Fukushima, 6 mois après le tsunami. Vidéo : « Pour sortir du nucléaire, sortons du capitalisme » (Daniel Tanuro)
Par Martin Laurent, Daniel Tanuro le Mercredi, 07 Septembre 2011 PDF Imprimer Envoyer

Au milieu de la désinformation constante qui entoure à Fukushima comme partout l'industrie du nucléaire, il est difficile de se faire une idée précise de la situation tant en ce qui concerne l’état de la centrale que la contamination radioactive. D'autant plus qu’avec les taux de radioactivité gigantesques qu'on retrouve dans les réacteurs nucléaires, ce ne sera que dans plusieurs années qu'il sera possible de s'en approcher pour voir ce qu'il s'est réellement passé au cœur du réacteur le 11 mars 2011.

Que sait-on de la situation dans la centrale ?

Progressivement, on en a appris de plus en plus sur la gravité de la situation. Un certain nombre de choses dont beaucoup se doutaient dès le début se sont confirmées. Contrairement à ce qui avait été dit, ce n'est pas seulement le tsunami qui est responsable de l'accident. Le tremblement de terre avait déjà fortement fragilisé l'installation. Et alors que Tepco et le gouvernement japonais nous répétaient jusque récemment que le tsunami du 11 mars avait dépassé toutes leurs hypothèses, on apprend maintenant qu'une étude de Tepco de 2008 avait prévu la possibilité d'un tsunami de plus de 10 mètres contre lequel les protections (prévues pour résister à un tsunami de 5,7 mètres) de la centrale ne suffiraient pas. Ce n'est pourtant que le 7 mars 2011 que Tepco en a fait part aux autorités japonaises.

Le combustible nucléaire de trois réacteurs de la centrale a fondu en détériorant la cuve et l'enceinte de confinement ; probablement qu'une partie du corium (mélange fondu du combustible nucléaire, des barres de contrôle qui servent à stopper la réaction de fission nucléaire et de « l'emballage » de ce combustible) s'en est échappé. Jusque où et en quelle quantité, personne n'en sait rien. Ce n’est pas avant plusieurs années qu’on pourra le voir de près.

Les bâtiments de trois des quatre réacteurs ont été en partie détruit par des explosions ; y compris le bâtiment du réacteur 4 qui était pourtant à l'arrêt depuis plusieurs mois (preuve flagrante comme quoi un réacteur nucléaire, même à l'arrêt, demeure très dangereux) en dégageant d'énormes quantités de matières radioactives. En effet, même si le réacteur 4 était à l'arrêt et vidé de son combustible nucléaire, il y a dans le même bâtiment (comme d'ailleurs dans celui des autres réacteurs) une piscine — beaucoup moins bien protégée que le réacteur lui-même — qui contient d'énormes quantité de combustible usagé qui doit continuer à être refroidi pendant des années. Cette piscine, qui contient en réalité près de trois fois la quantité normale de combustible qu’on retrouve dans un réacteur en fonctionnement, a été fortement endommagée par le tremblement de terre et le tsunami. Même après les travaux de consolidation qui ont été effectués, une forte réplique du tremblement de terre pourrait la détruire avec des conséquences qui dépasseraient de loin la gravité de l'accident de Tchernobyl…

Ces réacteurs continuent à relâcher des matières radioactives dans l'air et dans l'eau utilisée pour les refroidir. Cette eau fuit et va s'accumuler dans les caves. Chaque heure, un peu plus de 14 m³ d'eau sont injectés dans les réacteurs pour les refroidir. Il y a actuellement 113 000 m³ d'eau contaminée (à peu près l'équivalent de 50 piscines olympiques…) dont 91 000 m³ dans les caves qui menacent toujours de déborder. Des installations de fortune ont été installées pour essayer de décontaminer cette eau mais peinent à le faire assez rapidement que pour décontaminer plus que ce qui est injecté en permanence dans les réacteurs.

Une gigantesque bâche est en construction pour recouvrir le réacteur 1 afin de diminuer les dégagements de matières radioactives dans l'air. Pour les autres réacteurs, le projet n'en est encore qu'au stade de l'étude.

On a récemment mesuré sur le site, en dehors des réacteurs, 10 Sv/h (1) de radioactivité à proximité d'un tuyau où se sont accumulées des matières radioactives. Une dose qui entraîne des conséquences graves après une dizaine de minutes d'exposition et après moins d'une heure, une mort certaine. Cela montre dans quel risque permanent se trouvent les travailleurs qui essaient d'améliorer la situation de la centrale.

Tepco et les autorités japonaises ont eux-mêmes admis il y a peu qu'il ne serait pas possible de commencer à extraire le combustible fondu des réacteurs — première étape du démantèlement — avant 10 ans. Et cela seulement si d'ici-là la technologie a suffisamment évolué. À titre de comparaison, dans l'accident de Three Miles Island de 1979, où seulement 45% du cœur d'un seul réacteur avait fondu, sans percer la cuve du réacteur et l'enceinte de confinement — des dommages bien moins importants qu'à Fukushima — il avait fallu 6 ans avant qu'on ne puisse commencer à extraire le combustible. Une opération qui a duré plus de 4 ans. Aujourd'hui, après plus de 30 ans, cette centrale n'est toujours pas complètement démantelée.

Radiations…

Au moins 80 000 personnes habitant dans la zone interdite de 20 km autour de la centrale ont été évacuées. Difficile d'avoir des chiffres exacts… On a entendu des chiffres allant jusqu'à 200 000 mais il semblerait que ce chiffre de 80 000 corresponde au nombre de personnes dont l'évacuation a été rendue obligatoire. En effet, au-delà de ces 20 km, il a seulement été conseillé aux personnes qui habitent jusqu'à 30 km de la centrale et dans certaines zones au-delà, officiellement observées comme fortement contaminée, de partir ou, au minimum, de rester confinées chez elles  — depuis 6 mois…

Il est difficile de savoir quel peut être l'effet des radiations à « faibles doses ». Aucune étude épidémiologique ne permet d'en connaître exactement les effets. Ce qu'on sait, c'est qu'à partir d'une dose de 100 mSv (millisieverts) pour un adulte, le risque de cancer augmente d'au moins 0,5 %. Le principe de précaution voudrait qu'on considère que la relation est linéaire en dessous et que donc, par exemple, une exposition à 20 mSv donnerait une augmentation de risque de cancer de 0,1 %. Étant donné ce principe de précaution, dans la plupart des pays du monde, la norme de radioactivité d'origine non-naturelle considérée comme acceptable est d'1 mSv/an (ou 20 mSv/an pour les travailleurs du nucléaire). Au Japon, suite à l'accident de Fukushima, pour éviter de devoir légalement évacuer « trop » de monde, la norme a été augmentée à 20 mSv/an et il a été considéré acceptable pour les travailleurs du Fukushima de subir une dose de 250 mSv.

Or il est estimé qu'à certains endroits de la zone située entre 20 et 30 km — donc dont l'évacuation n'a pas été rendue obligatoire et où ceux qui sont partis se demandent si ils vont être indemnisés — la dose reçue en un an pourrait atteindre 230 mSv et au-delà des 30 km, 125 mSv. Ces radiations sont causées essentiellement par du césium-137 dont la radioactivité ne diminue de moitié qu'en 30 ans. Le problème n'est donc pas près d'être réglé !

Sur les 10 700 personnes qui ont travaillé à la centrale depuis l'accident, il est déjà prouvé — même si des tests en profondeur n'ont pas encore été effectués sur tous les travailleurs — qu'au moins 6 travailleurs ont reçu des doses supérieures à 250 mSv (jusqu'à 678 mSv, une dose qui provoque des symptômes immédiats) et au moins 103 ont reçu des doses supérieures à 100 mSv.

… et contamination radioactive

Le problème de la contamination est encore bien plus compliqué à estimer et à contrôler et pourrait être bien plus grave. La différence entre irradiation et contamination est que dans le premier cas on est exposé aux radiations de substances radioactives se trouvant à proximité. Dans le cas de la contamination, ces substances sont soit déposées sur la peau (dans ce cas, il « suffit » d'une douche pour s'en débarrasser), soit respirées, soit ingérées. Et dans ce cas, des quantités qui peuvent être totalement bénignes dans le cas de l'irradiation peuvent devenir létales. L'exemple typique est l'iode radioactif qui se fixe dans la thyroïde (ce qui rend les enfants particulièrement vulnérables). Même si l'iode perd la moitié de sa radioactivité en 8 jours, il a pu provoquer des dégâts importants lors des premières semaines dont les conséquences ne seront visibles que dans plusieurs années…

Le césium radioactif peut, lui, se concentrer dans la chaîne alimentaire, en particulier dans le cas des poissons de l'Océan Pacifique qui a été fortement contaminé suite aux rejets d'eau radioactive principalement lors des premiers jours après l'accident. Cette pollution est maintenant complètement diluée dans l'océan mais pourrait rester présente dans les poissons pendant des années. Le même problème se pose pour tous les aliments produits dans la zone contaminée.

Si il n'est donc pas trop difficile d'estimer les doses de radiations externes reçues en mesurant le taux de radiation ambiant, il est très difficile d'estimer les conséquences de la contamination reçue en respirant les particules en suspension dans l'air, en buvant de l'eau contaminée ou en mangeant des aliments contaminés.

Rendez-vous en... 2041

Le 5 août, à la veille de la commémoration de l'explosion de la bombe d'Hiroshima, le journal Science annonçait qu'une étude épidémiologique allait être lancée sur les plus de 2 millions d'habitants de la préfecture de Fukushima pour étudier les effets des radiations à « faible dose ». Cette étude doit durer au moins 30 ans. Rendez-vous donc en 2041 pour enfin en savoir plus sur les effets réels de la catastrophe du 11 mars 2011. Peut-être qu'on pourra alors aussi savoir si il est possible ou pas de démanteler une centrale nucléaire après un accident de cette ampleur. Mais il est évident qu'on ne peut pas attendre jusqu'en 2041 pour abandonner la folie du nucléaire. Ce qui est certain, c'est que si nous ne sortons pas du nucléaire rapidement, d'autres accidents graves se produiront d'ici-là.

Martin Laurent

Note :

(1)Sv/h : Sievert par heure. Le sievert est l'unité dérivée du système international pour l'équivalent de dose, et vise à évaluer quantitativement l'impact biologique d'une exposition à des rayonnements ionisants. La dose équivalente correspond à l'énergie reçue par unité de masse, corrigée d'un facteur de pondération du rayonnement qui prend en compte la dangerosité relative du rayonnement considéré. Le sievert correspond donc à un joule par kilogramme multiplié par un facteur de correction sans unité. (Source : Wikipédia)


Vidéo : « Pour sortir du nucléaire, sortons du capitalisme »

Intervention de Daniel Tanuro, auteur de « L’impossible capitalisme vert », à un meeting du Nouveau Parti Anticapitaliste (France), le 1er avril 2011.


Un message de nos camarades japonais

Le séisme de magnitude 9 du 11 mars 2011 et le terrible tsunami qui en a résulté ont frappé et dévasté une vaste région de l’Est du Japon. Ces phénomènes naturels ont directement provoqué la disparition de 25 000 personnes et contraint jusqu’à présent 120 000 personnes à se réfugier dans différents sites. L’accident de la centrale nucléaire a atteint le niveau 7, comparable à celui de Tchernobyl en 1986, et a provoqué la fusion du cœur de plusieurs réacteurs et des explosions d’hydrogènes. Les fuites radioactives n’ont pas cessé à ce jour sur terre, en mer et dans l’atmosphère et rien ne laisse présager une quelconque accalmie dans cette terrifiante situation.

La combinaison catastrophique sans précédent et à grande échelle du séisme, du tsunami et de l’accident nucléaire a révélé au grand jour l’incompétence et l’incurie du gouvernement bourgeois et des compagnies de production d’électricité. La contradiction de base de cette société de classes où ce sont nécessairement les exploités, les opprimés et les victimes de discriminations qui ont à souffrir des plus grands dommages, a été outrageusement intensifiée par le processus global de mondialisation néolibérale.

Nos camarades des préfectures d’Iwate, Miyagi et Fukushima, eux-mêmes victimes de ces désastres, se sont totalement mobilisés dans diverses actions pour venir en aide aux habitants frappés par ces catastrophes, pour s’opposer au licenciement des travailleurs consécutif au séisme ou au tsunami, pour mener campagne pour la prévention des dommages nucléaires et pour le démantèlement des centrales nucléaires et pour lutter pour la réhabilitation des communautés locales. Les camarades et les collègues des zones épargnées par ces catastrophes ont participé aux actions sur place. Leur campagne et leurs actions s’inscrivent maintenant dans la mobilisation populaire sans cesse grandissante contre la politique d’énergie nucléaire et pour la dénucléarisation.

La campagne de solidarité financière d’ESSF (Europe solidaire sans frontière), initiée par Pierre Rousset et Danielle Sabai [1] et secondée par l’appel international de nos organisations JRCL et NCIW [2] a reçu un écho international assez favorable. Nous avons reçu une aide financière de 11 745 euros (environ 1 400 000 yens) [3] de la part de camarades, d’amis, de groupes et d’organisations solidaires de Taïwan, de Hong-Kong, des Philippines, du Sri Lanka, du Pakistan, de la République du Congo, de France, d’Allemagne, d’Angleterre, du Québec et de l’Asie entière. Ces contributions sont l’expression palpable de l’internationalisme et nous en sommes particulièrement reconnaissants avec une mention spéciale pour les efforts de nos camarades d’ESSF.

Les contributions ont été confiées pour moitié à la Tohoku Zenrokyo (Northeastern NTUC - Fédération nationale des syndicats Nord-Est) et les travailleurs de Northeastern NTUC utilisent l’aide internationale pour des actions de soutien aux victimes du désastre et pour la résistance populaire des campagnes contre les licenciements de travailleurs et d’autres attaques sociales.

L’autre moitié de l’aide internationale a été remise aux associations de travailleurs de la ville d’Iwaki dans la préfecture de Fukushima, qui emploient ces fonds pour l’acquisition des appareils nécessaires à une campagne indépendante de mesure des radiations, ainsi qu’à la diffusion de l’information sur la radioactivité auprès de la population locale.

Nous sommes déterminés à renforcer et à étendre nos actions, en conservant en permanence à l’esprit les aides solidaires de nos amis et de nos camarades internationaux. Nous renouvelons nos remerciements à chacun d’entre vous.

Ligue Communiste Révolutionnaire du Japon (JRCL)

Conseil National des Travailleurs Internationalistes (NCIW)

Le 17 mai 2011. Traduit de l’anglais par Antoine Dequidt pour ESSF

Au niveau international, les dons sont à remettre via Europe solidaire sans frontière (ESSF) :

Coordonnées internationales du compte bancaire :

  • IBAN : FR85 3000 2005 2500 0044 5757 C12
  • BIC / SWIFT : CRLYFRPP
  • Titulaire du compte : ESSF

[1] Voir : Japon : un appel urgent à la solidarité financière, ESSF (article 20666).

[2] Voir Appel à la solidarité financière envers les victimes et personnes déplacées à la suite du pire tremblement de terre/tsunami dans le nord-est du Japon et de la catastrophe nucléaire de Fukushima, ESSF (article 20746).

[3] Des fonds supplémentaires ont été envoyés depuis.

Voir ci-dessus