par rapport au discours de la campagne présidentielle. La déferlante de décembre s’était amorcée, puis amplifiée sur ce tête-à-queue. Sarkozy, comme il s’en vante, pratique la rupture qu’il avait annoncée. Le défi d’une stratégie alternative est donc d’emblée présent : il faut lui démonter sa base de cohérence et de popularité, en partie factice et reposant avant tout sur la démission d’une gauche subjuguée. Les discours des dirigeants du PS sont affligeants. Bien sûr, ils « ne sont pas contre une réforme » des régimes spéciaux, mais « dans l’équité », comme le dit Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l’Assemblée ! Ils accusent même ce gouvernement de provoquer des conflits sociaux, soutenant implicitement les « usagers pris en otage » dont des médias aux ordres s’apprêtent à défendre la cause prochainement. Avec cette gauche-là, Sarkozy peut dormir tranquille, et il le sait. Il peut même se préparer à l’affrontement, après avoir joué la main tendue. Mais l’histoire n’est pas encore écrite.

La situation nécessite une double stratégie convergente, venant du mouvement social, de sa capacité d’innovation, du syndicalisme unitaire, mais aussi des forces politiques de résistance. Face à la globalisation sarkozyenne, le syndicalisme doit montrer que les confédérations servent enfin à faire ce que leur nom indique : unir les salariés, au-delà des propagandes de division (privé-public, jeunes-seniors, travaux pénibles ou non), autour de revendications qui donnent des repères et du sens communs. Il convient donc d’assumer la portée politique générale de la lutte de grande dimension qui se prépare.

Trois questions forment déjà l’ossature d’une plateforme unitaire pour une journée nationale de reprise d’initiative politique du syndicalisme, pour arrêter de subir le calendrier du pouvoir ou de s’auto-paralyser par la concurrence. Sur les retraites, le comité de suivi du régime général vient d’annoncer péremptoirement (après Fillon) qu’en 2008, la discussion devait se conclure inéluctablement par l’augmentation à 41 du nombre d’annuités requises. Autrement dit, la bataille de 2008 a commencé (pas plus de 37,5 annuités, le taux plein à 60 ans). Sur les salaires, la provocation indécente de l’augmentation de 140 % de la rémunération de Sarkozy, mise en parallèle avec le refus d’augmenter le Smic, les salaires des fonctionnaires, et le fiasco du « gagner plus » dans le privé, met à l’ordre du jour, comme l’ont montré les salariés d’Air France, la nécessité d’un repère national autour de 300 euros pour tous, avec un Smic à 1 500 euros net.

Enfin, la négociation sur le contrat de travail doit sortir de son opacité. Le patronat a dévoilé tous ses plans : contrat de mission, licenciement à l’amiable sans recours juridique, allocations chômage détachées des cotisations des entreprises. Sur ces trois thèmes – retraites, salaires, sécurité d’emploi –, une mobilisation interprofessionnelle doit soutenir et élargir la grève reconductible des cheminots. Ce n’est pas la voie que semblent prendre les confédérations. La CFDT veut négocier non la réforme, mais son calendrier. Même la CGT explique à ses syndicats que, « pour l’heure », ce n’est pas « la coordination des revendications dans un seul rendez-vous qui est nécessaire », mais le « foisonnement » dans les branches et les entreprises. Autrement dit, éviter la confrontation et laisser les cheminots seuls. Mais gageons que, comme pour le 18 octobre, il y aura un foisonnement de structures interprofessionnelles et fédérales qui convergeront le même jour, du 14 au 20 novembre.

Les forces de résistance antilibérales et anticapitalistes ont, dans cette situation, une responsabilité écrasante. Il leur appartient de rassembler leurs forces dans la solidarité, d’amplifier le débat sur la perspective politique dont les mobilisations sont aujourd’hui privées. C’est ce à quoi la LCR entend contribuer.

Dominique Mezzi (LCR-France)


Italie: Construire une gauche contre Prodi

Le gouvernement de centre gauche de Romano Prodi, s’appuyant sur une coalition de douze partis, est en crise. Son aile gauche affiche un bilan de faillite et l’insatisfaction populaire se manifeste.

La vie politique italienne révèle un paradoxe. Des millions de personnes se sont mobilisées pour soutenir la politique du gouvernement, mais la popularité de Prodi est au plus bas et son gouvernement risque de tomber à tout moment.

Plus de 3,5 millions d’électeurs (chiffres des organisateurs) ont voté pour choisir le secrétaire du nouveau Parti démocrate (PD). Pour le maire de Rome, Walter Veltroni, élu avec presque 80 % des suffrages, ce fut un véritable plébiscite. C’est avec le même processus de primaires que, voilà deux ans, Romano Prodi avait été désigné comme leader de l’alliance de centre gauche. Cette énorme participation est le signe d’une mobilisation en soutien au gouvernement face au risque d’un retour des droites. Mais elle traduit aussi une insatisfaction devant la situation et un désir de renouveau, certes pas de gauche, dont profite l’image moderne que se donne Walter Veltroni.

Le 12 octobre, les trois centrales syndicales, la CGIL, la CSIL et l’UIL ont appelé leurs membres à se prononcer sur un accord, qu’elles ont signé en juillet avec le gouvernement, sur les retraites et les contrats de travail. 5 millions de personnes (chiffres des organisateurs) ont voté « oui » à 80 %. Ainsi, les directions syndicales ont décidé de soutenir un accord qui aggrave la législation en matière de retraite – l’âge de départ ayant été relevé et le mode de calcul de son montant s’étant dégradé – et qui intègre la fameuse loi 30 du gouvernement de Berlusconi2 dans une loi dite de prévoyance sociale. Tel est le fruit des actuels rapports de force et de la capitulation définitive des syndicats. Au lieu de lutter contre cette loi, en discussion au Parlement, ils ont décidé de la faire soutenir par leurs adhérents en échange d’une reconnaissance de leur droit de veto.

La manifestation organisée par la gauche du gouvernement, le Parti de la refondation communiste (PRC) et le Parti des communistes italiens (PDCI), le 20 octobre, a vu 1 million de personnes descendre dans la rue (selon les organisateurs, les estimations plus sérieuses parlent de 100 000 à 150 000 personnes). Cette manifestation a été convoquée, non pas contre le gouvernement, ni même contre sa politique, mais simplement pour le « respect du programme du gouvernement », autrement dit pour « déplacer à gauche » la politique de Prodi. Deux éléments ont dominé l’événement : le souci de ne pas faire tomber le gouvernement et le soutien à l’unité en cours de formation à la gauche du gouvernement (regroupant le PRC, le PDCI, les Verts et la scission des ex-Démocrates de gauche conduite par Fabio Mussi). La presse définit ce nouveau regroupement comme « la chose rouge ».

Il s’agissait donc d’une manifestation velléitaire : de protestation, mais sans toucher au gouvernement ; de participation, mais en donnant un chèque en blanc aux organisateurs. Elle répondait à l’insatisfaction provoquée par la précarité et la loi sur la loi de prévoyance sociale, mais se refusait à avancer la moindre revendication précise, la banderole qui ouvrait la manifestation étant « Nous sommes tous un programme ».

La manifestation paraît déjà oubliée et le gouvernement risque de tomber. On vote actuellement la loi de finances et la loi sur la prévention sociale, et il n’est pas certain qu’il se trouve, au Sénat, une majorité pour les voter. La Gauche critique, représentée dans cette Assemblée par Franco Turigliatto, a déjà dit qu’elle ne les soutiendrait pas. Le président de la Chambre des députés, Fausto Bertinotti (également secrétaire du PRC), a annoncé, rencontrant un grand écho dans la presse, que si Prodi tombait, on pourrait mettre en place un « gouvernement institutionnel » – un exécutif placé sous l’égide du président de la République, donc non « politique » – ayant pour mandat de faire adopter une nouvelle loi électorale. À noter qu’un tel gouvernement pourrait être élargi à des composantes de la droite.

Faillite du gouvernement

Cette grande confusion risque d’obscurcir la question essentielle, à savoir que le gouvernement Prodi a suivi une politique patronale et libérale, respectant rigoureusement les prescriptions de Bruxelles et faisant cadeau d’environ quinze milliards d’euros aux entreprises italiennes (en deux ans, cela représente davantage que ce qui avait été fait, en cinq ans, par Berlusconi). S’il y est parvenu, c’est dans la mesure où les syndicats et la gauche y ont consenti, comme cela s’est toujours passé. Malgré les attaques, il n’y aura eu, cet automne, aucune grève générale, à l’exception de celle des métallurgistes de la Fiom (fédération qui a voté « non » au référendum sur la loi de prévoyance sociale, se retrouvant du même coup en procès à l’intérieur de la CGIL), et du mouvement général du 9 novembre appelé par le syndicalisme alternatif et soutenu par les force ayant organisé la manifestation du 9 juin dernier contre Bush.

C’est la politique du gouvernement qui est à l’origine de sa crise. Les sondages accordent 30 % de soutien à Prodi, l’alliance sur laquelle il s’appuie se trouvant à 42 %-44 % et Berlusconi se trouvant à son apogée. Pour la gauche du gouvernement, il s’agit d’une faillite, mais nul ne veut le reconnaître, espérant rebondir dans une énième cabriole. Sur la lancée du succès de la manifestation du 20 octobre, se tiendront, les 8 et le 9 décembre, les « états généraux de la gauche », première étape d’un processus d’unification de la gauche du gouvernement. La reconstruction et la relance d’une nouvelle gauche, de classe et anticapitaliste, est encore à mener à bien.

De Rome, Flavia D’Angeli (Bandiera Rossa-Sinistra Critica dans le PRC) Traduit par traduit par Christine Barbacci.


Grèce: Mouvement social et recomposition politique

Jeudi 1er novembre, des milliers d’étudiants ont manifesté dans plusieurs villes contre la réforme des facs. « Rouge » s’est entretenu avec Tassos Anastassiadis, de la direction d’OKDE-Spartakos, section grecque de la IVe Internationale, sur la situation sociale et les recompositions politiques en cours en Grèce.

Quelles sont les perspectives de mobilisation ?

Tassos Anastassiadis – Bien sûr, il faut suivre le mouvement étudiant, qui discute de la façon d’empêcher, à l’échelle nationale l’application de la réforme. Aussi, il y a eu et il y aura des initiatives par rapport aux attaques racistes contre les immigrés. Et la question du budget pourrait susciter des mobilisations. Mais le grand test sera la défense de la protection sociale.

La crise de direction du Pasok ouvre-t-elle des recompositions à gauche?

T. Anastassiadis – À ce niveau, non, les candidats alternatifs ne sont pas en rupture à gauche ! Mais, à la base, l’échec des élections pose de fait la question de la stratégie sociale-libérale. Déjà, l’an dernier, dans le mouvement des facs, des franges de la base du Pasok se sont mobilisées contre la direction. La recomposition du mouvement ouvrier lui-même passe aussi par ce parti.

Quels sont les gagnants des élections à gauche ?

T. Anastassiadis – Une rupture s’est amorcée et, désormais, il est grandement mis en doute que la présence du Pasok au gouvernement puisse minimiser les attaques de la bourgeoisie. D’où des éléments de radicalisation, mais sans que cela ne change encore le rapport de force global. Ainsi, le KKE [Parti communiste grec, NDLR] a augmenté ses scores et apparaît comme le « parti antisystème ». Mais, en même temps, on en connaît les limites : parti sectaire, nostalgique du stalinisme, qui n’offre comme débouché que son propre renforcement et qui cultive la division des luttes. La progression électorale de l’autre parti réformiste de gauche, Synaspismos, est réelle, mais limitée, dans la mesure où il agissait en coalition (Syrisa) avec certains groupes de la gauche anticapitaliste. Certes, il est apparu dans les luttes des dernières années comme une organisation beaucoup plus ancrée dans le mouvement de masse, et parfois plus radicale, que le KKE. Mais, sur le plan électoral, le discours gauche de Syriza n’a pas réussi à contrecarrer la pratique d’intégration aux institutions de Synaspismos (alliances locales avec le Pasok, approbation de Maastricht). Et ce n’est pas par hasard si beaucoup de ses élus au Parlement appartiennent au courant de la droite du parti.

Quelles perspectives pour la gauche anticapitaliste ?

T. Anastassiadis – S’étant présentée divisée aux élections, elle n’a connu qu’une faible progression. Cependant, comme l’a prouvé la constitution d’Enantia (une alliance regroupant notamment l’OKDE-Spartakos et le SEK, proche du SWP anglais), il y a des possibilités de coopération pour ses diverses tendances, ce qui est nouveau, avec une relative prise de conscience de sa nécessité, surtout si les luttes sociales en dépendent. Mais il y a aussi des problèmes : la manière de s’adresser aux masses, les formes organisationnelles des luttes... L’enjeu est sa capacité à agir pour avancer dans l’unité d’action la plus large, en sachant concentrer le tir sur l’essentiel.


Danemark: Salariés et jeunes contre la droite

D’importantes manifestations ont eu lieu au Danemark. Le 2 octobre, contre les restrictions budgétaires, et le 6 octobre, pour la réouverture du centre culturel de la jeunesse, détruit par la police.

Mardi 2 octobre, ce sont 130 000 manifestants qui défilaient contre la politique d’austérité du gouvernement. Le premier mardi d’octobre, jour de la rentrée parlementaire, redevient, comme dans les années 1980, un jour traditionnel de manifestations contre le gouvernement de droite.

À Copenhague, 80 000 manifestants se sont rassemblés devant le Parlement. Les manifestations, dans plusieurs grandes villes, ont été aussi massives que celles du 17 mai 2006. Elles étaient appelées par une large coalition de syndicats ouvriers et étudiants et d’organisations de jeunesse de gauche. Tous les secteurs étaient représentés, y compris des policiers. Les cortèges du secteur public et des étudiants étaient les plus massifs. Cette journée a montré la détermination à défendre en priorité l’éducation, la santé et les autres services sociaux. Les revendications portaient également sur de meilleurs salaires et des emplois dans la fonction publique. Jorgen Arbo-Baehr, député de l’Alliance rouge-verte, a souligné l’importance de ces manifestations : « Cette manifestation aura un impact immense. Nous avons besoin d’un nouveau gouvernement et d’une nouvelle politique. » Il faut distribuer les richesses pour lutter contre la pauvreté, au lieu de réduire les impôts des plus riches comme le gouvernement vient de le faire. L’économie danoise se porte très bien. Ce n’est donc que par priorité politique que le gouvernement a décidé de donner encore plus à ceux qui ont déjà beaucoup.

Les salariés de la santé et des services sociaux, comme des maisons de retraite, sont parmi les plus mal payés et ils effectuent les travaux les plus pénibles. Ils sont touchés par les réductions d’effectifs réalisées depuis des années. Cet été, certains ont fait des grèves spontanées, qui n’ont pas été soutenues par les dirigeants syndicaux et se sont éteintes au bout de quinze jours. Les accords concernant les travailleurs du secteur public doivent être renouvelés au printemps. Après ces manifestations, les attentes sont d’un haut niveau et l’on peut pronostiquer des grèves.

Vendredi 6 octobre, 3 000 jeunes ont manifesté pour demander la réouverture de leur maison de la culture autogérée, détruite par la police en mars dernier (lire Rouge n° 2196). La manifestation s’est terminée par l’occupation de bâtiments au nord-ouest de Copenhague. Cette action était appelée depuis des mois, et elle était inspirée par les blocus non violents d’Heiligendamm lors du sommet du G8. À la fin de la manifestation, plus d’un millier de jeunes, répartis en quatre groupes, ont tenté de franchir les lignes de la police. Malgré l’utilisation massive de gaz lacrymogènes, plusieurs centaines ont réussi à pénétrer dans la maison, sans violence. La police a chargé et a arrêté 436 jeunes, libérés au bout de 24 heures.

De Copenhague, Thomas Eisler (SAP-Alliance Rouge-Verte). Traduit par Jack Radcliff.


Allemagne: Tous avec les roulants!

Au moins la moitié des trains a été immobilisée le 12 octobre (hors grandes lignes et fret). La direction des chemins de fer allemands mise désormais sur l’usure du mouvement, avec l’aide des tribunaux et du syndicat majoritaire, Transnet.

La grève interdite sur les grandes lignes et pour le fret : c’est la première fois, en Allemagne, qu’un jugement limite le droit de grève en fonction des dommages que son extension était censée causer à l’économie du pays. En fait, c’est l’approvisionnement en flux tendu des grandes usines qu’il s’agissait de protéger, d’autant que leurs propriétaires n’auraient pas manqué de faire pression sur la Deutsche Bahn. En limitant la grève aux lignes utilisées par celles et ceux qui se rendent à leur travail, Die Bahn voulait confronter les grévistes à l’incompréhension et au mécontentement des usagers. Mais, pour l’instant, il y a eu très peu d’hostilité, et les réactions de compréhension ont dominé.

Le petit syndicat GDL (15 000 conducteurs et 4 000 autres roulants, soit 78 % des conducteurs et 33 % des autres roulants), a eu longtemps une communauté de conventions collectives avec Transnet (le grand syndicat affilié au DGB) et avec le GDBA, un autre petit syndicat affilié (comme le GDL) à la fédération autonome des fonctionnaires. En 2002, le GDL n’a pas signé l’accord, qui devait une fois de plus réduire les salaires et dégrader les conditions d’existence des cheminots, et particulièrement de leurs catégories. Ils sont aujourd’hui forcés de lutter seuls, puisque les directions des grands syndicats sont à ce point orientées vers la cogestion et la paix sociale, que défendre le niveau de vie est devenu moins important pour eux que de « réussir la privatisation ». Et voilà le résultat : retraite à 65 ans, 41 heures par semaine, perte de 9,77 % du salaire réel en 2006. Un conducteur de 25 ans, sans enfants et avec deux ans de métier, gagne entre 1438 et 1588 euros net. Seules neuf heures de repos sont garanties entre deux services ; les treize week-ends libres garantis par an ne commencent que le samedi à 14 heures.

Transnet n’a pas lutté, ni organisé de grèves depuis des décennies. Mais son dirigeant, Hansen, s’efforce de leur mettre les autres cheminots à dos en leur reprochant de casser la convention collective unique et de… mettre en péril la privatisation. Ce n’est pas faux, car un personnel bien payé serait un bon rempart contre la privatisation : les profits que les actionnaires pourraient en attendre seraient réduits d’autant ! Ce n’est pas que le GDL soit fondamentalement opposé à la privatisation, mais la privatisation a, pour lui – et heureusement – beaucoup moins d’importance que le maintien de leur niveau de vie. Ces derniers jours, il est clairement apparu que certains commencent à se demander s’il ne faudrait pas aussi lutter contre la privatisation…

Le GDL veut une augmentation substantielle des salaires (31 %), une réduction du temps de travail de 41 à 40 heures, une réduction de la durée de service de quatorze à douze heures, et le week-end le vendredi dès 22 heures. C’est pour cela qu’il se bat pour un contrat spécifique dégagé des clauses néfastes acceptées par Transnet. La direction a peur, si elle accepte le principe d’un contrat séparé, de donner un mauvais exemple : la lutte paierait donc ? Du coup, elle prône la convention collective unique!

Les dirigeants bureaucratisés des autres syndicats, mais aussi certains à gauche, voient d’un mauvais œil cette lutte et défendent les contrats signés par Transnet. Pourtant, pour débloquer la situation et faire la preuve de ce que peut rapporter une vraie grève, il est indispensable de soutenir cette lutte et défendre à fond le droit de grève. C’est en particulier à la gauche syndicale qu’il revient d’impulser la solidarité et la nécessité de l’extension. Ce sera décisif dans les jours et les semaines à venir.

De Mannheim, Daniel Berger


Etat Espagnol : Succès syndical contre McDonald’s

Après sept mois de lutte, des jeunes travailleurs du restaurant McDonald’s de la Gare de Grenade (Andalousie, Etat espagnol) ont obtenu la réintégration de plusieurs membres du personnel, licenciés pour avoir organisé une représentation syndicale. Un exemple significatif d’un combat victorieux contre une multinationale, contre le travail précaire et pour les droits de tous les travailleurs. Un entretien-bilan avec nos camarades Alejandro García Ferrer et Jesús Malpica, deux des travailleurs réintégrés, membres de la représentation syndicale du McDonald’s et d’Espacio Revolucionario Andaluz

Comment à débuté le conflit ?

Tout a commencé il y a près d’un an, lorsque plusieurs camarades de travail et nous avons décidé de nous organiser syndicalement dans l’entreprise. Cela faisait deux ans que nous travaillions dans ce McDonald’s.

Le McDonald’s de la Gare de Grenade est un restaurant franchisé dans lequel il n’y avait jamais eu de délégués syndicaux. C’est pour cela que nous avons décidé de nous organiser afin de défendre nos droits et de chercher une protection légale contre les licenciements en organisant une élection syndicale. Mais après cette dernière, le 15 avril, la direction a licencié tous les travailleurs qui étaient sur la liste.

Quelle était l’ambiance dans l’entreprise à ce moment ? Comment les autres travailleurs percevaient-ils votre combat ?

L’ambiance initiale, lorsque nous lancé l’organisation syndicale, n’était pas mauvaise car la direction a été surprise, elle ne comprenait pas très bien ce qui se passait. Elle a ensuite tenté de faire pression individuellement sur certains d’entre nous afin de nous faire partir « de notre plein gré ». Vu l’échec de cette tentative, elle a alors changé de tactique et joué de la menace.

La grande majorité des travailleurs nous a soutenus, sauf quelques éléments qui ont décidé de soutenir la direction dès le début. Mais il était évident que notre liste syndicale allait gagner avec une majorité des votes des travailleurs.

Quelles furent les mesures prises par la direction ?

La pression la plus dure à commencé le 15 avril, non plus seulement contre ceux d’entre nous qui étions sur la liste syndicale, mais contre l’ensemble du personnel. La stratégie était claire et très agressive. D’après les termes même de la directrice, il s’agissait de « nettoyer l’entreprise des syndicalistes ». Pour cela ils ont utilisé une politique de discrimination, d’accusations et de répression économique contre tous ceux qui avaient participé au vote.

Comment vous êtes vous organisés à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise ?

Dès le début, nous avions compris qu’il était nécessaire de nous organiser dans un syndicat. Nous avons choisi le syndicat CC.OO (Comisiones Obreras). Ce facteur a été décisif. Cette lutte nous a démontré que, face aux attaques des patrons, la seule solution est l’organisation et la solidarité entre les travailleurs (qu’ils soient ou non du même). C’est, pour nous, la meilleure manière de défendre ou de conquérir de nouveaux droits et de préserver notre dignité en tant que travailleurs.

Il faut également souligner la solidarité exprimée par des organisations sociales et politiques, tout comme par des personnes à titre individuel. Tous et toutes ont été réunies dans un comité de soutien totalement à l’écoute des besoins exprimés par les travailleurs. Ce comité a joué un rôle fondamental en faveur de notre lutte. Il nous a aidé à populariser notre combat, à concrétiser la solidarité avec de nombreuses organisations et personnes et nous a aidés avec des actions concrètes, mais aussi avec un appui matériel et financier pour pouvoir résister pendant la durée du conflit.

Quel a été l’élément-clé de votre victoire ?

L’issue victorieuse relativement rapide du conflit se doit en grande partie au projet d’organiser dans plusieurs villes de l’Etat espagnol et d’Europe (Paris, Athènes,…) des rassemblements de protestation en face de McDonald’s. A peine quelques jours avant la date fixée pour ces rassemblements, l’entreprise a pris contact avec nous afin de trouver une issue au conflit. Dans ce sens, nous tirons comme bilan que l’élément clé a été la pression sur « l’image de marque » de McDonald’s.

Toutefois, nous pensons que l’issue favorable se doit avant tout à un ensemble de facteurs combinés qui ont contribué à cette pression: les distributions de tracts, les rassemblements, les procès, etc. Mais s’il fallait retenir un seul facteur pour expliquer notre victoire, alors ce serait la capacité de résistance que nous avons pu démontrer. La direction n’a absolument pas prévu que nous allions pouvoir tenir aussi longtemps et, de plus, passer à l’offensive.

Quel travail syndical menez-vous en ce moment dans l’entreprise ?

Nous nous concentrons sur la finalisation des causes du conflit, c'est-à-dire, outre la réintégration des travailleurs licenciés, l’élaboration d’une convention de travail que nous sommes en train d’adapter et de régulariser dans l’entreprise. Nous avons notamment pu obtenir l’augmentation du nombre de travailleurs occupés avec un contrat indéterminé.

Comment a évolué la conscience des travailleurs ?

Elle a énormément changé. A un certain moment, plusieurs camarades, face à la pression patronale, ont cédé parce qu’ils ne voyaient pas la possibilité de gagner cette lutte. Dans les conflits sociaux, les luttes en elles-mêmes ne suffisent pas, il faut aussi des victoires. Ces dernières sont indispensables si l’ont veut progresser dans l’organisation, la conscientisation et l’élévation de la confiance en eux-mêmes des travailleurs. Parce que, s’il est exact que les travailleurs sont pleinement conscients des conditions d’exploitation dans lesquelles ils se trouvent, il n’en est pas moins vrai que lorsque les contradictions et les tensions entre travailleurs et direction s’aiguisent, il est nécessaire de clarifier les choses afin de ne pas céder dès le premier coup dur.

Les patrons n’aiment pas qu’on leur enlève des parcelles de pouvoir et tôt ou tard ils tenteront de licencier. C’est ce qui nous est arrivé. A ce moment là, de nombreuses contradictions apparaissent qui affectent notablement les travailleurs et alors ; soit ils soutiennent ce qui est juste – et à leur bénéfice à moyen terme – soit ils ne pensent qu’à sauver leur peau à court terme en détournant les yeux ou en appuyant les patrons. C’est pour cela qu’il est nécessaire de générer de la confiance. Le poids des défaites du passé pèse lourdement sur les consciences des travailleurs. C’est dans ce sens que des victoires, mêmes petites, sont fondamentales. Les patrons doivent apprendre une nouvelle forme de pédagogie lorsqu’ils lancent leurs attaques : si nous, travailleurs, perdons une chose, vous payerez et perdrez deux fois plus.

Entretien réalisé pour la revue « Corriente Alterna ». Traduction : LCR-Web

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