Louise Michel. L'anarchiste
Par Eric Laffont le Vendredi, 06 Avril 2007 PDF Imprimer Envoyer

Le centenaire de la mort de Louise Michel (1830-1905) est l’occasion de revenir un court instant sur cette personnalité du mouvement ouvrier. D’abord, pour soulager une image des innombrables épithètes dont on l’a habillée : Jeanne d’Arc de la Commune, Théroigne Méricourt de la République, nonne ou vierge rouge, ange du pétrole, pucelle de Belleville, Don Quichotte en jupon, druidesse de l’anarchie, rebelle éternelle drapée de rouge et de noir, messie de la cause anarchiste... Et pour faire un peu d’histoire et rendre hommage tout simplement.

Vraisemblablement enfant naturel du châtelain Charles-Étienne Demahis ou de son fils et d’une domestique, Marianne Michel, Louise Michel se préoccupe dès son plus jeune âge du sort des miséreux tout autant que de celui des animaux, qu’elle considère « victimes de la cruauté des hommes ». Jouissant d’une éducation particulièrement libérale, elle lit Voltaire et écrit ses premiers poèmes à 15 ans, qu’elle envoie à Victor Hugo qu’elle admire. Elle désire vivre de sa plume et se destine à la profession d’institutrice.

Ses premiers écrits, publiés en 1861, témoignent d’un intérêt pour le monde asilaire et s’attachent à répondre au sort des aliénés, fous ou idiots, pour lesquels elle milite afin qu’ils soient réinsérés dans la société. Le traitement que la société française réserve à l’époque aux aliénés suscite chez la future combattante de la Commune le sens de la fraternité humaine et le désir de bouleverser les rapports humains. La lecture de son poème Lueurs dans l’ombre (1861) nous fait découvrir une Louise Michel croyante, plus perméable à l’enseignement de l’Évangile qu’au manifeste révolutionnaire.

Naissance d’une combattante

Elle quitte la Haute-Marne pour Paris. Dès lors, elle s’éloigne peu à peu du catholicisme social alors que sa foi chrétienne s’altère devant les injustices sociales. Indépendante, se refusant au mariage, avide de connaissances et de savoirs, Louise Michel gère, non sans difficultés, sa révolte intérieure. C’est dans la capitale qu’elle fait la connaissance de Théophile Ferré, d’Émile Eudes et de Raoul Rigault, tous trois promus à devenir des personnalités importantes de la Commune de Paris. Elle se lie donc aux milieux d’opposition au Second Empire. Le 12 janvier 1870, elle participe, habillée en homme et dissimulant un poignard, à l’imposante manifestation appelée pour rendre hommage au journaliste Victor Noir, assassiné par le prince Pierre Bonaparte, neveu de Napoléon III. Louise Michel, la combattante, est née.

Le lendemain de l’enterrement de Noir, elle écrit : « Les femmes affirment leur droit et leur devoir de prendre part aux deuils de la patrie. » Elle qui signa ses premiers articles dans un journal de Haute-Marne sous le nom de « Louis Michel » pour avoir plus de chance d’être publiée, s’habille comme un homme puis, durant la Commune de Paris, se bat comme un homme. Voilà une manière contradictoire d’afficher son féminisme, s’interroge-t-on. Pourtant elle n’aura de cesse durant toute l’insurrection de se battre sur les deux fronts : celui du combat contre Versailles revendiquant le « droit au péril et à la mort », « le droit de se battre comme un homme » et celui du droit de « mettre en œuvre les forces propres des femmes » à savoir « leur détermination, leur sens de l’administration, leur dévouement aux soins ». Elle ne cherche pas, pour autant, à faire porter ses exigences au sein d’un collectif, d’un parti. Louise Michel est une propagandiste de terrain, une activiste. Il suffit qu’on lui déconseille de franchir les lignes ennemies dans l’idée d’aller assassiner Thiers pour qu’elle prenne l’initiative de les franchir et de prouver que l’on peut donc passer les lignes versaillaises. Son caractère désinvolte et son indépendance ne cessent d’agacer les personnalités dirigeantes de la Commune.

Il ne faut pas conclure à son refus de l’instance collective. Louise Michel est adhérente aux deux comités de vigilance du 18e arrondissement et, dès novembre 1870, préside le comité républicain de vigilance des citoyennes de Montmartre. Elle y exerce une large influence du fait de son talent d’oratrice. Un talent qu’elle met au service du combat dans la rue et sur les barricades, « préférant la compagnie des hommes » aux « bavardages des femmes », tout en se consacrant aux œuvres pédagogiques et sociales. Le combat révolutionnaire et la pédagogie s’inscrivent dans une même volonté de participer à l’amélioration du sort des opprimés. Durant la Semaine sanglante, elle participe aux derniers affrontements tout en assumant pleinement son rôle d’ambulancière jusqu’à sa reddition, les Versaillais ayant arrêté sa mère à sa place. Emprisonnée, elle est déférée devant un conseil de guerre au cours duquel elle donne une véritable leçon de courage et de morale révolutionnaire : « Je ne veux pas me défendre [...] j’appartiens tout entière à la révolution sociale et je déclare accepter la responsabilité de tous mes actes. [...] Vous êtes des hommes et moi je ne suis qu’une femme, et pourtant je vous regarde en face [...] Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi. » Cette proclamation provocatrice sonne comme une volonté de martyre, de sacrifice. Le religieux, pourrait-on dire, est encore prégnant. Elle dit surtout ne rien attendre de ces hommes, conservateurs et misogynes, dont les serviteurs armés ont rempli les fosses communes des cadavres d’hommes, de femmes et d’enfants.

Déportée

Elle est déportée en Nouvelle-Calédonie. Qu’importe, Louise Michel s’est définitivement consacrée à l’humanité opprimée, qu’elle soit mère de famille ou prostituée, blanche ou « nègre ». Ces « nègres », elle, Louise Michel a cherché à les instruire et les soutient lors de leur insurrection de 1878, tandis que les communards déportés participent à la répression. Elle devient, avant tous, une combattante anticoloniale. Le 9 novembre 1880, Louise Michel est de retour à Paris, amnistiée par la République. Elle est anarchiste d’affiliation sans discussion possible et son drapeau n’a qu’une seule couleur, il est noir. Elle s’inscrit dans tous les combats contre la peine de mort (1877), pour la réquisition de nourritures avec les sans-travail (1883), avec les grévistes de Decazeville (1886), en faveur de la grève générale (1890), pour Dreyfus (1898). Elle sillonne la France et l’Europe pour y tenir de multiples conférences anarchistes. C’est au cours de l’une d’elles, au Havre, qu’un fou lui tire dessus. Elle refuse de porter plainte contre lui. Son activisme anarchiste la conduit de nombreuses fois en prison sans altérer naturellement sa combativité. Seules les lois scélérates de 1893 la contraignent à un exil momentané, à Londres, pour deux ans.

C’est la maladie qui aura raison d’elle. Le 9 janvier 1905, à Marseille, Louise Michel, militante féministe et anarchiste, écrivaine, combattante infatigable, ne peut se soustraire à la mort. Le 21 janvier, Paris ouvrier, révolutionnaire, anarchiste, républicain et socialiste accompagne sa dépouille jusqu’au cimetière de Levallois-Perret, étonné de découvrir que, sur son cercueil, reposent des emblèmes maçonniques...

Pour en savoir plus : "Je vous écris de ma nuit", correspondance de Louise Michel, présentation de Xavière Gauthier, édition de Paris, réédition 2005 ; Le Livre du bagne, et Le Livre d’Herman, textes présentés par Véronique Fau-Vincenti, édition aux Presses universitaires de Lyon, 2001.

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