Une nouvelle internationale
Par Éric Perreux le Vendredi, 10 Novembre 2006 PDF Imprimer Envoyer

Ce 1er novembre, débute à Vienne, en Autriche, le congrès constitutif d’une nouvelle internationale syndicale. La Confédération syndicale internationale (CSI) sera le produit de la réunion des deux principaux regroupements syndicaux mondiaux et de plusieurs organisations nationales non affiliées, comme la CGT française. Nouveau pas vers l’adaptation au capitalisme ou nouvel outil pour les luttes, telle est l’alternative pour le syndicalisme mondial.

Les balbutiements de ce projet datent de 2000, lorsque le nouveau secrétaire général de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), Guy Ryder, a engagé les premières discussions avec les dirigeants de la Confédération mondiale du travail (voir encadré) en vue de convergences dans l’activité des deux structures. Le processus de rapprochement s’est accéléré en 2003, lors de rencontres organisées à Porto Alegre, à l’occasion du Forum social mondial, pour finalement être confirmé en 2005. Fin octobre, les congrès des deux confédérations devaient enregistrer l’accord de leurs organisations nationales, leur dissolution et l’engagement dans le processus final de rapprochement. Dans une déclaration du 30 mars dernier, sept organisations indépendantes (CTA d’Argentine, PIT-CNT d’Uruguay, CGT du Pérou, CGT de France, OPPZZ de Pologne, CDTN du Niger, FISEMA de Madagascar) avaient fait part de leur volonté d’être partie prenante de ce regroupement dès son origine. Le 48e congrès de la CGT, fin avril, en avait adopté le principe, confirmé par un comité confédéral national (CCN) le 27 septembre, ouvrant ainsi la possibilité, pour la confédération, de devenir membre fondateur de la CSI. Restent à l’écart de ce rassemblement les syndicats appartenant encore à la Fédération syndicale mondiale (FSM) et des organisations nationales telles Solidaires ou les COBAS italiens qui n’ont pour le moment pas rejoint de structures régionales ou internationales.

S’il se déroule probablement loin des préoccupations immédiates des syndiqués, peu d’entre eux auront réellement donné leur avis, ce congrès n’en constitue pas moins un événement. Le mouvement syndical, dont la plupart des composantes se sont pourtant construites à la fois sur la base d’une histoire nationale et d’une conception internationaliste de leur mission, a enregistré un retard considérable face au développement de la mondialisation capitaliste. Malgré la mise en place de pôles régionaux, les actions et les revendications internationales sont loin de répondre aux enjeux et à l’internationalisation croissante des lieux de décision. L’élaboration de revendications mondiales et surtout de propositions d’actions contre la mondialisation de l’exploitation serait ainsi de nature à redonner confiance aux travailleurs et travailleuses du monde entier dans leurs capacités de résistance. Elle permettrait aussi de redorer le blason d’un syndicalisme qui ne répond pas vraiment aux attentes des classes ouvrières qui perçoivent souvent que les décisions se prennent à un autre niveau : dans les conseils d’administration des multinationales ou des organismes supranationaux, tels le FMI, la Banque mondiale, l’OMC ou la Commission européenne, qui agissent pour le compte des gouvernements impérialistes.

Bousculé par la mondialisation

Le développement du mouvement altermondialiste et les formidables mobilisations qui ont fissuré le consensus libéral en remportant des succès contre les organismes internationaux ont fait la démonstration qu’une action mondiale pouvait être efficace. L’espace laissé vacant par le syndicalisme a été occupé de manière constructive. Ce n’est évidemment pas pour rien dans la décision d’avancer dans ce processus d’unification mondial. Les confédérations internationales ont été percutées par la radicalisation antilibérale et par l’action du mouvement altermondialiste qui, de fait, a contesté en acte l’utilité et l’efficacité du syndicalisme. Elles se sont trouvées contraintes de participer aux forums sociaux et aux actions contre le G7. D’autant que, parmi leurs membres, se trouvent des organisations tels la CUT brésilienne ou le COSATU d’Afrique du Sud. Celles-ci représentent des populations qui subissent gravement les méfaits de la mondialisation. Aussi se sont-elles investies dans les réunions internationales de résistance à l’ordre impérialiste. Les actions (la grève européenne des cheminots par exemple) décidées par quelques fédérations professionnelles internationales ont aussi contribué au débat sur l’investissement dans les mobilisations mondiales. Ces fédérations se sont développées beaucoup plus rapidement que les regroupements interprofessionnels. Elles représentent d’ailleurs actuellement la véritable force du syndicalisme international, son ancrage social. Cependant, les appareils dirigeants ont des difficultés à se sentir à l’aise avec un mouvement turbulent et incontrôlable dont une partie des composantes ne cherche pas l’accommodement avec les institutions. L’exemple des mobilisations européennes contre la directive Bolkestein, où les syndicats de la CES avaient refusé un cadre commun avec les associations et partis, l’illustre bien. Dans l’unification et la participation aux actions internationales, les confédérations recherchent donc un nouveau souffle, une nouvelle légitimité, et aussi un moyen de reprendre le contrôle de luttes qui leur échappent.

Des objectifs de lutte

Les internationalistes que nous sommes ne peuvent que se réjouir de ce mouvement. Travailler à l’unité de la classe ouvrière mondiale est bien la réponse appropriée à la phase actuelle du développement capitaliste. Initier des campagnes internationales pour la réduction du temps de travail, contre le travail des enfants, contre la famine, la dette et la guerre, pour la construction de coordinations syndicales dans les multinationales, contre les licenciements et les délocalisations, pour la création d’emplois, la défense et l’extension des services publics au niveau mondial serait effectivement le rôle d’un syndicalisme se fixant une perspective de transformation sociale. Mais les objectifs actuels de la nouvelle internationale syndicale sont loin de correspondre à cette ambition. Si on trouve, dans la déclaration de principes et les objectifs proposés au vote des organisations, de nombreux axes revendicatifs comme la lutte contre les discriminations, l’annulation de la dette des pays pauvres, la condamnation de la guerre ou un genre de taxe Tobin, les perspectives générales restent dans le cadre d’un système que la future CSI, comme la plupart de ses organisations constituantes, ne contestent pas ou plus. Ainsi entend-elle lutter pour une « gouvernance démocratique » d’une économie dont le développement doit être « équitable » pour les travailleuses et les travailleurs. Elle « exprime son soutien indéfectible aux principes et au rôle des Nations unies », dont la légitimité et l’autorité constitueraient « une garantie réelle de paix, de sécurité et de développement ». Avec de tels postulats, la CSI ne peut envisager son action autrement qu’en faisant du lobbying envers les institutions internationales. Les bureaucraties syndicales y trouveront certainement de nouvelles sources de financement et de nombreuses sinécures, mais pas une orientation de lutte de classe. D’ailleurs, l’expérience de la CES confirme qu’à vouloir être l’interlocuteur privilégié du patronat et des États, le syndicalisme en vient à oublier sa vocation première, c’est-à-dire la défense intransigeante, en toute indépendance, des intérêts des salariés et salariées. L’exemple du soutien de la CES au projet de constitution européenne est révélateur du niveau d’intégration du syndicalisme et de son éloignement vis-à-vis de ses mandants. La CGT n’a dû qu’à la révolte interne de ses cadres intermédiaires et à la pression du mouvement antilibéral en France d’échapper à la force d’attraction de l’adaptation.

Alors, si ce processus est le bienvenu, et pourquoi ne pas l’étendre à la FSM, il reste à définir sa véritable utilité. Un syndicalisme unifié à l’échelle de la planète, qui se fixerait comme objectif de combattre la domination capitaliste par des campagnes internationales et des luttes coordonnées en relation étroite avec le mouvement altermondialiste, serait incontestablement un progrès. Cela suppose d’en porter la proposition à tous les niveaux où cette perspective peut se discuter. À l’inverse d’un repli nostalgique sur une FSM idéalisée, ou d’un syndicalisme national coupé des mouvements de radicalisation internationaux, les unitaires doivent travailler à de véritables convergences d’action, dans les structures mondiales ou avec toutes les organisations syndicales qui le veulent, affiliées ou non.


Repères Quelques repères sur le syndicalisme mondial

La Confédération internationale des syndicats libres (CISL) est née en 1949 d’une scission de la FSM, organisée, avec l’appui financier de la CIA, afin de lutter contre le communisme. Elle revendique 241 organisations affiliées dans 156 pays et 155 millions d’adhérents dont 40 % de femmes. Composée de trois pôles régionaux (Asie et Pacifique, Afrique, continent américain), elle maintient également des liens avec la Confédération européenne des syndicats (CES, qui englobe tous les affiliés européens de la CISL) et avec les fédérations professionnelles internationales qui rassemblent les syndicats nationaux d’une branche ou d’une industrie au niveau international. En France, FO en est membre depuis l’origine et la CFDT depuis 1989 après avoir quitté la CMT.

La Confédération mondiale du Travail (CMT) regroupe 144 organisations dans 116 pays. Elle compte environ 26 millions de membres. Portée sur les fonts baptismaux en 1920, la Confédération internationale des syndicats chrétiens (CISC) s’est déconfessionnalisée et a changé de nom en 1968. La CFTC en est restée membre. Enfin la Fédération syndicale mondiale (FSM) a vu le jour en 1945 comme prolongement de la Fédération syndicale internationale (FSI) fondée en 1913. La CISc a refusé ce rapprochement et, rapidement, les syndicats qui ont donné naissance à la CISL ont organisé la rupture laissant seuls les syndicats des pays de l’Est ou dirigés par les staliniens. Après la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS, de nombreux syndicats l’ont quittée (la CGT française en 1995). Lors de son dernier congrès en décembre 2005, les délégués représentaient environ 100 organisations de 46 pays.


Curieuse cohabitation

Dans sa déclaration de principe, la CSI affirme promouvoir la démocratie et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Elle « existe pour unir et mobiliser les forces démocratiques et indépendantes du syndicalisme mondial... » Sa mission : « s’élever contre les stratégies globales du capital financier en leur opposant des stratégies globales du capital humain. » Les syndicalistes qui prendront au mot ces préceptes seront certainement étonnés d’apprendre que la CISL compte, parmi ses adhérents (et donc parmi les futurs adhérents de la CSI), la CTV (Confédération des travailleurs du Venezuela). Celle-ci, connue pour sa corruption, a été propriétaire d’une banque et était devenue, dans les années 1980, le quatrième groupe économique du pays. Elle a cogéré l’économie vénézuélienne et fut l’alliée du gouvernement pendant 40 ans. Depuis l’élection de Chavez, la CTV a ouvertement participé au coup d’état de 2002 et lors de la grève lock-out de décembre 2002 et janvier 2003, son secrétaire, Carlos Ortega, appelait au renversement de Chavez « par tous les moyens », apparaissant chaque soir à la télevision, bras-dessus-bras-dessous avec le patron des patrons vénézuéliens... On retrouvera donc dans la CSI des organisations qui mènent la lutte des classes... mais pas toutes du même côté.

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