Flandres : À propos de la gauche radicale et des élections
Par LCR le Jeudi, 24 Mai 2007 PDF Imprimer Envoyer

À la LCR (SAP en néerlandais), nous n’avons pas voulu formuler trop de critiques sur la gauche de la gauche pendant la campagne électorale et notamment de la participation du Comité pour une autre politique (CAP) puisque nous avons décidé de ne pas nous insérer dans la course. Les nombreuses réactions positives et négatives envers notre position nous amènent à clarifier à nouveau notre évaluation de la situation et notre opinion sur les initiatives politiques actuelles.

Le Comité pour une autre politique (CAP a décidé, lors de sa conférence le 3 février de se présenter seul aux élections. La LCR avait alors avancé toute une série d’arguments en faveur de la plus grande prudence et a opté de défendre le point de vue de ne pas se précipiter dans une participation électorale avec un mouvement qui en est encore à ses balbutiements. Nous avons décidé ensuite de ne plus trop avancer de critiques par respect pour ceux et celles qui, à gauche, ont quand même décidé de participer aux élections. De nombreuses personnes nous ayant fait part de leur accord, de leur questionnements ou pour exprimer leur désaccord, nous voulons expliquer ici une dernière fois notre point de vue avant l’échéance électorale du 10 juin, tout en souhaitant autant de succès possible pour tout le monde à gauche sur le terrain électoral et en dehors.

La participation rapide du CAP aux élections nous paraît être un exemple néfaste de volontarisme. Le CAP était évidemment dans une position difficile : d’une part c’était sa raison d’être que de participer aux élections, mais d’autre part il était clair qu’une participation avec un certain succès à la clé n’était plus assuré (notamment après la décision de Jef Sleeckx de ne pas être candidat et après la tentative avortée d’alliance avec le PTB). Dans ce contexte, on pourrait estimer que le choix d’aller aux élections est un acte courageux. Mais est-ce que le courage seul suffit pour aider la vraie gauche à avancer réellement ?

Il y a eu pourtant des précédents desquels il fallait tirer les leçons. Le CAP n’est pas la première tentative de créer une nouvelle force politique unitaire à gauche. C’est peut-être, en 15 ans déjà, le quatrième ou le cinquième essai de créer en Belgique une gauche alternative. Et ce n’est pas l’essai le plus crédible comparé avec Gauches Unies par exemple. Toute cette histoire d’échecs consécutifs, malgré les réussites initiales, doit être prise en compte. A chaque fois que ces tentatives ont opté pour une participation rapide aux élections, les espoirs ont été terriblement déçus (même si Gauches Unies avait tout de même récolté près de 1,7% des voix). Du fait de ses faibles scores électoraux, toutes ces initiatives embryonnaires se sont rapidement cassé la figure et beaucoup de gens en sont resté sceptiques et démoralisés quant à la capacité de la vraie gauche à sortir de sa marginalité. Il y a également le bilan de la lourde responsabilité du PTB qui n’a jamais embrayé sur ces initiatives et qui pour sa part obtenait toujours des résultats insuffisants.

Les résultats électoraux consécutifs semblent créer un fait politique dans la conscience collective : en Belgique il n’y a pas d’espace pour une alternative à gauche. Que cela soit exact ou pas est une autre question, mais le mal est fait. Le bilan est écrit noir sur blanc dans les résultats électoraux de ces 30 dernières années.

La politique a sa propre logique, son propre temps et son propre espace. Le volontarisme affiché par certains dans le CAP ne semble pas le comprendre. D’abord la question du temps : la politique a différents rythmes ; il y a des moments où il faut agir. Comment caractériser la conjoncture actuelle, quelles sont les possibilités et les impossibilités ? Telles sont les questions stratégiques. La période qui s’est ouverte avec l’adhésion de la social-démocratie au néolibéralisme a mis objectivement à l’ordre du jour l’urgence d’une nouvelle force politique vraiment socialiste. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’on puisse construire cette nouvelle force à chaque moment, dans n’importe quelle conjoncture et attirer vers elle une masse critique de personnes.

Nous ne sommes pas d’accord avec les volontaristes qui pensent qu’une traduction immédiate des besoins de la période est possible d’une manière permanente dans la conjoncture actuelle concrète. Nous espérons nous tromper, mais nous pensons qu’une telle orientation et que le résultat du 10 juin vont démoraliser beaucoup de monde, comme ce fut le cas avec les échecs électoraux de Gauches Unies, Regenboog, Rood Groene Beweging, etc. Nous pensons ainsi que ces élections du 10 juin tombent mal pour l’initiative du CAP. Il y a eu un élan réel avec le Pacte des générations, mais la conjoncture politique a entre-temps changé. Il y a encore de nombreuses personnes qui veulent voter à gauche à cause du Pacte des générations, mais l’immense majorité des syndicalistes critiques envers le SPa n’est pas prête pour autre chose.

Les plus volontariste pour les élections dans le CAP estiment qu’il y a en permanence un énorme boulevard devant eux. C’est une fausse vision de l’espace politique et du fonctionnement du spectre politique. On les voit trop souvent comme un espace vide « newtonien » : quand un parti disparaît ou évolue vers la droite, il y aurait automatiquement un espace vide que les autres peuvent occuper. Mais les choses ne fonctionnent pas ainsi. C’est cette nouvelle force politique qui doit créer son propre espace. La question du comment est très difficile. Mais il faut au moins réunir une série de conditions minimales : un discours cohérent, un programme soutenu par de larges couches, une chance réelle d’un score crédible, une masse critique de militants, un accès dans les médias de masse, une base réelle dans la société, une base financière, une unité entre les diverses forces politiques radicales.

À un moment, il a semblé que le CAP pourrait devenir un tel instrument et surmonter le seuil critique minimum pour occuper une telle place dans le spectre politique : 650 participants à la première conférence du 28 octobre, la présence de quelques syndicalistes importants, la possibilité de la candidature de Jef Sleeckx, la chance d’une unité à gauche de la gauche, la collaboration par-dessus la frontière linguistique entre le CAP et UAG. Entre-temps le CAP a perdu beaucoup de ces possibilités. C’est pourquoi nous étions pour continuer de construire le CAP mais contre une participation aux élections. Ce qui se passe pour le moment nous le confirme partiellement : à la conférence du 28 octobre 2006 il y avait 650 participants, le 3 février 2007;  230 personnes et le 14 avril ; 130 participants. Beaucoup de camarades quittent le processus parce qu’ils considèrent que les conditions adéquates pour une participation électorale crédible ne sont pas réunies.

Il y a des seuils minimes à atteindre pour poursuivre une expérience de recomposition et de fondation d’un nouveau parti large. Qui se trouve systématiquement en dessous du seuil critique n’est plus vu par la masse des gens comme un parti « utile » et capable de les représenter, de défendre leurs luttes et revendications. C’est certainement le cas pour les gens que le CAP voulait toucher, ceux et celles qui se sont mobilisés contre le pacte des générations, et qui seront totalement déçus avec un score inférieur à 1%.

Ne pas participer aux élections en général n’est évidemment pas la solution. La participation électorale est absolument nécessaire. Mais les élections sont un processus de sélection : est-ce que vous comptez ou pas au niveau politique pour la masse des gens ? Là est la vraie question. Dès que l’on passe en dessous du seuil de crédibilité, il est alors très difficile de remonter. Et il est alors quasi-impossible de demander à de larges secteurs de travailleurs de quitter le SPa en faveur de quelque chose de nouveau et de si fragile. Or, la possibilité que le CAP et le PTB fassent chacun moins de 1% est très élevée. En général, l’impact de la campagne de la gauche de la gauche est extrêmement faible dans ces élections-ci. Depuis que Sleeckx a choisi de ne pas être candidat, le CAP n’est presque plus apparu dans les médias nationaux.

Le CAP n’a pas débattu en profondeur de toutes ces questions. Or, la question du lancement d’une nouvelle force politique est une question stratégique extrêmement complexe et nous avons l’impression que cette question n’a pas été prise avec suffisamment de sérieux. On se borne à  construire de manière linéaire une nouvelle organisation, souvent avec beaucoup de démagogie. Nous avons souvent entendu qu’il ne fallait pas aborder ces discussions parce que « les ouvriers ont besoin de choses claires  ». Selon certains, puisqu’il y a un boulevard ouvert mais que la conscience des masses est faible, un débat critique avec des points de vue oppositionnels emmènerait trop de confusion... Donc il ne faut pas trop de discussions. Le slogan « un nouveau parti des travailleurs est nécessaire » constitue chez certains le passe partout pour chaque argument politique et pour faire les critiques.

Il y a de la place pour une alternative, mais pour UNE seule alternative a dit Bruno Verlaeckt (secrétaire FGTB d’Anvers). De nombreuses personnes ne sont pas prêts à se jeter dans l’aventure électorale sans l’unité préalable de toutes les forces déjà existantes. L’appel général et abstrait pour un nouveau parti des travailleurs ne peut pas résoudre ce problème. Évidemment le PTB a une responsabilité forte, mais dans le CAP aussi il y a eu beaucoup de voix qui se sont exprimées contre l’unité avec ce parti.

Pour une expérience de recomposition, le sens premier de se présenter aux élections réside dans l’objectif de commencer à modifier les rapports de forces politiques en offrant une alternative crédible à l’ensemble de la société, autrement dit pour peser réellement dans la politique. Or, la campagne électorale du CAP a seulement été conçue dans le but de « se construire », pour recruter quelques nouveaux membres alors qu’on doit faire le bilan du point de vue de la société entière et pas du seul point de vue de sa propre organisation.

La construction du CAP nous semble se faire sans direction. Nous nous inquiétons sur certaines candidatures présentes parfois à des places importantes sur les listes. Il y a des candidats pour le moins discutables: des gens qui ont agi dans leur commune contre un centre pour réfugiés, des gens qui ne se déclarent « ni de droite, ni de gauche » et qui affirment sans nuance que les impôts sont un problème crucial.

En même temps,  les grands discours proclament que le CAP est le parti du futur, le SP ou le WASG belge. Il existe une atmosphère qui donne l’impression que le CAP peut rapidement devenir une organisation de masse. C’est bien entendu ce que nous espérons à terme, mais nous considérons que ces déclarations sans nuance sont à ce stade périlleuses car si la prophétie ne se réalise pas, les désillusions seront grandes.

Est-ce que nous allons rester à l’extérieur du processus ? Nous allons certainement laisser passer ces élections qui sont selon nous, sur une évaluation réelle de la conjoncture politique, une occasion ratée. La LCR fera comme d’autre le bilan des résultats du 10 juin pour la recomposition à gauche.

La période reste dictée par la possibilité et la nécessité d’une nouvelle force à gauche. Cela met toutes les forces de la vraie gauche, y compris celles qui refusent la collaboration, devant une responsabilité énorme. La construction d’un nouvel instrument politique reste plus que jamais notre perspective.

Nous espérons que cela se fera dans un contexte plus ouvert que dans le passé récent du CAP. Nous pensons que la création d’une culture d’organisation démocratique est très importante, une culture où les camarades sont traités avec respect. Les discussions malhonnêtes, la démagogie et les piques contre la LCR allaient à l’encontre de cela.  Nous avons avalé le plus gros de cette critique, nous ne sommes pas de ceux qui sont restés à l’extérieur en essayant de casser le CAP. La gauche de la gauche dans ce pays est marginale nous seront forcés de chercher ensemble des solutions à « l’exception belge ».

Nous espérons qu’après ces élections nous pourrons finalement lancer un véritable débat de fond sur l’alternative unitaire à gauche. Avec le CAP, avec le PTB, avec tous les progressistes qui restent à l’extérieur de nos organisations.

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