Elections communales et provinciales du 14 octobre : Triomphe de la NVA, percée du PTB
Par le Secrétariat national de la LCR-SAP le Mercredi, 17 Octobre 2012 PDF Imprimer Envoyer

Les résultats des élections communales et provinciales du 14 octobre constituent un nouveau tremblement de terre politique en Flandre, et par conséquent dans l’ensemble de la Belgique. Le Nord est le théâtre d’une profonde recomposition politique à droite, au profit des nationalistes de la NVA. Au Sud, les relations entre grands partis ne bougent guère quand on les compare aux communales de 2006. Cependant, par rapport aux législatives de2010, la social-démocratie recule au profit des libéraux, tout en restant le premier parti (elle se renforce même dans certaines grandes villes).  Elle repasse en tête à Bruxelles, du fait de la rupture entre les libéraux et leurs anciens alliés du FDF. Les Verts se tassent dans la partie francophone du pays, mais retrouvent leur bon niveau de 2000 en Flandre. L’extrême-droite recule presque partout de façon significative.  En Flandre, le Vlaams Belang est étrillé. En Wallonie, l'extrême-droite, dispersée et divisée sur le cadavre du FN belge, passe de trente à six conseillers communaux (avec encore plus de 11% à Charleroi. Dans les trois régions du pays, le PTB (Parti du Travail de Belgique) réussit une importante percée qui témoigne de l’aspiration à une alternative de gauche, antilibérale, antinationaliste et anticapitaliste.

De Wever gagne son pari

Bart De Wever, le leader libéral-nationaliste, a réussi son pari : il sera bourgmestre d’Anvers – il a gagné son duel contre le bourgmestre social-démocrate sortant Patrick Janssens. Devenue la première formation flamande en 2010, la NVA n’est plus « un géant aux pieds de nain » : elle a désormais un ancrage local. Et quel ancrage ! Outre leurs 37,7% dans la plus grande ville de Flandre – dirigée par la social-démocratie depuis 60 ans - les nationalistes flamands sont en position de négocier le maïorat dans plus de trente municipalités, et viennent en tête dans trois provinces sur cinq... C’est un véritable triomphe pour ce parti qui, lors des communales de 2006, n’était que le petit partenaire de cartel des chrétiens démocrates du CD&V - LE parti historique de la bourgeoisie flamande. Certes, il est probable que les formations traditionnelles s’allieront dans de nombreuses communes pour barrer la voie du pouvoir à la NVA… mais celle-ci y trouvera un argument pour élargir encore son audience, en se présentant comme le seul parti du changement.

Il est toujours délicat de tirer des conclusions nationales d’un scrutin local. Mais De Wever n’a pas fait campagne sur les enjeux municipaux. Il l’a dit et répété: ces élections démontreront que la politique du gouvernement fédéral est rejetée par une majorité de Flamands, et que ceux-ci en veulent une autre, encore plus néolibérale. Et il a gagné ce pari. Pas à 100%, certes : les élections n’ont pas été partout la Bérézina annoncée pour les libéraux, les démocrates-chrétiens et les sociaux-démocrates flamands. Le CD&V, notamment, se comporte mieux que prévu, et le SP.a, s’il perd Anvers, garde le maïorat de Gand, la seconde ville de Flandre (en alliance avec les Verts). En fait, l’essentiel des voix récoltées par la NVA viennent du Vlaams Belang, qui subit une défaite cuisante (dans son fief anversois, l’extrême-droite perd les trois quarts de ses élus). N’empêche que, si les résultats de dimanche étaient transposés au Parlement flamand, la NVA récolterait 38 sièges (16 actuellement), le CD&V 29 (au lieu de 31), tandis que le SP.a et le VLD en auraient 18 (au lieu de 19 et de 21, respectivement). Certes pas une majorité de l'électorat flamand, mais une très grosse tranche de son flanc droit.

Dès le soir du scrutin, fort de ce succès, De Wever s’adressait au premier ministre, par médias interposés, pour lui dire en substance ceci : la Flandre ne veut pas de votre politique « socialiste taxatoire » ; si elle convient aux francophones, ceux-ci ne peuvent pas l’imposer aux Flamands, qui sont majoritaires dans le pays ; la NVA gagnera les élections législatives de 2014 et exigera alors le confédéralisme ; mieux vaut donc le négocier calmement dès maintenant… Pressé de questions par les journalistes, Di Rupo a tenté de botter en touche en insistant sur le caractère local du scrutin. C’est peu dire qu’il n’a pas convaincu… Car le fond de l’affaire, le voici : le projet consistant à mener une politique de réformes (communautaires et socio-économiques) néolibérales pour tenter de sauver les partis traditionnels flamands – donc de sauver le système belge et la place qu’y occupe la social-démocratie (au pouvoir sans interruption depuis 1987) – est en train d’échouer. Telle est la signification de ce scrutin.

Le moindre mal de mal en pis

Cet échec n’est pas une surprise. S’agissant du volet communautaire de l’accord de gouvernement, une analyse publiée sur le site de la LCR en octobre 2011 se concluait ainsi : « La sixième réforme de l’Etat, loin d’être la paix des braves vantée par ses auteurs, crée un cadre pour le développement des inégalités sociales et contient les ferments d’une crise politique encore plus grave dans le futur. » Quant à la politique socio-économique, faut-il prouver qu’elle n’est pas « socialiste » (ni « marxiste », comme l’a dit récemment un influent patron flamand)?  Sous la houlette de la social-démocratie, le gouvernement s’en prend durement aux acquis du monde du travail. Copiée sur celle de l’ex-chancelier allemand Schröder, sa stratégie vise à réduire le poids politique des syndicats et à diminuer radicalement le coût du travail en attaquant les chômeurs et chômeuses, les allocataires sociaux, les malades, les retraité-e-s et les jeunes à la sortie de l’école.

Si De Wever  dénonce cette politique, c’est parce qu’il pense que, dans un cadre confédéral, les rapports de forces politiques et sociaux en Flandre permettraient d’aller plus vite et plus loin sur la voie néolibérale… Le patronat flamand le soutien. Quant aux patrons francophones, s’ils craignent une déstabilisation aux conséquences difficilement imaginables, ils se réjouiraient évidemment de voir De Wever casser la sécu nationale en affaiblissant durablement les syndicats. Partenaires du gouvernement fédéral, les libéraux francophones plaident pour un nouveau tour de vis austéritaire, au nom de la lutte contre le nationalisme. Il est plus que probable que la social-démocratie francophone ira dans cette voie, dans l’espoir de rester au pouvoir à tout prix. La défense de la compétitivité au nom de l’emploi et la lutte contre le déficit de l’Etat (alors que le sauvetage des banques a coûté trente milliards d’euros à la collectivité) serviront une fois de plus de prétexte. Les cibles sont déjà indiquées. Dénoncée à plusieurs reprises par la Commission Européenne, l’indexation automatique des salaires est dans le collimateur. De graves menaces pèsent sur le secteur public, le régime des retraites et la sécurité sociale.

En janvier dernier, les syndicats ont organisé une grève de 24H contre les mesures que le gouvernement avait imposées à la hussarde, sans concertation. Mais cette action est restée sans lendemain. Quoique des voix critiques s’élèvent en leur sein, la FGTB et la CSC semblent tétanisées. Le poids du chômage et les restructurations qui pleuvent n’expliquent pas tout. Outre qu’elles craignent d’engager une lutte qui pourrait leur échapper, les directions n’ont pas d’alternative. Elles confondent la défense de l’unité de la sécurité sociale avec le maintien de l’unité du pays et du « système belge », ce qui les amène à se ranger bon gré mal gré derrière le gouvernement. Cette politique sème le désarroi, faisant ainsi le jeu de la droite et des nationalistes. Loin d’affaiblir De Wever, elle le renforce au contraire, et toute la droite avec lui.

La percée du PTB

Mais l’argument du moindre mal passe de moins en moins dans la population. Le Premier Mai dernier, la deuxième fédération locale de la FGTB dénonçait durement le Parti Socialiste et en appelait à la construction d’une alternative politique de rassemblement à gauche, pour lutter contre le capitalisme en crise. C’était un signe clair de l’ampleur du mécontentement face à la social-démocratie et aux Verts. Les élections du 14 octobre en ont apporté un autre : l’importante percée du PTB (Parti du Travail de Belgique). Au fil des scrutins communaux, cette formation issue du maoïsme et du stalinisme avait réussi à pénétrer les conseils communaux de quelques localités ouvrières où elle avait implanté des maisons médicales (dans lesquelles les patients ne paient que le tarif remboursé par la mutuelle). Il y a quelques années, constatant qu’il ne parvenait pas à percer, le PTB a décidé de changer d’image, et dans une certaine mesure de stratégie, afin de ne plus apparaître comme « extrémiste » et diviseur de la gauche. En même temps, il a soigné sa communication. En dépit de quelques dérapages, cela lui a réussi. Cette fois, il perce dans plusieurs grandes villes de Wallonie et de Flandre ainsi que dans deux communes de l’agglomération bruxelloise. A Anvers  le PTB obtient 7,96% (4 élus) et dépasse la liste de l’Open VLD (5,57%, 2 élus) emmenée par la ministre de la Justice Annemie Turtelboom.  Dans la région liégeoise, il décroche 4 sièges  à Herstal, 5 à Seraing (où il devient le deuxième parti derrière le PS), 2 à Liège et 1 à Flémalle. Dans ces deux provinces, en particulier à Liège, ses scores lui permettent même d’espérer franchir le seuil d’éligibilité aux législatives. L’acharnement et le dévouement de ses membres sont ainsi récompensés.

Des tentatives du PC de surfer sur la vague du Front de Gauche français (La Louvière, Charleroi) ont échoué, mais certaines autres listes à gauche de la social-démocratie font quelques résultats intéressants. En Flandre,  la LCR-SAP a participé au mouvement Rood ! Formé autour d’Eric De Bruyn, ancien candidat de gauche à la présidence du SP.a, Rood! fait des résultat honorables, mais sans commune mesure avec ceux du PTB et sans obtenir d’élu. La liste Gauches Communes fait un beau résultat dans la petite commune bruxelloise de Saint Gilles (3,7%) tandis que le PTB  fait 3,8% soit 7,5% ensemble, mais sans parvenir à décrocher un siège. A Liège, le mouvement VEGA entre au conseil - grâce notamment à l’idée originale de se constituer en coopérative politique. Quelques conseillers communaux de gauche sont réélus dans de plus petites localités, sur des listes de rassemblement qui occupent le terrain depuis de longues années (c’est le cas de notre camarade Freddy Dewille à Anderlues, et d’autres conseillers à Herzele et Courcelles, notamment ). Tout cela confirme que l’exception belge – l’absence de toute alternative de gauche crédible au social-libéralisme- pourrait bien toucher à sa fin. Mais aucune de ces listes ou formations n’a la surface nationale du PTB, aucune ne semble capable de rivaliser avec lui lors des importantes élections de 2014… et aucune d’entre elles n’a de raison solide de le faire, tant les différences programmatiques sont minces.

Toute la gauche devra analyser cette situation pour en tirer les leçons. La LCR-SAP le fera dans les semaines qui viennent, avec ses membres, sans tabous et en se plaçant du seul point de vue de l’intérêt des exploité-e-s et des opprimé-e-s. Nous en débattrons dans un esprit constructif avec les autres acteurs, notamment avec le PTB. Celui-ci sera probablement encouragé à approfondir sa modernisation. Mais plusieurs questions se posent. Dans les élections, le PTB balaiera-t-il carrément sous le tapis les questions fondamentales mais peu rentables électoralement de l’antiracisme, de l’anti-sexisme, de la lutte contre l’islamophobie ? Dans les luttes, comment se comportera-t-il en cas d’affrontement entre les travailleurs et la bureaucratie syndicale ? Surtout, il n’est pas exclu que le succès du PTB le confronte à une situation imprévue. Par son ampleur, il pourrait encourager les aspirations à une alternative antinéolibérale, anticapitaliste et antinationaliste plus large que ce qu’il peut porter et encadrer lui-même. Les prises de position syndicales en faveur d’une large alternative de rassemblement à gauche vont dans ce sens. Pour y répondre, chacun devra prendre ses responsabilités, faire preuve d’ouverture et d’inventivité. C’est dire que l’intérêt de la gauche est que le PTB sorte clairement et définitivement des dogmes sur  le rôle dirigeant du parti. En attendant, bravo aux camarades !

Le Secrétariat national de la LCR-SAP

Le 16/10/2012


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