9 questions et 9 réponses sur la montée du Blok
Par Vincent Scheltiens le Samedi, 21 Octobre 2000 PDF Imprimer Envoyer
Le résultat le plus marquant et inquiétant des élections du 8 octobre est la progression des scores du Vlaams Blok. A Anvers, la "coalition monstre"n'a pas pu empêcher la bande a Dewinter de gagner 5% de voix en plus. Beaucoup de progressistes et d'antiracistes sont déboussolés et se sentent désarmés face à cette nouvelle percée électorale du Blok. Comment expliquer I'échec de I'endiguement de la peste brune? Comment inverser la tendance? La rédaction de La Gauche veut apporter ici une contribution à ce débat décisif a travers 9 questions et 9 réponses sur la montée Vlaams Blok.

1. Quel genre de parti est le Vlaams Blok? Est-ce un parti fasciste?

Le Vlaams Blok est un oiseau rare au sein de I'extrême-droite europeenne. Ce n'est pas seulement un parti nationaliste réactionnaire, un parti populiste de droite, un parti ethnique ultra-conservateur, un parti qui crache son venin xénophobe. Le Vlaams Blok est tout cela à la fois. Tous ces aspects sont des éléments chez lui d'un programme fondamental cohérent basé sur le solidarisme, la négation des classes sociales, la lutte active contre le mouvement ouvrier organisé.

Ce qui prime pour le Vlaams Blok, c'est la communauté populaire mono-ethnique - ce qui veut dire que, dans la sphère socio-économique, patrons et travailleurs sont censés collaborer dans le même but. Semblable en tout point au fascisme historique, le Vlaams Blok se construit comme un facteur autonome. Il ne recule pas devant la démagogie sociale pour conquérir des partisans dans la classe ouvrière, mais mise sur le soutien de la classe dominante pour parvenir au pouvoir.

Contrairement aux années 20 et 30, la bourgeoisie n'opte pas aujourd’hui pour le fascisme, nulle part en Europe. La conjoncture économique ne le nécessite pas, les marges de profit ne sont pas menacées. La collaboration de classe avec la social-democratie ainsi qu'avec les bureaucraties syndicales marche a la satisfaction des patrons. D'autre part, le fascisme (1'holocauste) est encore frais dans les mémoires, et, par son nationalisme, il va a I'encontre de l'idéologie pseudo-internationaliste qui accompagne le projet d'intégration européenne. Contraint et forcé, le Vlaams Blok s'adapte a cette situation. II opte pour une stratégie purement électorale, et pas pour la confrontation physique avec le mouvement ouvrier organise ou des parties de celui-ci.

Le Blok est en effet un parti fasciste, mais il opère dans une conjoncture qui ne lui permet pas d'appliquer son projet. Ceci, et le fait que le fascisme à déjà été au pouvoir, incite le Vlaams Blok à moderniser son fascisme, donc à prendre ses distances avec le terme "fascisme". Sur ce plan, le Vlaams Blok a assimilé avec succès les leçons de la Nouvelle Droite française d'Alain de Benoist. Du point de vue du personnel il y a d'ailleurs une grande différence entre les figures dirigeantes du Blok - qui ont toutes fait leurs armes dans des organisations fascistes plus militantes - et les électeurs de ce parti. II y a aussi une grande différence entre le programme historique du Blok et les intérêts de la masse de ses électeurs.

2. Comment expliquer que le Blok perce aussi dans des régions rurales et des quartiers chics?

II est exact que l'électorat du Blok ne se limite pas a certains quartiers pauvres des grandes villes. Mais c'est là qu'il a perce électoralement (et c'est obligatoirement là qu'il devra être battu si on veut inverser la tendance). Entre-temps, comme une tache d'huile, il s'étend sur toute la Flandre. On peut citer différentes raisons. La plus importante nous semble être - et on voit ce phénomène à l’oeuvre ailleurs en Europe - que les gens qui ont un tout petit peu de confort votent Vlaams Blok par un réflexe conservateur de défense de leurs acquis, en espérant ainsi que les phénomènes urbains négatifs, qui leur font peur, ne viendront pas créer I'instabilité et l’insécurité chez eux. II n'est donc pas nécessaire d'être confronte directement et personnellement a la crise sociale des grandes villes pour voter Vlaams Blok. De toute manière, les médias se chargent d'amener les images de cette crise dans tous les foyers, y compris dans les quartiers chics et tranquilles.

II faut y ajouter que le Vlaams Blok a pignon sur rue: ses portes-paroles passent régulierement à la télé, à la radio, ce qui joue dans le sens de sa banalisation. Surtout auprès des gens qui pensent que les partis traditionnels sont trop laxistes pour défendre les acquis contre « l’insécurité». A partir d'un certain moment, le Vlaams Blok devient une sorte de fétiche avec lequel les trouillards peuvent "punir" la classe politique discrètement, dans le secret de l’isoloir, parfois pour les raisons personnelles les plus futiles. On ne brisera pas le Vlaams Blok en commençant par cette catégorie d'électeurs. Il faut le casser là ou se trouve sa colonne vértébrale, là ou tout a commencé, dans les grandes villes.

3. Ne vaudrait-il pas mieux que le Vlaams Blok se brûle au pouvoir? Le cordon sanitaire semble inefficace.

Non! Dans une ville où le Vlaams Blok arriverait au pouvoir il privatiserait encore plus de services publics, supprimerait encore plus de subsides, introduirait encore plus la tolérance-zéro au niveau policier. Pour flatter sa propre base, le Blok prendra une série de mesures hautement symboliques (rebaptiser des rues en leur donnant le nom de leurs "héros"). II prendra des mesures contre la communauté immigrée et les associations progressistes. A partir de là, la banalisation sera complète et toute conscience historique sur le danger du fascisme risque de disparaître.

En premier lieu cela donnera une droitisation encore plus poussée. En deuxième lieu il y aura de réelles victimes (immigrés, demandeurs d'asile, jeunes, associations progressistes...). Cela, nous devons l'éviter a tout prix. Sinon, cela signifierait tout simplement que nous sacrifierions le bien-être et les possibilités de développement de ces gens. Nous ne sommes pas en train de jouer une petite partie d'échecs sans conséquences. C'est d'hommes et de femmes qu'il s'agit.

Et le Blok n'en restera pas la. La droitisation et les atteintes aux droits démocratiques se tourneront ensuite centre tout le monde. Et la résistance sera encore plus difficile car les rapports de forces seront modifiés en notre défaveur. Non seulement les marges démocratiques se rétréciront, mais en plus le recul de la conscience politique aura des répercussions catastrophiques.

Le cordon sanitaire tient le Blok a l'écart du pouvoir, pour le moment. Appliqué strictement, il devrait permettre de tenir le Blok à l'écart aussi des discussions politiques, mais ce n'est nullement le cas. En soi, le cordon sanitaire n'endigue pas le Blok, ni organisationnellement, ni électoralement. Pire: le Blok exploite l'ostracisme dont il est "victime" pour se présenter comme un martyr. Le cordon sanitaire doit absolument être maintenu, et même renforcé, mais le Blok ne sera pas endigué tant qu'on ne mènera pas une autre politique sociale.

Comme le montrent les chiffres, la politique néolibérale actuelle donne des ailes au Blok. Si, en plus, un certain nombre de thèmes du Blok sont repris par les autres partis, alors l'électeur du Blok se sentira encourage et confirme dans son choix. Voyez la politique d'asile: les centres fermes et les expulsions par charter étaient à l'origine des revendications du programme en septante points du Blok, avant d'être des axes de la politique gouvernementale.

Si le Vlaams Blok arrivait au pouvoir dans la conjoncture actuelle, cela ne signifierait pas que nous connaîtrions une dictature fasciste. D'autres partis politiques continueraient à exister, des syndicats et des associations resteraient actifs. Tactiquement d'ailleurs, le Vlaams Blok jouerait finement et mettrait tout en oeuvre pour prouver à l'establishment qu'il est capable de gouverner dans l'intérêt de celui-ci.

4. Tous les partis ne feraient-ils pas mieux de collaborer contre le Blok?

Non, car cela aussi donne raison au Blok. Cela accrédite l'idée qu'il n'y a plus de gauche, ni de droite, ni de classes sociales. Et cela donne au Blok le monopole de l'opposition. Contrairement a ce que pensaient maints observateurs dans le vent, la "coalition monstre", a Anvers, n'a pas arrêté le Blok. Ces commentateurs attribuent à présent cette défaite au fait que la coalition n'a pas donné l'image d'une politique déterminée et résolue. C'est exact.

Mais pourquoi? Parce que les demandes divergentes que les différents électorats adressent a leurs partis ont dû être amalgamées dans un même programme vaguement consensuel. Que se passe-t-il dans ce genre de cas? De telles coalitions se basent sur le plus grand dénominateur commun, qui n'est autre que la politique néolibérale. Or cette politique fait le jeu du Blok. On s'en aperçoit aussi au fait que seuls le Blok et le VLD progressent: le SP et Agalev reculent, en dépit du mauvais score du CVP.

La droite profite de la pression de l'extrême-droite pour glisser encore plus à droite. C'est pourquoi, à Anvers aujourd'hui, le thème de la "sécurité" est le premier à occuper les débats pour une nouvelle coalition. Le SP et Agalev ne disent pas non, parce qu'ils n'ont pas de propositions alternatives et s’imaginent - comme de vrais politicards - que, dans une telle coalition, chacun pourra marquer des points a son tour. Pour endiguer le Blok, il faut 1°) un cordon sanitaire sévère, 2°) un effort commun de la gauche pour mener une politique sociale de gauche, au bénéfice de chacun et chacune.

5. Seule la petite gauche peut vaincre le Blok?

La gauche radicale, en soi, est faible et divisée. Cette division commence à devenir vraiment criminelle face a un Blok a 33% a Anvers. Il faut y faire quelque chose, d'urgence. Il faut une rupture avec la pensée unique néolibérale, une alternative anticapitaliste. Aujourd'hui, seules les formations de la gauche radicale disent cela. Mais même une gauche radicale surmontant ses divisions ne serait pas très crédible électoralement. En soi, ce n'est pas cela qui barrera la voie au Blok à grande échelle.

La grande majorité des gens de gauche restent d'ailleurs autour du SP ou d'Agalev, ne fut-ce que pour des raisons de "moindre mal" et de vote utile par rapport au Blok. La gauche radicale doit donc aussi tenter de mettre sous pression les directions, les membres et le public du SP et d'Agalev, des deux syndicats, pour qu'ils rompent avec la politique néolibérale, qu'ils abandonnent la collaboration avec la droite. Pour isoler le Blok, on a besoin d'une alliance de tous les "démocrates", mais pour inverser le courant on a besoin d'une force clairement de gauche qui mène une politique vraiment de gauche. Dans la mesure ou la gauche radicale tracera la perspective d'une telle version moderne du front unique ouvrier, ou bien on fera des pas en avant dans ce sens, ou bien la base du SP et d'Agalev tirera ses conclusions.

L'essentiel dans cette tactique est la mise sur pied de mobilisations larges communes: autour d'un plan d'urgence sociale, autour des moyens financiers pour un tel plan, autour du droit de vote pour tous, autour de I'approfondissement des droits et libertés démocratiques en général. En bref, le succès réside dans la lutte sociale et démocratique centre le néolibéralisme qui fait le lit du Blok.

6. Ne ferait-on pas mieux d'interdire le Vlaams Blok?

Mettre hors la loi un parti qui représente 15% des électeurs et qui est le troisième parti de l'échiquier flamand, c'est s'y prendre un peu tard. Mais c'est aussi et surtout contre-productif. On évacue le problème, mais pas le mécontentement qu'il exprime. Ce qu'il faut, c'est combattre à la racine les causes de ce mécontentement. Il n'y a pas de raccourcis dans cette lutte. Réclamer l'interdiction, c'est adopter une attitude passive, s'en remettre aux instances de l'Etat et avoir des illusions sur leur impartialité. Les critères qui seront utilisés par l'Etat sont à double tranchant.

S'ils se basent sur la Constitution, par exemple, cela pourrait signifier l'interdiction de toute organisation qui refuse la propriété privée des moyens de production, ou qui veut abolir la monarchie, par exemple. L’histoire nous apprend que ce genre d'interdiction ne sert a rien. Sous Bismarck, au 19e siècle, une loi antisocialiste a été adoptée qui à poussé la social-démocratie à la clandestinité en Prusse. Quand cette loi a été abrogée, quelques années plus tard, la social-démocratie était plus massive que jamais. Parce que le terreau du SPD ne pouvait pas être interdit.

La même chose vaut pour l'interdiction des partis communistes par les dictatures dans le Sud de l’Europe (Franco en Espagne, Salazar au Portugal, les colonels en Grèce). Là où des partis d'extrême-droite ont été interdits récemment (Allemagne), où là où on ne leur laisse pas de marge de manoeuvre (Suède, Pays bas) on voit que l’action d'extrême-droite se déplace vers la violence de rue anonyme dont les immigrés, les jeunes, les homosexuels, les syndicalistes sont la cible.

Au lieu d'attendre passivement une interdiction légale du Blok, il faut mobiliser le plus largement centre les activités du Blok et essayer d'empêcher celles-ci de se dérouler, en s'armant de notre propre programme de revendications.

7. Quelle attitude faut-il avoir vis-à-vis des gens qui votent Vlaams Blok?

Il faut faire une différence importante entre la nature du Blok et son personnel politique, d'une part, et le gros des électeurs, d'autre part. Ces électeurs ne sont pas des fascistes, la majorité ne sont pas racistes, même s'ils sont la proie de préjugés racistes. Dans les grandes villes, il s'agit plutôt de gens qui, par suite de la crise sociale globale, de la dissolution des liens sociaux et de la perte de leur identité sociale se laissent séduire par la pseudo-identité artificielle que le Blok leur offre aux dépens d'autres gens qui sont dans la même situation qu'eux. Il ne faut pas mépriser ces électeurs, ne pas avoir une attitude paternaliste, ne pas chercher à rétablir leur confiance dans "le politique".

Nous devons sortir de l'anecdote, avancer des revendications sociales concrètes aussi radicales que généreuses, qui ouvrent des perspectives à tous et toutes , Belges et non-Belges, et qui incitera à l'auto-activité contre les vrais responsables. Ceci ne signifie pas que "le Blok poserait les bonnes questions mais donnerait les mauvaises réponses". Le Blok pose les questions de manière totalement fausse, en les tirant de leur contexte social.

8. Le Blok serait-il antinéolibéral, voire même anticapitaliste, comme le prétendent les militants du NSV (l’organisation étudiante nationaliste)?

Le Vlaams Blok est très néolibéral et extrêmement pro-capitaliste. Il plaide pour une baisse de la norme salariale, veut supprimer les conventions collectives, diminuer encore plus les cotisations patronales à la sécurité sociale, prélever moins d'impôts sur les sociétés, privatiser d'avantage, généraliser le système de pension par capitalisation,...

A côté de cela, il y a la démagogie sociale, quoique le "progrès social" qu'il promet est réservé uniquement aux membres du "propre peuple", en particulier à ceux qui ont beaucoup d'enfants. Le Vlaams Blok recourt très peu à la démagogie anticapitaliste qui caractérise les partis fascistes classiques. Cet anticapitalisme de pacotille est plus présent dans des organisations périphériques, comme le NSV justement.

De toutes manières, cette dimension "anticapitaliste", voire "révolutionnaire" disparaît dès que les partis fascistes sont au pouvoir. Ceux qui s'y sont laisse prendre ont été impitoyablement éliminés (comme Röhm, les frères Strasser et les SA lors de la « Nuit des Longs Couteaux »).

Le fascisme gagne d'ailleurs sa base de masse parmi les classes moyennes paupérisées par la crise économique capitaliste, ainsi que parmi les couches les plus pauvres de la classe ouvrière. Mais, une fois au pouvoir, il sert les intérêts du grand capital.

9. Toute cette attention portée au Vlaams Blok ne lui fait-il pas de la publicité?

Encore une fois, il est un peu tard pour adopter une telle attitude. Avec ses 50.000 voix de preference, Dewinter est le plus populaire à Anvers. Les médias portent certes une responsabilité parce que, à partir de considerations "démocratiques", ils ont un jour décidé de lui donner la parole, à lui et à ses amis. Mais le silence ne résout rien. L'ancien bourgmestre d'Anvers, Bob Cools, a essayé cette méthode et cela n'à rien donné. II faut continuer à les démasquer, à les combattre.

Qui veut combattre efficacement le Blok ne peut esquiver le point central: quoique l'on essaie (interdire, taire, dénoncer, démasquer), rien n'aura d'efficacité réelle tant que la gauche n'opposera pas au capitalisme néolibéral une alternative anticapitaliste aussi militante, aussi radicale que l'alternative nationaliste du Vlaams Blok.

La Gauche n°20, 13 octobre 2000.

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