Révolution et démocratie
Par Antoine Artous le Jeudi, 19 Juillet 2007 PDF Imprimer Envoyer
La question de la démocratie fut au cœur du devenir de l'Etat soviétique né d'Octobre, et de celui du mouvement communiste international. Mais que de difficultés théoriques et de zones d'ombre lorsqu'on cherche à l'appréhender vraiment! Antoine Artous en traite dans cet article, que complète un autre dans ce même numéro. Réflexion qui s'inscrit dans un travail plus vaste, Marx, l'Etat et la politique, à paraître prochainement aux éditions Syllepse.

Point n'est besoin d'argumenter longuement que la question de la démocratie politique est une des questions centrales - sans doute la question centrale pour son avenir - à laquelle est confronté le jeune Etat soviétique des années 1920. Plus précisément, la démocratie politique de l'Etat "ouvrier", puisque c'est du pouvoir de la classe ouvrière ("la dictature du prolétariat") que se réclame la direction du Parti bolchevik. Parler d'une telle démocratie, c'est donc traiter des formes de représentation et d'organisation politique de la classe ouvrière.

L'objet du présent article n'est pas de revenir sur le détail de l'histoire des institutions politiques nées dans cette période, ni sur les multiples débats concomitants à l'érection de l'Etat soviétique, mais de prendre comme point de départ ce qui rapidement va devenir l'élément-clé: l'identification du prolétariat et de "son" parti. Plus exactement, l'exercice du pouvoir politique par le parti au nom du prolétariat. Certes, les problèmes de la démocratie politique de l'Etat "ouvrier" ne se réduisent pas à ceux posés par les rapports parti/classe, pour reprendre une formule classique de la tradition marxiste, puisque, avec les soviets, se met alors en place un nouveau système de démocratie représentative, radicalement différent de la démocratie représentative classique née avec les révolutions bourgeoises. Il n'empêche que la question des rapports parti/classe demeure l'élément qui va surdéterminer l'évolution d'ensemble du système.

Il est courant d'expliquer cet exercice du pouvoir politique par le parti au nom du prolétariat comme un effet - plus au moins direct selon les auteurs - de la conception "léniniste" du parti. Au demeurant, le jeune Trotsky n'avait-il pas dénoncé, en 1903 et 1904, "le substitutisme" qu'il disait être la dynamique profonde des positions défendues par Lénine (1)? Du point de vue de l'histoire concrète, il faut se garder de sous-estimer les effets de cette institution particulière qu'est le Parti bolchevik dans ce mouvement de monopolisation de la vie politique qui, très vite, va se développer dans le jeune Etat révolutionnaire.

Mais on ne peut s'en tenir à ce seul constat de sociologie politique. Au-delà se joue une question théorique plus générale - celle des rapports parti/classe -, qui se présente comme un véritable point aveugle dans la tradition marxiste. C'est-à-dire comme une approche sans cesse présente, mais jamais clairement explicitée, qui permet une identification du parti avec la classe et que, paradoxalement, Lénine remettra en cause. On en trouve les racines chez Marx lui-même.

Il n'est naturellement pas possible dans le cadre de cet article de traiter l'ensemble des facettes d'un tel problème. Il s'agit plutôt de donner certains points de repère politico-théoriques permettant de suivre les conséquences de ce point aveugle qui, au-delà de la question du parti, touche à la manière dont est traitée la démocratie politique "ouvrière" dans la Russie des années 1920. En particulier en ce qui concerne le pluripartisme qui, somme toute, est bien la pierre de touche de cette démocratie.

LES CONSEQUENCES D'UN POINT AVEUGLE

Certes, il convient de rappeler que la théorie "léniniste" du parti n'a rien à voir avec celle du "parti unique" à la mode stalinienne, et que Lénine, de surcroît, avait une approche très pragmatique du problème. Tout cela est vrai. On pourrait même préciser qu'il n'est pas question du parti dans des textes comme L'Etat et la révolution ou ceux du premier congrès de l'Internationale, rédigés par Lénine, qui définissent la dictature du prolétariat comme le pouvoir des soviets. Reste que le parti réapparaît vite lors du second congrès de l'Internationale, il occupe dans certains textes de Lénine une place non équivoque: le parti couronne la pyramide des soviets. Telle est très précisément la conséquence d'un point aveugle. Une zone d'ombre théorique qui permet que le parti disparaisse des textes programmatiques sur la dictature du prolétariat, pour se retrouver en situation de l'exercer au nom des soviets. Et, dans la pratique, très vite, à la place des soviets...

N'est-ce pas, de façon quelque peu "idéaliste", donner trop de place à la théorie et à ses manques, aux "idées", comme l'on dit ? Je n'en suis pas sûr et citerai des phrases qu'écrivait, juste avant son assassinat, Trotsky, peu suspect d'idéalisme, et sachant mieux que nul autre que Staline était, non la continuité du "léninisme", mais le produit d'une contre-révolution. Staline "prit possession du pouvoir, non grâce à des qualités personnelles, mais en se servant d'une machine impersonnelle. Et ce n'était pas lui qui avait créé la machine, mais la machine qui l'avait créé; avec sa puissance et son autorité, elle était le produit de la lutte, longue et héroïque, du Parti bolchevik, qui était lui-même le produit d'idées; elle était le porteur de l'idée avant de devenir une fin en soi".(2)

DE LA CLASSE/PARTI AU PARTI CLASSE

Dans le Manifeste du parti communiste, il est question du mouvement d'"organisation du prolétariat en classe, et donc en parti politique". On rencontre ici une conception de ce que l'on pourrait appeler la classe/parti, c'est-à-dire l'affirmation d'un rapport organique entre les deux. D'autre part, le texte précise que "les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres parties ouvriers. (...) Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui stimule toutes les autres; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l'avantage d'une intelligence claire des conditions de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien. Le but immédiat des communistes est le même que celui de tous les partis ouvriers: constitution des prolétaires en classe, renversement de la domination bourgeoisie, conquête du pouvoir politique par le prolétariat".(3)

Ce n'est pas le lieu ici d'entrer dans le détail des écrits et de la pratique de Marx sur le sujet, mais, fondamentalement, il gardera toute sa vie cette approche générale: le mouvement de constitution du prolétariat en classe candidate au pouvoir politique et la construction du parti sont les deux faces du même processus historique. On a remarqué que, dans les citations données, la notion de parti renvoie à deux réalités distinctes: soit un parti, au sens classique du terme ("les autres partis ouvriers"), soit le mouvement de constitution du prolétariat en classe. Il en va de même dans les textes politiques des années 1850 (Les Luttes de classes en France, Le 18 Brumaire, etc.).

Toutefois, la catégorie clé est celle de classe/parti que l'on retrouve sou-vent pour les autres classes: "parti du prolétariat", "parti de la petite bourgeoisie", "parti de la bourgeoisie". Comme le précise Fernando Claudin, "il est évident que ces expressions ne signifient pas pour Marx que chaque classe doit avoir son propre parti ("parti" au sens courant du terme), mais que la classe, l'ensemble de ses organisations, de ses partis, de ses individus, agit en tant que "parti "face aux autres classes" . On rencontre ici la définition de "lutte de classe à classe" comme lutte politique. "Pour Marx, le parti du prolétariat n'existe pas. Seul existe le prolétariat en tant que parti", poursuit l'auteur (4).

Dans ce cadre, l'existence des communistes comme "fraction la plus résolue" ne renvoie pas automatiquement à l'existence d'une organisation particulière, séparée des "autres partis ouvriers". La question dépend des circonstances concrètes, des formes d'organisation de la classe ouvrière, etc. C'est ainsi d'ailleurs que pratiquent Marx et Engels. Lors de la création de l'Association Internationale des Travailleurs (1864), la vision est toujours la même puisque la Iere Internationale a pour vocation de regrouper l'ensemble des formes d'organisation de la classe ouvrière, y compris les syndicats. Toutefois, fait remarquer Etienne Balibar, la problématique du "parti-conscience" se déplace vers celle du "parti-organisation": "la réalité pratique de la conscience de classe, c'est l'organisation de classe" (5). Un déplacement tendanciel - il existe des textes d'Engels allant en sens contraire - qui se cristallise dans la IIe internationale.

La réalité de ces partis est différente selon les pays, mais son "modèle" - la social-démocratie allemande - traduit bien la logique de ce déplacement. En effet, elle se situe dans la perspective de la classe/parti, puisqu'elle n'est pas seulement un parti mais un mouvement intégrant en son sein toute une série d'organisations: syndicats, mouvement de femmes, de jeunes, etc. Mais elle est également un parti au sens classique du terme, le premier parti moderne d'ailleurs dans l'histoire du XIXe siècle. Un glissement s'opère donc de la classe/parti au parti/classe qui débouche sur deux problèmes absents de l'horizon théorique et pratique de Marx.

Le premier est l'émergence d'une donnée historiquement nouvelle: celle de l'institutionnalisation du mouvement ouvrier, de la logique propre de ses formes d'organisation. On sait que Robert Michels fait de la social-démocratie allemande l'exemple type des organisations oligarchiques et, ce faisant, il est un des précurseurs d'une "sociologie politique" naissante. Certaines équivoques ("la loi d'airain de l'oligarchie") sont l'image inversée de la façon dont procède la tradition marxiste, qui a du mal à prendre en compte, du point de vue de l'analyse, la nouvelle réalité sociale ainsi dégagée. (6) En effet, le cadre de réflexion issu de Marx suppose ce problème résolu: l'existence du "parti ouvrier" n'est qu'un moment d'un processus plus vaste, celui de "l'organisation du prolétariat en classe, et donc en parti politique".

Ainsi, lorsque Lénine veut rendre compte de l'évolution de la IIe Internationale, l'explication "sociologique" qu'il introduit ne traite pas de la mécanique propre de construction de la social-démocratie comme organisation. Il se contente de renvoyer aux effets de ce qui serait la base sociale de cette dernière, "l'aristocratie ouvrière", perçue comme couche devenue extérieure à la classe ouvrière. Rosa Luxemburg, sensible au premier phénomène, fait appel plus clairement que Lénine aux conditions de constitution du prolétariat en classe et les contradictions pouvant surgir entre le "but final" et les contraintes de luttes quotidiennes. Mais c'est seulement pour opposer la dynamique révolutionnaire du prolétariat à l'inertie bureaucratique. Dans les deux cas, on reste dans une approche des rapports parti/classe qui est celle d'une adéquation présupposée, même si, au vu de l'expérience de la social-démocratie allemande et de la IIe Internationale, cette adéquation est en, quelque sorte, différée.

Toutefois, Lénine et Rosa Luxemburg s'orientent vers des approches divergentes du parti, qui traduisent bien le second problème posé par cette évolution des formes d'organisation du mouvement ouvrier. Avec Que Faire ? et les textes qui suivent, Lénine, s'efforçant de cerner la spécificité du niveau politique, introduit un déplacement important. La scission qui s'opère alors entre mencheviks et bolcheviks porte sur un article des statuts définissant les conditions d'adhésion: Lénine défend une formulation délimitant clairement le statut de membre du parti. Au-delà des aspects liés aux conditions russes (en particulier la clandestinité) et à la logique propre de la polémique, se joue, en lien justement avec l'insistance mise sur la place particulière de la lutte politique, la distinction (la séparation) nettement établie du parti et de la classe.(7)

Certes, le modèle de référence de Lénine reste la social-démocratie allemande et, au moins jusqu'en 1912, il considère les bolcheviks et les mencheviks comme deux fractions publiques au sein du même parti. Mais l'approche porte en elle des éléments de rupture d'avec la problématique du parti/classe. Ainsi en 1905, un dirigeant bolchevik de Saint-Pétersbourg, Bogdanov, veut que le soviet reconnaisse l'autorité du parti bolchevik et soit ainsi absorbé par lui; s'il "refusait de suivre cette voie, les bolcheviks devraient l'abandonner et en dénoncer la politique"(8). La conception "léniniste" du parti est ici tirée du côté d'une problématique parti/classe, mais dans un version autoritaire, hiérarchique. Lénine polémique publiquement contre cette position, affirmant l'autonomie des soviets par rapport au parti: "Dans le combat nous sommes obligés de marcher ensemble, en conservant notre pleine indépendance politique ; le soviet, lui, est une organisation de combat et doit demeurer tel".

Il est intéressant de noter que Lénine renvoie alors à la position défendue dans Que faire ? sur les syndicats; il s'y opposait - et ne changera pas d'opinion sur la question - à ce que le combat économique "soit livré par les seuls sociaux-démocrates ou uniquement sous le drapeau de la social-démocratie". (9)

Rosa Luxemburg ne va pas dans le même sens: face au bureaucratisme de la social-démocratie, elle oppose, pour ainsi dire, un retour au Marx des années 1850. Dans l'approche du parti comme dans la vision du processus révolutionnaire. Lors d'une polémique à propos de Que Faire ?, elle a une formule exemplaire de ce point de vue: "La social-démocratie n'est pas liée à l'organisation de la classe ouvrière, elle est le mouvement propre de la classe ouvrière" (10).

Le jeune Trotsky développe une approche similaire, voire plus systématique puisque la social-démocratie n'est plus elle-même qu'un simple moment dans le processus plus vaste d'autodétermination du prolétariat. Ainsi, il écrit en 1904: "Le mouvement révolutionnaire russe doit, quand il aura triomphé comme mouvement ouvrier, se transformer sans plus tarder en un processus d'autodétermination politique du prolétariat". On comprend dès lors que, en lien avec son expérience de dirigeant du soviet de Pétersbourg et son analyse de la dynamique de la révolution russe de 1905, ce soit la forme nouvelle du soviet qui retienne toute l'attention de Trotsky: "Avant l'existence du soviet, nous trouvons parmi les ouvriers de l'industrie de nombreuses organisations révolutionnaires à direction social-démocrate. Mais ce sont des for-mations à l'intérieur du prolétariat; leur but immédiat est de lutter pour acquérir de l'influence sur les masses. Le soviet devient immédiatement l'organisation même du prolétariat; son but est de lutter pour la conquête du pouvoir révolutionnaire."

En termes, de continuité stricte avec l'approche de Marx de la dialectique parti/classe - en particulier du Marx des années 1850 - , ce n'est pas du côté de Lénine qu'il faut chercher, mais de Rosa Luxemburg et, sans doute, davantage encore du jeune Trotsky, par la façon dont il est capable d'intégrer le soviet dans sa vision du "processus d'autodétermination du prolétariat". Continuité également dans la façon de traiter de la lutte politique comme simple passage de la classe "en soi" à la classe "pour soi"; ou encore dans une vision du processus révolutionnaire qui n'est pas s'en rappeler celle de "la révolution en permanence". On rencontre ici une vision - très forte dans les courants issus de la gauche de la social-démocratie allemande - que l'on peut appeler "historiciste" du développement du prolétariat pensé sous la forme d'un processus historique passablement linéaire de passage de la classe "en soi" à la classe "pour soi".(12)

Continuité qui ne fait que souligner davantage les ruptures que Lénine est en train d'opérer avec une certaine tradition des rapports parti/classe. Elles vont devoir s'accentuer après la Révolution russe pour traiter des rapports entre classe ouvrière, différents niveaux d'organisation et formes de représentation; en particulier celle des rapports entre les différents partis ouvriers. Question que le jeune Trotsky, dans la citation donnée plus haut, résolvait de façon très "marxiste": ces partis ne sont que des tendances au sein d'un mouvement plus vaste, celui de l'organisation de la classe, non plus en parti, mais en soviet.

CLASSE ET PLURIPARTISME

Commentant les formules du Manifeste du parti communiste, citées dans les pages précédentes, Etienne Balibar écrit: "On ne saurait aujourd'hui réexaminer ces textes sans tenir compte que la tendance téléologique qu'ils comportent (...) a directement facilité la constitution d'une conception apologétique qui a régné dans la IIe et la IIIe Internationale (....). Le parti politique dont la social-démocratie allemande représentait le modèle comme la forme supérieure d'une lignée d'évolution qui conduit des organisations les plus "spontanées" (coopérative, association de secours mutuel et d'éducation ouvrière) à la "conscience de classe" organisée (syndicats, parti). Les partis communistes fondés par la IIe Internationale conservèrent l'essentiel de ce modèle téléologique du "parti de la classe ouvrière", quitte à inverser certaines des pratiques qu'il impliquait (notamment dans le rapport des syndicats et du parti".

Si l'auteur a raison de souligner la présence constante de ce "modèle téléologique", son dernier constat n'est pas suffisant car il ne permet pas de comprendre la tension particulière qu'introduit Lénine dans la problématique du parti/classe par la séparation stricte établie entre les deux niveaux. Cette tension est déjà perceptible dans le conflit entre Lénine et les bolcheviks de Saint-Pétersbourg à propos des soviets. Elle sera présente en permanence après Octobre 1917. Bien entendu, le problème à l'époque n'est pas formulé comme tel. Reste qu'un des problèmes centraux de la Révolution russe des années 1920 réside dans cette rupture non clairement explicitée d'avec la tradition "marxienne" de la classe/parti et de son image inversée, le parti/classe.

La tension introduite par Lénine peut déboucher sur une vision hiérarchique différente de l'approche traditionnelle de la social-démocratie d'avant la première guerre mondiale. En effet, le parti n'apparaît pas seulement comme la forme supérieure d'organisation de la classe ouvrière qui intègre l'ensemble de ses autres formes d'organisation, mais comme une institution nettement séparée (délimitée dans ses règles et principes de fonctionnement, etc.) s'appuyant sur des organisations - syndicats, soviets - d'une nature différente. Ainsi, cette formule de Lénine: "La dictature est exercée par le prolétariat organisé en soviets et dirigé par le parti communiste.

Mais cette tension peut également déboucher sur l'approche que développera Trotsky dans La Révolution trahie. Il ne se contente pas alors d'expliquer que, dans les années 1920, "l'interdiction des partis d'opposition fut une mesure provisoire dictée par les nécessités de la guerre civile", mais il insiste sur les racines du pluripartisme: "A la vérité les classes sont hétérogènes, déchirées par des antagonismes intérieurs, et n'arrivent à leurs fins communes que par la lutte des tendances, des groupements et des partis" (15). Conformément à son habitude de cette période lorsqu'il défend un point de vue qui innove, Trotsky présente cette position comme allant de soi pour un marxiste. Il est pourtant le seul dirigeant marxiste se revendiquant de la Révolution russe à la formuler entre les deux guerres mondiales. Ce qui indique l'ampleur des problèmes en jeu.

En effet, ce qui va de soi pour la tradition marxiste d'avant le stalinisme, c'est la libre discussion nécessaire dans le mouvement ouvrier, mais éga-lement une certaine vision du rapport parti/classe. Or, dans ce passage, Trotsky ne réaffirme pas simplement cette tradition de libres débats, il indique que la classe ouvrière ne peut arriver à ses "fins communes" qu'à travers la lutte des partis. La problématique du parti/classe, qui dans ses différentes versions veut que l'unité du prolétariat se traduise par une adéquation enfin trouvée entre la classe et son parti, est inversée. Si l'on y prend garde, cette inversion revêt une importance théorique non négligeable. Qu'advient-il dans ces conditions d'une formule que Trotsky se plaît à répéter: "Le parti est l'expression consciente d'un processus inconscient" (16)? Comme si le prolétariat venait à la conscience dans/par sa rencontre avec le parti. Or, ce dont il est question ici - la lutte des partis - est un clair obscur par lequel le prolétariat accède, non pas à la conscience comprise comme la transparence du sujet de la philosophie classique, mais - la formule est excellente - à la définition de "fins communes".

Au-delà, c'est tout un rapport à l'histoire qui est en jeu. Merleau Ponty le résume bien. Trotsky, explique-t-il, " a hésité à mettre la vérité hors du parti parce que le marxisme lui avait enseigné qu'elle ne peut par principe habiter ailleurs qu'à la jonction du prolétariat qui l'incarne. [En effet] l'idée n'est ni reçue du prolétariat par le Parti, ni donnée par le Parti au prolétariat, elle est élaborée dans le parti, et c'est à cette condition qu'elle représente le maximum de clarté que le présent prolétarien ait sur lui-même. (...) Une vérité c'est toujours quelqu'un qui juge.(...) Qui jugera de la vraie ligne, de la vraie situation, de la vraie histoire ? La réponse marxiste est: personne, c'est-à-dire le Parti comme laboratoire de l'histoire, contact du prolétariat et de sa conscience, élucidation du présent par lui-même, devenir de la vérité". Naturellement, ces remarques relèvent de mon seul commentaire et sont, au demeurant, hors de l'horizon théorique de la tradition marxiste de l'époque. A un niveau plus directement politique, Trotsky affirme que l'interdiction des fractions dans le parti communiste russe des années 1920 était une erreur importante, mais il n'explicite jamais systématiquement l'ensemble des conséquences de ses affirmations ni, encore moins, ne tire un bilan plus général de la problématique parti/classe.

RETOUR SUR QUELQUES DISCUSSIONS DES ANNÉES 1920

Au demeurant, si l'on fait un retour vers les années 1920, la trajectoire de Trotsky est loin d'être rectiligne. Ainsi, en 1921, c'est lui qui donne les formulations théoriques les plus fortes au "substitutisme" qu'il dénonçait en 1904, et qui se met alors en place. "Cette "substitution" du pouvoir du parti à la classe ouvrière" est logique, explique-t-il dans Terrorisme et communisme, puisque "les communistes expriment les intérêts fondamentaux de la classe ouvrière" et que l'histoire est en train de mettre "à jour ces intérêts fondamentaux dans toute leur étendue" (18). L'approche que nous avons appelée "historiciste" de la constitution du prolétariat en classe est ici manifeste.

Les discussions sur la question syndicale qui se déroulent fin 1920 début 1921 - les premières d'importance divisant la direction du Parti bolchevik sur l'appréciation des rapports entre classe ouvrière et Etat - montrent bien la complexité des problèmes.

Trotsky développe une argumentation relevant d'une conception organique du pouvoir ouvrier qui n'est pas sans rapport avec la conception de la classe/parti qu'il avait en 1905. Il parle de "démocratie productive" basée sur les syndicats devant "réaliser leur véritable vocation dans un Etat ouvrier qui est de devenir des organisations groupant les travailleurs (...) pour la production"(19). Une vision organique dans sa version autoritaire: puisqu'il est ouvrier, l'Etat doit nommer les responsables syndicaux. Approche somme toute cohérente avec la citation de Terrorisme et communisme donnée plus haut.

Lénine refuse cette étatisation. Non qu'il remette en cause la perspective de gestion attribuée aux syndicats (elle est partagée par tout le parti), mais, selon lui, on ne peut parler abstraitement d'Etat ouvrier. L'Etat soviétique est un Etat ouvrier dans un pays à majorité paysanne et, de plus, "présentant une déformation bureaucratique" (20). Au-delà de l'appréciation conjoncturelle, réapparaît ici l'approche constante initiée par Que faire?: la prise en compte de la politique comme niveau spécifique de la réalité sociale et, en conséquence, de l'absence d'adéquation immédiate entre la classe et sa représentation politique.

Il est également important de sou-ligner que la formulation des rapports parti/classe que nous avons dit hiérarchique ("la dictature est exercée par le prolétariat organisé en soviets et dirigé par le Parti communiste bolchevik") se trouve dans La Maladie infantile du communisme où, par ailleurs, Lénine, contre les communistes de gauche, argumente en faveur d'une démarche rejetant toute conception "avant-gardiste" du parti. En effet, avec Trotsky, il défend alors dans la IIIe Internationale une orientation qui va déboucher sur la politique de front unique, dont un des effets est de remettre en cause la vision dominante du IIe congrès de l'Internationale Communiste. Cette dernière, sur la base d'une croyance en la victoire proche de la révolution en Europe, visait à reconstruire le mouvement ouvrier autour des partis communistes naissants, y compris en intégrant syndicats et partis dans la même internationale.

Or, le front unique suppose de reconnaître l'autre comme parti ouvrier. Rien d'étonnant que dans sa période gauchiste, qui voit la cristallisation du stalinisme, l'I.C. rejette le front unique et mette sur le même plan la social-démocratie et les partis bourgeois classiques. Rien d'étonnant non plus si, durant cette même période dans laquelle il systématise la politique de front unique, Trotsky insiste sur l'importance de la démocratie ouvrière au sein des organes de front unique (syndicats, soviets) et reconnaisse explicitement le caractère durable de la multiplicité des partis ouvriers.

La chose est d'autant plus frappante que, chez Gramsci, comme le fait remarquer Perry Andersen, la réflexion sur la guerre de position, destinée elle aussi à traiter de ces questions stratégiques, est allée de pair avec le renforcement d'une vision autoritaire du parti (21). De même, la poli-tique des front populaires impulsée par l'I.C. stalinisée n'a pas mis en cause la "théorie" du parti de la classe ouvrière. Par définition, pourrait-on dire. En effet, le Front populaire se définit comme une alliance entre le prolétariat, représenté par "son" parti, avec des partis "non ouvriers". C'est d'ailleurs à cette époque que, en lien avec l'évolution interne de l'URSS, s'est systématisée la théorie stalinien-ne du "parti unique". Elle laissera des traces très profondes puisque, longtemps après la mort de Staline, les partis communistes occidentaux continueront à penser les problématiques d'alliance dans le cadre des rapports entre "le" parti du prolétariat et des partis représentant d'autres classes ou fractions de classe.

Les développements de Trotsky ont également, bien sûr, comme ressort l'évolution de l'Etat soviétique qui l'a amené à jeter un regard nouveau sur les années 1920 au cours des-quelles la monopolisation du pouvoir par le parti n'avait jamais été traitée comme un facteur spécifique de bureaucratisation. Ainsi, dans Cours nouveau, Trotsky expliquait le développement du "bureaucratisme" par les rapports du parti à l'appareil d'Etat, en termes, non de monopolisation du pouvoir, mais d'absorption des meilleurs éléments du premier par le second.(22)

En 1928, dans un texte peu connu, Rakovsky, membre de l'opposition de gauche, introduit une dimension nouvelle dans l'analyse des mécanismes de bureaucratisation en traitant des mécanismes spécifiques à l'exercice du pouvoir politique. Il parle alors d'une différenciation interne à la classe ouvrière nécessaire à cet exercice, qui de fonctionnelle devient par la suite sociale2i. Une approche qui relevé d'une "sociologie politique" qui, nous l'avons souligné, a du mal à pénétrer à cause du rapport supposé, sous une forme ou une autre, d'adéquation parti/classe. Mais Rakovsky raisonne dans le cadre des rapports entre la classe et son parti d'avant-garde, sans traiter des effets de la monopolisation du pouvoir politique. En conséquence, il en est réduit à raisonner seulement en termes d'éducation de cette avant-garde et non d'une rupture avec une forme d'exercice du pouvoir.(24)

Il existe donc quelque chose de profond qui "résiste". Ce n'est pas un hasard si c'est dans la période où il se prononce pour le pluripartisme que Trotsky écrit en Russie, "le monopole d'un seul parti qui s'est lui-même transformé en bureaucratie, a engendré la bureaucratisation des soviets" (25). L'angle d'attaque, inverse de celui de Cours Nouveau, ne laisse aucune équivoque. Même si, par ailleurs, on peut estimer que, du point de vue de l'analyse historique concrète, la bureaucratisation des soviets n'est pas le seul produit de celle du parti, mais est générée par des mécanismes propres.(26) 

PLURIPARTISME ET DROIT PUBLIC

On sait que dans sa Critique du programme de Gotha, Marx explique que dans la première phase du communisme le droit égal se maintient en ce qui concerne la répartition des objets de consommation, même si les classes sociales et les rapports marchands ont disparu. Commentant cette approche Jacques Michel écrit: "Les conditions de l'échange au sens classique sont niées (...), on ne peut plus dire que les choses se passent selon les procédures contractuelles, mais qu'elles sont soumises à des statuts où se confondent définitions sociales et définitions politiques. Et les juristes savent bien que dans une problématique de ce type (...) domine une problématique de droit public".(27)

Reste que, dans ce texte, Marx ne traite pas du devenir du droit à un autre niveau de la pratique sociale : celui du pouvoir d'Etat, ou de ce qui en tient lieu. Il est vrai que, dans ce même texte, Marx dit explicitement ne pas vouloir parler de ce que devient l'Etat dans cette période. En revanche, dans L'Etat et la révolution, Lénine affirme que, durant cette même période, se maintient un appareil d'Etat afin, précisément, de faire respecter ces normes de consommation. Mais lui non plus ne traite pas du devenir du droit en ce qui concerne les rapports de la société et/ou des individus avec cet Etat. Ce qui laisse supposer qu'existent des rapports transparents entre la classe ouvrière et le pouvoir politique existant.

De façon générale, une problématique de droit public spécifiant ce que sont les principes de fonctionnement de l'Etat soviétique est ignorée des dirigeants soviétiques des années 1920. La constitution de 1918, par exemple, se contente de développements très généraux sur quelques droits collectifs présentés comme découlant d'une politique. Ainsi, la liberté d'opinion, de réunion, d'association est garantie par la mise à "disposition de la classe ouvrière et paysanne" des moyens pour la réaliser. (28)

C'est très précisément à ce niveau que, dans un texte de 1935, Trotsky introduit la dimension du pluripartisme en distinguant à propos de la presse ce qui est "une mesure purement négative" (nationalisation des moyens de production) et la nécessité de "trouver une nouvelle solution au problème du fonctionnement de l'imprimerie dans un régime socialiste. Elle pourrait consister en une représentation proportionnelle des tendances exprimées dans chaque élection de soviets. De la sorte, le droit pour chaque groupe de citoyen d'user des presses dépendrait de leur importance numérique - le même principe étant appliqué à l'utilisation des lieux de réunion, de radio, etc. (29) 

Démarche somme toute logique: la référence au pluripartisme, et non plus à la simple dialectique des rapports entre la classe et "son" parti, rend nécessaire de codifier les principes de fonctionnement d'un espace public - celui à travers lequel s'organise la lutte des partis pour l'élaboration de "fins communes - dans ses rapports à l'Etat.

Ajoutons que la réflexion de Trotsky sur la place de la démocratie soviétique le conduit à préciser sa fonction socio-économique, thématique peu présente dans la Russie des années 1920. Ainsi, dès 1932, il écrit: "S'il existait un cerveau universel, décrit par la fantaisie intellectuelle de Laplace, il pourrait construire a priori un plan économique définitif et sans aucune faute, en commençant par calculer les hectares de fourrages et en finissant par les boutons de gilet. En vérité, la bureaucratie se figure souvent que c'est elle qui principalement a un tel cerveau; c'est pourquoi elle se libère si facilement du contrôle du marché et de la démocratie soviétique. En réalité, la bureaucratie se trompe foncièrement dans l'évaluation de ses ressources intellectuelles".(30)

Certes, la citation ne remet pas en cause la référence constante que Trotsky, comme Lénine, fait au seul développement des forces productives, sans traiter des formes de ce développement. Mais la fonction socio-économique ainsi donnée à la démocratie soviétique - qui n'est pas exclusive, on l'a lu, du recours à certains mécanismes de marché - introduit des éléments de rupture importants par rapport à ce qui est alors une tradition largement dominante.

LES SOVIETS COMME SYSTÈME REPRESENTATIF

La référence au pluripartisme dans La Révolution trahie est d'autant plus significative qu'elle s'accompagne d'une critique développée dans le même texte de la constitution stalinienne de 1936, laquelle reprend un discours juridique classique sur les droits des citoyens. Cette dernière introduit le suffrage universel, égal, direct et secret. Mais, afin de pouvoir respecter le canon "marxiste-léniniste", elle doit affirmer que les classes sociales ont disparu et que l'Etat est devenu celui du peuple tout entier. Bref, ce discours universaliste retrouve alors, mutatis mutandis, la fonction d'occultation sociale qu'il a dans le monde capitaliste.

Trotsky ne dénonce pas seulement l'écart entre ce discours et la réalité de la dictature stalinienne, mais critique radicalement le recours à la démocratie représentative classique. "Sur le plan politique, la nouvelle constitution diffère de l'ancienne par le retour du système électoral soviétique, fondé sur les groupements de classe et de production, au système de la démocratie bourgeoise, basé sur ce que l'on appelle le "suffrage universel, égal et direct" de la population atomisée. Bref, nous voici devant la liquidation juridique de la dictature du prolétariat". Sans se prononcer positivement, Trotsky n'exclut pas par principe " d'égalisation des droits politiques des ouvriers et des paysans (....), si l'influence du prolétariat sur les campagnes est assez assurée. (...) le socialisme doit aller dans ce sens".(31).

On remarquera que cette défense juridique de la dictature du prolétariat est bien plus explicite dans la mise en relation des formes politico-juridiques avec les formes de pouvoir de classe que dans de nombreux textes des années 1920, en particulier ceux de Lénine, où l'opposition est en général faite uniquement entre les droits "formels" et les droits "réels". Ce type d'opposition ne rend pas compte des ruptures introduites par l'Etat soviétique dans les formes d'organisation politico-juridique au regard de la démocratie représentative classique (bourgeoise). Elle revient en fait à tenir pour quantité négligeable le droit, alors qu'ici Trotsky prend au sérieux la forme politico-juridique.

Il est courant d'entendre dire que les soviets, comme l'approche développée par Marx dans La Guerre civile en France, relève de la démocratie directe. Ce qui n'est manifestement pas le cas. Pourtant cette lecture est tenace, elle a des conséquences quant à la façon d'éclairer les problèmes rencontrés par la Révolution russe dans les années 1920. Nous allons y revenir à propos de la dissolution de la Constituante.

La référence au pouvoir des soviets ou à celui des conseils ouvriers, dans les années 1920, est au demeurant loin de représenter une réalité homogène. Ainsi, Gramsci et ses compagnons de l'Ordine Nuovo, s'appuyant sur l'expérience des conseils ouvriers de Turin en 1919, développent une conception organique des rapports entre conseils ouvriers, prolétariat et Etat ouvrier. Ils parlent d'"Etat des producteurs", voient dans le conseil d'usine le modèle de l'Etat prolétarien, dont les membres ne sont plus des citoyens mais des producteurs: avec les conseils, la classe ouvrière "considère l'usine comme étant, dans une nouvelle perspective ouvrière, la forme où la classe ouvrière se coule en un organisme déterminé, la cellule d'un nouvel Etat sur la base d'un nouveau système représentatif: le système des Conseils".(32)

On voit comment la thématique de la démocratie directe comme formule passe-partout ne sert qu'a brouiller les pistes. Ici, il est question d'un système de conseils en tant que système représentatif, mais dans le cadre d'une problématique - fortement présente à l'époque - qui tend à fusionner "le politique" et "l'économique". Il est vrai que l'expérience italienne n'est pas celle de la Russie, où les soviets, produits par la crise d'effondrement de l'Etat tsariste, ont pris d'emblée une dimension politique territoriale - des comités d'usine se développant parallèlement - et ont constitué un cadre d'alliance avec la paysannerie. Ils ont donc fonctionné comme des appareils politiques distincts des autres formes d'organisation de la classe ouvrière. Un mouvement qui s'est s'accentue après la prise du pouvoir.

Les formules de Trotsky citées plus haut délimitent ce qu'est la différence entre la problématique des soviets en tant que système représentatif et celle de l'Etat représentatif issu des révolutions bourgeoises. Il s'agit de rompre avec l'abstraction politique moderne, pour reprendre une catégorie du jeune Marx, afin d'encastrer (mais non de dissoudre) la politique dans le social. L'approche est similaire de celle que Marx développe dans La Guerre civile en France. Avec toutefois deux différences importantes rarement soulignées.

Tout d'abord, outre la question du parti, se pose le problème de l'articulation des autres formes d'organisation avec la pyramide politique des soviets. En effet, si les syndicats et/ou les comités d'usine doivent s'engager dans le contrôle, voire la gestion de l'économie - qui, par ailleurs, appelle l'élaboration d'un plan central -, où s'arrête le politique et où commence l'économique ? La proposition, peu connue, de l'Opposition ouvrière dans - les années 1920, de constituer, à côté des soviets, un congrès des producteurs doué de pouvoir réel au niveau des choix économiques nationaux (en fait une seconde chambre) en est l'illustration.

La seconde différence avec La Guerre civile en France réside dans la définition de la structure de base du système représentatif. Un des présuposés de Marx est que la commune fonctionne comme un territoire socialement homogène (ce qui n'est pas sans rapport avec le caractère préindustriel des rapports sociaux dans le Paris de l'époque). De plus, il ne traite pas de l'existence de classes différentes, mettant sur le même plan les communes urbaines et rurales. Du coup, la référence au suffrage universel ne pose pas de problèmes particuliers.(33)

En revanche, le système soviétique russe dit ouvertement l'hétérogénéité sociale de son territoire politique, puisque les lois électorales sur-représentent les villes par rapport aux campagnes, le programme du parti y voyant en 1919 la traduction du rôle dirigeant du prolétariat. Cette sur-représentation n'a pas pour origine une politique particulière des bolcheviks, mais est liée à l'histoire des soviets. La remarque n'enlève rien au problème mais, au contraire, souligne que c'est bien la logique d'un système de représentation qui est en jeu, donc une problématique de la citoyenneté.

Ainsi, la constitution de 1918 reconnaît "l'égalité des droits aux citoyens, indépendamment de leur race ou de leur nationalité", créant de la sorte une catégorie juridique nouvelle qui n'existait pas sous l'Ancien régime, les sujets du tsar étant divisés en cinq états jouissant chacun d'un statut légal. Mais la catégorie est spécifiée socialement: le seul paragraphe qui précise un droit de ce citoyen le fait en relation à un statut social et non aux droits de l'homme en général. En effet, sont exclus du droit de vote (et d'éligibilité) ceux qui exploitent le travail d'autrui.

Lénine répétera souvent qu'il s'agit d'une mesure "russe". Toutefois, comme le fait remarquer Rosa Luxemburg dans La Révolution russe, rien n'empêchait de proclamer le droit au suffrage universel et, par ailleurs, de prendre des mesures d'exception à l'encontre des contre-révolutionnaires (34). La nuance n'est pas mince. Dans ce dernier cas, il s'agit d'une mesure d'exception et directement politique. Dans le premier, elle est inscrite dans la constitution et, surtout, fait découler le droit au vote d'un statut social.

SOVIET ET CONSTITUANTE

Reste la question des rapports entre soviet et Constituante souvent présentée comme celle des rapports entre démocratie directe et démocratie représentative. La dissolution de cette dernière devient alors l'illustration de la mise en place d'un pouvoir s'appuyant sur la seule démocratie directe et refusant tout système représentatif au profit de la dictature du parti. Nous avons vu que cette opposition n'est pas pertinente et que rien n'autorise, à priori, à établir un lien d'automaticité entre, par exemple, un problème comme celui du pluripartisme et celui de l'existence ou pas d'une assemblée du type Constituante.

Est en jeu, fondamentalement, une question stratégique touchant à ce que sont alors les conditions de lutte pour le pouvoir politique du prolétariat. Elle déborde largement le cadre de cet article. Nous en traiterons seulement - à titre d'illustration - à travers les remarques faites par Rosa Luxemburg qui, grosso modo, partage le même présupposé stratégique que les bolcheviks: la lutte pour le pouvoir des soviets.

Dans La Révolution russe, elle critique la dissolution de la Constituante. Ses critiques semblent de bon sens concernant certaines explications de Lénine consistant à souligner le décalage, à cause d'une confection ancien-ne des listes, d'avec la situation réelle du pays: ne suffisait-il pas d'en élire une nouvelle ? Elle discute plus longuement un texte de Trotsky (35) qui, en 1918, argumente sur le thème du retard de toute forme de système représentatif par rapport au processus historique: c'est, dit-elle à juste titre, refuser toute légitimité à un vote populaire et pas seulement à celui concernant la Constituante.

Les explications conjoncturelles de Lénine, comme le discours général de Trotsky sur les formes de représentation, font bien apparaître les difficultés des dirigeants bolcheviks dans l'argumentation, celles-ci tiennent à l'absence de clarté, même après la prise du pouvoir, sur une question pour-tant centrale. Le constat est d'autant plus frappant que les dirigeants du parti (Zinoviev et Kamenev), opposés à l'insurrection d'Octobre 1917, avaient alors développé une argumentation stratégique que l'on retrouvera sous des formes variées dans le mouvement ouvrier européen: la centralité et la légitimité du pouvoir d'Etat doit résider dans une branche de l'alternative - car c'en était une: Constitution ou soviet. (36)

Situation qui, pour partie, renvoie au passé programmatique du parti, sur lequel je ne vais pas revenir ici. Signalons simplement que - contrairement à une légende tenace - il n'est pas question de pouvoir des soviets dans L'Etat et la révolution, pour la simple raison que ce texte ne dit pas un mot des soviets. Le livre se contente d'affirmer: "Nous ne pouvons concevoir une démocratie, même une démocratie prolétarienne, sans organismes représentatifs ; mais nous devons la concevoir sans parlementarisme" qui transforme les organismes représentatifs en "moulins à parole". Lénine met alors en avant la nécessité d'un organisme représentatif fonctionnant comme "corps agissant" qui pourrait tout aussi bien être une assemblée représentative bourgeoise sous sa forme radicale.(37)

En fait, il existe un décalage entre les remarques prémonitoires de Rosa Luxemburg sur la logique dangereuse qu'enclenche une restriction des libertés et le traitement d'une question stratégique centrale. Elle se contente d'une formule qu'aurait pu signer Lénine avant Octobre 1917: "Aussi bien les soviets comme épine dorsale que Constituante et suffrage universel" (38). D'autant que, dans le débat qui va éclater en Allemagne aussitôt après l'écriture, en prison, de La Révolution russe, sa prise de position est sans équivoque: elle se prononce contre le boycott de la Constituante allemande, mais son axe stratégique est bien le pouvoir des conseils.

EN GUISE DE CONCLUSION

Pluripartisme, éléments de codification d'un droit public précisant le fonctionnement de la démocratie soviétique, insistance sur la fonction socio-économique de cette démocratie: le profil programmatique développé par Trotsky, dans la période de La Révolution trahie, des formes de pouvoir politique de la classe ouvrière dans son rapport à la démocratie politique est très différent de celui des dirigeants de jeune Etat soviétique des années 1920. Mais son intérêt réside également dans la rigueur avec laquelle il traite, dans sa critique de la constitution stalinienne, les formes politico-juridiques de la dictature du prolétariat. Ce faisant, il montre bien ce qu'est la logique des soviets comme système représentatif, sa différence avec les formes de démocratie (même radicale) mises en place par les révolutions bourgeoises. Du coup, apparaissent également des problèmes liés à la forme soviétique.

Reprenons les formules de La Révolution trahie qui opposent le système soviétique basé "sur les groupements de classe et de production" à la démocratie représentative classique s'appuyant" sur ce que l'on appelle le "suffrage universel, égal et direct de la population atomisée ". Elles montrent bien que, dans le traitement du droit de vote et d'éligibilité (c'est-à-dire de ce qui définit la citoyenneté), la seule question n'est pas - comme on l'a dit trop souvent - celle du poids de la paysannerie par rapport à la classe ouvrière. Au-delà s'exprime la logique d'un système représentatif qui entend s'enraciner dans le social pour, en quelque sorte, dire la vérité sur sa base sociale.

La démocratie représentative classique de l'Etat bourgeois s'appuie sur une définition abstraite de la citoyenneté qui "masque" les rapports de classe. La dictature du prolétariat avec le système représentatif soviétique mis en place dans les années 1920 ne masquait pas sa base de classe: d'où une définition sociale de la citoyenneté, mais aussi un système pyramidal de représentation. En effet, la logique soviétique est de représenter l'individu dans le cadre de collectivités, alors que, Trotsky le note, "le suffrage universel de la population atomisée" s'articule, dans sa logique profonde, à des formes de représentation directe des électeurs.

Les soviets, répétons-le, ne relèvent pas de la démocratie directe - qui s'opposerait à la démocratie représentative -, mais d'un système représentatif, et d'une citoyenneté, "fondé sur les groupements de classe et de production". D'où une problématique particulière dans le traitement du droit. Elle définit des règles de droit permettant de structurer un espace public démocratique, mais sa logique est de définir les droits démocratiques - en premier lieu le droit de vote -non comme des attributs de la personne en général (les droits de l'Homme), mais en lien avec des statuts sociaux. Ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes.

Conclure avec ces remarques sur Trotsky ne vise pas à laisser croire qu'il suffirait - comme l'a fait la Ligue communiste dans la période de l'après 1968 (39) - de systématiser et d'actualiser une telle approche pour répondre aux problèmes présents posés par l'articulation entre démocratie et défense d'une perspective de transformation socialiste de la société. Au demeurant, le présent article n'a pas cette fonction. Il essaie de restituer certains des problèmes politico-théoriques sur lesquels ont buté les diri-geants de la Révolution russe - en l'occurrence les deux principaux, Lénine et Trotsky - et la façon dont l'un d'entre eux (Trotsky) a repris ces questions à la lumière de la contre-révolution stalinienne. Plus générale-ment, je ne crois pas qu'il soit possible de passer, d'un saut de plume, de l'analyse de la Révolution russe ou de la période de l'entre deux guerres à la situation actuelle, comme si, en quelque sorte, il s'agissait de poursuivre les mêmes débats (certes en les enrichissant et actualisant...).

Cela ne veut naturellement pas dire que le passé n'a pas existé et que tout recommence à zéro. Toutefois, si on veut le ramasser en une formule, on peut dire qu'aujourd'hui, ceux - y compris la Ligue communiste révolutionnaire - qui se réclament d'une transformation socialiste se situent, du point de vue de l'horizon politique, dans une perspective de démocratisation radicale de la société, et non dans une perspective "soviétique". Reste que la façon dont on se tourne vers le passé, le fil conducteur que l'on choisit de suivre pour parler de la Révolution russe et de la tradition alors ouverte a également toute son importance.

Prenons l'exemple de la façon dont, en 1982, le Dictionnaire critique du marxisme (40) - qui traduisait bien les trajectoires de divers courants critiques du Parti communiste français - éclairait les problèmes abordés ici. Le dictionnaire se veut pluriel et les contributions sont, en effet diverses, mais elles font également apparaître un dispositif de lecture du passé particulièrement significatif.

Tout d'abord, pour parler des textes de Marx sur la Commune, ou des conseils ouvriers et des soviets, les auteurs renvoient à la "démocratie directe", dont, au demeurant, aucun article ne définit le contenu. Ainsi, traitant de La Guerre civile en France, Etienne Balibar parle "de passage des mécanismes représentatifs à une démocratie directe " (p. 268). Quant à Jean-Marc Gayman et Jean Robelin, ils écrivent que "Lénine identifie, grâce aux soviets, dictature du prolétariat et démocratie directe (le pouvoir des soviets)" (p. 825). On pourrait noter que, à aucun moment, Marx ne se réclame de ladite démocratie directe et que Lénine affirme, explicitement, que la dictature du prolétariat suppose un système représentatif. Mais l'important est la grille de lecture ainsi fixée.

Soit on attache de l'importance aux formes politico-juridiques, institutionnelles de la démocratie, qui ne peuvent être traitées que dans le cadre d'un système représentatif, et on ne peut que se tourner vers la démocratie représentative classique. Soit on est indifférent à ces formes. C'est le cas d'Etienne Balibar dans son article sur "La dictature du prolétariat", qui, passant de Lénine à Mao, via Gramsci, s'en tient au face à face entre le parti (ou l'Etat-parti) et les masses. Les développements de Trotsky sur le pluripartisme, les caractéristiques de la démocratie soviétique n'étant pas pris en compte. Cet oubli s'éclaire sans doute par l'article du même auteur portant sur "le droit de tendance". On y apprend que "le trotskisme en a fait un véritable cheval de bataille dans la dénonciation du stalinisme. Mais il a contribué par là à enfermer la question de "la démocratie prolétarienne" dans des termes exclusivement juridiques" (p.872).

Or, pour retourner la formule, c'est bien à chaque fois au niveau juridique que se sont cristallisés des problèmes mettant en jeu des questions de fond. L'interdiction des fractions et tendances par le Parti bolchevique est une question juridique (Lénine affirmera qu'il les tolérera en pratique), l'absence de référence au pluripartisme dans la plate-forme de l'opposition de gauche unifiée est une question juridique. Enfin, bien longtemps après la mort de Staline, la conception du Parti communiste comme "parti unique de la classe ouvrière" se cristallise dans des questions juridiques: refus du droit de tendance, refus du pluripartisme "ouvrier"...

La référence à la "démocratie ouvrière" ou "prolétarienne", qui, en effet, présente une connotation "trotskyste", touchait à ce qui était un des ressorts essentiels du stalinisme: la volonté de garder le monopole de représentation politique de la classe ouvrière. Cette catégorie n'est d'ailleurs pas traitée en tant que telle dans le Dictionnaire. Ni d'ailleurs celle de pluripartisme. En revanche existe un article sur le "Pluralisme", ce qui n'est pas tout à fait la même chose. L'auteur, Gérard Bras, explique que, "ce terme, totalement absent du vocabulaire "classique" du marxisme, symbolise un des aspects fondamentaux de la conception "eurocommuniste" d'un socialisme démocratique. Il désigne la reconnaissance, par les partis communistes qui l'avancent, d'un socialisme démocratique" (p. 699).

On pourrait remarquer qu'un parti se réclamant de l'eurocommunisme, comme le PCF dans les années 1970, et dans la tradition des Fronts populaires, pouvait admettre l'existence d'alliances avec d'autres partis tout en maintenant son statut "du parti de la classe ouvrière". Mais l'important ici est de constater que l'article "Parti", écrit par Maurice Moissonier, ne prend pas en compte les développements de Trotsky sur le pluripartisme lorsqu'il fait l'histoire de la notion. Une fois encore, le "pluralisme politique" n'apparaît qu'avec l'eurocommunisme. C'est donc logiquement que, dans l'article "Démocratie", Pierre Severac - lui aussi oubliant les positions de Trotsky -, constate que, entre les deux guerres, "les dirigeants communistes ne sont jamais parvenus à poser simultanément la question de la démocratie dans l'Etat et dans le parti. [En revanche], sans opérer de refonte véritable du concept de démocratie (et en partie empêchés par les interdits léninistes qui pèsent sur les tentatives faites en ce sens par Bernstein et Kautsky), les théoriciens de l'eurocommunisme ont tenté de résoudre ce problème". (p. 239)

On voit mieux à présent le dispositif de lecture du passé dont nous avons parlé.D'un côté, Etienne Balibar, qui entend maintenir, dans les années 1970/1980, un certain lien programmatique avec la tradition ouverte par Octobre 1917 (41), est indifférent aux formes politico-juridiques de l'exercice de "la dictature du prolétariat", à la question de la "démocratie prolétarienne" comme forme institutionnelle. De l'autre, la réflexion sur les rapports démocratie et socialisme, sur le pluripartisme, est portée au crédit du seul eurocommunisme qui, quelles que soient les nuances de ces courants à l'époque, permet d'assumer clairement une perspective stratégique réformiste (articulation parlement/soviet) contre laquelle, dans les années 1920, s'est construite l'Internationale communiste. Ce qui n'est pas criminel en soi, mais cela veut dire qu'aucun des dirigeants communistes se réclamant de la tradition programmatique d'Octobre 1917 n'est "parvenu à poser simultanément la question de la démocratie dans l'Etat et dans le parti".

Pour ce faire, il faudrait donc sortir de cette tradition : démarche qui suppose d'"oublier" Trotsky. La question n'est pas seulement polémique. En effet, le bilan de toute cette affaire est que la tradition marxiste qui s'est constituée autour de la révolution d'Octobre a enfanté un monstre, le stalinisme, sans avoir été capable de traiter - même avec des limites - la question de la démocratie dans l'Etat "ouvrier". Au-delà, en fait, vue la place occupée par cette tradition dans le marxisme, c'est bien le rapport à ce dernier qui est en jeu. Il va de soi - mais autant le dire - que ni Marx ni cette tradition, Trotsky inclus, ne sorte indemnes du bilan du "socialisme réel". Il ne suffit donc pas, via ce dernier, de rappeler l'existence d'une filiation marxiste-révolutionnaire et son opposition à Staline. Toutefois, on ne jette pas tout à fait le même regard sur le passé du marxisme - donc son avenir possible - si son bilan politique est à ce point catastrophique ou si on prend en compte ce que l'un des principaux marxistes de l'entre deux-guerres a pu produire comme alternative au stalinisme.

Notes:

1.Léon Trotsky, Rapport de la délégation sibérienne, Spartacus 1970 et Nos tâches politiques, Belfond 1970.

2. Trotsky, Staline, 10/18, 1979,t.1, p. 19.

3. Lénine, La maladie infantile du communisme (le "gauchisme") ; Œuvres, t. 31, p. 42.

4. Fernando Claudin, Marx, Engels et la révolution de 1848, Maspero, 1980, p. 421.

5. Etienne Balibar, Marx et sa critique de la politique, Maspero, 1979, op. cit., p. 145.

6. Robert Michels, Les partis politiques, Flammarion, 1971, et Critique du socialisme, Contributions aux débats du XX' siècle présentés par Pierre Cours-Salies et Jean-Marie Vincent, Kimé,1992.

7. Sur les conditions historiques présidant au débat, voit l'introduction à Que faire ? (Seuil,1966) de Jean-Jacques Marie, ainsi que les choix de textes ajoutés.

8. Cité par Marcel Liebman, Le Léninisme sous Lénine, Seuil, 1976,t. 1, p. 100.

9. Lénine, Nos tâches et le soviet des députés ouvriers et paysans, Œuvres, t.10, P. 15 et 12.

10. Rosa Luxemburg, Marxisme contre dictature, Spartacus, 1946, p. 21.

11. Trotsky, Nos tâches politiques, Pierre Belfond, 1970, p. 49 et 7905, Minuit, 1969, p.223.

12. Sur la problématique de Trotsky à l'époque et son évolution, voir Alain Brossat, Aux origines de la révolution permanente, la pensée politique du jeune Trotsky, Maspero, 1976.

13. Etienne Balibar, Marx et sa critique de la politique, op. cit., p. 111.

14. Lénine, La maladie infantile du communisme( le " gauchisme "), Œuvres, t. 31, p. 42.

15. Trotsky, La Révolution trahie, dans De la révolution, Minuit, 1963, p. 613.

16. Avec ce type de formule, Trotsky est proche de la version donnée par Lukacs de la théorie "léniniste": le parti comme figure auto-nome de la conscience de classe et médiation entre la théorie et la pratique. Ce n'est sans doute pas un hasard car, d'un certain point de vue, Lukacs a donné la version " léniniste " de la problématique du " parti-conscience " qui était celle du jeune Trotsky et qui laissera chez lui des traces.

17. Maurice Merleau Ponty, Les Aventures de la dialectique, Gallimard 1955, p. 112, 157 et 159.

18. Trotsky, Terrorisme et Communisme, Prométhée, 1980, p. 118.

19. Trotsky, cité par Pierre Broué, in Trotsky, Fayard, 1988, p. 285.

20. Lénine, "La crise du parti", Œuvres, t. 32, p. 41.

21. Ferry Andersen, Sur Gramsci, Maspero, 1978.

22. Trotsky, Cours nouveau, dans De la Révolution, œuvres complètes, p. 34.

23. Christian Rakovsky, Les "dangers professionnels" du pouvoir, dans De la Bureaucratie, (recueil de textes) Maspero, 1971, p. 119.

24. Si la plate-forme de l'opposition de gauche unifiée (1926) met en avant l'indépendance syndicale par rapport à l'Etat, elle ne traite pas du pluripartisme. On aurait tort d'y voir une simple concession à Zinoviev qui, par ailleurs, a été un des chantres de l'élaboration d'une version autoritaro-gauchiste de la conception " léniniste " du parti.

25. Trotsky, "Le régime communiste aux USA", dans Nature de l'Etat soviétique (textes choisis), Maspero, 1969, p. 22.

26. Voir, par exemple, Marc Ferro Des Soviets au communisme bureaucratique, Gallimard/Julliard, 1980.

27. Jacques Michel, Marx et la société juridique, Publisud, 1983, p. 238.

28. Dominique Colas, Textes constitutionnels soviétiques, Puf, 1987, p. 13.

29. Trotsky, Le régime communiste aux USA., op. cit., p. 22.

30. Trotsky, "L'économie soviétique en danger - Au seuil du plan quinquennal", dans Ecrits I, Rivière 1935, p. 125.

31. Trotsky, La Révolution trahie, op. cit., p. 609.

32. Gramsci, Ecrits, Gallimard, 1974, t. 1, p. 350.

33. Pour être organisé " techniquement ", le suffrage universel suppose la définition d'un es-pace politique homogène. C'est le cas de la commune dont parle Marx. Comme elle est en outre homogène socialement, il est possible de sortir de l'abstraction politique moderne sans remettre en cause le suffrage universel.

34. Rosa Luxemburg, La Révolution russe, Spartacus, 1946, p. 36.

35. Trotsky, L'Avènement du bolchevisme, Maspero, 1997.

36. Marcel Liebman, Le Léninisme sous Lénine, op. cit., t. 2, p. 44.

37. Lénine, L'Etat et la révolution, Œuvres, t. 25, p. 459 et 457.

38. Rosa Luxemburg, La Révolution russe, op. cit., p. 37.

39. Soit dit en passant, ce faisant, la Ligue et la IVe Internationale ont été un des rares courants se réclamant de la tradition ouverte par Octobre 1917 à traiter réellement des questions de l'articulation d'un pouvoir de type soviétique (au sens large du terme) et de la démocratie. En particulier sur la question centrale du pluripartisme.

40. Dictionnaire critique du marxisme, sous la direction de Georges Labica, Puf, 1982.

41. Voir Etienne Balibar, Sur la dictature du prolétariat, Maspero, 1976.

Voir ci-dessus