Affaire DSK : Présomption d’immoralité...
Par Hélène Roger, Léo Carvalho le Mercredi, 24 Août 2011 PDF Imprimer Envoyer

L’abandon des poursuites pénales contre Dominique Strauss Kahn, ancien directeur « socialiste » du FMI accusé de viol, rend non seulement impossible que la justice puisse se prononcer mais revient également de facto à « condamner » la plaignante, comme au temps où la victime dénonçant un viol était la seule coupable. Nous revenons ici sur cette affaire avec deux points de vue féministes sur les violences sexuelles ainsi que sur le traitement médiatique de cette « affaire DSK ». (LCR-Web)

L’« affaire DSK » nous en apprend tous les jours beaucoup sur la façon dont est prise en compte la parole des femmes victimes de violences et sur le sexisme ambiant de notre société. Petites phrases, commentaires, tout y passe. Tout le monde a son avis sur ce qui s’est passé dans la suite 2806 du Sofitel de New York. Pourtant, aujourd’hui, personne ne le sait vraiment, sauf les deux protagonistes et la vérité sur les faits se joue donc à parole contre parole, dans un duel absolument inégal de pouvoir et d’argent.

Dans ce type de crimes et délits, la preuve du non-consentement est très difficile à établir. C’est l’une des raisons pour lesquelles la majorité des femmes victimes de viol ne portent pas plainte.

Depuis quelques semaines surtout, on joue le procès de Nafissatou Diallo, de son passé et de ses actions, espérant y trouver une faille. Même si elle avait menti sur sa demande d’asile, cela minimiserait-il les faits supposés ? Se prostituerait-elle que cela changerait-il sa position de plaignante, voire l’aurait-elle bien cherché ? Devrait-on supposer qu’elle serait une personne de seconde zone ? Sa vie n’est peut-être pas exemplaire : est-ce suffisant pour estimer qu’elle a forcément menti ?

Cette affaire a été très médiatisée mais révèle au fond quelque chose d’assez banal quant au traitement des violences faites aux femmes : la parole de la victime est systématiquement mise en doute, ses propos minimisés et décrédibilisés. C’est à la présumée victime de faire la preuve de ce qui lui a été fait, la présomption d’innocence devenant dans ce cas présomption de crédibilité.

En France près de 75.000 femmes sont victimes de viol tous les ans, et seule une sur dix ose porter plainte, exactement pour ces raisons. Les victimes vivent généralement dans la honte et tentent de survivre après cet acte de domination. Le viol est un crime, il est la négation du désir de l’autre, et détruit la personne humaine.

Si la médiatisation de cette affaire peut permettre à certaines les femmes de s’exprimer et d’oser dénoncer ce qu’elles subissent au quotidien, nous ne pouvons que les encourager et les inciter à aller porter plainte si nécessaire. Libérer cette parole est un enjeu vital pour l’émancipation des femmes.

Il y a encore aujourd’hui beaucoup trop de femmes victimes de violences pour que cela ne nous regarde pas : il s’agit bien d’un problème politique que nous devons prendre à bras le corps. Il nous faudrait pour cela des moyens pour assurer la prévention, pour multiplier les centres d’accueil pour les femmes victimes de violences. Il s’agit d’un choix de société.

Et les femmes ne peuvent pas attendre.

Hélène Roger

Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 111 (14/07/11). http://www.npa2009.org


Les médias dominants et «l’affaire DSK»

Le traitement médiatique de ce qui est rapidement devenu «l’affaire DSK» fait apparaître, de manière caricaturale, deux tendances lourdes propres aux médias dominants: la connivence spontanée avec les puissants et une personnalisation outrancière (1).

La connivence entre les médias dominants et le pouvoir s’est traduite, dans les deux premiers jours de «l’affaire DSK», par l’oubli de la victime présumée du viol dont on accuse l’ancien directeur du FMI. Soudainement orphelins de leur candidat de prédilection pour les présidentielles de 2012, les grands médias ont d’abord concentré leur attention sur les misères qui leur semblaient faites à Strauss-Kahn.

Celui-ci pouvait-il s’être abaissé à de tels comportements, alors même que les sondages lui prédisaient régulièrement une élection facile contre un Sarkozy honni?

Surtout, ce qui justifie implicitement cette attention sélective, c’est l’idée qu’un homme blanc, fortuné et puissant, puisse être l’auteur d’une agression sexuelle. Les médias dominants n’ont en effet pas cessé, depuis une vingtaine d’années, de construire un portrait homogène du «barbare» se rendant coupable de violences sexuelles: jeune, pauvre, habitant des quartiers populaires, arabe ou noir, de culture musulmane. Rappelons-nous, entre 2001 et 2003, l’indignation médiatique devant le «scandale des tournantes», avec son cortège d’émissions, de reportages et de débats télévisés. Celui-ci avait principalement conduit, non seulement à stigmatiser la jeunesse des quartiers populaires et à construire un «péril musulman», mais à dissimuler le fait que des viols sont commis dans toutes les classes sociales et que l’oppression des femmes n’est en rien le «privilège» d’une religion ou d’une culture particulière.

Rien n’est plus révélateur de cet aveuglement et de cette connivence spontanée avec les puissants que les témoignages de deux éditocrates invités, partout et à toute heure, à donner leur avis sur tout : BHL et Jean-François Kahn. Le premier, au nom de son amitié avec DSK, disait ne pouvoir l’imaginer coupable. Il laissait surtout entendre que la victime présumée mentait, ne serait-ce que parce qu’une femme de ménage ne pouvait être entrée seule dans la chambre d’un homme aussi puissant que le directeur du FMI. Le second, dans l’évidence d’un racisme de classe couplé au sexisme ordinaire, affirmait qu’il ne s’agissait là, si les faits reprochés étaient avérés, que d’un «troussage de domestique».

Dernier aspect de cette médiatisation: la personnalisation outrancière de «l’affaire». Là où celle-ci aurait pu constituer une occasion d’informer sur cette question largement délaissée des violences faites aux femmes, les médias dominants se sont complu dans la diffusion en quantité industrielle d’images inutiles, s’émouvant de détails insignifiants pour se livrer ensuite à une critique hypocrite d’une justice américaine réputée impitoyable et d’une police organisant la médiatisation. Mais qui donc diffuse à longueur de journée les images de DSK menotté sinon les médias eux-mêmes? Et qui donc a oublié pendant près d’une semaine toute autre information (Nakba, Syrie, Espagne, etc.), en prétextant de l’importance cruciale de cette «affaire» ?

Léo Carvalho

1. Nous nous appuyons ici sur la série d’articles publiée par l’association Acrimed (Action-critique-médias).

Voir notamment: www.acrimed.org/article3593.html

Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 104 (26/05/11)

Voir ci-dessus