Les vraies raisons de la démission de Benoît XVI
Par Eduardo Febbro le Jeudi, 18 Avril 2013 PDF Imprimer Envoyer

La démission du pape Benoît XVI, en février 2013, et son remplacement par le cardinal argentin Jorge Bergoglio – dont l’attitude à l’époque de la dictature militaire est hautement controversée – ont suscité une véritable papolâtrie dans des médias fort peu critiques. Nous [« solidairtéS »] publions des extraits d’un article paru dans le journal argentin «  Pagina 12  » (16.2.2013) sur les dessous du « Vatican réellement existant ». (HPR)

Les experts du Vatican expliquent que le pape Benoît XVI a décidé de démissionner dès le mois de mars de l’an dernier, après un retour de voyage au Mexique et à Cuba. A cette période, le pape, qui incarne ce que le spécialiste et universitaire français Philippe Portier appelle une «  lourde continuité » avec son prédécesseur Jean Paul II, découvre la première partie d’un rapport des cardinaux Julián Herranz, Jozef Tomko et Salvatore De Giorgi. Dans ce document sont résumés les abîmes, en rien spirituels, dans lesquels l’Eglise est tombée. [...]

Opacité et sombres affaires financières

Ce premier rapport des trois cardinaux a conduit, en août de l’an dernier, à la nomination du Suisse René Brülhart, un spécialiste en blanchiment d’argent qui a dirigé pendant huit ans la Financial Intelligence Unit (FIU) du Liechtenstein, autrement dit l’agence nationale chargée d’analyser les opérations financières douteuses. Brülhart avait pour mission de mettre la Banque du Vatican en syntonie avec les normes européennes dictées par le GAFI, le groupe d’action financière. [...]

La seconde partie du rapport des trois cardinaux fut présentée au pape en décembre. Depuis lors, la démission s’est posée d’une manière irrévocable. En plein marasme, avec une quantité de couloirs qui conduisent à l’enfer, la curie romaine agit comme n’importe quel Etat. Elle a cherché à imposer une vérité officielle par des méthodes modernes. Elle a engagé le journaliste nord-américain Greg Burke, membre de l’Opus Dei et ex employé de l’agence Reuters, de la revue Time et de la chaîne Fox, pour améliorer l’image dégradée de l’Eglise. [...]

Pour Philippe Portier, le pape « s’est laissé dépasser par l’opacité qui s’est installée sous son règne ». Et la première cause n’est pas doctrinale mais financière. Le Vatican est un gestionnaire d’argent opaque et de nombreuses querelles qui ont été mises en lumière depuis un an ont à voir avec les finances, les comptes maquillés et les opérations illicites. Pour de nombreux spécialistes, l’héritage financier de Jean Paul II explique la crise actuelle. L’Institut pour les Œuvres de la Religion (IOR), soit la banque du Vatican, fondé en 1942 par Pie XII, fonctionne dans une opacité totale. En janvier, à la demande de Moneyval (organisme européen de lutte contre le blanchiment), la Banque d’Italie a bloqué l’utilisation des cartes de crédit au Vatican à cause du manque de transparence et des failles manifestes dans le contrôle du blanchiment d’argent. En 2011, les cinq millions de touristes visitant le Vatican ont laissé 93,5 millions d’euros dans ses caisses via des paiements par cartes. Ils devront maintenant payer en liquide. L’IOR gère plus de 33 000 comptes par lesquels circulent plus de 6 milliards d’euros. Son opacité est telle que le Vatican ne figure pas dans la «  liste blanche  » des Etats qui participent au combat contre les transactions illégales.

Corruption et blanchiment

En septembre 2009, Ratzinger avait nommé le banquier Ettore Gotti Tedeschi à la tête de la banque du Vatican. [...] Tedeschi avait comme objectif de remettre de l’ordre dans les eaux troubles des finances vaticanes. Les comptes du Saint-Siège sont un labyrinthe de corruption et de blanchiment d’argent dont les origines connues remontent à la fin des années 1980, quand la justice italienne émit un ordre d’arrestation contre l’archevêque nord-américain Paul Marcinkus, surnommé «  le banquier de Dieu  », président de l’IOR et principal responsable des investissements du Vatican à l’époque. [...]

Gotti Tedeschi fut donc investi d’une mission quasi impossible et il n’est resté que trois années à la tête de l’IOR. Il fut licencié de manière brutale en 2012 pour « irrégularités dans sa gestion ». [...] En réalité, son expulsion constitue un autre épisode de la guerre entre factions. Quand il prit ses fonctions, Tedeschi avait consigné ses découvertes dans un rapport secret : comptes chiffrés où l’ont cachait de l’argent sale de « politiciens, d’intermédiaires, de constructeurs immobiliers et de hauts fonctionnaires de l’Etat ». Même Matteo Messina Denaro, le nouveau chef de la Cosa Nostra, avait son argent placé dans l’IOR. Là commencèrent les malheurs de Tedeschi. Ceux qui connaissent bien le Vatican allèguent que ce banquier fut victime d’un complot monté par des conseillers de la banque avec le soutien du secrétaire d’Etat, Mgr Bertone, ennemi personnel de Tedeschi, et responsable de la commission de cardinaux qui surveille le fonctionnement de la banque. La destitution de Tedeschi fut accompagnée par la diffusion d’un «  document  » qui le mêle à la fuite des documents volés au pape.

Bien plus que les querelles théologiques, l’argent et les comptes occultes de la Banque du Vatican semblent composer la trame de la démission inédite du pape. Un nid de corbeaux pédophiles, de comploteurs réactionnaires et de voleurs assoiffés de pouvoirs et capables de tout afin de défendre leur faction  : telle est la terrible image de décomposition morale laissée par la hiérarchie catholique. Rien de bien différent du monde dans lequel nous vivons. Corruption, capitalisme assassin, protection des privilégiés, circuit de pouvoir qui s’autoalimente et se protège, le Vatican n’est rien d’autre que le reflet de la décadence du système lui-même.

 

* Paru en Suisse dans « solidaritéS » n° 226 (11/04/2013). http://www.solidarites.ch/

* Original sur pagina12.com.ar

* Trad. française pour avanti4.be par A. Riera Coupures adaptation et intertitres par la rédaction de « solidaritéS ».

 

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