Martin Luther King. Un combat toujours actuel
Par Ataulfo Riera le Samedi, 15 Juillet 2000 PDF Imprimer Envoyer

Le 4 avril 1968, Martin Luther King, leader du mouvement pour l'émancipation des Noirs aux Etats-Unis, était assassiné à Memphis. Trente ans plus tard il reste, tout comme Malcolm X, l'un des principaux symboles de cette lutte, toujours actuelle.

Le 1er décembre 1955, dans l'Alabama, une femme noire refuse, comme le règlement l'y oblige, de céder sa place à un Blanc dans un autobus bondé. Elle est immédiatement arrêtée. Le 5 décembre, un dirigeant syndical noir décide d'organiser le boycott des transports en commun: un long combat s'engage qui, malgré la terreur exercée par le Ku-Klux-Klan, se soldera par la victoire. Au cours de ce combat, une personnalité se dégage: le pasteur Martin Luther King, alors âgé de 26 ans. C'est lui qui imprimera désormais sa marque au mouvement pour les droits civiques.

D'origine bourgeoise, brillant intellectuel ayant lu Gandhi, Hegel et Marx ainsi que des auteurs libertaires, doté d'un charisme, d'une force oratoire et d’un caractère qui en font bien vite un leader des masses, il généralisera l'expérience de l'Alabama: la résistance active non-violente. Un vaste mouvement de lutte contre toutes les formes de ségrégation s'étend dans tout le pays: boycott de magasins et de restaurants refusant de servir les Noirs, sit-in dans les écoles, universités, bibliothèques, parcs et piscines non-mixtes, marches de masse, pétitions, etc. L'écho de King ne cesse de croître dans une communauté où il s'oppose au courant petit-bourgeois (aux méthodes strictement légalistes et aux objectifs gradualistes).

Victoires

Loin de l'image d'Epinal traditionnellement véhiculée, King n'était pour autant pas un pacifiste: "Sa non-violence n'est pas une méthode de lâcheté, mais de militantisme. Elle est au plus haut degré active et non passive (...). Ce qui le détermine à être 'non-violent', c'est, avant tout, un mobile d'ordre tactique. (...)" (1). Pour lui, la lutte violente est non-rentable car la minorité noire (19 millions) est désarmée face à la violence officielle et privée. De plus, la violence risque de retourner une grande partie de l'opinion publique blanche indignée par la violence raciste.

En mobilisant de larges masses, en prônant l'action collective et immédiate et en obtenant le soutien d'une part de plus en plus large de l'opinion publique blanche, King obtient des résultats, notamment après la Marche des Noirs sur Washington avec 250.000 participants. En 1964, le Congrès supprime toute forme de ségrégation dans les lieux publics et protège le droit de vote des Noirs. Les discriminations à l'embauche sont abolies. En 1965, de nouvelles lois abrogent les derniers vestiges de la ségrégation raciale légale: 100 ans après l'abolition de l'esclavage!

Oppression et exploitation

C'est la fin d'une étape dans la lutte pour l'émancipation. Car, si dans la loi l'inégalité est supprimée, dans la réalité sociale, les Noirs, majoritairement prolétaires, sont la catégorie nationale la plus opprimée et exploitée du capitalisme américain. En 1963, 5 fois plus de Noirs que de Blancs logent dans des taudis. En moyenne, leur espérance de vie est inférieure de 7 ans à celle des Blancs. Les écarts de revenus s'accroissent: si le salaire moyen d'un travailleur noir était de 62% de celui d'un blanc en 1952, il est, 10 ans plus tard, de 55%! Le chômage fait des ravages: l'accélération du progrès technique a massivement éliminé les emplois manuels peu qualifiés dans l'industrie et l'agriculture et ce alors que les travailleurs noirs sont à 80% des ouvriers non spécialisés. Le chômage touche ainsi 14% des Noirs alors qu'il n'atteint pas 6% chez les Blancs. (2)

Face à une situation sociale désastreuse qui empire, la tactique de King et son aura perdent de leur attraction, surtout dans la jeunesse noire des ghettos urbains. S'il est conscient des bases sociales et économiques de l'oppression des Noirs, il ne saura pas apporter de nouvelles réponses, de nouvelles formes de lutte, plus radicales, à la jeune génération. Cette dernière n'attend d'ailleurs pas et se révolte à partir de 1965. Cette année-là, une véritable insurrection éclate dans le quartier de Watt à Los Angeles: incendies, barricades... Bilan: 34 morts, 1.071 blessés, 400 arrestations. En 1966 40 villes sont touchées par ces révoltes et le chiffre passe à 164 en 1967 ! A Détroit, il aura fallu l'intervention de 4.700 parachutistes pour rétablir "l'ordre". (3)

L'année 1965 est également celle de l'assassinat du leader Malcolm X. Issu du mouvement séparatiste noir des Black Muslims, il avait rompu avec ces derniers et s'orientait de plus en plus vers une ligne de classe anticapitaliste et internationaliste. X s'opposait sur de nombreux points au King, notamment sur la violence, qu'il jugeait légitime en tant qu'acte de nécessaire défense, il devenait ainsi rapidement, au détriment de King, la nouvelle figure emblématique de la communauté noire radicalisée. Ce qui explique sans aucun doute son élimination. (4)

Dans ce climat, Luther King va orienter son discours sur la contestation sociale. Il dénonce publiquement la coûteuse et sanglante guerre du Vietnam où les jeunes conscrits noirs sont en nombre proportionnellement plus élevé que les blancs. Avant sa mort, il projette une nouvelle marche sur Washington sur le thème de la pauvreté. Le 28 mars 1968, il défile à la tête d'une manifestation de grévistes éboueurs noirs. Le 4 avril, alors âgé de 39 ans, il est assassiné. Sa mort provoque une nouvelle vague de révolte qui touche 150 villes dans tout le pays. Pour tenter de calmer la situation, le gouvernement décrète un deuil national le 9 avril pour l'enterrement du pasteur: 100.000 personnes participent.

Tout comme pour Malcolm X, son assassinat reste "énigmatique". Rapidement arrêté, le meurtrier passe aux aveux et plaide coupable ce qui empêche, selon la procédure américaine, la tenue d'un procès. Les autorités ne chercheront donc pas à connaître les motivations du criminel ni s'il s'agissait d’un complot ou d'un acte isolé. Aujourd'hui, le meurtrier clame son innocence. Le rôle du FBI, tout comme dans le meurtre de Malcolm X, est pourtant plus que douteux. De 1963 à 1968, King est sous surveillance constante, des pressions s'exercent, dont une lettre "anonyme", fabriquée par le FBI, et qui tente de le pousser au suicide (5). Une fois de plus, la question reste: à qui profite le crime?

Aujourd'hui, la situation des Noirs américains reste désastreuse: 30% des familles noires vivent sous le seuil de pauvreté, l'espérance de vie est inférieure de 6 ans à celle des Blancs (6). Le taux de mortalité infantile, qui n'est que de 8 pour 1000 chez les Blancs, atteint les 19 pour mille chez les Noirs. Le taux de chômage des jeunes noirs s'élève au double (28%) de celui des jeunes blancs! (7)

« Ni l'intégrationnisme, ni le séparatisme (...) ne détiennent la solution définitive du problème noir américain. Il y faudrait rien moins qu'une mutation révolutionnaire totale de la société américaine, c'est-à-dire tout à la fois raciale, sociale, économique, politique et internationale. Cette mutation, les hommes de couleur, livrés à leurs seules forces, pourraient, sans aucun doute, l'amorcer. Mais pour la mener à terme, il leur faudrait réussir à entraîner les travailleurs blancs" (8).

La Gauche n°7, 17 avril 1998

Notes:

1) Daniel Guérin, "Décolonisation du noir américain". Editions de Minuit, Paris 1963.

2) Daniel Guérin, op. cit.

3) André Kaspi, "Qui a assassiné Martin Luther King?", L'Histoire n°219, mars 1998.

4) Malcolm X, "Le pouvoir noir". Editions L'Harmattan, Paris 1992.

5) André Kaspi, op. cit.

6) Eco-Soir, 28/05/93

7) Rapport annuel sur le développement humain du PNUD, 1993 et 1994.

8) Daniel Guérin, op. cit.

 

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