Programme de fondation de la LRT (ex-LCR), 1971
Par LCR le Jeudi, 20 Juillet 2000 PDF Imprimer Envoyer

Larges extraits du Programme de fondation de la Ligue Révolutionnaire des travailleurs (aujourd'hui la LCR) adopté à Liège en 1971

UNE STRATEGIE POUR LA CONQUETE DU POUVOIR

1.La nécessité de la révolution socialiste (contre le passage graduel, parlementaire et «démocratique» au socialisme)

Le passage du capitalisme à cette phase de dictature révolutionnaire du prolétariat n'est pas possible sans révolution socialiste, c'est-à-dire sans rupture radicale avec une société et un État dominés par la classe bourgeoise. L'histoire a pleinement confirmé la prévision de la théorie qu'aucun passage graduel et pacifique n'est possible du capitalisme au socialisme.

Aussi longtemps que la bourgeoisie détint le pouvoir d'État et le pouvoir économique, elle est capable d'intégrer, d'émasculer ou d'annuler toute réforme, même la plus prometteuse, que les travailleurs peuvent conquérir dans le cadre de ce régime.

Pour mettre fin au capitalisme et passer au socialisme, il n'est pas suffisant de lui enlever, morceau par morceau, ou miettes par miettes, des privilèges marginaux; il faut lui enlever son pouvoir économique - c'est-à-dire supprimer la propriété privée des moyens de production - et son pouvoir politique, c'est-à-dire briser la machine d'État bourgeoise, avec son armée, sa gendarmerie, son appareil répressif et son administration fondée sur les intérêts de la bourgeoisie.

Il faut leur substituer un pouvoir de type nouveau, c'est-à-dire un mode production non-capitaliste fondé sur l'appropriation collective des moyens de production gérés par les producteurs eux-mêmes, et un État d'un type nouveau, fondé sur des organes représentatifs des travailleurs (conseils des travailleurs, congrès des conseils, milices des travailleurs armés.

L'expérience a également enseigné qu'il est extrêmement improbable, sauf dans des cas limites après la victoire de la révolution socialiste dans la plupart des grands pays du monde, que le pouvoir puisse être arraché à la bourgeoisie par la voie électorale et parlementaire.

Les travailleurs peuvent utiliser les élections et le parlement à des fins de propagande, d'agitation ou d'éducation politique, ou pour appuyer telle ou telle action revendicative déclenchée; ils doivent se défaire de l'illusion que l'arme électorale et parlementaire constitue un instrument de conquête du pouvoir.

Celle-ci passera essentiellement par l'action extraparlementaire des masses laborieuses, qu'une activité électorale ou parlementaire d'un parti révolutionnaire de masse pourrait tout au plus seconder.

Dans la combinaison de l'action parlementaire et de l'action extraparlementaire, la première doit être clairement et par principe subordonnée à la seconde; et aucune possibilité d'action anticapitaliste ne doit être retardée ou rejetée pour des raisons électorales.

La lutte pour la révolution socialiste, et sa réalisation, n'implique l'emploi de la violence que dans la mesure où celle-ci est utilisée systématiquement par l'ennemi de classe pour freiner, arrêter ou rejeter l'effort d'émancipation intégrale des travailleurs.

Ainsi, l'avant-garde ouvrière doit être éduquée dans l'esprit que la violence est inévitablement liée à la lutte des classe est que le renversement du système capitaliste implique la lutte armée contre les bandes armées du Grand Capital (l'armée, la gendarmerie, la police, les bandes fascistes), appuyée sur la mobilisation et l'organisation de masse du prolétariat. Seule cette stratégie conscience est susceptible d'éviter les défaites, qui s'accompagnent toujours de massacres du côté ouvrier, et d'économiser même la violence révolutionnaire, dans la mesure où elle est organisée systématiquement et consciemment.

Le renversement du système capitaliste et la prise du pouvoir par la classe ouvrière nécessitent un action de masse de la part de celle-ci, dirigée à travers les organes de la démocratie ouvrière, par le parti révolutionnaire du prolétariat.

Cela exige l'éducation d'une avant-garde ouvrière, dans l'esprit du programme révolutionnaire et l'élaboration d'un programme anticapitaliste qui est susceptible d'engager la masse de la classe ouvrière pratiquement dans un affrontement global avec le capitalisme.

Dans la lutte quotidienne pour ce programme, la Ligue révolutionnaire des travailleurs gagnera la confiance de l'avant-garde dans les entreprises et s'implantera dans la classe. En transformant les usines en ses bastions, en prenant la direction des luttes ouvrières, elle deviendra le parti révolutionnaire des travailleurs.

Celui-ci, sans perdre son caractère avant-gardiste acquerra une audience de masse lors de situations révolutionnaires et pourra alors diriger le prolétariat vers la prise du pouvoir.

2. Notre conception du programme révolutionnaire

Puisque la révolution socialiste exige une lutte consciente et systématique, l'élaboration d'un programme et d'une stratégie qui correspondent à la fois aux besoins de la classe ouvrière et aux nécessités de la lutte, revêt une importance décisive.

Quant à sa méthode, le programme repose sur deux éléments inséparables: 1) les acquis de tout le passé du mouvement ouvrier, ses défaites, ses victoires, ses enseignements; 2) sa concrétisation et son adaptation aux situations nouvelles, au fur et à mesure que la lutte se développe et que la LRT s'implante.

Quant à son contenu, ce programme repose sur 3 piliers également inséparables:

a) le programme socialiste (ou le programme «maximum», ou le programme de la dictature du prolétariat) qui est susceptible de donner à la classe ouvrière l'image du « socialisme que nous voulons », contre toutes les déformations et dégradations des États ouvriers existants.

b) les revendications immédiates économiques (salaires, sécurité sociale...) que la LRT soutient à fond, en les propageant, en les expliquant, mais dont nous soulignons d'emblée les limites, seules ne permettent pas d'engager une bataille d'ensemble de la classe, car elle sont par définition liées à des situations spécifiques (catégorie, usine, secteur) et une conscience ouvrière limitée.

c) d'où la nécessité d'un programme transitoire, qui, porté par une avant-garde ouvrière, organisée et gagnée aussi au programme et à la stratégie révolutionnaires, est à même d'entraîner la masse des travailleurs dans une lutte anticapitaliste résolue, menant à la prise du pouvoir.

Ce programme est un tout, et chaque fois qu'on en a détaché une partie, on paralyse l'action révolutionnaire de masse: (1 soit en luttent uniquement pour les revendications immédiates (même si on fait de la propagande générale socialiste, on paralyse l'avant-garde, car sans perspectives, elle est noyée dans la masse et cette dernière n'est pas préparée à attaquer les structures mêmes du capitalisme); 2) soit en dénigrant les revendications immédiates - on sépare l'avant-garde de la classe ce qui débouche sur l'aventurisme et le sectarisme; 3) soit en séparant les revendications transitoires du programme maximum, ce qui empêche la constitution d'une avant-garde socialiste-révolutionnaire à l'entreprise et l'implantation de la LRT et, lors d'une crise révolutionnaire, le renversement de l'État bourgeois.

La mise en application exige une conception stratégique claire et une liaison intime entre la LRT, l'avant-garde ouvrière et les couches décisives de la classe ouvrière. Cette stratégie doit être défendue quotidiennement dans la lutte. Elle ne peut être élaborée et défendue que par un instrument spécifique, le parti révolutionnaire de la classe ouvrière.

3. La bilan de stratégies ouvrières traditionnelles

Le bilan de la lutte de classe que les travailleurs mènent depuis plus d'un siècle de manière plus ou moins systématique dans ce pays est en effet contradictoire; il rejoint par là le bilan tout aussi contradictoire dans tous les autres pays occidentaux.

D'une part, les travailleurs ont mené avec succès d'innombrables combats pour des objectifs immédiats, pour l'amélioration de leur sort. C'est au succès de ces combats qu'ils doivent l'élévation de leur niveau de vie par rapport à celui du XIXe siècle.

D'autre part, les assauts répétés menés contre le régime en tant que tel ont échoués, c'est-à-dire n'ont pas abouti à renverser ce régime. Le capitalisme est aujourd'hui aussi puissant, aussi concentré, aussi résolu à défendre l'essentiel (c'est-à-dire la propriété privée des grands moyens de production, le droit d'accumuler du capital en exploitant la force de travail), qu'il ne l'était lors de la naissance du mouvement ouvrier belge.

Il faut rejeter la thèse selon laquelle le renversement du capitalisme a échoué jusqu'ici parce qu'il était objectivement impossible. Outre que le fait que les contradictions du régime sont visibles et s'aggravent, la répétition de crises sociales périodiques et de soulèvements massifs de travailleurs (tels 1936, le lendemain de la Seconde guerre mondiale, 1950, 1960-61) confirment la poussée spontanée des travailleurs à prendre en main la réorganisation de toute la société.

Il faut de même rejeter la thèse selon laquelle le renversement du capitalisme serait inutile parce celui-ci aurait déjà été vidé de sa substance par l'avènement d'une « économie mixte », la part importante du revenu national qui passe par les mains de l'État, le «contrepoids » que syndicats et pouvoirs publics auraient établi par rapport à celui des groupes financiers.

L'État, en Belgique comme dans tout l'Occident, est un État bourgeois, en dernière analyse au service des groupes prédominants au sein de la classe capitaliste. Les pouvoirs publics ne jouent pas un rôle d'arbitre au-dessus de la lutte de classes, mais interviennent pour défendre « les règles du je » de la société bourgeoise. L'économie n'est pas « mixte », mais capitaliste et l'État y intervient pour garantir le profit des principaux monopoles.

L'échec des assauts passés des masses contre le régime capitaliste provient finalement du fait qu'une poussée spontanée ne suffit pas pour renverser celui-ci. Sa capacité de résistance, tant par des concessions que par la répression centralisée, est telle que seules des actions de masse qui visent délibérément les objectifs que le régime est incapable d'accorder ou d'intégrer, peuvent provoquer de véritables ruptures avec l'appareil d'État bourgeois et le mode d'organisation capitaliste de l'économie.

Pour qu'une telle rupture se produise, il faut outre des situations objectives de crise provoquées par les contradictions internes du système, deux conditions principales:

a) que les masses aient elles-mêmes pris conscience d'objectifs non intégrables dans le fonctionnement normal du régime et qu'elles aient choisi de tels objectifs comme leurs objectifs de lutte immédiate;

b) qu'existe une organisation d'avant-garde, un parti révolutionnaire de la classe ouvrière qui, après avoir mené campagne pour de tels objectifs, dispose déjà de suffisamment d'autorité au sein de la classe pour que celle-ci ne se laisse plus dévier vers des solutions de compromis au point culminant d'un grand combat.

C'est donc la double tâche de l'élévation du niveau de conscience des masses et de la construction d'une organisation révolutionnaire d'avant-garde qui doit être résolue pour que la maturité des conditions objectives pour le renversement du régime capitaliste cesse de s'opposer à l'immaturité des conditions ojectives.

4. Les organisations traditionnelles devant le programme et la stratégie révolutionnaires.

Les organisations traditionnelles de la classe ouvrière ont été progressivement neutralisées comme instruments de lutte classe révolutionnaire et anticapitaliste par leur intégration, par étapes, dans le fonctionnement du système.

La social-démocratie a effectué cette mutation, pour l'essentiel en 1914. L'électoralisme et la collaboration avec la bourgeoisie « libérale » l'y avait préparée avant cette date même. Substituant à la recherche des méthodes les plus adéquates pour renverser le régime capitalisme, les méthodes les plus appropriées pour atténuer et concilier les antagonismes de classe, la social-démocratie s'est orientée rapidement vers la collaboration ministérielle, la collaboration avec le patronat au sein des commissions paritaires; l'effort d'éviter les explosions sociales et même de les réprimer lorsqu'il devenait impossible de les éviter.

Elle est devenue un « part de gouvernement », un « parti d'ordre », c'est-à-dire d'ordre bourgeois. Les réformes sociales qu'elle peut encore octroyer par voie législative deviennent de plus en plus médiocres, au fur et à mesure que la crise structurelle du capitalisme s'accentue.

Au niveau du programme, la social-démocratie combine les revendications immédiates (qu'elle lègue aux syndicats) avec leur prolongement au niveau parlementaire et gouvernemental (lois sociales). La propagande pour le socialisme a complètement disparu, comme toute préoccupation stratégique. Si elle a besoin d'une perspective (toute verbale), elle s'accroche au vieux schéma de la « démocratie politique, économique et sociale». C'est d'ailleurs logique pour un parti ouvertement réformiste: les réformes mêmes sont déjà la transformation socialiste de la société capitaliste.

Le PSB a été obligé d'adapter son programme théorique et son programme de fait, à la fois par l'évolution de la FGTB (1959: les réformes de structure), qui tendait à dépasser la dualité par « revendications immédiates », « législation sociale », et par les nécessités du capitalisme qui intègre de plus en plus la social-démocratie et exige, de ce fait, un programme de gestion, donc comprenant la partie consacrée aux structures économiques (les réformes de structures néocapitalistes. Ainsi, on peut y retrouver certains mots d'ordre et termes empruntés au programme transitoire, mais complètement dénaturés (Bureau de programmation, planification, Directoire charbonnier, etc.).

Le Parti communiste, créé pour combattre la déviation réformiste au sein du mouvement ouvrier sous direction social-démocrate, s'est lui-même engagé dans la voie réformiste, avant tout sous la pression des dirigeants de l'URSS, dont la diplomatie réclama à certaines époques une collaboration avec les bourgeoisies « démocratiques » d'Occident (1935-1938, 1941-1946). Sa collaboration ministérielle au lendemain de la deuxième guerre mondiale, qui a puissamment contribué à restaurer un État bourgeois et une économie capitaliste en Belgique, a couronné cette première étape de sa social-démocratisation.

Une deuxième étape de son évolution réformiste s'est ouverte au cours de la dernière décennie, lorsque des conceptions programmatiques (« voie parlementaire vers le socialisme », « voies pacifiques vers le socialisme ») se sont progressivement substituées aux motifs de « fidélité à l'Union soviétique » comme motivation d'une pratique réformiste. Ce révisionnisme doctrinal n'a pu qu'accentuer sa social-démocratisation.

Également sous la pression de la FGTB, le PC, à l'encontre de sa tradition stalinienne, a du adopter, après 1956, certaines parties du programme transitoire. Il pouvait même aller plus loin, car n'étant pas directement intégré dans le système capitaliste, seul son désir de coller à la direction social-démocrate (FGTB, PSB) l'empêche de développer une propagande révolutionnaire verbale.

Ce qui, dans le cas du PC, ampute les revendications transitoires de la dynamique révolutionnaire, c'est qu'elles s'insèrent dans une « stratégie par étapes »; au lieu de favoriser la rupture des masses avec les organisations social-démocrates, elles s'insèrent dans la première étape « démocratique » de la stratégie, qui présuppose justement l'alliance avec la social-démocratie. En fin de compte, c'est une dénaturation (néo)réformiste d'un type plus élaboré.

La direction syndicale de la FGTB (mais des courants minoritaires existent aussi à la CSC) a été la plus avancée dans l'adoption d'une conception transitoire de la lutte ouvrière, et cela sous l'impulsion de la gauche syndicale, animée par la tendance « renardiste ». Elle a abandonné le syndicalisme « alimentaire » (directement inféodé au PSB), en adoptant le programme des réformes de structure (1954, 56) et du contrôle ouvrier (1971). Ainsi, tout un courant de masse a dépassé le réformisme classique, ce qui a créé de nouvelles possibilités pour les ouvriers révolutionnaires de gagner de larges couches ouvrières pour le programme transitoire anticapitaliste.

La canalisation réformiste de la FGTB est possible; 1) parce que la social-démocratie continue à contrôler et à paralyser l'avant-garde ouvrière (à travers les syndicats) et garde donc le contrôle de la classe dans son ensemble; 2) parce que ce programme est séparé, théoriquement, du programme maximum, et escamote donc le renversement de la société bourgeoise et de la prise de pouvoir par un parti révolutionnaire; 3) parce que ce programme est séparé, de fait, des luttes quotidiennes de la classe ouvrière, séparation rendue « plausible » par une conception et une pratique réformiste et intégrationnistes (programmation sociale, conseils d'entreprise, comité paritaire, comité de concertation); 4) parce qu'il y a un refus, qui en découle, d'appliquer pratiquement même ce programme ambigu; 5) parce que les moyens de lutte et la stratégie (les moyens d'application) sont soit escamotés, soit réformisés.

5. La nécessité et la fonction du programme de transition anticapitaliste

La tradition social-démocrate d'avant 1914, plus ou moins reprise par le mouvement communiste au lendemain de la première guerre mondiale, combinait essentiellement une lutte quotidienne pour des objectifs immédiats (économiques et politiques) à une propagande générale en faveur du socialisme. L'expérience a démontré que cette combinaison est nécessaire mais insuffisante pour amener le renversement du régime capitaliste.

Les objectifs immédiats finissent par être accordés par l'adversaire, et leur réalisation s'intègre dans le fonctionnement normal du régime capitaliste. La propagande générale pour le socialisme, y compris pour la révolution socialiste, n'aboutit jamais à des luttes de masse.

La propagande pour seulement une partie du programme transitoire anticapitaliste, coupée d'une stratégie globale et des luttes quotidiennes, mène également à l'intégration dans le néocapitalisme, bien que sous d'autres formes: les réformes de structure deviennent inévitablement réformistes, même si on colle l'étiquette « anticapitalistes ». C'est un programme à mi-chemin entre le réformisme et la révolution: le centrisme.

Pour dépasser l'insuffisance de cette stratégie socialiste, communiste et centriste, il faut élaborer une stratégie nouvelle: la stratégie du programme anticapitaliste de transition vers la révolution socialiste.

Cette stratégie se situe dans la continuité de la stratégie des réformes de structure, adoptée par les syndicalistes de gauche, mais elle tient compte du bilan de l'activité de la FGTB depuis 1954 et des leçons que les militants ouvriers anticapitalistes ont pu tirer grâce à leur action quotidienne dans les entreprises et dans le mouvement syndical.

Cette stratégie transitoire anticapitaliste n'abandonne pas plus la défense des revendications immédiates des travailleurs (augmentation de salaire, semaine de 40 heures sans réduction du salaire hebdomadaire, pension à 75% du salaire le plus élevé touché, égalité des rémunérations masculines et féminines pour une même tâche effectuée, etc.), qu'elle ne supprime la propagande en faveur du socialisme dans l'action traditionnelle du mouvement ouvrier.

Elle s'efforce de formuler des revendications qui, tout en correspondant aux préoccupations immédiates des masses, c'est-à-dire tout en pouvant servir d'objectifs de larges luttes, ne peuvent être durablement intégrées dans le fonctionnement normal du régime capitaliste, c'est-à-dire dont la réalisation ouvre une crise aiguë dans le fonctionnement de ce système, une véritable crise révolutionnaire.

Son caractère transitoire ne réside dons plus dans sa capacité de passer progressivement et graduellement du capitalisme au socialisme en « appliquant » des parties du programme transitoire au sein du régime capitaliste. Chaque « application », si elle a effectivement lieu, exige une rupture dans les rapports de force en faveur du prolétariat; alors, momentanément, la bourgeoisie (ou un patron) est acculé à céder. Mais ou bien le « calme » se rétablit (soit que la revendication est complètement annihilée), ou bien la brèche, ainsi ouverte, s'élargit et débouche sur une situation révolutionnaire d'ensemble.

En prônant cette stratégie du programme de transition vers la révolution socialiste, la LRT propose aux militants anticapitalistes de ce pays de rompre avec la tradition fataliste profondément ancrée, tant dans les milieux réformistes que dans la plupart des milieux d'extrême-gauche.

Cette tradition consiste à attendre des « conditions objectives », c'est-à-dire d'attendre en fait passivement, l'avènement d'une « situation révolutionnaire »'.

Mais comme l'existence d'une maturité subjective des masses est une précondition pour que cette « situation révolutionnaire » se présente, l'attente passive devient attente sans fin. La stratégie proposée par la LRT substitue à cette attente passive et à ce fatalisme (tout au plus modéré par une propagande de pure routine en faveur de la « révolution », qui ne touche personne) une action délibérée afin de transformer les crises pré-révolutionnaires qui se succèdent tous les 10 ans en véritables crises révolutionnaires.

La stratégie, basée sur le programme transitoire anticapitaliste s'appuie sur quatre facteurs principaux:

a) la crise structurelle du capitalisme soulève des problèmes qui touchent directement la masse des travailleurs, du fait de leur incidence sur la vie quotidienne (dépérissement de branches industrielles, de métiers, de régions entières, licenciements et menaces de chômage, accentuation du caractère oppressif de la structure hiérarchique de l'entreprise, options « nationales » en matière d'orientation des investissements, prise de conscience de la concentration de puissance économique dans les mains des holdings et groupes financiers, etc.).

b) de ce fait, il est possible que se déclenchent périodiquement de grands combats ouvriers qui, spontanément ou consciemment sont dirigés contre ces déficiences structurelles du capitalisme et non seulement pour obtenir des avantages immédiats.

c) pour empêcher que ces combats ne soient déviés vers la simple satisfaction de revendications immédiates, que le régime réussit à intégrer et qui ne menacent guère sa survie, il est donc nécessaire de formuler des revendications qui répondent aux problèmes de la crise de structure et dont les masses auraient suffisamment pris conscience pour les élever au niveau d'objectifs principaux de ces grands combats.

d) la tentative de réaliser ces objectifs ouvre une crise de rupture aiguë au sein de la société capitaliste. Elle implique l'avènement d'une dualité de pouvoir qui oppose, au niveau des entreprises et ensuite au niveau des localités, des régions, voire du pays, l'embryon d'un nouveau pouvoir ouvrier, socialiste, au pouvoir du capital qui s'accroche et se défend par tous les moyens.

Elle mène rapidement vers un affrontement général entre les classes, qui ne peut aboutir qu'à deux issue: soit le renversement révolutionnaire du pouvoir du Capital et de son État bourgeois par les travailleurs, soit le rétablissement du fonctionnement normal du régime capitaliste par l'élimination des noyaux d'un contre-pouvoir des travailleurs.

Aidée par les résultats objectifs de l'évolution de la lutte de classe dans le cadre des modifications que la phase actuelle du capitalisme apporte à celle-ci, stimulée par la tendance spontanée des travailleurs à élever leur combat vers des problèmes économiques de plus en plus amples, nourris par l'esprit «contestataire» que les couches de travailleurs et d'étudiants font rejaillir vers les entreprises, la stratégie du programme transitoire anticapitaliste tend à réorienter autant l'action spontanée des travailleurs que leurs formes d'organisation dans la lutte dans le sens d'une transition vers une révolution socialiste.

C'est pourquoi elle met l'accent tant sur la propagande pour des objectifs non intégrables dans le régime capitaliste que sur le rôle des comités de grève et comités d'action, des piquets de grève massifs et organismes d'autodéfense qui, au sommet d'une grève générale puissante, peuvent devenir des embryons d'organes du pouvoir ouvrier. Mais au lieu que cette propagande s'inscrive en quelque sorte en marge des luttes réelles et quotidiennes - limitées aux revendications immédiates elle doit faire corps avec la lutte réelle des travailleurs. La stratégie du mouvement transitoire anticapitaliste tend donc à surmonter la séparation traditionnelle entre la lutte quotidienne - pour des objectifs immédiats, le programme minimum et la lutte pour le socialisme - programme maximum.

6. Le contenu du programme de transition anticapitaliste

Ce programme, formant un tout, s'appuie sur la mobilisation et l'action directe des masses ouvrières et comprend deux axes de lutte principaux: 1) le contrôle ouvrier, car celui-ci est à même de grouper autour de lui les principales revendications mettant directement aux prises patrons et travailleurs; 2) le gouvernement ouvrier, seul capable de mettre en pratique les revendications anticapitalistes transitoires et de donner une perspective politique globale à la classe ouvrière en lutte.

La propagande par l'avant-garde et son insertion pratique dans les lutte exige en premier lieu la nécessité de démarrer à partir des revendications immédiates, qui découlent directement des luttes en cours et du niveau de conscience, soit-il « économiste », qui y fait pendant. Parmi ces revendications, il y en a une qui mène presque directement à une mise en cause de la gestion capitaliste, à savoir: les augmentations salariales en francs égales pour tous. Cette revendication, profondément anticapitaliste, a un dynamique unitaire (catégories, employés techniciens, certains « cadres ») et remet en cause le système de classification; de plus, dans le néocapitalisme, se développe une contradiction de plus en plus importante qui relève devant la masse des travailleurs son caractère irrationnel: la contradiction entre la nouvelle technologie et le système des postes. Au bout de cette revendication « salariale » se situe déjà le contrôle ouvrier;

a) Contrôle ouvrier sur la production; les investissements, l'organisation du travail, l'embauche et les licenciements, le contrôle de l'index, contrôle conçu comme un droit de regard et un droit de veto mais sans cogestion ni aucune forme de participation ou de responsabilité à cette gestion capitaliste. Ce contrôle présuppose la normalisation comptable, la suppression du secret commercial et bancaire. il doit être exercé par des organes démocratiquement élus par tout le personnel, et rendant compte devant tout ce personnel, à tous les niveaux, de l'organisation économique (atelier, usine, société commerciale, région, branche industrielle, niveau national interprofessionnel).

Le contrôle ouvrier implique une lutte des travailleurs à fin d'opposer systématiquement aux décisions patronales des mesures répondant aux besoins des travailleurs.

b) La planification socialiste de l'économie. Une planification socialiste se distingue d'une « programmation économique » néocapitaliste par trois traits fondamentaux. Elle est impérative, c'est-à-dire qu'elle peut décider souverainement des grands projets d'investissement. Elle est axée sur la réalisation de besoins prioritaires, démocratiquement déterminés par les masses laborieuses elles-mêmes, et non sur l'impératif du profit. Elle ne se contente pas de modifier la consommation et la répartition du revenu national, mais modifie encore les rapports de production, c'est-à-dire stimule la mise en place d'un système planifié d'autogestion ouvrière. La lutte pour une planification socialiste et démocratique de l'économie, en tant que revendication transitoire, impliquerait donc: l'arrêt de tus subside aux entreprises privés, l'élaboration d'un plan de modernisation et de développement économique axé sur la réalisation et le maintient du plein emploi sur place des travailleurs, et sur la détermination de besoins prioritaires de la population, déterminés à travers des comités populaires établis dans les communes et les régions, et par les conseils des travailleurs dans les entreprises, et ratifié par un grand congrès national de ces comités; la concentration de tous les investissements et crédits publics dans la création d'entreprises publiques nouvelles, gérées sous le contrôle ouvrier, en commun accord avec les secteurs nationalisés de l'industrie et le crédit nationalisé, sous un Plan ratifié par les masses laborieuses.

c) Nationalisation, sous contrôle des travailleurs, et sans indemnisation des gros actionnaires, des banques, des compagnies d'assurances et de toutes les sociétés financières, de la sidérurgie, de tous les secteurs de l'énergie (y compris la distribution en gros des combustibles), de l'industrie pétrochimique, de l'industrie aéronautique et de l'industrie d'armements. cette nationalisation permettra de réunir les fonds nécessaires au financement de l'initiative industrielle publique, appuyée sur un réseau de laboratoires publics de recherche et de recherche appliquée.

d) Suppression de la spéculation foncière par la socialisation de l'usage du sol au profit de l'aménagement du territoire et du logement social, par la création de régies communales et intercommunales de terrains à bâtir.

e) Instauration d'un impôt sélectif et progressif sur le capital; progressivité accrue de l'impôt sur le revenu; augmentation des droits de succession; lutte énergique contre la fraude fiscale, notamment par la suppression du secret bancaire et par l'intervention du contrôle ouvrier sur la comptabilité des sociétés.

f) L'épanouissement et la démocratisation de la consommation publique. Parmi les priorités à retenir par une planification socialiste et démocratique, il faudrait certainement classer:

* la réalisation intégrale d'une médecine gratuite et de haute qualité;

* une véritable démocratisation de l'enseignement, qui s'efforce dès l'école maternelle à réaliser systématiquement l'égalité des chances de tous les enfants, en combattant toutes les formes de sélection et de présélection émanant du milieu familial, local, social, de la structure de l'enseignement même, etc.

* l'établissement d'un réseau moderne de transports publics urbains et interurbains, décongestionnant les voies de communication et réalisant le principe de gratuité dans le cadre des transports urbains;

* une démocratisation générale des services publics par l'établissement d'un système de gestion mixte de ces services, par des représentants élus des agents des services publics et des usagers;

g) Assainissement du réseau de commerce de détail. Pratique des prix fixes (pour des secteurs d consommation à déterminer); fixation d'un pourcentage maximum de marges bénéficiaires.

h) réforme de l'agriculture en vue du relèvement du revenu des cultivateurs et de leur affranchissement des contraintes capitalistes, par la suppression du droit du propriétaire foncier non exploitant de choisir son locataire, et la réorganisation coopérative des circuits de commercialisation et de valorisation des produits de la ferme.

i) Le fédéralisme. La Belgique est une nation qui comprend deux peuples, le flamand et le peuple wallon, mais dont la bourgeoisie est profondément unitaire, pour des raisons de classe. Dès lors, suivant le principe d'autodétermination des peuples, nous sommes pour un État fédéral à deux, où la communauté bruxelloise aurait un statut propre à négocier avec les deux nations fédérées.

La lutte pour le fédéralisme réel, c'est-à-dire un pouvoir de décision sur toutes les matières concernant la population, et en premier lieu la classe ouvrière, implique des pouvoirs culturels, politiques et économiques. Ceux-ci ne pourront être arrachés que par une lutte de masse, ayant une dynamique anticapitaliste. Nous considérons de ce fait, le fédéralisme comme un instrument de lutte contre le système inique de la bourgeoisie. Toutes les autres formules (« régionalisation », etc.) ne sont que des manoeuvres afin d'empêcher l'instauration de ce fédéralisme, en distribuant un part de gâteau à la nouvelle bourgeoisie régionale et à la bureaucratie ouvrière collaborationniste.

j) Dans la lutte pour le pouvoir, la classe ouvrière sera confrontée avec la résistance armée de la bourgeoisie à l'agonie. Celle-ci s'efforcera de se servir, contre la classe ouvrière, de l'appareil de répression et en premier lieu de l'armée. L'armée ne peut être conçue comme un bloc monolithique qui doit être combattue de l'extérieur. De cette conception découlerait le slogan « A bas l'armée »... t la conclusion qu'il est insensé de proposer des slogans démocratiques et sociaux pour l'armée, ainsi que des points de programme « parce que ceux-ci rendraient simplement l'armée un peu plus acceptable ». Nous devons dépasser un pacifisme radical pour entreprendre une analyse de classe et appréhender le problème de l'armée d'un point de vue révolutionnaire. Appréhender l'armée d'un point de vue de classe signifie comprendre la nécessité et la possibilité d'un travail à l'intérieur de l'appareil de répression et chercher des alliés, plutôt que de rejeter l'armée en bloc - en parole naturellement - (en pratique, cette attitude consiste à maintenir l'institution qu'est l'armée comme telle).

* contre l'armée de métier;

* contre les unités spéciales (paras...) et la gendarmerie;

* pour le droit d'information, d'organisation et d'expression des militaires;

* pour un service réduit à 6 mois, sans encasernement, avec éducation militaire effective et mobilisation sur les lieux de travail et d'habitation des appelés;

* contre la discrimination des sexes devant l'éducation militaire;

* pour la sortie de l'OTAN, la suspension des bases étrangères, le retrait des troupes belges d'Allemagne.

k) Le programme ne peut être réalisé dans son entièreté par un gouvernement bourgeois qui - de quels que partis qu'il soit composé - est toujours dépendant du Capital. Il ne peut être réalisé que par un gouvernement qui veut rompre avec le capitalisme et en est capable, fort de l'appui de la classe ouvrière en lutte: un Gouvernement ouvrier.

L'objectif ultime doit être l'élection d'un tel gouvernement ouvrier par un Congrès national des conseils ouvriers élus dans les entreprises et les quartiers. Un gouvernement élu de cette façon sera capable d'exercer la dictature du prolétariat.

Mais, vu l'emprise paralysante que les directions traditionnelles démocrates-chrétiennes, social-démocrates et staliniennes conserveront sur d'importants secteurs de la classe ouvrière encore à la veille de la situation pré-révolutionnaire, il est très probable que ce schéma « pur » n'apparaîtra pas dès le début de la lutte révolutionnaire.

Nous pouvons nous trouver devant une action de la masse de la classe ouvrière où certains secteurs se sont dotés d'une direction autonome sous la forme de comités de grève, de conseils ouvriers, de syndicats révolutionnaires, etc. et qui acceptent la direction de l'organisation révolutionnaire, mais où la majorité de la classe accepte encore la direction des organisations réformistes traditionnelles ou de certains dirigeants réformistes. A ce moment nous ne pourrons pas prendre une attitude sectaire, mais nous devrons:

1) donner un contenu concret à la formule « Gouvernement ouvrier » (quelles organisations doivent le former?) en constatant qui sont les dirigeants de la lutte, et appeler la classe ouvrière à forcer ses dirigeants à prendre le pouvoir. Ainsi, ces dirigeants seront forcés d'avouer dans une première phase si oui ou non ils prennent le pouvoir sans et contre la bourgeoisie, et si la réponse est affirmative, dans une deuxième phase quelles mesures ils prendront une fois au pouvoir.

2) stimuler le plus possible à la base l'élection de conseils ouvrier et forcer les dirigeants à aller de l'avant et prendre le pouvoir et contrôler le gouvernement ouvrier, pour arriver enfin à la convocation d'un Congrès national des conseils ouvriers et l'instauration de la dictature du prolétariat.

Conquérir les masses

* pour un syndicalisme de combat

* pour la démocratie ouvrière

La révolution prolétarienne est une révolution de masse, et pas celle d'un groupe minoritaire agissant à l'insu de la classe. Ainsi, la tâche décisive de la LRT est de gagner à son programme et à sa stratégie l'avant-garde de la classe ouvrière, ses « dirigeants naturels », par un travail régulier et systématique de propagande, d'explication, d'agitation et d'organisation. En constituant et en organisant la partie décisive de cette avant-garde, la LRT deviendra le parti révolutionnaire des travailleurs.

La clé d'une politique ouvrière et de la conquête des masses réside incontestablement dans une compréhension correcte du rôle du syndicalisme qui est l'organisation permanente de masse de notre prolétariat.

C'est en luttant pour un syndicalisme de combat que la LRT deviendra un tel parti d'avant-garde de la classe ouvrière, car:

1) Contrôlant, par ce biais, les masses ouvrières, intégrant celles-ci par ce même biais au sein du régime capitaliste, la bureaucratie syndicale tient la classe ouvrière sous la coupe du réformisme.

2) Organisation de masse permanente qui défend objectivement - malgré la bureaucratie - d'une certaine, façon, les intérêts ouvriers immédiats, le syndicat offre aux militants ouvriers révolutionnaires une possibilité pratique et quotidienne de gagner la confiance des travailleurs.

Le syndicat est le terrain de travail par excellence pour défendre les intérêts immédiats des travailleurs et pour combattre l'influence réformiste paralysante sur la classe.

Lutter pour un syndicalisme de combat signifie concrètement dans la période présente:

* lutter pour l'indépendance syndicale par rapport à l'État, c'est-à-dire lutter contre l'intégration dans le système capitaliste.

* lutter contre toute la politique de collaboration de classe, particulièrement contre la « paix sociale » et la « programmation sociale » qui forment le noeud vital de cette intégration: « oui aux conventions collectives - non à la programmation sociale ».

* lutter contre toute atteinte aux libertés syndicales et, particulièrement pour la défense du droit de grève.

La bureaucratie syndicale, afin d'intégrer le syndicat dans le système capitaliste, a dû étouffer la libre expression de la volonté de la base.

Ainsi, la lutte pour la démocratie syndicale a un rôle important à jouer à la fois pour engager l'action autonome des travailleurs pour éduquer l'avant-garde et pour souder celle-ci à la masse ouvrière. Une classe ouvrière qui n'est pas capable de combattre la bureaucratie syndicale, n'est pas capable d'abattre le système capitaliste!

Aussi la LRT liera toujours la lutte pour la démocratie syndicale à l'efficacité pratique de la lutte, et en même temps, à la nécessité d'opposer à une ligne réformiste de collaboration de classe, une ligne alternative révolutionnaire de lutte de classe.

La LRT lutte donc pour le droit de tendance: c'est-à-dire le droit de proposer à tous les travailleurs syndiqués une conception de la lutte ouvrière à côté d'autres conceptions, conceptions qui seront vérifiées et jugées démocratiquement par les travailleurs.

C'est dans ce cadre que la LRT respectera scrupuleusement l'indépendance syndicale. Elle luttera pour conquérir d'une façon ouverte et démocratique la direction des syndicats, car seule une ligne révolutionnaire et de combat peut garantir la défense des intérêts ouvriers. Mais il va de soi qu'une organisation comme la LRT - qui veut convaincre et conscientiser - ne tentera jamais de se « soumettre » les syndicats et de les « noyauter ».

Les militants de la LRT sont des militants syndicaux qui respectent scrupuleusement dans l'action, la discipline syndicale et les décisions syndicales démocratiquement élaborées; mais ils continuent bien sûr à lutter partout pour la démocratie ouvrière, là où elle est bafouée, et pour une politique de « lutte de classe », là où le réformisme l'emporte provisoirement.

Dans la période actuelle, il est particulièrement important de mettre en avant le mot-d'ordre d'Unité syndicale, même si cette unité devait être une unité au sommet. En général; la division de la classe ouvrière en deux syndicats également forts a été source de méfiance, de démagogie, de surenchère. La classe ouvrière est une, est c'est particulièrement vrai sur le plan des revendications immédiates. Ainsi, la LRT n'oppose pas « unité syndicale au sommet » à l'unité syndicale à la base. Nous savons que les bureaucrates syndicaux conçoivent l'unification éventuelle FGTB-CSC comme une affaire administrative. Pour la LRT, l'unification est un mot-d'ordre de mobilisation à tous les niveaux; elle y ajoute seulement la condition de la démocratie intérieure au syndicat unifié.

Bien sûr, la LRT appelle tous les militants syndicaux à lutter partout pour un programme anticapitaliste, afin de doter le syndicat unifié du programme le plus avancé et le plus efficace possible. Mais le contenu de ce programme ne devrait pas être un préalable à la fusion entre la FGTBla CSC.

Lorsque la montée de la lutte ouvrière coïncide avec une nouvelle période révolutionnaire, nous voyons apparaître ainsi de nouvelles formes de lutte et d'organisation. Celles-ci sont les témoins que les organisations existantes sont devenues trop étroites pour canaliser le mouvement: c'est particulièrement le cas là où les syndicats sont bureaucratisés. Ainsi, dans un situation révolutionnaire, nous voyons apparaître les conseils ouvriers en tant qu'organes démocratiquement élus par l'ensemble des travailleurs.

La LRT lutte pour la démocratie ouvrière la plus large. C'est la méthode qui permet de stimuler au maximum l'initiative, la mobilisation et la pensée des travailleurs; de revitaliser le mouvement syndical, là où il est devenu trop étroit pour la nouvelle vague de luttes, et de lutter en son sein pour la démocratie syndicale; de dégager une avant-garde ouvrière et le l'organiser dans la LRT.

La LRT se prononce donc fermement pour la plus grande démocratie ouvrière, avec son expression supérieure: la comité de grève démocratiquement constitué par l'ensemble des travailleurs en lutte, et l'assemblée générale délibérative, convoquée sur les lieux de travail.

LE PROGRAMME DE LA REVOLUTION SOCIALISTE

L'objectif que nous poursuivons, c'est la construction d'une société sans classe et sans inégalités sociales, dans laquelle toute forme d'exploitation et d'oppression de l'Homme par l'Homme aura disparu. Le développement collectif des Hommes y aura comme conditions le développement optimum de tous les individus, le déploiement plein et entier de la personnalité de chacun.

La création d'une telle société, rêve millénaire de l'humanité, devient possible à partir du moment où les progrès de la science et de la technique créent les bases d'un essor tel des forces productives (1) que la pénurie des biens matériels peut faire place à l'abondance. Dans les mêmes conditions, l'asservissement de l'Homme au travail mécanique, épuisant, monotone et répétitif disparaît et une pratique créatrice devient la règle pour tous les hommes, dont l'aliénation (2) dépérit ainsi.

Dans sa «Critique du Programme de Gotha», Marx a désigné sous le terme de «communisme» ou de «deuxième phase du socialisme» la société dans laquelle ce but se réalise de manière intégrale. Le passage de passage de la première à la deuxième phase du socialisme ne peut cependant pas être considéré comme une rupture brusque, du type des révolutions sociales qui ont marqué l'histoire de l'humanité. Il s'agit d'une évolution graduelle, au cours de laquelle une série de révolutions dans des domaines particuliers permettent le dépérissement de l'économie marchande, de l'économie monétaire, de la division sociale du travail - et notamment de la division du travail entre travail manuel et travail intellectuel - , des classes sociales différentes (et notamment de la différence entre villes et campagnes), des monopoles de culture entre les mains d'une fraction seulement de la société, de l'État, de la mentalité égoïste fondée sur une vie économique et sociale qui n'assure pas aux individus la pleine satisfaction de leurs besoins, d'une attitude à l'égard du travail inspirée par le désir d'enrichissement individuel, etc...

Mais entre la société capitaliste et la première phase du socialisme, s'intercale une phase de transition que Marx désigne sous le nom de dictature révolutionnaire du prolétariat (3), qui a pour but d'assurer cette évolution graduelle vers le socialisme et le communisme en brisant la résistance des anciennes classes possédantes, assurant l'exercice intégral du pouvoir par les travailleurs dans tous les domaines, en créant un cadre dans lequel les transformations révolutionnaires successives, mentionnées plus haut, peuvent se dérouler avec le maximum de chances de réussite et le minimum d'entraves objectives et subjectives.

La nécessité de cette phase de transition du capitalisme au socialisme, inaugurée par la révolution socialiste, correspond;

1 - au fait qu'au sein de la société capitaliste vue à l'échelle mondiale et considérée à l'échelle de la Belgique, les conditions matérielles pour la création d'une société communiste n'existent qu'entachées de nombreuses déformations et insuffisances résultant de la nature même de cette société capitaliste. Pendant une période historique, il sera donc nécessaire d'assurer un nouvel essor des forces productive, une transformation radicale des techniques et la production pour la mettre réellement au service des Hommes, une modification non moins radicale des formes de distribution et des rapports sociaux pour assurer le dépérissement effectif des classes sociales, de l'inégalité sociale et de l'État.

2 - La nécessité de cette phase de transition du capitalisme au socialisme résulte en deuxième lieu du fait que les conditions psychologiques, intellectuelles et morales (subjectives) pour l'avènement d'une société socialiste n'existent pas immédiatement dès la chute du régime capitaliste, et que les Hommes devront d'abord faire l'apprentissage pratique de l'autogestion économique et sociale, de la discipline sociale sans contrainte extérieure, de l'exercice de toutes les fonctions dirigeantes à tour de rôle pour tous les citoyens (dans le cadre d'une satisfaction de leurs besoins assurée par la société), avant que la nouvelle société puisse pleinement s'épanouir sur des bases plus riches.

Le passage du capitalisme à cette phase de la dictature révolutionnaire du prolétariat n'est pas possible sans révolution socialiste, c'est-à-dire sans rupture radicale avec une société et un État dominés par la classe bourgeoise. L'histoire a pleinement confirmé la prévision de la théorie qu'aucun passage graduel, pacifique, n'est possible du capitalisme au socialisme. Aussi longtemps que la bourgeoisie détient le pouvoir d'État et le pouvoir économique, elle est capable d'intégrer, d'émasculer ou d'annuler toute réforme, même la plus prometteuse, que les travailleurs peuvent conquérir dans le cadre de ce régime. Pour mettre fin au capitalisme et passer au socialisme, il n'est pas suffisant de lui enlever morceau par morceau, ou miette par miette, des privilèges marginaux; il faut lui enlever son pouvoir économique - c'est-à-dire supprimer la propriété privé des moyens de production - et son pouvoir politique, c'est-à-dire briser la machine d'État bourgeois avec son armée, sa gendarmerie, son appareil répressif et son administration fondée sur les intérêts de la bourgeoisie. Il faut leur substituer un pouvoir d'un type nouveau, c'est-à-dire un mode de production (4) non capitaliste fondé sur l'appropriation collective des moyens de production gérés par les producteurs eux-mêmes, et un État d'un type nouveau, fondé sur des organes représentatifs des travailleurs (conseils des travailleurs, congrès des conseils, milices des travailleurs armés).

L'expérience a également enseigné qu'il est extrêmement improbable, sauf dans des cas limites après la victoire de la révolution socialiste dans la plupart des grands pays du monde, que le pouvoir puisse être arraché à la bourgeoisie par la voie électorale et parlementaire. Les travailleurs peuvent utiliser les élections et le parlement à des fins de propagande, d'agitation ou d'éducation politique, ou pour appuyer telle ou telle action revendicative déclenchée; ils doivent se défaire de l'illusion que l'arme électorale et parlementaire constitue un instrument de conquête du pouvoir. Celle-ci passera essentiellement par l'action extraparlementaire des masses laborieuses, qu'une activité électorale ou parlementaire d'un parti révolutionnaire de masse pourrait tout au plus seconder. Dans la combinaison de l'action parlementaire et de l'action extraparlementaire, la première doit être clairement et par principe subordonnée à la seconde, et aucune possibilité d'action anticapitaliste ne doit être retardée ou rejetée pour des raisons électoralistes.

La lutte pour la révolution socialiste, et sa réalisation, n'implique l'emploi de la violence que dans la mesure où celle-ci est utilisée systématiquement par l'ennemi de classe pour freiner, arrêter ou rejeter l'effort d'émancipation intégrale des travailleurs.

Les principes énoncés plus bas constituent le cadre général dans lequel doit se concevoir l'exercice du pouvoir par la masse des travailleurs. Ce programme de la révolution socialiste résulte de deux sources principales: de la théorie marxiste générale, c'est-à-dire d'une analyse du fonctionnement de toutes les sociétés de classe et de la société capitaliste en particulier, ainsi que des prémisses théoriques qui en résultent quant aux conditions de l'avènement d'une société sans classe, une fois brisée la résistance des classes possédantes.; de l'expérience pratique vécue par l'humanité depuis plus d'un demi-siècle avec les tentatives concrètes de construire une société nouvelle en Union soviétique, dans les pays dits de « démocratie populaire », en Chine, à Cuba,...expériences précieuses tant dans leurs enseignements positifs que dans les leçons négatives qui s'en dégagent, et qui devraient permettre aux travailleurs de notre pays, d'Europe et du monde de ne pas répéter des erreurs et des déformations tragiques survenues ailleurs sur la voie du socialisme.

1. L'organisation socialiste de l'économie

L'oeuvre fondamentale de la révolution socialiste, dans le domaine de l'économie, c'est l'abolition du mode de production capitaliste. Cela signifie: à la propriété privée des moyens de production doit se substituer la propriété collective; à l'économie fondée sur le profit, l'économie orientée vers la satisfaction des besoins; à l'anarchie (5) de la production résultant de la propriété privée qui conduit vers la décentralisation des grandes décisions d'investissements, et les fluctuations économique inévitables qui en résultent (crises, récessions) la planification démocratiquement centralisée des investissements importants.

Mais l'expérience a enseigné que sur la base d'une appropriation collective des moyens de production de nouveaux rapports inégaux peuvent surgir à l'entreprise et dans l'économie dans son ensemble. Une bureaucratie privilégiée peut s'approprier le monopole de l'exercice du pouvoir, imposer aux travailleurs un régime de travail que ceux-ci récusent, institutionnaliser la répression dirigée contre les travailleurs pour maintenir ce régime et couronner cette gestion bureaucratique de l'économie par une planification qui oscille entre les deux extrêmes, également répréhensibles, d'une hypercentralisation étouffant l'initiative créatrice des travailleurs et d'une décentralisation systématique qui réintroduit la concurrence et toutes les conséquences négatives de l'économie de marché: inégalité croissante, chômage, dégradation de la planification vers une simple « programmation indicative », etc...

Il faut donc considérer comme une tâche essentielle de la révolution socialiste de combiner de manière étroite et irréversible, la socialisation des moyens de production - c'est-à-dire de la grande et moyenne industrie, des banques, compagnies d'assurance et toutes les institutions financières; du commerce de gros et des grands magasins; des grandes entreprises de transport; de la propriété du sol et du sous-sol, et de toutes les propriétés immobilière qui dépasse les besoins d'un ménage et la gestion de l'économie par les travailleurs eux-mêmes.

Cela implique:

* la tenue d'assemblées du personnel dans les entreprises dont les salariés sont au plus quinze et l'élection dans toutes les entreprises de plus de 15 salariés-appointés d'un conseil des travailleurs, qui exercent l'autorité suprême au sein de l'entreprises, dont les délégués doivent rendre compte périodiquement devant des assemblées générales de leurs électeurs, et sont révocables au gré de ces électeurs; qui élit et révoque le directeur et tout le personnel de gestion qui soumet les projets de plan après discussion à la base et est responsable devant la collectivité des moyens que celle-ci a mis à la disposition de l'entreprise;

* l'élection d'un congrès des conseils des travailleurs, qui est l'autorité économique suprême de la nation, auquel sont soumis les projets régionaux du plan, ainsi que les instances de planification; qui discute, décide du Plan; qui a le droit de modifier tout plan élaboré par un conseil d'une ou de plusieurs entreprises, après discussion publique et contradictoire, à la majorité des voix, dans la mesure où ces plans particulières risquent de saper la cohérence interne du Plan régional et national et entraînant des conséquences négatives sur l'ensemble de l'économie socialisée;

* l'abolition, ou en tout cas la réduction radicale de la structure hiérarchique de l'entreprise, et le remplacement des chefs d'équipe, contremaîtres etc... par les dirigeants élus par les travailleurs eux-mêmes;

* l'intéressement collectif des travailleurs à la bonne marche des entreprises, non pas à travers un système de «participation aux bénéfices» qui tend à faire renaître l'esprit de concurrence et à étendre la zone d'économie de marché au sein de l'économie planifiée, mais à travers les primes collectives (13e, 14e mois, etc.) accordées en fin d'année pour réduction des prix de revient (coût de production) des entreprises;

* l'élaboration de diverses variantes du Plan, sur lesquelles doit se dérouler une longue discussion publique et entre lesquels les travailleurs décideront par un vote, choisissant eux-mêmes les priorités en connaissance de cause (c'est-à-dire avec un schéma clair des conséquences essentielles qui découlent de chacune des options);

* la détermination des besoins non seulement par la voie du marché qui , dans le domaine des biens de consommation, continue à exister aussi longtemps que la distribution d'après les besoins ne peut être encore généralisée - mais aussi et surtout par des sondages, discussions politiques, assemblées de travailleurs, de quartier, débats radiotélévisés avec des savants et des experts, et l'emploi rationnel de la publicité pour informer objectivement le public des mérites et inconvénients de produits ou formes de consommation divers.

Les limites de la socialisation des moyens de production dépendent de la volonté des masses laborieuses, et varieront probablement selon les conditions et les étapes de la construction d'une société socialiste. En principe; seule la propriété exploitatrice des moyens de production doit être abolie. La petite propriété paysanne, commerciale, artisanale, qui ne touche dans ce pays qu'une minorité fort réduite de la population et du revenu national, ne doit pas faire l'objet de mesures répressives. Elle doit dépérir lentement, au fur et à mesure que ces propriétaires-producteurs dont l'expérience de ce qu'un travail collectif, dans le cadre de coopératives agricoles, commerciales et artisanales, est plus productif - non seulement de revenus, mais surtout de satisfactions humaines - qu'un travail individuel. Aucune discrimination fiscale ou économique ne doit hâter ce processus, qui doit être fonction exclusivement de la prise de conscience de ces petits producteurs. Ceux-ci doivent en outre jouir de tous les avantages de sécurité d'existence mentionnés plus bas. Mais la collectivité a le devoir de développer toute la technique de rationalisation du travail agricole, artisanal et de distribution, y compris la semi-automatisation, qui n'est accessible qu'aux grandes entreprises coopératives dans ce domaine. Ce n'est pas par la dégradation des conditions des petits producteurs individuels, mais par l'élévation des conditions des travailleurs dans le secteur coopératif que passera le processus de persuasion des premiers, qui les amènera petit à petit à abandonner leurs entreprises indépendantes.

La construction d'une économie socialiste ne peut être parachevée que dans le cadre international. Dès maintenant, l'interpénétration internationale des capitaux et l'intégration économique de l'Europe capitaliste créent des difficultés supplémentaires sur la voie d'entamer cette construction dans un cadre aussi restreint que celui de la Belgique. Aussi, le pouvoir des travailleurs dans ce pays devra-t-il oeuvrer en association avec les travailleurs de tous les pays voisins, à étendre aussi vite que possible l'aire de construction du socialisme en Europe occidentale à la majeure partie de notre continent, sinon à ce continent dans son ensemble, dans le cadre de la création des États-Unis Socialistes d'Europe.

Cependant, la loi du développement inégal (6) s'applique également au développement inégal des rapports de forces politiques et sociaux entre les classes. Si par suite d'événements précis ces rapports deviennent plus favorables en Belgique que dans les pays voisins pour une percée vers le socialisme, alors les travailleurs de notre pays ont le devoir de renverser le pouvoir du Capital, de prendre eux-mêmes le pouvoir et de le défendre contre toutes les tentatives du capital international de faire triompher une contre-révolution sociale. Ce devoir implique celui d'établir un monopole étatique du commerce extérieur et un contrôle des changes strict, pour étouffer toute évasion des capitaux. Il va sans dire que cette lutte contre le capital international elle-même suscitera des mouvements de sympathie et de solidarité dans tous les autres pays d'Europe, et accélérera ainsi l'extension internationale de la révolution, qu'un refus de prendre le pouvoir sous prétexte que la situation n'est pas encore mûre dans les pays voisins ne pourrait que retarder.

Le but du socialisme dans le domaine de la répartition, c'est le dépérissement de l'économie marchande et monétaire (7), facteurs d'aliénation et d'inégalités entre les Hommes. Mais ce but ne peut être atteint d'un seul coup. On ne peut pas plus abolir les marchandises et l'argent par décret qu'on ne peut abolir par décret les classes sociales et l'État. Il s'agit de créer les préconditions matérielles et morales favorables à une telle abolition. Cela implique non seulement un développement accéléré des forces productives, mais encore l'éclosion immédiate d'autres normes de répartition que les normes bourgeoises, qui commencent une rééducation de tous les citoyens vers un comportement social fondé de plus en plus sur la solidarité et la coopération entre tous les Hommes.

A cette fin, l'aire d'application de l'économie marchande doit être progressivement limitée:

1. par le fait que les moyens de production - sauf les petits outils et ceux à fournir au secteur privé dans l'agriculture, le commerce et l'artisanat - cessent d'être des marchandises;

2. par le fait que le prêt à l'intérêt, l'usure et tout ce qu'ils impliquent sont supprimés pour les particuliers;

3. par le fait que le droit aux héritages se limite aux biens de consommation et est strictement plafonné;

4. par le fait qu'une fraction progressivement croissante de biens et de services de consommation sont distribués gratuitement, sans intervention d'argent, d'après la règle de la satisfaction des besoins. C'est la collectivité elle-même qui décidera des priorités en la matière, après débat public et par un vote démocratique, qui constituera une des pièces maîtresse du Plan. Mais il est de toute manière du devoir des socialistes révolutionnaires de combattre pour que ces priorités partent des soins de santé, de l'instruction, de la consommation culturelle, des transports urbains et de la nourriture de base (pain, lait, fruits du pays, pommes de terre, sucre, sel), pour qu'on se rapproche aussi vite que possible d'une véritable égalité de chances dans la vie pour tous et pour que l'Homme socialiste se libère de la plus grande crainte qui a harcelé le genre humain depuis ses origines: la peur de la faim et de la soif. Ce sont les progrès réalisés dans la voie de la distribution gratuite des biens et des services - à la fois les progrès de la production matérielle qui la rendent physiquement possible, et les progrès de la psychologie des consommateurs, qui la rend possible avec un minimum de gaspillage et de frais supplémentaires - qui seront la véritable mesure des progrès vers le socialisme.

2. L'organisation politique de la révolution socialiste

Le but du socialisme, c'est le dépérissement de l'État et son remplacement par une fédération de communes de producteurs-consommateurs s'administrant eux-mêmes. Mais la réalisation de ce but présuppose la solution d'une série de conditions économiques (l'abondance, le dépérissement de l'économie marchande et de la division sociale du travail), politiques (la disparition des classes sociales), psychologiques (l'acceptation par tous les citoyens de la discipline collective sans qu'elle entrave le libre développement des individus). Cette solution n'est pas possible au lendemain du renversement du capitalisme. Il est donc nécessaire que les travailleurs organisent, prolétariat.

Les idées de Marx à ce propos ont été développées par Lénine dans «l'État et la Révolution», qui a clairement indiqué que l'État des travailleurs est un État d'un genre spécial, État qui, tout en continuant à fonctionner comme tel à l'égard des ennemis de classe, cesse de plus en plus d'être un État à l'égard de la masse des travailleurs, c'est-à-dire un État qui commence en quelque sorte à dépérir dès ses origines. Cela signifie que pour l'immense majorité des citoyens, et la masse des travailleurs, non seulement les droits démocratiques, mais encore la possibilité matérielle d'en jouir doivent dépasser largement ce dont ces travailleurs ont fait l'expérience dans le cadre de la démocratie parlementaire bourgeoise.

Après l'expérience désastreuse faire en URSS à l'époque stalinienne, dont les conséquences continuent à sévir autant dans la réalité des pays qui ont aboli le capitalisme que dans la conscience d'une grande masse de travailleurs des pays capitalistes, il est nécessaire de rappeler plus que jamais que pour Marx et Lénine, «dictature révolutionnaire du prolétariat» n'a jamais signifié dictature d'un seul parti, ou dictature de la minorité des travailleurs d'accord avec tel ou tel parti. «Dictature révolutionnaire du prolétariat» doit donc être synonyme de démocratie socialiste, de démocratie des travailleurs, au sens le plus large du terme. Cela implique notamment;

1. que la structure de l'État fondée sur les conseils de travailleurs dans les entreprises et à base territoriale, sont les véritables détenteurs du pouvoir, et notamment du pouvoir armé;

2. que la centralisation de ce pouvoir se fait par un Congrès des conseils, élu démocratiquement par les conseils de base, et dont les délégués sont révocables à tout instant au gré de leurs électeurs;

3. que le(s) parti(s) révolutionnaire(s) lutte(nt) pour sa(leur) ligne politique juste au sein de ces conseils et de ce Congrès par des moyens de persuasion, de discussion, de débat politique, et non par la répression de tendance idéologique adverses; seule la répression d'organisations ayant violé la Constitution socialiste est admissible et doit se faire sur la base d'un processus judiciaire en bonne et due forme, avec le maximum de publicité (8);

4. que le droit à l'existence de tous les partis et tendances politiques qui respectent la Constitution socialiste soit garanti;

5. que l'indépendance des syndicats par rapport à l'État et aux organisations politiques soit strictement respectée, ce qui implique également le droit de tous les militants syndicaux de participer à la vie politique à tous les niveaux qu'ils désirent;

6. que pour combattre la naissance d'une bureaucratie privilégiée et du carriérisme, toutes les fonctions publiques soient électives et aucune fonction publique ne comporte un traitement supérieur à celui d'un ouvrier qualifié;

7. que la liberté de la presse soit assurée à tous les travailleurs par la stricte application des règles suivantes: socialisation de toutes les imprimeries, droit pour tout groupe de travailleurs dépassant un nombre minimum à la publication d'un hebdomadaire, de tout groupe de travailleurs dépassant un nombre 5 fois plus élevé que ce minimum à la publication d'un quotidien, révision périodique (annuelle ou bisannuelle) de ces licences sur la base de la réaction minima (du tirage minimum atteint) de ces publications; droit pour tout groupe de travailleurs inférieur à ces minima à faire paraître des articles, des résolutions ou des déclarations dans les journaux imprimés spécialement à cette fin;

8. que la liberté de réunion et de manifestation soit assurée à tout groupe de travailleurs dans le cadre de la constitution socialiste;

9. qu'un effort conscient soit entrepris pour faire participer à tour de rôle le maximum de travailleurs à l'exercice de fonctions exécutives au niveau de l'entreprise, du quartier, de la commune, de la région et du pays, et qu'une fusion maximum de l'exercice de fonctions législatives et exécutives soit réalisée au sein des conseils des travailleurs;

10. qu'un effort conscient soit entrepris pour abolir toute séparation institutionnalisée entre les producteurs et les administrateurs, les gouvernés et les gouvernants, et que notamment une révision radicale du système d'éducation prépare tous les citoyens à la participation progressive à l'auto-gouvernement dans l'économie et dans la vie sociale dans son ensemble (application des mêmes principes dans le système d'enseignement, dans l'organisation de l'habitat, dans l'organisation des transports, dans l'organisation des spectacles et des loisirs).

La révolution socialiste substituera à l'État belge unitaire, un fédération belge de républiques socialistes, comportant la République socialiste de Wallonie, la République socialiste de Flandre et le territoire autonome de Bruxelles. Elle s'efforcera d'intégrer au plus tôt cette fédération dans la confédération des États-Unis socialistes d'Europe. Sa politique étrangère sera dictée par les impératifs de la solidarité internationale des travailleurs et de la solidarité à l'égard de tous les peuples opprimés luttant pour leur émancipation. Ses buts seront d'arriver aussi vite que possible à une Europe socialiste dans un monde socialiste, seul cadre dans lequel le problème angoissant du sous-développement économique, sociale des deux-tiers de l'humanité peut être résolu à moins de frais. Dans un tel cadre, la Belgique socialiste s'engagerait à offrir en simple don, sans contrepartie aucune, l'équivalent de ce qu'elle dépense aujourd'hui sous forme de budget militaire, aux peuples jadis colonisés, avant tout au peuple du Congo, afin de compenser l'exploitation jadis imposée à ces peuples par les capitalistes belges, et de hâter l'avènement d'une fraternité universelle des Hommes.

Aussi longtemps que l'impérialisme et le capitalisme subsistent dans des pays dotés de moyens matériels puissants, les travailleurs belges auront le devoir d'assurer leur propre défense et celle de tous les pays non-capitalistes, sur la base de l'internationalisme prolétarien et dans l'esprit du respect de la souveraineté nationale de chaque peuple travailleur au pouvoir, qui est majeur et qui doit déterminer lui-même la voie qui lui convient le mieux pour construire le socialisme. Ils lutteront pour que ces principes élémentaires de démocratie socialiste et de solidarité internationaliste contre l'impérialisme et le capitalisme soient universellement appliquée à toutes les nationalités, sans discrimination ni exception aucunes.

3. L'organisation sociale et culturelle réalisée par la révolution socialiste

La victoire de la révolution socialiste ouvre la période de construction d'une société nouvelle, dont toute forme d'aliénation humaine doit finir par disparaître. Comme il y a une interaction dialectique des fins et des moyens, l'emploi de tout moyen qui implique qu'on s'écarte de ce but doit être éliminé. La révolution risque de devoir se défendre contre des ennemis de l'intérieur et de l'extérieur. Elle devra le faire sans esprit de compromission ni de capitulation, avec rigueur et obstination. Mais elle ne pourra jamais le faire en utilisant des méthodes qui sèment le désarroi et la démoralisation parmi les travailleurs, qui les font douter du bien fondé de leur mouvement, qui créent le scepticisme et le cynisme parmi les exploités et les opprimés ou qui aboutissent à leur division systématique, plutôt qu'à leur union. C'est pourquoi doivent être bannis de l'arsenal de la révolution socialiste le mensonge ou la falsification à l'égard des masses laborieuses, l'emploi de la répression ou de la violence physique entre les travailleurs, l'utilisation de propagande raciste ou nationaliste au détriment d'un groupe national ou linguistique quelconque, la délation ou le mouchardage au dépens des compagnons de travail, le culte du chef ou l'exaltation d'élites quelconques.

Pour la même raison, le travail à pièces et le système des primes individuelles doit être immédiatement réduit à l'extrême, pour être rapidement aboli. Il faut écarter toute tentative de corrompre par des avantages matériels des groupes quelconques des masses laborieuses, afin d'asseoir le pouvoir des travailleurs de manière particulière sur ces groupes privilégiés.

La révolution socialiste ne fait pas seulement oeuvre de transformation économique et de fondation d'un État de type nouveau. Elle doit profondément transformer la vie sociale et culturelle dans son ensemble, afin d'assurer l'avènement de la société socialiste. Les transformations essentielles porteront sur les terrains suivants:

1. un pourcentage progressivement croissant des ressources nationales (du produit national brut) sera consacré par priorité à l'assurance des soins de santé et des produits pharmaceutiques gratuits à tous les citoyens. Tous les rapports monétaires seront bannis des relations entre malades et personnel soignant à tous les échelons. Les dépenses nécessaires seront consacrées à assurer à tous une médecine de qualité. La nationalisation des firmes pharmaceutiques et l'emploi éducatif de la publicité et du réseau d'enseignement serviront à combattre les risques de consommation de produits pharmaceutiques; risques qui ne justifient d'aucune manière la réintroduction de rapports monétaires dans les soins de santé, qui ne peuvent que dénaturer profondément les rapports entre malades et médecins. Le réseau hospitalier sera unifié, le respect des conceptions philosophiques et religieuses de chacun étant assurées dans le cadre de ce système unifié et rationalisé grâce à l'autogestion des institutions par la masse de la population laborieuse au prorata des convictions:

2. un pourcentage progressivement croissante des ressources nationales sera de même consacré par priorité à la création d'un système d'enseignement démocratisé, réalisant l'égalité réelle des chances de tous les enfants. L'enseignement gratuit à tous les échelons sera accompagné d'un présalaire à partir de l'âge de 18 ans. L'école unique jusqu'à l'âge de 18 ans ouvrira les portes de l'université au fils et aux filles de la classe ouvrière. La gratuité des fournitures scolaires sera étendue à la distribution gratuite d'un minimum de livres de poche scientifiques nécessaires à de bonnes études universitaires.

3. Des conseils d'élèves constitueront la base d'un système d'autogestion dans l'enseignement moyen. Les universités seront gérées par des conseils universitaires élus au suffrage universel par les communautés universitaires selon le principe « un homme-une voix » (étudiants, professeurs, chercheurs, techniciens et personnel administratif et ouvrier réunis). L'école moyenne unique évoluera rapidement vers l'école polytechnique et polyscientifique qui permettra une auto-sélection par les élèves eux-mêmes,de leurs vocations futures, en connaissance de cause. Le personnel enseignant aura pour tâche particulière d'aider à surmonter les inégalités entre les enfants qui sont fonction du milieu d'origine (milieu rural, milieu familial défavorable, caractères difficiles, etc.). Un effort spécial sera fait pour dépasser progressivement l'inégalité de formation scolaire et de chances dans la vie professionnelle entre filles et garçons. l'aménagement rationnel du territoire, l'urbanisme, la réorganisation du système des transports en commun et la reconstruction systématique des logements devront surmonter aussi vite que possible les tares les plus criantes provoquées par le développement maladif des villes et de la circulation automobile sous le capitalisme. La priorité sera accordée à la lutte contre la pollution de l'air et des cours d'eau, la lutte contre le bruit, la restructuration des villes dans des espaces verts, le développement de transports urbains gratuits, l'élimination radicale des camions et automobiles privés des grandes agglomérations, l'organisation collective du chauffage, du lavage, des grands services publics rationalisés. Le but à atteindre, c'est la création de collectivités harmonieusement intégrées de logements, de groupes scolaires, de centres de distribution et de récréation, dans un cadre naturel ressuscité et sans éloignement excessif du centre de travail, c'est-à-dire des communautés de quelques dizaines de milliers d'habitants au maximum, « adossés » à quelques centres importants de production, et capable d'un maximum d'auto-administration par les habitants eux-mêmes. Tout plan de reconstruction du fonds des logements (élimination prioritaire des taudis et des logements ouvriers sans conforts) devra être orienté vers la réalisation de ce but par étapes progressives;

4. la révolution socialiste s'efforcera de garantir à chaque citoyen la sécurité d'existence, en l'assurant d'un revenu minimum de ménage, quelque soit l'épreuve qui le frappe (maladie, invalidité, accident de travail, vieillesse,...). La réalisation progressive de la distribution selon les besoins facilitera grandement ce but. La modification radicale de la structure interne des entreprises devra réduire la fréquence des accidents du travail. L'organisation systématique de la médecine préventive et du dépistage des maladies sociales, organisée de manière à assurer aux individus et à la communauté l'emploi le plus rationnel des ressources humaines et matérielles. Un effort particulier sera entrepris pour permettre à ceux qui jouissent de leur retraite de maintenir une activité sociale adaptée à leurs possibilités et à leurs besoins, s'ils le désirent, et à leur fournir le cadre et les soins nécessaires pour qu'ils puissent effectivement jouir de la retraite;

5. la création culturelle et artistique sera libre; les moyens matériels seront mis à la disposition de toutes les écoles et tendances, sous un régime d'autogestion des artistes et écrivains. Les tendances à l'intégration systématique des diverses formes de production culturelle et artistique dans la vie et le travail quotidien des communautés seront encouragées, comme le sera la pratique artistique et l'éducation culturelle des enfants en bas âge, afin d'assurer le développement intégral du capital artistique potentiel de la nation. Un effort particulier sera entrepris pour l'échange et la diffusion internationale de la culture et des arts, la révolution socialiste ne craignant pas mais recherchant la compétition culturelle avec toutes les autres sociétés; forte de sa juste cause et de la supériorité que lui conférera l'accès des masses beaucoup plus large non seulement à la consommation mais à la production artistique et culturelle;

6. la séparation de l'Église et de l'État sera entière; les ressources matérielles pour le fonctionnement des Églises seront fournies exclusivement par les fidèles eux-mêmes. Aucune persécution ne sera tolérée contre les cultes et les religions en tant que tels, persécutions qui ne peuvent que renforcer les racines de l'Église dans le peuple et est donc contre-indiquée même du point de vue des adversaires de la religion. Ceux-ci feront confiance à l'élévation du niveau de conscience et de confiance en elles-mêmes des masses laborieuses, au fur et à mesure que se construit la société socialiste, pour attendre le dépérissement inévitable de la religion dès que la question sociale, l'exploitation et l'oppression de l'Homme par l'Homme, et l'injustice sociale auront disparues. De la même façon, les travailleurs religieux, gagnés à la construction de la société nouvelle devront être convaincus que la véritable foi se révélera lorsque la puissance matérielle de l'Église aura disparue et que les causes matérielles du malheur des Hommes dépériront. Ce double pari implique la possibilité d'une union fraternelle des travailleurs révolutionnaires, socialistes, athées et croyants dans l'effort de construire une société fondée sur l'égalité, la justice et le libre essor de la personnalité de tous, grâce à l'élimination du mode de production capitaliste.

Notes:

«Entre la société capitaliste et la société communiste, se place la période de transformation révolutionnaire de celle-là en celle-ci. A quoi correspond une période de transition politique où l'État ne saurait être autre chose que la dictature du prolétariat.» Karl Marx, «Critique du Programme de Gotha», éd. Sociales, Paris 1972.

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