Chômage : Imposer le droit à l’emploi
Par Frida Fuego et Laurent Carasso le Lundi, 17 Juillet 2006 PDF Imprimer Envoyer

Intérims, contrats à durée déterminée, contrats saisonniers, stages : les petits boulots sont le passage obligé pour espérer décrocher un véritable contrat. Le chômage, le temps partiel imposé et la précarité multiplient le nombre de travailleurs pauvres, dont les femmes constituent l’immense majorité. Une logique à rebours du gouvernement et du patronat est plus que nécessaire.

Toutes les politiques menées par les gouvernements avec l’objectif affiché de faire baisser le chômage présentent trois caractéristiques. En premier lieu, le coût du travail est réduit grâce à un empilage d’allégements, d’exonérations de cotisations sociales, jusqu’à des systèmes comme le revenu minimum d’activité (RMA), autant de primes versées en fait aux patrons pour faire travailler au moindre coût. Ensuite, la pression sur les salariés est accrue avec la multiplication des contrats précaires et l’allégement des contraintes des employeurs vis-à-vis des licenciements, du droit du travail et des conventions collectives. Enfin, ce sont les chômeurs eux-mêmes qui sont rendus responsables de leur situation, à coup de campagne de culpabilisation, de radiation, de baisse organisée du nombre de chômeurs indemnisés, de l’obligation d’accepter n’importe quel emploi.

En clair, les gouvernements ont mis en œuvre les préceptes libéraux et les injonctions du Medef, qui imputent le chômage à un coût du travail trop élevé et à des « rigidités » trop grandes. Le contrat nouvelles embauches, créé par ordonnance pendant l’été 2005, en est la parfaite illustration. Au nom de l’emploi, il autorise le licenciement sans motif.

Les conséquences de ce rouleau compresseur sont malheureusement claires : depuis 25 ans, les salariés ont perdu 10 % des fruits de leur travail, dans le partage de la valeur ajoutée, et le nombre de chômeurs ou de salariés pauvres n’a cessé d’augmenter.

Pour inverser cette tendance, qui progresse partout en Europe - même là où le chômage est moins important qu’en France -, il faut en finir avec la méthode des « incitations » : incitations des patrons à embaucher en allégeant leurs obligations salariales et en démantelant le code du travail, incitations des chômeurs à prendre n’importe quel emploi, même déqualifié et sous-payé, sous la menace de suppression des allocations.

Nous devons en revenir à un précepte élémentaire : le droit de tous et de toutes à un emploi stable et correctement rémunéré. Le préambule de la Constitution de 1946, repris par celle de la Ve République, stipule clairement : « La société doit fournir un emploi à chacun de ses membres. » Engagement certes de pure forme dans ce texte, mais pour nous essentiel, et à mettre en application d’urgence. Face à la propagande libérale, il faut réaffirmer une évidence : c’est le patronat, dans son ensemble, qui porte la responsabilité du chômage et de la précarité. C’est donc sur lui que doit peser la coercition.

Le premier pas est de supprimer tous les dispositifs censés aider le retour à l’emploi, mais qui ne sont que des diminutions du coût du travail, au détriment des salariés, du financement de la Sécurité sociale et du budget. Ces dispositifs n’ont que des effets d’aubaine en substituant un emploi exonéré à un emploi avec un salaire complet. Ce cadeau de plus de 20 milliards par an octroyé ainsi au patronat doit disparaître.

Contrainte

La seconde question est celle du travail précaire. Si le contrat à durée indéterminée (CDI) ou le statut stable restent encore la forme de contrat prédominante, gouvernements et patronat n’ont eu de cesse, depuis des années, de développer des contrats précaires, dans le privé comme dans le secteur public. Présentés comme outils de lutte contre le chômage, ils ont surtout servi à dégrader les conditions d’emploi, à développer la précarité et à diminuer le coût du travail. Comment envisager avec un tel contrat de vivre normalement, de faire le moindre projet, d’obtenir un logement ou un crédit ?

Le code du travail ne doit reconnaître qu’un seul contrat, le CDI à temps complet pour toutes et tous, y compris pour les jeunes. Ce qui exclue clairement les embauches à temps partiel imposé. En revanche, tout salarié doit disposer du droit de passer en temps partiel volontairement, à son initiative, avec droit au retour à temps complet, sur simple demande. Soulignons qu’actuellement, les quatre millions de salariés à temps partiel sont pour 82 % des femmes, et que le temps partiel se conjugue souvent avec des contrats à durée déterminée, saisonniers ou aidés. La réalité est bien éloignée du temps choisi !

La liberté de licencier constitue le cœur du problème. Ce droit exorbitant dont dispose, use et abuse le patronat, est contradictoire avec le droit à l’emploi. Le droit de licencier fait du salarié une simple marchandise, une variable d’ajustement liée aux aléas de l’entreprise et des calculs financiers des actionnaires. Ces licenciements boursiers sont proprement scandaleux, les salariés servant de lest, lâchés pour faire remonter les montgolfières de la Bourse. Mais au-delà des licenciements collectifs, visibles, il ne faut jamais perdre de vue que 85 % des licenciements « économiques » se font sous forme de licenciements individuels, ou par paquet de moins de dix salariés, échappant à toute réglementation.

Les deux tiers des licenciements sont attribués à des « motifs personnels » (inaptitude, faute...). Tous ces motifs invoqués comme cause réelle et sérieuse dans ces licenciements sont autant de moyens de pression et de chantage pour l’ensemble des salariés, qui vivent dans la crainte du licenciement.

Concernant les licenciements dits pour faute, nous dénions totalement aux patrons le droit de se faire justice car, dans les faits et dans la loi, aujourd’hui, ils disposent d’un droit disciplinaire, d’un droit pénal, d’un pouvoir exorbitant qui permet de traiter « son » salarié comme un mineur juridique. Si un salarié commet un délit au sein de l’entreprise, il doit simplement être soumis aux mêmes règles qu’en dehors de l’entreprise, charge à son employeur de porter plainte, comme sont obligés de le faire les salariés dans le cas inverse. En aucun cas, le licenciement ne peut être la sanction de ce délit. Ou alors, il est une double peine, un droit de classe et doit être mis hors la loi.

Injustice

De même, les licenciements pour inaptitude frappent le plus souvent des salariés usés ou cassés par le travail et jetés après usage. Quant aux licenciements pour incompatibilité ou insuffisance professionnelle par exemple, ils relèvent purement et simplement de l’arbitraire, du délit de sale gueule ou de résistance. Il faut imposer la nullité de tous ces licenciements, le paiement des salaires perdus et la réintégration des salariés. C’est donc le principe même du licenciement qui doit être mis hors la loi. La réalisation du droit à l’emploi impose que la loi reconnaisse le droit inaliénable à un emploi stable tout au long de sa vie active, par la suppression du licenciement. En pratique, cela veut dire que le salarié, dès ses débuts professionnels, dispose d’un contrat de travail en CDI avec le salaire correspondant à sa qualification.

Le patronat se réfugie derrière la situation économique de telle ou telle entreprise, de tel ou tel secteur, pour enlever à des salariés leur statut social et leurs moyens de subsistance, sans rendre aucun compte à la société, chargée dès lors de remédier, en aval, à cette situation. Il ne s’agit donc pas de trouver des parachutes, des pansements sociaux au chômage, mais de l’éradiquer, en rendant le patronat totalement responsable du maintien de l’emploi.

Aujourd’hui, un grand nombre de suppressions d’emplois ont des causes identifiables : gains de productivité qui ne se traduisent pas par une baisse du temps de travail et une amélioration des conditions de travail, mais par des licenciements pour augmenter la marge ; jeu de sous-traitance, l’entreprise donneuse d’ordre se séparant d’un prestataire pour se tourner vers un moins-disant social ; faillite ou fermeture au sein d’un secteur, une autre entreprise récupérant les parts de marché laissées vacantes.

Ce n’est pas aux salariés de faire les frais de ces aléas capitalistes. C’est le groupe, la branche ou le donneur d’ordre qui doivent être responsables, le salarié voyant perdurer son contrat de travail, l’ensemble de ses droits sociaux individuels et collectifs, charge au patronat de lui fournir un nouveau poste. Il en est de même en ce qui concerne les évolutions technologiques et les changements de production. Avec tous ses défauts, le statut de la fonction publique offre une protection similaire pour les agents statutaires, comprenant notamment la continuité de carrière, le plus généralement sans déqualification possible.

Rupture

Il faut réaffirmer deux principes indissociables. Premièrement, ce sont les salariés les premiers concernés et les mieux placés pour déjouer les plans patronaux et trouver des solutions pour empêcher les licenciements. Ils doivent avoir accès à toutes les informations économiques, commerciales, bancaires, avoir tous les moyens d’investigation et d’expertise. Mais ce droit d’information n’est qu’un couteau sans lame s’il ne s’accompagne pas du droit d’imposer ces solutions, y compris par l’appropriation publique de l’entreprise sans indemnité. Second volet, la création, au sein de la Sécurité sociale, d’un fond de mutualisation alimenté exclusivement par des cotisations patronales et géré par les salariés, permettrait de financer - et donc de rendre effectif - le droit permanent à l’emploi pour tout salarié quelle que soit son entreprise. Le patronat doit devenir collectivement responsable de la continuité du contrat de travail, pour permettre au salarié de garder un emploi, dans sa qualification ou dans une qualification supérieure.

Imposer de tels droits au patronat permet aussi de poser sereinement la question de productions inutiles, nuisibles, voire dangereuses, et des reconversions industrielles nécessaires. Les salariés de la chimie et de l’industrie d’armement pourraient ainsi opter pour d’autres productions, sans menacer pour autant leur emploi.

La conséquence de telles mesures serait évidemment une remise en cause de la répartition actuelle des richesses produites et du pouvoir des patrons et des actionnaires. Elles supposent un contrôle des capitaux, sans lequel les grands groupes menaceraient rapidement de mettre la clé sous la porte. Elles ne sont pas envisageables sans la construction d’un rapport de force pour faire plier le patronat, comme ce dernier a réussi à faire plier les salariés ces dernières années.

Elles tracent aussi ce que serait le chemin que prendrait un gouvernement vraiment fidèle aux travailleurs, rompant avec les logiques capitalistes des gouvernements actuels et précédents, ainsi que celles des règlements de l’Union européenne.


  Satisfaire d’autres exigences

• Passer immédiatement à 35 heures pour toutes les entreprises, aller rapidement vers les 30 heures et réduire régulièrement le temps de travail travailler tous et toutes, moins et mieux.

• Créer des emplois socialement utiles. L’accueil de la petite enfance, la prise en charge des personnes âgées ou dépendantes sont des tâches dévalorisées, assumées dans le cadre familial ou par le biais d’emplois précaires sous-payés. La création de services publics assurerait à la fois la qualité du service et des emplois stables et qualifiés.

Voir ci-dessus