La Grande Grève de 60-61: Témoignages de militants révolutionnaires
Par André Henry, Lucien Perpette et Georges Dobbeleer le Samedi, 21 Juillet 2001 PDF Imprimer Envoyer

Nous avons demandé à une série de camarades du POS qui furent actifs lors de la grève 60-61 de nous exprimer leurs souvenirs. André Henry, militant syndical de longue date et a la riche expérience de luttes ouvrières, nous raconte comment il vécut cette grève dans la région de Charleroi. Nos camarades Lucien Perpette (ancien délégué SETCa à Cockerill) et Georges Dobbeleer (dirigeant des JGS et déjà membre de la rédaction de La Gauche à l'époque) quant à eux, ont vécu les événements dans la région liégeoise.

André Henry: La grève de 60-61 et l'enthousiasme à la base

La grève de 60-61 a été pour les jeunes militants ouvriers de l'époque et leur avant-garde d'une grande richesse en matière de combat et d'expérience. Deux générations différentes allaient se solidifier dans cette grève dite du siècle: celle d'avant-guerre, qui s'était forgée dans les grèves des années '30, dans la Résistance et dans la grève lors de la Question royale, et la nouvelle génération.

C'était, pour nous les jeunes, une joie que de combattre aux côtés de la génération expérimentée de nos aînés. Dans les diverses réunions et assemblées de grévistes, les interventions fusaient de toutes parts. On sait que la grève a démarré par le débordement des appareils. Dans le secteur verrier, c'est la verrerie Gobbe qui démarra la première, Gilly, Barnum et les autres suivirent. En 1960, près de 15.000 ouvriers étaient occupés dans le secteur de la verrerie, essentiellement dans le bassin de Charleroi.

Le jour même du démarrage de la grève, les travailleurs de toutes les entreprises allèrent en cortège pour se réunir à la Ruche Verrière de Lodelinsart. La salle étant trop petite pour contenir les grévistes, une bonne partie resta à l'extérieur, sur la place de la localité. Une décision fut prise à cette première assemblée générale, celle de réunir tous les jours les piquets de grève et d'organiser au minimum une fois par semaine une assemblée générale des grévistes. Ainsi, les piquets de grève faisaient quotidiennement le point sur la situation.

A la verrerie de Gilly, il y avait un certain nombre de jeunes travailleurs qui, depuis 1955-1956, militaient dans les JGS et les Jeunes métallos (mouvement de jeunesse FGTBiste qui n'existe plus aujourd'hui). Un bon noyau, dont je faisais partie, était membre des deux organisations. Nous étions dans toutes les réunions des piquets de grève car c'est de là que partaient pour ainsi dire toutes les initiatives et décisions à prendre. Il faut dire que, dans le cadre de la protection de l'outil, un nombre restreint de travailleurs étaient indispensables dans l'entreprise. Les comités de grève organisaient donc une tournante pour ces derniers. Ceux qui étaient désignés étaient en possession d'un laisser-passer avec le cachet de l'organisation syndicale. Personne d'autre ne pouvait travailler sans cette autorisation.

Les assemblées générales quant à elles étaient bien suivies par les grévistes. L'ambiance y était bonne. Il y avait pourtant des accrochages entre certains ouvriers encore inféodés à un syndicalisme corporatiste et les plus jeunes. Il faut savoir qu'en 1960, les syndicats des entreprises de fabrication de verre à vitre étaient affiliés à la FGTB mais restaient indépendants de toute politique au sein des appareils. Ils maintenaient toujours leur structure corporatiste et vivaient avec leur passé, glorieux certes, mais plus du tout adapté aux nouvelles méthodes de lutte nécessaires face à la centralisation du capitalisme. Ce n'est qu'en 1967 que l'ont intégra pleinement la FGTB

A la Maison du peuple de Gilly

La Maison du peuple de Gilly était un lieu particulièrement important de la lutte et ce pour plusieurs raisons. Gilly était une commune fort industrielle qui comportait tous les secteurs d'industrie. De ce fait, la Maison du peuple de Gilly fut toujours le théâtre des luttes d'avant et d'après-guerre. Mais c'était sa gestion qui lui donnait un caractère social tout à fait particulier. Elle était en effet gérée par les travailleurs eux-mêmes qui étaient actionnaires de l'établissement. Chaque année, une assemblée générale des actionnaires élisait le conseil d'administration dans la plus grande démocratie ouvrière.

Pendant toutes les années '30, la Maison du Peuple fut gérée par Léon Lesoil (*) et ses camarades. Elle fut gérée jusqu'à la fin des années '50 par ses anciens compagnons, mineurs et autres.

Chaque jour pendant toute la durée de la grève de 60-61, il y avait une assemblée de grévistes dans cette Maison du peuple de Gilly pour organiser, entre autres, les différents piquets de grève dans les entreprises. Dès 5 heures du matin, les piquets quittaient la Maison du peuple. Ils avaient préparé, la veille, une équipe de volontaires, hommes et femmes, qui faisaient du café, de la soupe ou autre nourriture chaude afin de réchauffer les grévistes. Une grande et belle solidarité et un grand dévouement se partageaient quotidiennement.

Il y avait beaucoup de débats l'après-midi et le soir, surtout lorsque nous revenions d'une manifestation telle que celle où les gendarmes chargèrent les grévistes dans la ville haute de Charleroi. Nous, le groupe des jeunes militants que nous étions, prenions souvent la parole dans ces débats. Nous nous réjouissions lorsque les anciens mineurs et compagnons de Léon Lesoil prenaient position avec nous ou nous défendaient dans les débats. C'était pour nous une école de grande formation politique et syndicale.

La reprise à Glaverbel

Si, pour beaucoup de travailleurs, la reprise du travail fut triste et amère, celle des travailleurs de Glaverbel fut pénible. Pendant la grève, un incident était survenu au four de Glaverbel-Gilly. L'arrêt pour réparation fut annoncé aux organisations syndicales. La direction de Glaverbel mit comme condition du rallumage la retenue de 1% sur les salaires en cas de prochaine grève sauvage. Ce pour cent de retenue sur les salaires devait servir au paiement des réparations du four sur une période de 5 ans.

En plus de cette retenue, tous les travailleurs durent signer un nouveau contrat de travail ce qui leur faisait perdre toute leur ancienneté. Les organisations syndicales et les travailleurs durent accepter ces propositions. La signature des nouveaux contrats de travail se fit au siège social de l'entreprise à Charleroi avec une haie imposante de gendarmes ceinturant les travailleurs. Ce fut dans ces conditions provocatrices et humiliantes que, les larmes aux yeux, les travailleurs durent signer leur nouveau contrat de travail.

Néanmoins, ils surent remonter la pente à travers la naissance d'une nouvelle avant-garde qui sut tirer les leçons et les enseignements de la grève et repartir ainsi pour de nouvelles conquêtes. Cette nouvelle avant-garde, regroupée en grande partie autour du bulletin « La Nouvelle Défense », allait apporter un nouveau souffle, une nouvelle méthode de lutte.

La Gauche janvier 2001

(*) Léon Lesoil fut l'un des principaux fondateurs du Parti communiste en Belgique. Il fut exclu de ce dernier pour trotskysme en 1927. Il sera un dirigeant de la section belge de la IVe Internationale (PSR). Arrêté par les nazis en 1941, il meurt en déportation dans le camp de Neuengamme en 1944.

Lucien Perpette: Une alternative de pouvoir

Comment as-tu vécu le début de la grève ?

Lucien Perpette: L'atmosphère était dominée par la question de la modernisation de l'industrie belge. L'aile gauche de la FGTB avait réussi à faire passer au congrès du syndicat un projet de mutation de l'économie, les fameuses réformes de structures, afin de mettre de l'ordre dans la gestion désordonnée de l'économie capitaliste. La bourgeoisie avait également son projet de modernisation et elle voulait imposer le financement de celui-ci par la réduction des avantages sociaux de la classe ouvrière (pensions, etc.), d'où le projet de « Loi Unique » présenté par le Premier ministre Eyskens

Face à ce projet, la FGTB et le PSB ont lancé une vaste campagne pour conscientiser les travailleurs (ce fut « l'Opération vérité ») avec des meetings, d'énormes rassemblements et des arrêts de travail rassemblant des milliers d'ouvriers.

Que faisais-tu à l'époque ?

L.P: Après mon service militaire, j'ai été engagé au laboratoire central de l'usine Ferblatil du groupe Cockerill. Au moment de la grève, j'avais 26 ans. Militant syndical, j'étais en contact permanent avec la délégation ouvrière de l'usine. A cette époque, les métallurgistes étaient véritablement le fer de lance du mouvement ouvrier belge et à l'avant-garde des revendications sociales. Un seul exemple : aujourd'hui il paraît tout naturel de bénéficier du double pécule de vacance. Mais c'est grâce à une grève de trois semaines des métallos en 1957 que ce droit a été obtenu.

Comment s'est déclenchée la grève dans ton usine ?

L.P: Grâce à « l'Opération vérité », la colère ouvrière et le désir d'agir étaient énormes. A Ferblatil, il n'y avait pas de mot d'ordre de grève. La Jeune Garde Socialiste - dont j'étais membre - avait distribué des tracts et des affiches appelant à la grève générale. Renard était plutôt d'avis - et je pense qu'il avait raison - d'attendre que les conditions soient mûres dans tout le pays et de mener ainsi une « préparation à la grève générale ». Mais la pression était énorme. Je me rappelle d'avoir été plusieurs fois interpellé par des collègues ; «alors, quand est-ce qu'on part en grève?».

Le 20 décembre, des employés communaux de Seraing, déjà en grève, sont venus à l'usine et les travailleurs ont spontanément arrêté le travail. Avec des délégués syndicaux communistes, nous avons embrayé et suivi le mouvement. Des phénomènes semblables se sont également passé ailleurs et très vite tout le travail était arrêté dans le bassin industriel liégeois. Quelques jours plus tard, il y eut une énorme concentration des grévistes à la Place Saint Paul à Liège.

Quelle a été ta participation à cette grève ?

L.P: Au début, je me souviens d'avoir été avec un groupe de grévistes et de cheminots liégeois, chargés sur des camions de l'Union coopérative, à la gare d'HasseIt pour y faire débrayer les cheminots du coin. On a aidé les cheminots liégeois a «vider les cendriers» des locomotives à vapeur, ce qui les rendait inutilisables pendant un bon moment, mais c'est une opération délicate et dangereuse!

A part ça, je participais évidemment aux piquets de grève à Sclessin et on assurait la discipline de la grève. Il y avait peu à faire tant l'arrêt de travail était généralisé. Et bien entendu, je participais aux nombreuses manifestations, mais pas celle qui a vu la destruction de la Gare des Guillemins parce que ce jour-là, j'étais trop épuisé! Et quel froid il faisait, c'était un des hivers les plus rudes !

Les gens étaient très résolus. A Liège, on avait vraiment le sentiment d'être une force quasi-irrésistible et on avait conscience de notre capacité de changer la société. Il y a avait l'ébauche d'une alternative de pouvoir. « La Gauche » avait ainsi lancé le mot d'ordre de fédération des comités de grève. C'était réaliste, mais cela ne s'est pas concrétisé.

A la fin du mouvement, lors d'une des dernières manifestations, à Ivoz-Ramet, avec quelques camarades de « La Gauche », on criait sans arrêt le mot d'ordre «A Bruxelles!». Il y avait un débat sur les perspectives et nous défendions le projet d'organiser une Marche nationale sur Bruxelles. Mais la majorité, entraînée par André Renard, n'en voulait pas et mettait en avant la voie du fédéralisme. J'ai été l'un des derniers à crier encore «A Bruxelles » et Renard m'a alors joliment cloué le bec.

Par la suite, on a vu que si les syndicats avaient marché sur Bruxelles, le gouvernement aurait capitulé. Mais bon, les divergences de stratégies dans une grève, c'est normal et, si je crois que Renard aurait dû lancer le mot d'ordre de marcher sur Bruxelles, cela ne diminue en rien la profonde estime que j'ai envers lui.

Selon toi, quel a été l'impact de cette grève ? Quelles différences vois-tu avec la période actuelle ?

L.P: L'impact émotionnel a été très grand. Cette grève à marqué une élévation importante de la conscience de classe des ouvriers et son éveil parmi des couches de travailleurs qui n'y étaient pas « disposés ». L'un des effets de la grève a été une augmentation spectaculaire du taux de syndicalisation qui n'était, dans la métallurgie par exemple, que de 10% en moyenne avant cela. Cela a eu une grande influence sur les luttes ouvrières des années '60 et 70. Aujourd'hui, la mutation de la société est plus que jamais une nécessité. Même si l'influence des vieux bastions ouvriers a diminué, la nécessité de changer la société reste actuelle.

Interview par Ataulfo Riera, La Gauche janvier 2001


Goerges Dobbeleer: 60-61 : il y a 40 ans...

En juin puis en automne 1960, le PSB organise des meetings où il diffuse les idées du programme de réformes de structures - anticapitalistes précisions-nous - adopté par le congrès extraordinaire de la FGTB en 1956. C'est à ce moment que le gouvernement Eyskens dépose à la Chambre, le 4 novembre, son projet de «Loi Unique » qui porte gravement atteinte au statut des agents des services publics.

Le 9 novembre, à Liège, se tient un congrès de l'Action commune (PSB et FGTB) présidé par André Renard. La mobilisation des travailleurs s'annonce : les régionales wallonnes de la FGTB décident d'une journée d'action le 14 décembre.

Une autre bataille

Les Jeunes Gardes Socialistes - dont j'étais membre - sont à cette époque l'organisation officielle des jeunes du PSB et ils ont un nombre appréciable d'affiliés. Depuis le début de l'année '60, ils font un effort considérable de sensibilisation du parti aux problèmes militaires. Le programme d'action des JGS est avant tout marqué par la solidarité avec la montée révolutionnaire dans les pays coloniaux, qui vient de culminer avec la victoire de la révolution cubaine, et par l'antimilitarisme. Les slogans «Quittons l'OTAN » et «Plus d'armée en Belgique » retentissent dans les cortèges du Premier mai et ont un certain écho parmi les travailleurs.

Un congrès du PSB, prévu pour les 17 et 18 décembre, doit préciser la position du parti à ce sujet. La fédération régionale liégeoise du parti - la plus nombreuse -prépare ce débat avec soin. Les militants JGS de Liège, et spécialement Claude Thiry et moi-même, obtiennent dès septembre que, face aux rapporteurs du texte du bureau du parti, ils puissent présenter un contre-rapport devant les assemblées. La radio nous interviewe et un débat démocratique s'amorce.

Le samedi 10 décembre, après bien des réunions locales, l'assemblée régionale du parti repousse par 70% voix le rapport soutenu par les députés Georges Dejardin et Jean-Joseph Merlot et adopte le point de vue des JGS, qui crient victoire. Une semaine plus tard cependant, au congrès national, 24% eulement des mandats soutiendront la position des jeunes.

La JGS, La Gauche et la grève

Les JGS n'avaient donc pas été aussi attentifs que les autres militants ouvriers à la menace que représentait la loi unique. Bien sûr, ils vont très vite changer leur fusil d'épaule - un «fusil brisé » (symbole de la lutte antimilitariste des JGS, NDLR), cela va de soi - et s'investir dans la préparation de la riposte ouvrière.

L'isolement des mineurs borains et l'échec de la grève presque insurrectionnelle du Borinage en février '59 avaient laissé dans la classe ouvrière wallonne un sentiment de gêne, de culpabilité même. «On n'a pas mené bataille alors mais on se lancera dans l'action dès que l'occasion se présentera » était une opinion répandue.

Le mercredi 14 décembre, la place Saint-Lambert est envahie par plus de 50.000 manifestants partis en cortèges des grandes usines, surtout métallurgiques et sidérurgiques de la banlieue liégeoise. André Renard leur tient un discours ferme. Mais cet «avertissement » spectaculaire ne permettra pas à celui-ci, le surlendemain, d'obtenir la majorité au comité national élargi de la FGTB en faveur d'un plan d'action étalé sur les premiers jours de janvier.

Cependant, le 20 décembre, commence la grève des agents communaux de la CGSP et des cheminots. Les enseignants suivent le lendemain. Le 20 décembre aussi, aux ACEC à Charleroi et à Cockerill à Ougrée et Seraing, les ouvriers débraient sans attendre de mot d'ordre syndical. Notre camarade sidérurgiste Edmond Guidé - militant de l'organisation trotskyste clandestine puisque nous étions toujours «entristes» au PSB - et quelques autres travailleurs très actifs déclenchent la grève dans la sidérurgie liégeoise. André Renard, qui ne veut pas être débordé par sa base, fera comparaître Guide au début de 1961 devant une commission de discipline syndicale.

Le mouvement se généralise en Wallonie. Fin décembre, meetings et manifestations vont se succéder et La Gauche connaîtra des tirages énormes et des ventes spectaculaires. Pendant la dernière semaine de 1960 cependant, je ne participe pas personnellement à ces activités : le Vie Congrès mondial de la IVe Internationale s'est ouvert près de Dortmund en Allemagne et je suis l'un des délégués de la section belge à y participer. Nous sommes même chargés de présider la séance inaugurale en hommage à la prestigieuse grève générale en cours.

Rentré à Liège le 31 décembre, je replonge dans l'action et nous nous retrouvons chaque jour pour vendre La Gauche, soutenir des manifestations, agir au sein du PSB pour que la grève soit victorieuse.

Début du mois de janvier

II y a des matinées très froides où nous avons les mains congelées en distribuant des tracts JGS ou en vendant La Gauche. Je me souviens que notre camarade Arlette Dupont, qui fut ensuite enseignante à l’Insas à Bruxelles, dut un matin se réfugier dans un café pour éviter d'avoir des gelures au doigts.

Les matinées des 5 et 6 janvier, nous étions quelques enseignants à faire le piquet devant le lycée communal de Waha à Liège. Détail amusant : un père - un commerçant - veut à tout prix que sa fille puisse entrer et nous injurie. Des policiers de Liège surviennent mais, loin de le soutenir, l'invitent fermement à «ne pas troubler l'ordre public » !

Le grand meeting de Renard, place Saint-Paul, le vendredi 6 janvier, se prolonge par la manifestation devant la Gare des Guillemins où travaillent de rares «jaunes». Les vitres de la Gare en feront les frais mais la gendarmerie tire et deux ouvriers sont tués ce jour-là. Une troisième victime tombera à Chênée deux jours plus tard.

C'est au meeting de Chênée aussi qu'André Renard répondra à notre proposition écrite en gros titre dans La Gauche datée du 7 janvier : «Marche sur Bruxelles !» comme en 1950. Renard repousse cet objectif - qui aurait pu cependant effrayer assez le gouvernement pour le faire reculer - et il menace par contre le patronat de «l'abandon de l'outil », c'est-à-dire de laisser s'éteindre les hauts-fourneaux. Menace sans suite et dont les effets auraient d'ailleurs pénalisé tout autant les travailleurs...

Le lundi 9 janvier, la gendarmerie parvient à disperser certains piquets de grève. Au lycée Waha plusieurs de mes camarades du piquet sont embarqués par les gendarmes et passeront 24 heures à la caserne de Vottem. D'autres arrestations ont lieu en divers endroits. Par exemple notre camarade Mathé Lambert passera une semaine en prison à Bruxelles.

Le PSB au gouvernement

La grève s'achève - «ni victoire ni défaite » diront les syndicalistes - par l'adoption de la loi unique et par la tenue d'élections le 26 mars. Au congrès régional de Liège du PSB le 20 avril, Jean-Joseph Merlot emporte la majorité et, face à une salle houleuse, fait accepter une participation de son parti à un gouvernement PSB-PSC dont Spaak sera l'un des deux leaders.

Ce soir-là, nous constatons que notre tendance de gauche est redevenue une minorité sur la défensive. Et le congrès national du PSB, en adoptant l'entrée dans un gouvernement qui présentera bientôt une loi anti-grève, préparera en fait celui de décembre 1964 dit « des incompatibilités » qui exclura toute l'aile gauche du parti socialiste.

«La grève du siècle » marquera toute une génération ouvrière en Wallonie mais n'aura pas débouché, comme nous l'espérions, sur une situation pré-révolutionnaire. Dès le 22 décembre 1960 cependant, une esquisse de double-pouvoir existait à Liège où des laisser-passer étaient octroyés parcimonieusement à des automobilistes par la FGTB. Le journal « La Wallonie », dirigé par André Renard, publiait à ce même moment une affiche adressée aux soldats : «Soldats, ne soyez pas des traîtres à votre classe. Souvenez-vous que les grévistes sont vos parents, vos frères, vos amis. Fraternisez avec eux ! ».

La grève belge de 60-61 aura tout de même été une lutte exemplaire de la spontanéité des travailleurs mais sans une direction révolutionnaire mûrie en leur sein, ceux-ci ne pouvaient remporter la victoire.

Georges Dobbeleer,

Membre de la section belge de la IVe Internationale depuis 1954, il a notamment longtemps exercé plusieurs responsabilités syndicales au sein de la CGSP-Enseignement, La Gauche janvier 2001.

Voir ci-dessus