Lynchage colonialiste de Saddam : A quand le procès des Bush et Blair ?
Par Tariq Ali le Mardi, 23 Janvier 2007 PDF Imprimer Envoyer

C’était symbolique que l’année 2006 se soit terminée par une pendaison dans le plus pur style colonial, comme l’a montré de manière quasi intégrale la télévision d’Etat de l’Irak sous occupation US. Ça a en effet été une année comme ça pour l’ensemble du monde arabe. Le jugement de Saddam a été si clairement manipulé que même Human Rights Watch – le plus gros rouage de l’industrie US des droits de l’Homme – a dû le condamner comme étant une parodie absolue.

Les juges ont été remplacés, selon des ordres venus de Washington, des avocats de la défense ont été assassinés et toute la procédure ressemblait à un lynchage brutal et cynique, parfaitement orchestré. 

Alors que le procès de Nuremberg était une application plus digne de la justice des vainqueurs, le procès de Saddam en représente l’application jusqu’ici la plus crue et la plus grotesque. 

Quelle démocratie ?

Le grand penseur qui préside les Etats-Unis a caractérisé le jugement comme une « étape décisive sur le chemin de la démocratie ». C’est la meilleure indication que c’est à Washington qu’on a appuyé sur la détente. Les dirigeants de l’Union européenne, prétendument opposés à la peine capitale, ont choisi la passivité, comme d’habitude. 

Même si certaines factions chiites, à Bagdad, ont célébré la pendaison de Saddam Hussein, les chiffres communiqués par une organisation relativement indépendante, l’ICRSS (Centre d’enquête et d’études stratégiques irakien, qui se décrit comme « cherchant à propager la nécessité consciente de réaliser les libertés fondamentales, de consolider les valeurs démocratiques et les fondements de la société civile »), constatent que près de 90% des Irakien-ne-s pensent que la situation de leur pays était meilleure avant l’occupation. 

Cette étude de l’ICRSC, basée sur une enquête porte-à-porte détaillée a eu lieu dans la troisième semaine de novembre 2006. Seules, 5% des personnes interrogées pensent que l’Irak se porte mieux aujourd’hui qu’en 2003 ; 89% d’entre-elles pensent que la situation politique s’est dégradée ; 79% que la situation économique a empiré... 

Ce n’est donc pas une surprise que 95% des personnes interrogées estiment que la situation en matière de sécurité est pire qu’avant. Il est intéressant de relever qu’environ 50% des « sondés » se sont identifiés simplement comme « musulmans », 34% comme chiites et 14% comme sunnites. A rajouter les chiffres fournis par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés : 1 600 000 Irakien-ne-s (7% de la population) ont fui le pays depuis mars 2003 et 100.000 autres (chrétiens, médecins, ingénieurs, femmes, etc.) l’abandonnent chaque mois. 

Double morale impérialiste

Il y a un million d’Irakien-ne-s en Syrie, 750.000 en Jordanie, 150.000 au Caire. Ces réfugiés-là ne trouvent pas de sympathie auprès du public occidental, puisque c’est l’occupation de l’Iraq par les USA (appuyée par l’Union européenne) qui est la cause de leur départ. On ne compare pas leur sort, comme ce fut le cas en ce qui concerne le Kosovo, à celui des victimes d’atrocités du IIIe Reich. Etaient-ce peut-être ces statistiques, plus les estimations d’un million de morts irakiennes, qui ont rendu nécessaire l’exécution de Saddam Hussein ?

Que Saddam fut un tyran, c’est indiscutable, mais ce qu’on veut opportunément faire oublier, c’est qu’il a commis la majeure partie de ses crimes, lorsqu’il était un allié fidèle des actuels occupants du pays.

Comme Saddam l’a reconnu, lors d’un des ses éclats au cours de son « procès », c’est l’approbation de Washington (et la livraison du gaz toxique par l’Allemagne fédérale) qui lui ont donné la confiance nécessaire pour gazer Halabja en pleine guerre entre l’Iran et l’Iraq.

Saddam méritait un vrai jugement et d’être puni pour ses crimes, dans un Iraq indépendant, mais pas ce qui lui est arrivé.

La double morale occidentale ne cessera jamais de nous étonner. Le président indonésien Suharto est arrivé au pouvoir sur une montagne de cadavres (au moins un million, selon les estimations les plus basses). Washington le protégeait. Ça ne les a jamais dérangé autant que Saddam.

Et les crimes d’aujourd’hui ?

Et qu’adviendra-t-il des responsables du désastre et des crimes d’aujourd’hui en Irak, des tortionnaires de la prison d’Abu Ghraib, des bouchers de Fallujah, des nettoyeurs ethniques de Bagdad, du boss de prison kurde qui se vante que son modèle c’est Guantanamo ?

Bush et Blair seront-ils jamais jugés pour crimes de guerre ? Il est permis d’en douter. Et l’ex-premier ministre espagnol, José Maria Aznar ? Aujourd’hui, il enseigne à la Georgetown University, de Washington, où la langue utilisée dans les les cours est l’anglais, qu’Aznar ne connaît pas. Ce sont ses étudiant-e-s qui sont seuls punis… par sa récompense.

Il est possible que le lynchage de Saddam fasse courir un frisson su côté des élites dirigeantes du monde arabe. Si l’on peut pendre Saddam, le même sort pourrait être réservé au président égyptien Hosni Moubarak, au fantoche hachémite d’Amman ou aux membres de la famille royale saoudienne… pour peu que ceux qui les renverseraient se sentent disposés à coopérer avec les Etats-Unis.


* Paru dans le périodique suisse "solidaritéS" n°100 (10/01/2007), p. 9. Traduction : H.P. Renk. Titres et intertitres de notre rédaction ["solidaritéS"].

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