Francisco Louçà : "Une nouvelle forme d'organiser l'intervention politique"
Par Ataulfo Riera le Vendredi, 06 Janvier 2006 PDF Imprimer Envoyer

Le 9 octobre dernier se sont tenues au Portugal des élections municipales. La social-démocratie a été largement sanctionnée tandis que le Bloc de Gauche, formation anticapitaliste, a connu un nouveau succès qui démontre son ancrage et sa vitalité. Entre-temps, le Bloc a désigné son candidat pour les élections présidentielles de janvier 2006. Il s'agit de notre camarade Francisco Louçà (membre de la Plate-forme socialiste révolutionnaire, section portugaise de la IVe Internationale), 48 ans, économiste et élu député depuis 1999. Nous l'avons rencontré à Bruxelles à l'occasion du Colloque en hommage à Ernest Mandel.

Après son succès aux élections municipales, le Bloc se trouve désormais engagé dans la campagne pour les présidentielles pour lesquelles tu seras candidat. Peux-tu nous parler de ces deux campagnes et du contexte politique actuel au Portugal ?

Francisco Louça : les élections municipales sont très différentes des élections présidentielles. La structure du pouvoir local et municipal est très importante au Portugal. Elle a été totalement créée par la Révolution de 1974 avec un parlement et un gouvernement élus à la proportionnelle dans chaque ville, et surtout avec un réseau de conseils locaux basés sur le regroupement de la population au niveau des quartiers. C'est un réseau énorme de plusieurs centaines de milliers de personnes qui, à des niveaux différents, représentent la population. Ce pouvoir n'existait pas du tout auparavant, la dictature nommait des gens pour diriger les villes. Ce sont donc des élections importantes.

Le Bloc de Gauche a été créé en 1999. La première participation aux municipales a eu lieu en 2001. Les résultats étaient mitigés mais il y avait un réel début d'implantation. Pour ces élections-ci, l'enjeu était beaucoup plus important. Elles devaient nous permettre, en tant qu'organisation très ouverte, très "mouvermentiste", de nous enraciner, et pas seulement dans les grandes villes. Les résultats ont été intéressants. Nous avons obtenu entre 4 et 5% au niveau national selon les trois types d'organismes en question: le quartier, le parlement de la ville et l'élection directe au gouvernement. 350 candidat/es ont été élus. Nous avons décroché quelques victoires importantes dans des grandes villes comme Lisbonne mais nous avons aussi essuyé quelques défaites politiques comme à Porto où nous n'avons pas pu élire de représentant/es au parlement de la ville.

Dans l'ensemble, ce fut donc un grand succès qui nous a confronté à l'obligation et à la responsabilité d'une intervention locale très concrète. Nous avons mené une campagne centrée sur la transparence, la démocratie, la lutte contre la corruption et surtout les alternatives sur le développement des villes et les questions urbaines, les choix démocratiques sur le budget, le logement, la mobilité, etc. C'était une étape importante pour transformer le Bloc en une organisation politique de référence et d'intervention nationale en une force sociale mieux implantée au niveau local. Nous présentions quelques 10.000 candidat/es, ce qui représente une force sociale et populaire plus large.

Les résultats des élections sont également caractérisés par trois traits: une défaite pour les partis du gouvernement, de majorité PS; une petite récupération pour le Parti communiste, qui était traditionnellement très fort dans les élections municipales; et une importante victoire pour la droite puisqu'elle dirige désormais pratiquement toutes les grandes villes, ce qui est surprenant étant donné que la social-démocratie avait obtenu pour la première fois de son histoire une majorité absolue lors des élections législatives quelques mois plus tôt. Cela s'explique par un mécontentement très fort de la population envers les mesures néolibérales de ce gouvernement, notamment dans la fonction publique.

Les élections présidentielles sont naturellement très différentes parce qu'elles portent sur quelques candidats. Le président élu peut briguer deux mandats consécutifs de 5 ans. L'actuel président sortant est l'ancien secrétaire général du Parti socialiste, Jorge Sampaio, qui a exercé ses fonctions pendant 10 ans à la suite de Mario Suares qui avait lui aussi assumé ce poste pendant 10 ans. Le Parti socialiste a donc exercé ce mandat depuis 20 ans mais il est possible qu'il soit cette fois-ci gagné par la droite, désormais unie. Son candidat est très fort: Silva, un ancien Premier ministre. Il a été un Premier ministre très autoritaire, mais il a dominé la scène politique portugaise à l'époque où l'adhésion à l'Union européenne avait permis un flot de financement très important. Face à lui, le Parti socialiste se présente pour la première fois divisé entre deux candidats, dont Mario Suares, déjà président 2 fois et qui se représente à nouveau, ce qui est inédit. Il a l'ambition de regrouper les forces socialistes et de terminer sa carrière politique par une victoire. Ses rivaux sont un député socialiste, qui se présente comme étant à la "gauche" du PS; le candidat du Parti communiste, et moi-même.

Quels sont les grands thèmes dominants de cette campagne ?

F.L : Nous sommes actuellement en pré-campagne, avec la présentation des programmes. Il apparaît d'ores et déjà que le débat sera dominé par les problèmes sociaux, la question de l'Europe et les choix de politique internationale. Les questions internationales seront importantes suite au mouvement contre la guerre en Irak, à la victoire contre la Constitution européenne, à l'échec du budget de l'UE et à la crise de légitimité et de leadership que cette dernière traverse alors que c'est un portugais, Barroso, qui est à sa tête. Le seul "leader" qui émerge est Tony Blair. Or, ce dernier est en contradiction avec le projet traditionnel de la bourgeoisie sur la construction de l'Europe. Mais c'est la question sociale qui sera la plus centrale dans la campagne, car il y a une montée importante du chômage depuis très longtemps. Le Portugal est l'un des seuls Etats de l'UE à connaître une croissance négative par rapport à la moyenne européenne. Il est possible que l'Europe connaisse une nouvelle récession. Mais le Portugal, lui, n'est toujours pas sorti de la récession de 2003. Cette stagnation économique provoque donc une montée en flèche du chômage et pose le problème de la démocratie économique, de la redistribution des richesses, de la lutte contre l'injustice fiscale, du combat pour la justice sociale.

Quelles sont vos expectatives ?

F.L : Il est encore trop tôt pour faire des estimations car la campagne démarre à peine et les élections auront lieu dans deux mois. Certains sondages nous créditent de 6%, mais cela pourra être plus ou moins, cela dépendra des circonstances politiques. Si le deuxième candidat socialiste polarise une partie de la critique sociale envers le gouvernement, ce qui est une possibilité, cela limitera les votes critiques par exemple. Pour nous, le plus important est que des milliers de personnes vont suivre et accompagner notre campagne politique. Et puis il y a une réelle redistribution des forces au sein de la gauche puisque le Bloc, au niveau national, s'aligne désormais au même niveau que le Parti communiste. Il y a actuellement des débats télévisés entre les candidats et cela va clarifier les différentes options politiques

Comme tu le sais, la Belgique est l'un des seuls pays de l'UE à ne pas compter une alternative similaire au Bloc. Comment expliques-tu le succès de ce dernier ?

F.L : Le Bloc a connu un bon démarrage. C'était une époque où il y avait une crise importante dans la gauche. Le gouvernement socialiste d'alors apparaissait comme épuisé du fait de son incapacité à appliquer des politiques alternatives. Le néolibéralisme punit toujours plus fortement les gouvernements des pays économiquement plus faibles. L'espoir et la volonté de changement et d'engagement étaient très forts et cela a mis sous pression plusieurs courants pour créer un mouvement politique alternatif. Cela s'est fait de manière très ouverte comme cela doit l'être. 
Le Bloc représente une nouvelle forme d'organisation de l'intervention politique : peu idéologique, très pluraliste et très concentrée sur des campagnes qui marquent le paysage politique. Cela nous a permis d'avoir un impact énorme parmi les jeunes mais aujourd'hui déjà nous avons une base sociale populaire très large, qui mêle plusieurs générations dans tout le pays. Au départ, notre intervention se faisait surtout dans les villes à partir des organisations fondatrices. Elle se fait maintenant partout avec des membres qui viennent du Parti communiste, du parti socialiste ou qui n'adhéraient à aucun parti.

Evidemment, il peut y avoir des succès et des défaites, la lutte politique n'est pas linéaire. Il peut y avoir des changements, des difficultés. Car changer la façon d'intervenir politiquement, c'est-à-dire de cesser d'ânonner les notions cristallisées des petites organisations centrées sur la propagande, c'est très difficile. Le passé nous a appris énormément, et nous sommes très fiers de notre évolution politique et de nos acquis programmatiques. Mais le Bloc représente une autre forme d'intervention politique. Cela entraîne une relation différente avec les gens parce qu'il ne s'agit plus de petits cercles où l'on discute sur la valeur de notre interprétation analytique de l'histoire. On s'adresse au contraire à des gens qui espèrent que la lutte politique puisse être payante à court ou à moyen terme. Ce sont des gens qui souhaitent connaître des victoires, des changements par rapport à leurs conditions d'existence, à propos de l'exclusion des immigrés, de l'égalité entre hommes et femmes, bref, des choses de la vie des gens. C'est difficile et compliqué à la fois mais c'est la lutte politique qui compte et c'est là tout l'apprentissage que nous essayons de faire du mieux que nous pouvons.

Tu es également un dirigeant de la section portugaise de la IVe Internationale, comment cette dernière a-t-elle évolué?

F.L : Notre section n'est plus un parti politique du point de vue "légal", au sens où il ne se présente plus aux élections. C'est une association, un regroupement politique qui a ses propres moyens, ses propres réunions, ses propres locaux, sa revue, sa propre organisation et cotisations internes, mais qui est totalement partie prenante du Bloc et à sa construction. Nous entendons créer une "hégémonie élargie", qui rassemble les militant/es socialistes, les marxistes révolutionnaires, et qui puissent créer une direction pour le Bloc.

C'est Clair et Net sur : www.franciscopresidente.net

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