Environnement : notre avenir commun ?
Par François Moreau le Dimanche, 15 Octobre 2000 PDF Imprimer Envoyer

Les mouvements verts ont apporté une énorme contribution à la prise de conscience du caractère mondial des problèmes écologiques auxquels l'humanité est confrontée. Aucun pays, aucune région ne pourra s'en sortir indemne si le reste du monde ou des régions importantes connaissent un effondrement écologique. La disparition de la couche d'ozone touchera tout le monde, de même que l'effet de serre.

En fait, seule une action concertée à l'échelle mondiale permettrait de surmonter les très graves problèmes écologiques d'aujourd'hui. Rien ne sert par exemple de supprimer dans un pays donné la production des éléments chimiques toxiques responsables de la destruction de la couche d'ozone, si les multinationales de l'industrie chimique déplacent la production dans un autre pays où le mouvement écologique est moins puissant. L'interdiction doit être universelle pour être efficace.

Même la bourgeoisie internationale commence à comprendre cela, ou du moins ses représentants les plus éclairés. Les derniers mohicans de la croissance illimitée continuent à nier l'ampleur des problèmes écologiques et afficher une confiance aveugle dans les solutions technologiques non encore inventées, mais cette attitude obscurantiste le cède maintenant de plus en plus à la reconnaissance formelle de la gravité de la situation. Les conférences mondiales se multiplient, que ce soit sur la couche d'ozone, l'effet de serre ou encore la déforestation. Des résolutions sont votées, des protocoles d'entente sont adoptés, des engagements sont pris. Les gouvernements occidentaux tournent au vert à la lecture des sondages.

L'image du vaisseau spatial Terre dont nous sommes tous et toutes les passagers n'a jamais été aussi utilisée et galvaudée, non seulement comme présentation imagée de la situation, mais aussi pour mousser l'idée d'une communauté fondamentale d'intérêts de toutes les classes et nations face à l'avenir de la planète. Mais loin de rendre caducs les antagonismes sociaux, la menace du naufrage écologique planétaire les pousse au contraire au paroxisme, tout comme celui du Titanic avait engendré une forme spécifique de lutte de classes autour de l'appropriation des canots de sauvetage: 75% des première classe avaient survécu, tandis que 75% des troisième classe étaient passés par le fond. Il n'en va pas autrement dans la situation actuelle.

Nous partirons des premiers modèles du monde formulés au début des années soixante-dix pour tracer l'évolution du débat écologique jusqu'à la publication du rapport Brundtland par la commission des Nations unies sur l'environnement et le développement en 1987, pour conclure sur les perspectives actuelles d'un point de vue écologiste et socialiste.

Les limites planétaires du rapport Meadows

Jusqu'à la fin des années soixante, les futurologues unanimes brossaient un avenir fait de progrès technologique illimité, d'expansion économique continue et d'une élévation assurée du niveau de vie pour toute l'humanité dans les décennies et les siècles à venir. Ces projections ont trouvé leur expression la plus achevée dans l'ouvrage publié en 1967 par Herman Kahn, l'An 2000 (1) où la croissance économique rapide des années 1950-1965 se trouve extrapolée sur plusieurs décennies à venir.

Cet optimisme béat et apologétique a été fortement ébranlé par la publication en 1972 d'un rapport au Club de Rome sur les limites à la croissance (2), réalisée par une équipe de chercheurs du Massachusetts Institute of Technology, sous la direction de Dennis Meadows. Utilisant des techniques de simulation empruntées à la dynamique des systèmes (3), les auteurs ont voulu déterminer si les tendances actuelles de développement pouvaient se maintenir dans l'avenir. Ils en sont arrivés à une conclusion des plus catégoriques : celle d'un effondrement écologique planétaire inéluctable vers le milieu du prochain siècle, si la croissance exponentielle de ia population et de la production industrielle et agricole à l'échelle mondiale n'est pas stoppée le plus tôt possible, au plus tard avant l'an 2000.

Les causes de l'effondrement dans les projections de l'équipe Meadows se trouvent dans les limites planétaires. La Terre contient une quantité déterminée de ressources non-renouvelables, elle possède une superficie agricole finie et sa capacité d'absorbtion des rejets toxiques du processus industriel n'est pas illimitée. Quels que soient les progrès à venir en matière de recyclage des ressources, de productivité agricole ou de contrôle de la pollution, la poursuite de la croissance industrielle finira inévitablement par se heurter aux limites planétaires et le tout se terminera par un effondrement écologique à l'échelle mondiale, toujours d'après l'équipe Meadows. Tous les efforts pour prolonger l'expansion par des artifices technologiques ne réussiront qu'à retarder l'effondrement de quelques décennies tout au plus, en lui donnant un caractère d'autant plus catastrophique au moment où il finira par se produire inévitablement.

Ces conclusions ont évidemment fait l'objet de nombreuses critiques au cours des années suivantes. Une équipe de recherche de l'université Sussex en Angleterre s'est donnée la peine de passer au peigne fin l'ensemble du modèle extrêmement complexe du groupe du MIT pour en évaluer la validité (4). L'équipe de Sussex a cru déceler un biais conservateur systématique dans les projections du groupe du MIT à plusieurs niveaux. Elle a aussi démontré qu'il suffisait dans bien de cas d'adopter une hypothèse de travail différente de celle retenue par Meadows et tout aussi plausible pour aboutir à des résultats sensiblement différents, et ce, contrairement aux prétentions de l'équipe Meadows voulant que ses résultats globaux soient insensibles aux hypothèses de départ retenues quant à l'estimation concrète de telle ou telle grandeur de départ.

La question des ressources non-renouvelables en fournit un exemple. Dans sa projection, le groupe Meadows n'a pas tenu compte des progrès techniques qui permettent d'exploiter des gisements auparavant inutilisables, comme ce fût le cas depuis le début de l'industrialisation, posant ainsi l'hypothèse implicite que ces progrès techniques étaient dorénavant épuisés. D'après le groupe de Sussex. l'introduction dans le modèle de Meadows d'un rythme de progrès technique modeste, mais plausible, de 2,3% par an dans le domaine des technologies d'extraction, combiné au recyclage des matériaux, avait pour effet de repousser l'épuisement des ressources naturelles au-delà de l'horizon temporel du modèle. C'est ainsi que le résultat final reflète tout bonnement le biais conservateur des hypothèses de départ.

Mais les critiques les plus sérieuses à porter au modèle de Meadows ne portent pas sur les aspects techniques du problème. Elle met aux prises l'humanité en bloc d'un côté avec ses industries polluantes, face à la nature de l'autre sous la forme des limites planétaires. Cela se manifeste particulièrement à travers l'utilisation de moyennes mondiales et de totalisations mondiales, faisant ainsi totalement abstraction du fossé entre les pays du centre industrialisé et ceux de la périphérie. Quant aux rapports sociaux de production, il n'en est jamais question, comme si le contrôle d'une minorité possédante sur les entreprises dominantes n'avait rien à voir avec la question de l'équilibre écologique.

L'incapacité ou le refus de l'équipe Meadows à investiguer la dimension sociale de la question l'a conduit à chercher une solution technocratique qui ne remette pas en cause les rapports de domination actuels entre classes et à l'échelle mondiale. Ceci l'a amené à proposer une solution clairement inacceptable pour la majorité de la population mondiale, car l'arrêt de la croissance économique d'ici quelques décennies au plus tard signifierait la consécration définitive des inégalités actuelles. Mais cette "solution" n'a pas non plus l'heur de plaire aux classes dominantes des pays développés, car elle mettrait fin à l'accumulation du capital sans laquelle le système capitaliste ne pourrait pas se maintenir.

L'acquis le plus important à mettre au compte du rapport Meadows, c'est sans doute d'avoir mis (ou remis) à l'honneur la nécessité d'une analyse globalisante, à long terme et à l'échelle planétaire, allant ainsi à rencontre des tendances inhérentes à la science institutionnelle moderne vers la compartimentalisation des savoirs et la segmentation toujours plus poussée des objets de recherche. En revanche, l'équipe Meadows restait malgré tout prisonnière d'une vision du monde technocratique qui l'a empêché de percevoir les contradictions sociales et politiques à l'oeuvre sur les questions environnementales.

La deuxième génération des modèles du monde

Le deuxième rapport du Club de Rome publié en 1974 par Mihajio Mesarovic et Eduard Pestel (5) allait combler certaines lacunes du premier rapport et permettre de progresser dans la problématisation des équilibres écologiques planétaires. Contrairement au modèle Meadows, avec ses totalisations mondiales, le modèle du monde élaboré par Mersarovic et Pestel distinguait dix régions ayant des caractéristiques particulières: quatre régions capitalistes développées, quatre régions capitalistes périphériques, l'URSS et les pays de l'Est, et enfin la Chine. Le modèle tente de saisir la dynamique de développement de ces dix régions ainsi que leurs interactions sur le plan commercial, financier et technologique.

La simulation du modèle conduit à un résultat remarquable: la première région du monde à connaître l'effondrement écologique est l'Asie du Sud-Est, comprenant surtout l'Inde, le Pakistan et le Bangladesh. D'après cette projection, le fossé grandissant entre la croissance démographique de ces pays et leur ressources agricoles entraînerait un déficit alimentaire croissant qu'ils seraient incapables de combler par l'importation, faute de ressources, ce qui se solderait par une famine massive vers l'an 2025. La sur-mortalité frapperait un milliard de personnes, jusqu'à la restauration d'un nouvel équilibre à un niveau de population beaucoup plus bas.

Outre le côté apocalyptique d'une pareille projection, elle amène un renverse-ment complet de perspectives quant au rapport entre niveau de développement économique et difficultés écologiques. Jusque-là, on avait largement tendance à penser que ce seraient les pays les plus industrialisés qui connaîtraient les pires problèmes environnementaux, avec la pollution, les déchets toxiques, la surutilisation de l'eau, etc. Meadows croyait que la régionalisation de son modèle du monde conduirait simplement à rapprocher la date de l'effondrement final... dans les pays développés, là où se concentre la pollution. Et voici que le modèle du monde de Mesarovic et Pestel conduit à la projection opposée : la première région à connaître un effondrement global est au contraire la plus pauvre dans le monde avec l'Afrique noire, autre région en proie à des déséquilibres écologiques grandissants.

Et cela ne devrait pas étonner. On a reconnu depuis longtemps la fausseté du dicton selon lesquels tout le monde est égal devant la mort et les impôts, car les pauvres meurent plus jeunes et les riches évitent plus facilement l'impôt. De même, les déséquilibres mondiaux retombent de manière disproportionnée sur les pays dominés et sur leurs classes populaires, alors que les pays plus riches ont la capacité de consacrer des enveloppes budgétaires plus copieuses à la correction des problèmes environnementaux les plus criants, et que les classes dominantes de tous les pays ont la possibilité de fuir les ordures pour se mettre personnellement à l'abri des fumées toxiques dans leurs îles privées et leurs domaines réservés. Ce ne sont jamais les classes possédantes qui souffrent de la famine. Seuls les pauvres meurent de faim.

L'exportation des problèmes écologiques des pays industrialisés vers les pays de la périphérie capitaliste a reçu beaucoup de publicité en 1988 avec l'odyssée d'un cargo italien chargé de déchets toxiques destinés au Nigeria. On sait qu'avec la montée des mouvements de protection de l'environnement dans les pays industrialisés plusieurs multinationales ont décidé de localiser les industries les plus dangereuses et polluantes dans des pays du " tiers monde " où les mouvements écologiques sont plus faibles et où ils peuvent compter sur des gouvernements plus répressifs, à la solde des multinationales. On se souvient de la catastrophe survenue à Bhopal en Inde, où une usine de la compagnie chimique américaine Union Carbide a déversé des gaz hautement toxiques sur les centaines de milliers d'habitants des bidonvilles environnants.

Une catastrophe similaire s'est produite au Mexique. La médiatisation des catastrophes écologiques tend généralement à les présenter comme des phénomènes naturels : inondations, sécheresses, glissements de terrain... Et pourtant, ces catastrophes "naturelles" doivent beaucoup aux actions humaines. Les inondations récentes au Bangladesh sont liées à la déforestations des pentes de l'Himalaya, source des grands fleuves qui traversent le pays. A son tour, la déforestation résulte de la pression de la paysannerie, à la recherche de nouvelles terres et de sources d'énergie, le bois étant le seul combustible accessible, surtout depuis que l'essence est devenue hors de prix. La pression sur les terres résulte pour sa part de la mécanisation des grandes exploitations, qui chassent les petits paysans et mettent les travailleurs agricoles en chômage, alors que l'économie urbaine et l'industrie sous-développée ne peuvent les absorber, surtout dans le contexte des politiques d'austérité des années quatre-vingt. Les politiques d'austérité et de régression industrielle imposées depuis quelques années par le Fonds monétaire international et autres agences du capitalisme international n'ont fait qu'empirer tous ces problèmes.

L'inégalité devant les problèmes écologiques n'est qu'une manifestation spécifique des rapports de domination qui existent à l'échelle mondiale entre le centre impérialiste et la périphérie capitaliste. Le modèle de Mesarovic et Pestel saisit empiriquement cette réalité et met à jour ses conséquences éventuelles en termes de rupture d'équilibre dans les pays d'Asie du Sud-Est, en premier lieu. Cependant, il n'en tire pas les conclusions appropriées quant à la nature sociale des crises écologiques présentes et à venir. Les rapports entre l'humanité et la nature se font non pas directement, mais par l'intermédiaire d'un mode de production où l'humanité se trouve hiérarchisée en nations et en classes dominantes et dominées, à l'échelle mondiale.

En fait, la pauvreté n'est en rien un état originel dans les pays dits sous-développés à mettre au compte du trop grand nombre de leurs habitants ou d'une prétendue hostilité conservatrice au progrès technique. Le Bangladesh par exemple a déjà été plus riche que l'Angleterre, avant de devenir sa colonie, bien entendu. La pauvreté dans ces pays est en grande partie le résultat d'un processus de sous-développement qui doit beaucoup aux structures de domination coloniales et néo-coloniales, à travers lesquelles une grande partie des ressources et des richesses de ces pays font l'objet d'une extraction systématique par le capitalisme central dans un processus d'échange inégal entre ressources peu travaillées et produits manufacturés. Ceci creuse davantage le déséquilibre entre les ressources dont ces pays disposent et leurs populations, d'autant plus que les ressources qui restent au pays sont monopolisées par les classes dominantes locales qui collabo-rent avec l'impérialisme. Tout ceci condamne des populations toujours plus nombreuses à tenter de survivre sur une base de ressources de plus en plus étroites, avec tout ce que cela entraine en terme de déforestation, épuisement des terres, surutilisation des puits, etc.

Le deuxième rapport au Club de Rome avançait comme solution la perspective d'une "croissance organique" équilibrée entre les différentes régions du monde. D'après les auteurs, ceci requiert une aide importante des pays développés aux pays les moins avancés, pour que ces derniers soient en mesure de faire face à l'augmentation rapide de leur population dans les décennies à venir, jusqu'à ce que l'urbanisation et l'industrialisation entraînent une diminution de leur taux de natalité et, à la longue, une stabilisation de leur population.

Au même moment, le groupe japonais du Club de Rome, à l'aide d'un modèle mondial en neuf régions, proposait que les pays développés consacrent environ 1% de leur revenu annuel en aide sans contrepartie aux pays "en développement" et que cette dernière soit surtout consacrée à l'agriculture et aux industries légères dans les pays de la périphérie, de manière à relever leur production agricole et fournir de l'emploi à leur main-d'œuvre surabondante. De leur côté, les pays du centre devraient délaisser graduellement les industries légères et mettre davantage l'accent sur leur propre agriculture, de façon à subvenir eux-mêmes à leurs besoins alimentaires, sans faire appel aux productions du Sud, comme c'est le cas actuellement. Tout ceci devrait permettre la poursuite d'un développement équilibré au cours du prochain siècle et écarter les perspectives de famine massive esquissées dans les deux premiers rapports au Club de Rome.

Un nouvel ordre international mort-né

La nécessité d'un "nouvel ordre économique international" est devenu un thème majeur lors de la deuxième moitié des années soixante-dix. Le Club de Rome publiait en 1976 un nouveau rapport préparé par l'économiste hollandais, Jan Tinbergen (6) appelant à une meilleure coopération internationale et à un transfert de ressources financières et techniques des pays du Nord vers ceux du Sud dans le but de parvenir à la satisfaction des besoins humains fondamentaux. Le rapport se démarquait quelque peu de l'idéologie traditionnelle de la croissance économique à tout prix en signalant ses conséquences habituellement néfastes en terme d'élargissement des inégalités sociales, et en préconisant la réduction prioritaire des inégalités entre pays et à l'intérieur de chaque pays.

Mais le principal intérêt du rapport, c'est qu'il s'aventurait jusqu'à soulever (timidement) la nécessité de changements structurels importants pour assurer la poursuite d'un développement viable qui satisfasse les besoins humains fondamentaux. Il parlait de reforme agraire "là où cela est nécessaire" (où ?) et de réduction des dépenses militaires considérées comme un gaspillage insensé de ressources dans un monde où il y a tant à faire.

Le rapport soulignait aussi les fluctuations importantes des prix des matières premières et leur tendance générale à la baisse relativement aux prix des produits manufacturés. D'un point de vue écologique, le bas prix des matières premières pour les industries n'est aucunement matière à réjouissance. Il incite à une consommation accrue de matières premières et désincite la conservation et le recyclage, accélérant ainsi la dilapidation des ressources non-renouvelables.

Pour s'en convaincre, il suffit de voir ce qui s'est produit avec le relèvement des prix du pétrole en 1973-74 et 1979-1980. Les économies d'énergies sont devenues subitement la priorité des priorités. Alors que la consommation de pétrole avait augmenté plus vite que la production industrielle depuis le début du siècle, elle a diminué d'un bon 25% dans les pays du centre capitaliste au cours des quinze dernières années, relativement au volume de la production totale, parce qu'il existait désormais une puissante incitation financière à économiser l'énergie. Les résultats ne se sont pas fait attendre, et on a assisté à une amélioration substantielle de l'efficacité énergétique, aussi bien sur le plan de la production que de la consommation.

Le mieux qui pourrait arriver, tant du point de vue de la conservation des ressources que de la position financière et commerciale des pays producteurs du tiers monde, ce serait une évolution similaire pour les autres ressources naturelles. Malheureusement, la conjonction d'intérêt très particulière qui s'est formée dans le cas du pétrole, entre les pays de l'OPEP et les multinationales pétrolières américaines, n'a pas trouvé d'équivalent pour les autres matières premières, qui ont continué à se vendre à prix d'aubaine et à être dilapidées dans la plus grande allégresse.

Les avocats de l'expansion capitaliste illimitée se réjouissent de cette évolution des prix à la baisse, qui leur parait réfuter toute perspective de pénurie de ressources7. Mais l'équipe de Tinbergen reliait correctement ce phénomène au fonctionnement des marchés internationaux de matières premières, qui sont des marchés d'acheteurs dans la plupart des produits. Dans le système capitaliste, la valeur marchande d'un produit quelconque provient du temps de travail nécessaire à sa production ou son extraction, tempéré par les rapports de forces entre acheteurs et vendeurs et entre classe ouvrière et patronat. Peu importe que la nature ait pris des dizaines, des centaines, des millions ou des milliards d'années pour créer des matériaux qui seront prélevés en quelques heures : cela est sans importance du point de vue du capitaliste individuel, même si cela entraîne l'appauvrissement de l'humanité dans son ensemble par la dilapidation de son patrimoine naturel.

Pour redresser cette situation, le rapport Tinbergen a préconisé l'instauration d'une taxe mondiale sur les matières premières qui serait prélevée par un organisme international et dont le fruit serait mis à la disposition des pays du " tiers monde " pour financer des projets de développement. La hausse du prix de matières premières pour les utilisateurs industriels les inciterait à un usage plus parcimonieux et allongerait d'autant la durée des réserves, en plus de transférer des ressources financières vers la périphérie. Inutile de préciser que ce projet est resté lettre morte en raison de l'opposition des grandes puissances capitalistes importatrices de matières premières, Etats-Unis en tête. C'est d'ailleurs le sort qu'allaient connaître les autres projets de "nouvel ordre économique international" comme celui formulé en 1980 par la Commission Brandt.

Vers la fin des années soixante-dix, en effet, l'orientation politique des gouvernements occidentaux a effectué un net virage à droite, symbolisé par l'arrivée au pouvoir des Thatcher, Reagan, Kohi et plus tard Muironey. Les lois du marché libre ont été remis plus que jamais à l'honneur. Les idéaux keynésiens (et sociaux-démocrates) de stabilisation économique et de redistribution des revenus ont été mis au rancart au profit d'une glorification de la concurrence aveugle et des inégalités "naturelles". Au plus fort la poche! Les Nations unies pouvaient continuer à bavarder de nouvel ordre économique international: les vraies politiques se décidaient au Fonds monétaire international, sous le contrôle des grandes puissances capitalistes et pour la plus grande gloire des banques et des multinationales.

On a mentionné plus haut l'estimation faite par le groupe japonais du Club de Rome à l'effet qu'un transfert de ressources vers le "tiers monde" de l'ordre de 1% des revenus des pays deèveloppés devrait suffire à garder le développement mondial sur la bonne voie. Dans les faits, les transferts de ressources se font en sens inverse, de la périphérie vers le centre, sous forme de profits rapatriés, d'intérêts, de remboursements de dettes, et cela d'après les statistiques officielles compilées par les grands organismes internationaux et qui représentent seulement le sommet de l'iceberg. C'est le résultat direct des politiques monétaristes de taux d'intérêt réels élevés pratiquées depuis le début des années quatre-vingt, et des politiques d'austérité radicales imposées aux pays du " tiers monde " par le FMI et la Banque mondiale. La périphérie capitaliste est mise à tribut pour renflouer le centre... exactement le contraire de ce que préconisait le Club de Rome à partir de son deuxième rapport.

En fait, les recommandations de transfert des ressources du centre vers la périphérie relèvent de l'utopie dans le contexte du système capitaliste mondial, car elles vont complètement à rencontre de la logique de fonctionnement du système, qui a conduit à un transfert systématique dans le sens inverse au cours des cinq derniers siècles (8). Ces profits, intérêts, royautés prélevés sur la périphérie représentent aujourd'hui un apport non-négligeable à la trésorerie des entreprises multinationales dominantes, bancaires ou industrielles, et tout sera mis en oeuvre pour les préserver et les accroître.

De même, les recommandations à l'effet de stabiliser le niveau de développement des pays les plus industrialisés pour favoriser le rattrapage des pays du "tiers monde" font abstraction des rivalités interimpérialistes. Aucune grande puissance capitaliste ne va jamais accepter de ralentir délibérément sa propre croissance économique, de crainte de se faire distancer par ses rivales. Même s'ils le voulaient, les organismes supranationaux actuels comme les Nations unies ne pourraient jamais imposer pareille politique aux grandes puissances, car ces dernières gardent le dernier mot sur les questions cruciales. Seul un véritable gouvernement mondial pourrait mettre en œuvre un programme réel de transfert massif de ressources du centre à la périphérie, et ceci exigerait d'abord que le pouvoir d'Etat soit arraché des mains du grand capital dans les principaux pays, pour passer aux mains d'un nouveau pouvoir décidé à gouverner dans l'intérêt des masses populaires à l'échelle mondiale. Tout le contraire des Etat-Nations bourgeois actuels.

Crise écologique et crise économique

Ce qui nous amène à poser la question des perspectives d'avenir du capitalisme. Malgré leur opposition totale sur le plan des prévisions à long terme, les analyses de Meadows et du Club de Rome partageaient un point commun avec celles des Kahn et compagnie : l'absence de blocages internes au mode de production capitaliste. La production connaîtra donc une croissance illimitée, à moins qu'une limitation externe vienne y mettre fin. Pour Meadows, cette limite externe se trouve dans les ressources planétaires et l'expansion économique (capitaliste) prendra donc fin vers le milieu du prochain siècle. Pour Kahn, cette limite planétaire n'existe pas et l'expansion se poursuivra donc indéfiniment, bien que peut-être à un rythme plus lent dans l'avenir, en raison d'une saturation graduelle des besoins primaires (9).

La croyance en la possibilité d'un développement illimité du capitalisme - à moins de limites planétaires quelconques - faisait partie intégrante de l'atmosphère intellectuelle des années soixante. Les économistes bourgeois étaient convaincus que les périodes de crise prolongée comme celle des années trente étaient désormais choses du passé, grâce aux techniques de stabilisation économique mises au point dans la révolution keynésienne. A tel point que Meadows, dans son modèle du monde, traite les années 1900-1970 comme une seule période de croissance exponentielle à l'échelle mondiale, en passant par-dessus trois décennies de stagnation virtuelle dans le gros du monde capitaliste, entre 1914 et 1945. Accident de parcours, sans doute. Même certains auteurs se voulant marxistes admettaient la possibilité d'un développement illimité, par exemple les partisans de la thèse du capitalisme monopoliste d'Etat. D'autres réglaient le problème en niant carrément l'expansion des années 1945-1970.

Pourtant, l'analyse marxiste des contradictions du capitalisme permettaient de conclure à l'impossibilité de soutenir indéfiniment l'expansion d'après-guerre. Dés 1964, Ernest Mandel écrivait que "la période longue de croissance accélérée va probablement prendre fin au cours des années soixante (10)". La baisse graduelle du taux de profit à partir des niveaux élevés d'après-guerre, la saturation des marchés pour une gamme croissante de biens de consommation durable, le développement de capacités de production excédentaires en sont les causes principales.

En régime de propriété privée des moyens de production, le profit constitue le seul mobile pour produire et investir, ce qui engendre et nécessite une accumulation de capital toujours plus grande. C'est pourquoi le système capitalisme ne peut rester en état stationnaire : il doit croître ou dépérir. Cependant, le système est incapable de connaître une croissance soutenue à long terme; il finît toujours par s'enliser dans ses propres contradictions, comme cela s'est produit entre les deux guerres mondiales et à partir des années soixante-dix. Le capitalisme doit croître de manière illimitée, mais il en est incapable. Le résultat, c'est le retour périodique dans des périodes de crises de plus en plus profondes et destructrices, dangereuses non seulement pour l'humanité, mais aussi, de plus en plus, pour les écosystèmes.

L'entrée du système capitaliste dans une période de croissance ralentie depuis la fin des années soixante (ou le milieu des années soixante-dix, selon les auteurs) fait aujourd'hui consensus parmi les analystes, bien que les causes de ce phénomène soient des plus controversées. On redécouvre les thèses portant sur les mouvements économiques de longue durée et sur les "cycles Kondratieff", reléguées au musée des antiquités économiques depuis plus de trente ans. Mais quelles en sont les conséquences du point de vue des équilibres écologiques à long terme ?

D'un point de vue écologiste "naïf", si l'on peut dire, il faudrait se réjouir de ce ralentissement marqué de l'expansion économique capitaliste. N'est-ce pas exactement ce que prônait le premier rapport au Club de Rome? Sauf que ce ralentissement provient de mécanismes socio-économiques complètement absents du rapport Meadows, et nullement de l'application des recommandations faites par ce dernier. Effectivement, l'entrée dans une période de croissance ralentie s'est d'ores et déjà traduit par une consommation de matières premières fort inférieures aux prévisions du rapport Meadows. En fait, plusieurs métaux qui auraient déjà dû être épuisés d'après ces prévisions se trouvent encore en surabondance, par exemple l'étain. Mais de là à dire que le ralentissement de la croissance capitaliste a été salutaire pour l'environnement, il y a un pas à ne pas franchir.

Le ralentissement de la croissance ne résulte pas en effet d'une décision consciente et réfléchie de la part de quiconque, mais d'une crise structurelle dont le poids retombe sur les classes et les peuples dominés. Des couches toujours plus larges des masses paupérisées de la périphérie capitaliste sont réduits à un niveau de survivance ou au-dessous, ce qui ne réduit pas, mais accroît la charge pour l'environnement, notamment la pression sur les terres et sur les forêts. L'ouverture forcée au marché Banque mondiale, conduit plusieurs pays dans la voie d'une industrialisation sauvage et destructrice, à la fois pour les êtres humains et pour l'environnement. Les restrictions budgétaires draconiennes imposées par ces mêmes politiques compromettent encore plus les maigres ressources consacrées à la défense et la protection de l'environnement.

Dans les pays développés, la crise a entraîné un virage à droite des groupes dirigeants, qui cherchent à rétablir les taux de profits par une escalade d'attaques contre le niveau de vie des masses ouvrières ce ces pays. Certains écologistes insensibles aux rapports de classes pourraient se réjouir de voir qu'on restreint la consommation des masses, voire même militer dans ce sens, en oubliant que prés de la moitié de la consommation dans les grands pays capitalistes est le fait des 20% les plus aisés, principalement la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie, tandis que les 50% les plus pauvres doivent se partager 20% du gâteau, ce qui leur fait de bien petites portions. Ce n'est pas là qu'on trouve le gaspillage, mais c'est là que frappent les politiques d'austérité, qui conduisent à une distribution encore plus inégale du revenu... et donc à un gaspillage encore plus grand dans la consommation de luxe des classes possédantes. La prospérité inouïe des fabricants d'automobiles de luxe dans les années quatre-vingt en constitue un exemple frappant.

Plus généralement, la restauration du primat intégral de l'entreprise privée et de la concurrence effrénée va directement à rencontre des efforts de réglementation en matière d'environnement, de la pollution aux déchets toxiques en passant par la surutilisation des ressources, sous la pression de la concurrence. Sans parler de la relance de la course aux armements, qui fait partie intégrante du programme de la droite et entraîne une diversion massive de précieuses ressources financières, humaines, techniques et matérielles dans une entreprise destructive à 100%.

Les victimes coupables de leur nombre

Le virage à droite des politiques bourgeoises dans les années quatre-vingt s'est également traduit sur le plan idéologique par la réhabilitation des thèses malthusiennes les plus classiques, pour lesquelles la croissance incontrôlée de la population mondiale constitue la cause ultime du risque de catastrophe écologique. Ceci s'accompagne d'une remise à jour à peine voilée du thème du "péril jaune", car cette croissance se concentre aujourd'hui dans les pays de la périphérie capitaliste, face à la stagnation démographique virtuelle des pays impérialistes et industriels en général. La thèse malthusienne correspond exactement aux rapports de domination qui jouent à l'échelle mondiale entre les classes dominantes bourgeoises du centre impérialiste formé des pays capitalistes développés d'une part, et les masses populaires de la périphérie capitaliste formée des pays dépendants couramment dénommés le tiers monde d'autre part.

Les organismes internationaux capitalistes tels que la Banque mondiale attribuent généralement la misère de ces pays à leur population trop nombreuse. laquelle découlerait à son tour du manque d'éducation, du traditionalisme, etc. Cette vision méprisante des peuples dominés néglige les raisons réelles de leur forte natalité, qui résident, paradoxalement, dans le taux élevé de mortalité infantile (il faut donc de nombreux enfants pour être assuré d'en amener quelques-uns à l'âge adulte) ; dans l'absence de sécurité sociale et de pensions de vieillesse, qui rend les personnes âgées dépendantes de leurs enfants pour assurer leurs vieux jours; dans l'oppression maintenue des femmes, qui les empêche de disposer librement de leur corps et contrôler leurs fonctions reproductives; dans l'insécurité économique, qui oblige les familles à compter sur plusieurs revenus et notamment sur le travail des enfants. Dans ces conditions, rien d'étonnant à ce que les campagnes de planification des naissances se soldent par des échecs retentissants : les gens veulent des enfants parce qu'ils en ont besoin!

Mais qu'on change radicalement les structures sociales, et tout cela se trans-forme très rapidement. On en trouve l'exemple le plus frappant à Cuba, où la révolution s'est traduite par une amélioration sensible des conditions de vie sur le plan de l'alimentation et des soins de santé, liés à une forte élévation du niveau d'éducation et du niveau d'emploi. La révolution a aussi entraîné une amélioration notable du statut des femmes cubaines. Les personnes âgées pouvaient maintenant compter sur des pensions de vieillesse. Chose remarquable, tout ceci a entraîné l'alignement des tendances démographiques à Cuba sur celles des pays capitalistes les plus avancés en quelques décennies seulement, au point qu'on prévoit mainte-nant une stabilisation de la population sous peu. Ceci améliore d'autant les perspectives de relèvement du niveau de vie et de la qualité de vie dans ce pays.

La Chine apporte un autre exemple des transformations radicales accomplies à l'occasion des révolutions. En 1948, un auteur malthusien nommé Williams Vogt avait prédit l'extermination inévitable de dizaines de millions de Chinois sur une population de quatre cents millions à l'époque, que ce soit par voie de famine, de guerre ou d'épidémie". La révolution de 1949 a eu lieu et la Chine nourrit maintenant 1,100 millions d'habitants, dans des conditions de santé meilleures que presque tous les pays du tiers monde, et semblables à celles de plusieurs pays capitalistes développés. Cela a été rendu possible par l'élimination de la classe des propriétaires fonciers, qui accaparaient une proportion énorme des terres, et leur redistribution à la paysannerie. L'amélioration a été très marquée, en dépit de nombreuses erreurs politiques commises par la direction chinoise et sans lesquelles les progrès auraient sans doute été plus grands encore.

Une de ces erreurs avait justement consisté à prendre le contre-pied absolu de la thèse malthusienne selon laquelle tous les problèmes viennent d'une prétendue surpopulation, pour conclure que la population n'était pas et ne serait jamais un problème, au point de se lancer dans des politiques natalistes pour augmenter la population chinoise aussi vite que possible. On citait souvent l'adage voulant que chaque bouche supplémentaire apporte aussi deux bras additionnels. Malheureusement, elle ne fait pas apparaître davantage de terres cultivables. La réalisation tardive de cette vérité a entraîné l'inversion brutale des politiques démographiques en faveur d'une limitation autoritaire des naissances, la fameuse politique d'un enfant par famille. Cela aurait pu être évité si on avait reconnu l'existence d'un niveau de population optimal du point de vue des équilibres écologiques pour un niveau technologique donné, au lieu de se lancer aveuglément à la poursuite de la population maximale, comme si les choses allaient toujours s'arranger pour le mieux. Cette leçon ne doit pas se perdre pour les futures révolutions.

Crise écologique et rapports sociaux

L'envergure mondiale des problèmes écologiques et leur dimension sociale ont trouvé leur expression la plus solennelle dans le rapport Brundtland, produit par la commission des Nations unies sur l'environnement et le développement (12). L'importance de ce rapport réside non seulement dans le fait qu'il représente une reconnaissance officielle de la nécessité urgente d'une action concertée à l'échelle mondiale pour écarter les multiples danger qui pèsent sur l'environnement, mais aussi dans la reconnaissance de la source de ces dangers dans les structures socio-économiques en place, bien que cela soit couché dans le vocabulaire feutré typique des organismes internationaux et ne dépasse guère le niveau d'une critique libérale ou sociale-démocrate des inégalités de revenu et de pouvoir.

Cela a tout de même suffi à provoquer des réactions négatives d'organismes patronaux autorisés. Ainsi, l'éditorialiste financier du Globe and Mail, principal quotidien patronal du Canada, pourfendait récemment le rapport Brundtland pour ses recommandations supposément socialisantes, imprégnées d'égalitarisme onusien et destinées à introduire le genre de planification centralisé qui a fait banqueroute dans les pays de l'Est ! (13)

Mais il n'y a pas de raison de s'inquiéter de leur point de vue. car l'autorité politique suprême se trouve toujours au niveau des Etats nations, et les organismes internationaux ne jouissent d'aucune pouvoir réel face aux Etats les plus puissants. Les seuls gouvernements que les organismes internationaux sont en mesure de contraindre sont précisément les gouvernements des pays les plus faibles, qui sont en position de dépendance commerciale, technologique, financière face aux grands pays capitalistes. Et ce pouvoir est immanquablement utilisé pour les contraindre à des politiques d'austérité anti-ouvrières, anti-populaires et anti-femmes qui ne font qu'aggraver les déséquilibres écologiques dans ces pays.

Les gouvernements qu'il faudrait le plus contraindre à mener des politiques écologiques responsables sont précisément ceux sur lesquels les organismes internationaux ont le moins d'autorité, à savoir ceux des grands pays capitalistes. En fait, ce sont les organismes internationaux qui en sont dépendants. Les Etats-Unis n'ont qu'à suspendre le paiement de leur cotisation aux Nations unies pour faire obstacle aux décisions qui leur déplaisent.

Le problème fondamental sur ce plan réside dans le fait que le pouvoir d'Etat des grands pays capitalistes représente les intérêts du grand capital de chacun de ces pays dans sa concurrence avec le grand capital des autres pays. Or, la concurrence intercapitaliste ne va pas en s'amenuisant, mais en s'aiguisant, sous l'effet de la crise structurelle du système capitaliste mondiale depuis la fin des années soixante et de la montée de l'Europe capitaliste et du Japon, qui menacent la position dominante de la bourgeoisie américaine dans le monde. Dans ces conditions, c'est croire au père Noël que d'espérer voir des actions concertées d'envergure sortir des organismes internationaux dominés par ces puissances rivales, justement.

La question écologique confirme de façon éclatante la validité d'un des principes fondamentaux que la IVe Internationale a toujours défendu, à savoir le caractère mondial de la lutte des classes et la nécessité de construire un instrument mondial pour mener cette lutte à bien, tant contre le capitalisme que contre les régimes bureaucratiques des pays de l'Est. C'est cela qui motive les efforts de la IV Internationale pour construire un parti mondial de la révolution socialiste unissant des forces agissantes dans tous les pays au sein d'un même mouvement. Seule une telle perspective mondiale ouvre la possibilité d'une solution fondamen-tale et durable aux problèmes écologiques.

"Penser globalement, agir localement", dit l'une des maximes les plus célèbres du mouvement écologique. Mais pour penser globalement, rien de mieux qu'un mouvement global qui intègre l'apport de ses groupes locaux partout, dans tous les pays, dans toutes les régions. Quant à l'action locale, pour être efficace, elle doit s'insérer dans une stratégie d'ensemble conçue et mise en œuvre à l'échelle où le problème se pose, c'est-à-dire à l'échelle mondiale.

Tous ensemble ?

En fait, le rapport Bruntland constitue un plaidoyer pour la collaboration de classes à l'échelle mondiale et entre les forces sociales de chaque pays, sur la base des intérêts supposément communs à toutes les nations et toutes les classes sociales dans la préservation de l'environnement, comme le manifeste nettement son titre.

Cet appel à la collaboration de classes et à la coopération internationale ne plait guère aux faucons impérialistes et aux dinosaures conservateurs occidentaux, qui aspirent plutôt à imposer unilatéralement les politiques conformes à leurs intérêts en exploitant leur position de force dans le système. Mais la thématique verte peut facilement être récupérée par les politiciens bourgeois classiques, qui lisent les sondages et savent que les problèmes environnementaux sont devenus une des principales préoccupations des masses des pays occidentaux comme le prouve d'ailleurs le succès des partis verts européens.

Les forces bourgeoises les plus intelligentes ont d'ailleurs compris depuis longtemps le parti qu'elles pourraient tirer des questions écologiques pour trouver des justifications vertes aux politiques d'austérité capitaliste et pour délégitimer les revendications ouvrières. Quoi, vous voulez accroître votre consommation, quand les ressources mondiales sont déjà en voie d'épuisement et quand la majorité de la population du globe vit déjà dans une pauvreté abjecte ? Comme toujours, la collaboration de classes débouche sur l'exigence que la classe ouvrière laisse tomber ses revendications, car ce n'est pas la classe bourgeoise qui va renoncer à la défense de ses intérêts !

La recherche d'une collaboration de classes pour sauver l'environnement se heurte cependant à l'existence d'intérêts de classe fondamentalement divergents sur cette question comme sur les autres. En effet, la racine ultime de la dégradation écologique se trouve dans la recherche du profit privé, fondement même du mode de production capitaliste. Ceci crée en effet une contradiction entre le profit à court terme des entreprises privées d'une part, et l'intérêt à long terme de l'humanité d'autre part. Cette contradiction est évidente quand on se place du point de vue de l'entreprise qui emploie des produits chimiques toxiques et se trouve confrontée à deux possibilités : soit disposer de ces produits de manière à ce qu'ils ne soient pas nocifs pour l'environnement à des coûts élevés, soit les jeter dans la rivière à des coûts minimes. Inutile de préciser quelle option sera choisie. Et ce n'est même pas une question de mauvaise volonté ; il s'agit d'une contrainte économique pour les entreprises privées, car si elles ne jettent pas leurs produits toxiques dans la rivière, leur concurrent le fera.

On se trouve ici en présence de ce que les économistes néo-classiques appellent des "externalités", c'est-à-dire des frais ou des bénéfices qu'une entreprise donnée fait encourir à la société sans que cette dernière n'y soit pour rien. C'est l'un des rares cas où les adeptes du libéralisme économique traditionnel acceptent le principe de la réglementation gouvernementale, lorsque les coûts externes pour la société excédent les bénéfices internes pour les entreprises, polluant en l'occurence. C'était du moins le cas des libéraux classiques, car les " libertaires " de droite moderne préconisent plutôt une solution "de marché", à savoir que les victimes de la pollution paient les pollueurs pour ne pas polluer... logique, non ?

Mais la réglementation en régime capitaliste ne constitue jamais une solution réelle. Certes, nous sommes en faveur d'une réglementation sévère des industries polluantes (pour prendre cet exemple); nous sommes en faveur d'une application rigoureuse de ces réglementations. Mais en même temps, force est de reconnaître leur impuissance ultime, lorsque les incitations financières à polluer sont aussi puissantes. A moins de mettre un inspecteur gouvernemental derrière chaque entrepreneur industriel utilisant des produits toxiques, et un deuxième inspecteur derrière le premier pour s'assurer qu'il ne se laisse pas corrompre. On voit rapidement à quel monstre bureaucratique cela pourrait conduire. On en est bien loin de toute façon. Au Québec, la "police verte" du ministère de l'Environnement compte une soixantaine d'inspecteurs pour superviser l'usage d'environ trente mille produits toxiques dans trois mille entreprises différentes. Tout un contrat !

Par ailleurs, les gouvernements capitalistes eux-mêmes et leurs sociétés d'Etat sont souvent parmi les pires ennemis de l'environnement, car ils sont eux-mêmes soumis en dernière analyse à la même logique du profit privé qui anime toute la société bourgeoise. Par exemple, c'est la société d'Etat nationale. Hydro-Québec. qui est la véritable responsable de la catastrophe des BPC à Saint-Basile le Grand, sans parler de la baie James ou de la centrale nucléaire de Gentilly. Tout au plus les gouvernements peuvent-ils modérer les dégâts à coup de subventions ou réparer les pots cassés ici et là, quand l'indignation du public est devenue trop forte et trop dangereuse électoralement.

Il y a pourtant des inspecteurs tout désignés dans chacune des entreprises potentiellement ou réellement polluantes de tous les pays : les travailleurs et travailleuses de ces entreprises. Ils savent ce qui se passe, ils savent les risques pris avec l'environnement, parce qu'ils sont les agents quotidiens de la production capitaliste. Mais ils sont des agents subordonnés aux intérêts et au contrôle des propriétaires des moyens de production, que ce soient les groupes d'intérêt privés ou l'Etat capitaliste.

Pour résoudre le problème à la racine, il faut arracher le contrôle des entreprises aux intérêts capitalistes privés et le remettre aux travailleurs de chaque entreprise, dans le cadre d'une gestion démocratique de toute l'économie par la société dans son ensemble. C'est la seule façon de faire en sorte que les méthodes de production utilisées correspondent à l'intérêt réel et à long terme de la majorité ouvrière, et non aux intérêts privés à court terme d'une minorité capitaliste qui pratique la politique d'après moi le déluge, tout comme l'aristocratie devant la montée du capitalisme. Et ce sera littéralement le déluge avec l'effet de serre, qui provoquera la fonte des banquises de l'Arctique et de l'Antarctique et une montée de plusieurs mètres du niveau des océans, submergeant toutes les régions côtières de la planète.

La question écologique fournit donc l'illustration contemporaine sans doute la plus saisissante de l'alternative historique formulée au début du siècle par la révolutionnaire allemande Rosa Luxemburg : socialisme ou barbarie. Soit la classe ouvrière parviendra à instaurer son contrôle démocratique sur l'économie et la société pour les remodeler en fonction des besoins humains dans une perspective de long terme, soit le capitalisme ruinera l'avenir de l'humanité sur cette planète. Et les échéances se rapprochent !

Le contre-exemple des pays de l'Est

On nous rétorquera sans doute : la situation actuelle en URSS, en Chine, en Pologne et dans les autres pays de l'Est n'est-elle pas la preuve vivante du fait que les problèmes écologiques ne sont pas causés par le capitalisme en tant que tel, mais par la société industrielle tout court ? En effet, les courants écologistes qui rejettent également le capitalisme et le socialisme comme deux formes de productivismes aussi néfastes l'une que l'autre peuvent facilement s'appuyer sur l'exemple de l'URSS, où se sont produits certains des pires désastres écologiques dans l'histoire contemporaines.

Mais l'URSS d'aujourd'hui et les autres régimes de ce type ne sont justement pas des modèles de la société socialiste pour laquelle nous luttons. Ils sont le produit d'une révolution prolétarienne qui a renversé le pouvoir et la propriété de la classe bourgeoise dans ces pays, mais sans que la classe ouvrière ne parvienne à instaurer ou préserver son propre contrôle démocratique sur la société. Le contrôle réel est tombé aux mains d'une couche de bureaucrates privilégiés qui s'accrochent au pouvoir par tous les moyens, y compris par la violence contre les masses ouvrières et populaires si cela est nécessaire, en s'arrogeant un monopole complet à tous les niveaux, économique, politique, idéologique, et sur le plan de l'information. On a là les conditions idéales pour le développement d'un productivisme aveugle et d'un gigantisme industriel délirant, complètement destructeur de l'environnement et coupé de la satisfaction des besoins humains réels. Et ce d'autant plus que les contre-poids qui peuvent jouer dans les pays capitalistes pour freiner ou stopper tel ou tel projet anti-écologique ou imposer telle ou telle mesure progressive ne jouent pas dans ces sociétés où les bureaucraties répriment toute espèce de mouvement, ou du moins beaucoup plus difficilement.

Mais la IVe Internationale s'est justement fondée contre ce type de régime bureaucratique, dans la lutte pour les renverser et pour restaurer la démocratie ouvrière socialiste dans ces pays, en même temps qu'elle lutte pour le renversement du pouvoir bourgeois dans les pays capitalistes. Ce combat pour la démocratie socialiste que plusieurs pouvaient croire utopique acquiert maintenant une actualité brûlante dans des pays comme la Chine, la Pologne, l'URSS, et la perspective du renversement des bureaucraties au pouvoir dans ces pays devient maintenant une possibilité concrète.

Chose intéressante, la montée des mouvements de démocratisation dans les pays de l'Est s'est souvent accompagnée voire nourrie d'une prise de conscience des drames écologiques en cours dans ces pays et de la nécessité des les stopper face a l'irresponsabilité complète du pouvoir bureaucratique. Plusieurs victoires ont d'ores et déjà été enregistrées, comme la décision du bureau politique du Parti communiste d'Union soviétique d'annuler un projet démentiel de détournement de rivières en Sibérie, ou l'annulation par le gouvernement hongrois d'un projet de barrage sur le Danube, suite aux mobilisations du mouvement vert.

Ceci rejoint un autre aspect fondamental du programme de la IVe Internationale par opposition à d'autres courants se disant marxistes, à savoir son insistance sur la nécessite de la démocratie ouvrière socialiste. Contrairement à l'attitude affichée par les courants staliniens, cette dernière n'est pas un luxe petit bourgeois dont on pourrait se passer, voire une nuisance pour la "construction du socialisme" par une direction éclairée dépositaire de la ligne juste, mais une nécessite vitale pour préserver l'avenir sur le plan écologique comme sur les autres plans en s'assurant que le pouvoir politique soit véritablement redevable aux masses ouvrières dans ses actions et ses priorités, au lieu de les imposer unilatéralement pour le meilleur et pour le pire, trop souvent pour le pire.

La critique marxiste et l'alternative socialiste

L'incapacité du capitalisme à assurer un développement harmonieux et soutenu des forces productives a toujours été l'un des principaux arguments soulevés par les marxistes pour justifier son renversement, et les développements des quinze dernières années en apportent une nouvelle illustration. Mais de là a prôner le développement le plus rapide possible de la production comme l'objectif principal du socialisme, voire son contenu même, il n'y a qu'un pas franchi trop allègrement par la plupart des forces se réclamant du marxisme.

Depuis la polémique de Marx et d'Engels contre Malthus, les marxistes en général se sont fermement inscrits dans le camp des optimistes technologiques convaincus des possibilités illimités de la science. Le marxisme se revendiquait fièrement de la lutte amorcée par la bourgeoisie industrielle pour soumettre la nature à "l'Homme" avec un grand H, dans un scientisme sans réticence. Une des principales critiques portée au capitalisme résidait justement dans son incapacité présumée à développer les forces productives au-delà d'un certain niveau. La révolution socialiste était donc nécessaire... pour ouvrir la voie au développement illimité de la production sous le socialisme.

Cette distorsion du projet socialiste original s'est imposée d'autant plus que les premières révolutions prolétariennes ont eu lieu dans des pays relativement arriéres et non dans les pays les plus avancés, contrairement aux anticipations de Marx et d'Engels. Les nouveaux Etats ouvriers se sont donc retrouvés confrontes à des Etats impérialistes beaucoup plus puissants, ce qui les a conduit à développer leur base productive le plus rapidement possible au détriment d'autres préoccupations, qui paraissaient secondaires dans ces circonstances. Le stalinisme a fait le reste pour défigurer les objectifs initiaux du socialisme et les remplacer par le culte des indices de production.

Bien entendu, on peut trouver sous la plume de Marx, Engels et des autres grands auteurs marxistes bien des passages qui s'éloignent sensiblement du productivisme et du scientisme intégral dépeints ci-dessus, mais nul ne saurait nier que cela représentait bel et bien la vision dominante parmi les meilleurs représentants du marxisme au XXe siècle, parmi lesquels nous comptons évidemment la IVe Internationale. C'est cela que les mouvements écologistes sont venus remettre en cause en faisant prendre conscience des limites naturelles de l'écosystème planétaire et en forçant une reformulation du projet socialiste à la lumière des contraintes écologiques incontournables qui s'imposent à nous.

Mais cette nécessité de réviser la version scientiste et productiviste du projet socialiste véhiculé au XXe siècle constitue justement une bonne occasion de renouer avec le projet socialiste initial, celui de Marx et d'Engels. Car il ne s'agissait justement pas de rechercher la production pour la production ni de mettre un signe d'égalité entre le bonheur et la consommation matérielle. Il s'agissait de permettre aux êtres humains de développer pleinement leur potentialités comme personnes en les affranchissant des rapports de domination et d'oppression propres aux sociétés de classes, elles-mêmes fondées sur les contraintes matérielles engendrées par la pénurie.

Marx était convaincu en effet que le progrès technologique allait permettre de satisfaire pleinement les besoins humains tout en libérant l'humanité du travail monotone, répétitif, aliénant, épuisant caractéristique du capitalisme. Passé un certain point correspondant à la satisfaction des besoins humains, la croissance ultérieure des forces productives ne se traduirait plus par le gonflement du volume de la production, mais par la réduction du temps de travail et l'accroissement du temps libre, jusqu'à l'automatisation intégrale de la production, ultimement.

L'humanité serait alors sortie du règne de la nécessité pour entrer dans celui de la liberté. Face aux avatars du "socialisme réel", il nous faut revenir au projet socialiste initial, qui voulait émanciper l'humanité des contraintes matérielles et abolir la pénurie, pesant ainsi la base matérielle d'une société sans classe, libre et pleinement égalitaire. Le marxisme est productiviste uniquement dans le sens où il cherche le développement maximal de la force productive du travail humain, justement dans le but de libérer l'humanité du travail lui-même. Cela ne veut pas nécessairement dire le développement maximal du volume physique de la production matérielle; il s'agit de satisfaire les besoins humains fondamentaux, biologiquement et socialement déterminés. Au-delà de ce point, il n'y a guère de raisons d'accroître encore la production matérielle, et les progrès technologiques subséquents peuvent être consacrés à réduire encore davantage le temps de travail pour accroître le temps libre, jusqu'à l'automatisaton intégrale du travail.

Les percées récentes de la microélectronique et de la robotique ont donné à ces projections une nouvelle crédibilité sur le plan technologique, mais leur introduction sous contrôle capitaliste dans le cadre d'une économie de marché inverse complètement leur potentiel libérateur pour en faire des instruments supplémentaires d'asservissement et d'aliénation, ainsi que des causes de chômage. Mais il ne faut pas réagir à ces développements par une rechute dans le "luddisme", ce mouvement de destruction des machines par les artisans anglais au début du XIXe siècle. Ce qu'il faut chercher, c'est un maîtrise sociale de la technologie grâce au pouvoir ouvrier de manière à en tirer tout le potentiel libérateur.

Il est cependant nécessaire de compléter cette perspective classique du marxisme en repensant les modèles de consommation et d'habitat construits par le capitalisme avancé, centré notamment autour de l'automobile individuelle, la maison de banlieue et les gratte-ciel du centre ville, tous dispositifs parmi les plus anti-écologiques qu'on puisse imaginer, et impossible à généraliser sur l'ensemble de la planète, voire même à maintenir durablement dans les seuls pays développés. On voit l'ampleur de la restructuration à faire, qui passe par le développement du logement social, la diffusion spatiale des activités commerciales ou industrielles, le remplacement de l'automobile individuelle par le transport en commun, la bicyclette et pourquoi pas, la marche !

Les impératifs écologiques nécessitent aussi le bannissement pur et simple d'un grand nombre de produits, de techniques, de méthodes de production et même d'industries complètes intrinsèquement dangereuses et non-viables à long terme. au premier chef l'industrie nucléaire. D'où la nécessité d'une stratégie énergétique fondée sur les sources renouvelables et non plus sur l'épuisement des ressources non-renouvelables comme le pétrole. C'est même toute l'agriculture moderne qu'il faut repenser, car elle repose sur l'usage massif de ressources non-renouvelables sous formes d'engrais et de pesticides, tout en épuisant les sols à la longue. D'où la nécessité d'un effort de recherche considérable pour mettre au point des alternatives viables d'un point de vue écologique et valables d'un point de vue socialiste.

Il est vrai qu'il y a souvent tension entre les revendications immédiates du mouvement syndical et celles du mouvement écologique, surtout quand ce dernier milite pour la fermeture de telle usine polluante ou pour l'interdiction de tel produit dangereux, mais dont la production emploie des milliers de travailleurs. Ces contradictions ne peuvent trouver leur solution que sur le terrain d'une réorganisation économique d'ensemble qui prévoie la reconversion des usines et des productions dangereuses vers des activités viables du point de vue écologique. Mais on ne peut guère s'étonner de voir les travailleurs s'accrocher à leur emploi, même dangereux, car cela vaut encore mieux que le chômage !

On connaît les thèses à la mode voulant que la lutte de classes soit maintenant dépassée et que le mouvement ouvrier soit devenu anachronique, voire rétrograde relativement aux nouveaux mouvements sociaux qui se concentrent sur les enjeux réels de l'ère " post-moderne ", dont bien entendu la question écologique. Cette forme de conscience est assez répandue dans le mouvement vert lui-même, qui a longtemps fait face à l'incompréhension, voire l'hostilité des grands partis et syndicats ouvriers bureaucratisés face aux revendications écologiques, tout en des intérêts ouvriers légitimes en présence dans le cas des industries polluantes ou dangereuse. N'a-t-on pas entendu le chef du parti vert du Canada rejeter catégoriquement tout appui au NPD social-démocrate lors des dernières élections fédérales canadiennes dans les circonscriptions où il n'y avait pas de candidat vert, à cause des liens du NPD avec... les syndicats, qui allaient sûrement s'opposer aux fermetures d'usines polluantes!

Cependant, il ne faut pas perdre de vue que la refonte globale des rapports de production et de consommation à l'échelle mondiale que nécessite la survie du genre humain ne pourra vraiment avoir lieu qu'avec la mise en place d'un pouvoir politique décidé à procéder de la sorte. Et il n'existe pas cinquante-sept forces sociales capables de renverser la bourgeoisie dans la société contemporaine. Il y en a une, la classe ouvrière, hommes et femmes, en alliance avec les autres couches exploitées et opprimées dans la société. Loin de remettre en cause cette thèse centrale du marxisme, la crise écologique lui donne une nouvelle actualité. Certes, il faut aussi que le socialisme devienne écologiste, et la IV Internationale a mis ce point à l'ordre du jour de son prochain congrès mondial dans le but de mettre son programme à jour sur la question, en tirant profit des acquis importants du mouvement écologiste. Mais il faut aussi que ce dernier devienne socialiste, car c'est là que réside l'unique espoir de l'humanité.

Dans l'immédiat, dans les années à venir, dans les décennies à venir, il nous faut lutter pour préserver l'avenir de l'humanité sur cette planète face aux ravages écologiques du capitalisme en crise. Mais il nous faut aussi revoir le projet socialiste classique pour en faire un projet écologique, celui d'un monde qui vise la satisfaction des besoins humains dans le respect des équilibres naturels fondamentaux à l'échelle mondiale. Les revendications socialistes classiques en faveur de l'amélioration des conditions de vie et de travail de la majorité ouvrière et populaire doivent être repensés dans le sens de la refonte des modèles de consommation, dans la recherche d'un nouveau mode de vie qui mette l'accent sur des objectifs qualitatifs et non plus strictement quantitatifs. Les ressources technologiques gaspillées dans la production militaire doivent être consacrées à la mise au point de produits, techniques et procédés plus sécuritaires, moins énérgivores, plus économes en ressources. Bref, la transition au socialisme doit être reformulée dans le sens de la restauration d'un équilibre viable à long terme entre l'humanité et la nature.

Revue Quatrième Internationale n°34, août-octobre 1989

Notes:

l. Herman Kahn et Anthony Wiener. l'An 2000, Marabout, Bruxelles, 1967. Kahn, grand pionnier des jeux de guerre nucléaire sur ordinateur, aurait servi d'inspiration au personnage du Dr Strangelove dans le célèbre film du même nom par Stanley Kubrick.

2. Dennis Meadows, Donella Meadows, Jorgen Randers et William Behrens. The limits to Globe. New American Library, New York, 1972.

3. La dynamique des systèmes "Systems dynamics" cherche à simuler des processus complexes en quantifiant les rétroactions et interactions entre les variables impliquées dans ces processus, de façon à projeter leur évolution la plus probable dans l'avenir. Ces calculs peuvent facilement impliquer des centaines d'équations et des milliers de paramètres et sont faits par ordinateur, ce qui permet de tester l'impact de différents changements sur l'évolution des phénomènes étudiés.

4. Hugh Cole, Cristopher Freeman, Marie Jahoda. Karel Pawitt. l'Ami-MultIuis. Seuil. Paris, 1974.

5. Mihajio Mesarovic. Eduard Pestel, Stratégie pour demain. Seuil. Paris. 1974.

6.Jan Tinbergen (dir), Res/iaping thé International Order, Dutton. New York. 1976.

7. On trouve un exposé particulièrement strident de cet optimisme technologique aveugle et apologétique du capitalsime dans le dernier ouvrage de Herman Kahn (en collaboration avec Julian Simon), The Ressource in Earth. Basil Blackwell. Oxford. 1984. On y soutient sérieusement que l'énergie nucléaire compte parmi les activités humaines les plus sécuritaires et que la qualité de l'eau des Grands Lacs est maintenant " excellente " pour la pèche et la nage.

8. Sur ce plan, nous devons beaucoup aux travaux d'Immanuel Wallerstein : voir Capitalisme et Economie-monde, Flammarion, Paris, 1980. en deux volumes.

9. Herman Kahn, William Brown et Léon Martel. The 2000 years. William Morrow, New York, 1976. Il s'agit d'une tentative de réfutation du rapport Meadows qui tombe dans l'optimisme technologique le plus délirant. Les auteurs sont tous relies a l'appareil militaire américain, outre Kahn. connu pour sa contribution aux jeux de guerre nucléaire, Brown est spécialiste des stratégies militaires et Martel est décrit comme un politologue ayant travaillé dans le domaine de l'espionnage ("militiiry and political intelligence").

10. Ernest Mandel. "l'Apogée du néo-capitalisme et ses lendemains", dans Traité d'économie marxiste, T. 3, 10-18. Paris, 1969. p. 282.

11. Williams Vogt, Road to Sumvul. New York. 1948.

12. Our comming future. Oxford University Press. 1987. En français sous le titre \otre avenir à tous, éditions du Fleuve-publications du Québec. Montréal. 1988. Gro Harlem Brundtland est actuellement Premier ministre social-démocrate de Norvège.

13.Terence Corcoran. "Brundtland message lacks economic base, The Globe and Mail. Toronto, 14 juin 1989.

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