Un siècle après la Révolution russe de 1905 - « Il n’y a plus de dieu, ni de tsar »
Par Vanina Giudicelli le Vendredi, 20 Mai 2005 PDF Imprimer Envoyer
« [La révolution russe de 1905] a, pour la première fois, dans l’histoire des luttes de classes, permis une réalisation grandiose de l’idée de grève de masse et même [...] de la grève générale, inaugurant ainsi une époque nouvelle dans l’évolution du mouvement ouvrier. » (Rosa Luxemburg)

Russie, janvier 1905 : le régime du tsar Nicolas II, absolutiste, s’enlise dans la guerre engagée en 1904 contre le Japon, dont le coût se répercute directement sur la population. Plusieurs meetings, manifestations, grèves se font l’écho de revendications démocratiques et d’achèvement de cette « guerre ruineuse et criminelle ». Les révolutionnaires, loin d’anticiper ce qui se prépare, ne sont alors que quelques milliers, regroupés depuis peu dans un même parti. La révolution de 1905 va éclaircir et mettre à l’épreuve des conceptions différentes, entre les mencheviks et les bolcheviks, à l’intérieur de l’organisation.

En décembre 1904, quatre ouvriers sont renvoyés des usines Poutilov, industrie de la défense nationale, plus gros complexe industriel de Saint-Pétersbourg. Devant le refus de la direction de les réintégrer, les salariés se mettent en grève le lundi 3 janvier. Ce sont alors 13 000 ouvriers qui tiennent tête à la direction. Le mouvement s’étend aux entreprises voisines. Le vendredi, 100 000 grévistes paralysent la région. Le lendemain, ils sont le double. La capitale est privée de transports, d’électricité, de journaux.

Gapone, un pope (religieux orthodoxe), agent du tsar, rédige alors une pétition à Nicolas II, qui recueille plus de 150 000 signatures. Elle revendique un ensemble de mesures politiques, économiques et sociales destinées à lutter « contre l’oppression du travail par le capital » et s’achève par : « Sire ! Ne refuse pas d’aider Ton peuple ! Abat la muraille qui Te sépare de Ton peuple ! [...] ; sinon, nous sommes prêts à mourir ici même. » Cette pétition, à elle seule, révèle toutes les confusions dans les esprits d’un peuple qui se soulève.

Une explosion populaire

Le dimanche, des milliers d’ouvriers portant des icônes et chantant des cantiques, conduits par Gapone, convergent vers la place du palais d’Hiver pour la remettre au tsar. Quarante mille hommes de la troupe tsariste chargent la foule, faisant plus de 1 000 morts et de 2 000 blessés. Cette date est restée sous le nom de « dimanche sanglant ».

Les bolcheviks et les mencheviks sont, dans un premier temps, hostiles au soulèvement : comment soutenir une manifestation qui paraît tenir autant de la procession religieuse que de la démonstration politique pour remettre au tsar une requête au style révérencieux ? Mais alors que, sous la pression populaire, les mencheviks se joignent au mouvement, les bolcheviks ne sont qu’une quinzaine à défiler à Saint-Pétersbourg ce jour-là. Pendant des mois, Lénine, dirigeant bolchevik en exil, se bat contre le sectarisme des militants. En fait, les révolutionnaires n’ont joué qu’un rôle négligeable dans les premiers mois de 1905.

Les étudiants organisent, immédiatement après le « dimanche sanglant », des collectes de fonds pour les victimes du massacre et font du porte-à-porte qui se transforme en propagande antigouvernementale. Les ouvriers de Saint-Pétersbourg prolongent leur grève, suivis en solidarité par plusieurs autres centres industriels. Une révolution s’opère dans les esprits : Gapone lui-même affirme aux ouvriers qui l’ont suivi qu’« il n’y a plus de dieu ni de tsar ».

Dans tout le pays s’élaborent des revendications, au travers de réunions et de la constitution de syndicats. La liberté de la presse est un fait accompli, la police n’osant plus réagir. Dans l’action, une organisation de masse apparaît : les célèbres soviets de députés ouvriers, assemblées de délégués élus dans les entreprises. Là se débattent et se décident les grandes orientations de la lutte. Le mouvement ouvrier produit un effet d’entraînement sur les paysans, qui entrent à leur tour dans un vaste mouvement au printemps 1905. Dans les provinces non russes, des soulèvements réclament l’indépendance. Cette combinaison ébranle alors le dernier appui du tsarisme : l’armée. La plus célèbre ces révoltes militaires est celle du cuirassé Prince Potemkine, qui démarre au mois de juin.

Les soviets

En août, face à la situation, le tsar annonce la création d’une assemblée représentative, la Douma. Il signe également la paix avec le Japon, car il ne peut plus assurer le coût économique et politique de la guerre. Calcul illusoire : le peuple n’est plus disposé à accepter un os à ronger. À travers la Russie, des dizaines de soviets assument de plus en plus le rôle d’un gouvernement révolutionnaire provisoire. À travers eux se développe l’alliance entre les militants révolutionnaires et le monde ouvrier en grève. Ils organisent la grève générale d’octobre, d’environ un million de personnes.

Le danger que représente cette situation pour les libéraux (la bourgeoisie naissante) les amène à accueillir favorablement les promesses de démocratisation du tsar. Les révolutionnaires sont divisés : faut-il aller jusqu’à prendre les armes ? Selon Plekhanov et les mencheviks, il ne faut pas effrayer les libéraux et les exclure de ce combat ; face à la répression du gouvernement tsariste, il paraît tout aussi insensé de vouloir s’affronter. Pour Lénine et les bolcheviks, le développement de la révolution russe conduit inéluctablement à une lutte armée entre le gouvernement du tsar et les ouvriers, qu’il faut organiser.

Le tsar entame une vague de négociations et de promesses pour calmer le jeu, accompagnée de la répression quand cela ne suffit pas : dans plusieurs endroits, les insurrections sont écrasées et les dirigeants systématiquement fusillés ; des expéditions punitives sont organisées - destructions de villages, scènes collectives de fouet... Les forces les plus conservatrices organisent des contre-manifestations patriotiques. Les Juifs constituent leur cible favorite. Les pogroms se multiplient, faisant des dizaines de milliers de morts. Ce climat donne une justification au tsar pour restaurer la loi martiale. Début décembre, les 267 délégués du soviet de Saint-Pétersbourg sont arrêtés et le soviet dissous.

Une insurrection a alors lieu à Moscou : 8 000 ouvriers armés résistent pendant neuf jours au gouvernement du tsar. Mais les forces de l’ordre reprennent le dessus. La révolution est faite de courants trop disparates pour tenir tête au gouvernement tsariste.

La classe ouvrière, défaite, aura cependant appris énormément : en 1917, lorsqu’une nouvelle explosion populaire survient, les soviets se mettent en place très rapidement. Quant aux révolutionnaires, les leçons tirées de cette période serviront de base pour la suite de leur combat. Pour les mencheviks, l’échec de la tentative révolutionnaire démontre la validité d’une politique par étapes (réformiste). Les bolcheviks, eux, concluront à un défaut de préparation, de coordination et d’organisation. Ce qui manquait à la révolution, « c’était d’une part, la fermeté, la résolution des masses trop sujettes à la maladie de la confiance et, d’autre part, une organisation sociale-démocrate des ouvriers à même d’assumer la direction du mouvement, de prendre la tête de l’armée révolutionnaire et de déclencher l’offensive contre les autorités gouvernementales ». L’évolution générale du capitalisme devait conduire, pour Lénine, à l’élimination de ces deux défauts. Et la révolution de 1917 allait lui donner raison.

www.lcr-rouge.org

Bibliographie (disponibles à La Brèche) :

  • François-Xavier Coquin, La Révolution russe manquée, Complexe.
  • Lénine, Lettres de loin, Éditions sociales.
  • Rosa Luxemburg, Grève de masse, La Découverte.

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