Italie : « Nous devons les arrêter. A eux la dette, à nous la révolte »
Par Sinistra Critica, Sergio Cofferatti le Dimanche, 14 Août 2011 PDF Imprimer Envoyer

La décision qu’a prise Berlusconi d’anticiper les choses, en obéissant ainsi aux diktats de la Banque Centrale Européenne (BCE) et des « marchés internationaux », nous révèle l’hypocrisie des litanies entendues durant ces derniers mois. La traduction de la crise économique est bien ce à quoi nous nous attendions, un Nième massacre social, produit par la course effrénée au profit d’un capitalisme qui ne sait pas garantir ni le bien-être ni la dignité.

Grâce au soutien des politiques dominantes, qu’elles soient de « centre-droite » ou de « centre-gauche » (voir Obama), le capitalisme a cherché, pendant les deux dernières décennies, à se sauver lui-même malgré son absence de force propulsive qui lui a fait accumuler une avalanche de dettes. Pour éviter l’explosion du système, les gouvernements ont assumé la charge de ces dettes en les transférant sur les comptes publics. Et aujourd’hui, l’addition est présentée aux travailleurs et aux travailleuses, aux jeunes précarisés, aux femmes, aux pensionnés.

Le fait que cette anticipation des manœuvres se fasse essentiellement via la révision des déductions fiscales pour les moins favorisés et par des « réformes » des systèmes de sécurité sociale est d’ailleurs significatif. Dorénavant, la situation risque de jeter dans la misère des millions de personnes tandis que les catégories les plus aisées ne devront pas sortir un euro de leur poche. C’est la majorité sociale qui va servir de garantie pour les profits qui ont été accumulés durant toutes ces années et pour ceux qui vont l’être encore.

Face à cette décision imposée par la BCE et ses contrôleurs, l’opposition parlementaire reste sans réponse. Elle bafouille des phrases incompréhensibles tout en se débattant entre la « responsabilité » ordonnée par le Président et la nécessité de démontrer une différence de politique qui n’existe pas. Il n’existe aucune alternative au sein du Parlement et il est donc inutile d’attendre un signal intéressant de ce côté. Le Parlement italien est en fait contrôlé par les banques centrales et les banques privées.

Des signes inquiétants nous viennent aussi du côté syndical. La CGIL (principal syndicat d’opposition, d’origine communiste) a finalement réussi à se faire « encommissionner » par la Cofindustria (fédération patronale italienne, NDLR)  dans la course à la « responsabilité nationale ». Une course faite d’assainissement des finances publiques, de privatisations, de libéralisations et de réformes du marché du travail. Maintenant que le gouvernement a réellement décidé d’aller dans cette direction, comment la CGIL pourra-t-elle encore justifier son opposition, surtout en tenant compte du fait que l’une des mesures à appliquer sera l’assainissement des finances publiques, ce qui revient à suspendre l’avenir du pays aux lèvres des marchés, c'est-à-dire de la grande finance et de la spéculation.

La situation est réellement dramatique, mais pas pour les raisons qui nous sont présentées par la presse dominante. L’ampleur des mesures mises en route (30 milliards d’économies sont annoncées pour 2012, mais on en prévoit 100 milliards d’ici à 2014) va se traduire en pauvreté, en pertes d’emplois, en exploitation et par l’indigence de millions de travailleurs et de travailleuses, de jeunes, de pensionnés. Une réponse est nécessaire et urgente.

Si une gauche réelle, de classe, alternative, et réellement indépendante du Parti démocrate existe, elle doit préparer l’opposition et décider de mobiliser, en tenant compte de la gravité de la situation, pour arriver à une grève de masse, efficace et généralisée.

Sinistra Critica s’est sérieusement impliquée dans l’initiative « Il faut les arrêter » (« Dobbiamo fermarli ») ; un appel signé par des représentants syndicaux de la CGIL, par des militants de base, par des activistes sociaux, des étudiants, des militants politiques et des personnalités. Le nombre di signataires atteint maintenant la barre du millier. Cet appel invite à se réunir à Rome le 1er octobre pour préparer une grande manifestation nationale le 15 octobre prochain.

Le coeur de cette initiative est l’appel à « ne pas payer la dette à leur place », en coupant dans les dépenses militaires, par la défense et la reconquête des acquis du monde du  travail, de mettre sous tutelle publique les biens communs et d’étendre la démocratie. Si le but est réellement d’assainir les finances publiques, alors il faut prendre l’argent là où il est : dans les profits et les rentes capitalistes en imposant une enquête patrimoniale et efficace contre les grandes richesses, connues mais occultées.

Mais la mobilisation doit commencer avant, dès la fin du mois d’août, avec des assemblées, des rencontres, des sit-in, des actions symboliques et tout ce qui pourra servir à exprimer l’opposition diffuse de la majorité sociale face aux manœuvres économiques de l’establishement.

Communiqué de Sinistra Critica, organisation anticapitaliste italienne

http://www.sinistracritica.org. Traduction française de l’italien par Sylvia Nerina pour le site www.lcr-lagauche.be


Interview de Sergio Cofferati, ex-secrétaire du syndicat CGIL : « Le syndicat doit mobiliser »

« Le gouvernement s’est d’abord moqué des représentants syndicaux, ensuite il s’est moqué des Italiens, chaque fois en se repliant derrière les recommandations de la Banque Centrale Européenne. Si c’est comme ça, autant traiter directement avec la BCE ». Sergio Cofferati ne s’étonne pas des déclarations du ministre Tremonti (ministre italien de l’économie et des finances, ndlr) qui a été jusqu’à évoquer l’abolition de l’article 18 (de la loi sur le statut des travailleurs, ndlr), qui interdit de licencier sans justification valable. Le maintient de cet article avait été une des grandes victoires de la CGIL de Cofferati en 2002.

Lorsqu’il parle de licenciements, de pensions ou mêmes de coupes dans les salaires des travailleurs publics, Tremonti se déclare en accord avec les demandes de la BCE, mais il ne nie pas une certaine réserve sur ce que le gouvernement décidera en fin de comptes. Est-ce une forme de menace ou bien agit-il en bon commerçant pour essayer d’arracher les meilleures, ou disons plutôt les pires conditions possibles ?

S.C. : Ce gouvernement a perdu toute légitimité. Non seulement il montre clairement qu’il est complètement aux ordres de la BCE, mais il n’arrive même pas à feindre le moindre sens des responsabilités en disant au moins ce qu’ils ont l’intention de faire. Un exécutif qui rencontre les partenaires sociaux auxquels il ne dit rien, et qui, le jour suivant, parle par la bouche de la BCE, c’est du jamais vu. Ce qui est frappant c’est que le fond de leur orientation soit aussi clairement identifiable. Ils visent à frapper la partie la plus faible de la population. C’est ça le fil rouge idéologique de toutes ces hypothèses annoncées par Tremonti, dont certaines sont carrément réactionnaires.

Est-ce qu’on pouvait s’attendre à une telle attaque contre l’article 18 ? A ce moment précis et dans ces termes ?

S.C. : Je m’y attendais plus ou moins. Il n’y a pas le moindre lien, aussi minime soit-il, entre l’abolition de cet article 18 et la relance de la croissance. A la mi-juillet, il avait déclaré que pour soutenir cette relance, il fallait mettre l’accent sur la qualité du travail, réduire la précarisation et investir dans la formation. Comment peuvent-ils  essayer d’invoquer un hypothétique lien entre la crise et l’impossibilité de licencier sans justification ? Cet article ne concerne que la dignité des travailleurs. On essaie de les mettre dans des situations où ils devront subir les injustices. Croissance, tu parles ! Si c’était le cas, l’économie italienne aurait du aller mal depuis 2002, alors que c’est le contraire qui s’est passé. Plus encore ; la défense de l’article 18 a été un élément positif pour notre économie et c’est un fait qui devrait faire réfléchir, à droite et à gauche. L’abolition de cet article ne servira qu’à déchaîner les conflits sociaux.

Tremonti met en avant la liste des points qui ont été présentés au gouvernement par les partenaires sociaux. Des points qui ont également été signés par la Confindustria (fédération patronale) et les syndicats (y compris la CGIL). Comment la CGIL compte-t-elle encore défendre cette plateforme commune ?

S.C. : Ce document était ambigu et composé de principes abstraits qui ne traitaient pas des applications concrètes. Mais plus le temps passe, plus on voit des divergences importantes se dégager entre ces organisations qui représentent des intérêts opposés. C’est d’ailleurs comme ça que ça doit être, le contraire ne serait pas naturel. Les syndicats, et la CGIL en particulier, ne peuvent plus aller dans l’ancienne direction. Ils doivent se dégager des scénarios présentés par le gouvernement et recommencer à mobiliser.

Susanna Camusso (Secrétaire Générale actuelle de la CGIL, ndlr) n’exclut pas la grève générale…

S.C. : Toutes les conditions sont réunies pour décider une grève générale.

Mais Bonanni (Secrétaire national de la CSIL, ndlr) a déjà dit non à cette hypothèse.

S.C. : Je crois que la forme est importante aussi. La CGIL devra mettre en place des actions de contestation, y compris la grève générale. Dans le contexte actuel, même la CISL ne pourra rester en retrait.

Donc, maintenir le front commun avec Confindustria n’est plus d’actualité, même pour les nobles raisons habituellement invoquées, comme celle de chasser Berlusconi ?

S.C. : Cette stratégie devait surtout créer une rupture avec le gouvernement actuel. Au lieu de cela, on risque d’aller dans le sens opposé, surtout du point de vue des politiques économiques. En plus, Berlusconi est toujours là.

Beaucoup de choses ont changé depuis 2002. Quel courant politique peut obtenir le soutien des syndicats ? Que doit faire le PD (parti démocrate) ?

S.C. : Je pense qu’aucune organisation qui se prétend progressiste ne peut se permettre d’appliquer les mesures annoncées par le gouvernement. Ce sont les conditions de travail et de vie de la majorité de la population qui sont en jeu. Des citoyens que le PD dit représenter. C’est également une question d’égalité et de justice sociale, de valeurs constitutionnelles. Dans une telle période de crise, le rôle d’un parti de gauche, ou même de centre-gauche, est de mettre ces valeurs en avant, pas de les noyer. Ils doivent proposer des solutions concrètes, et qui soient conséquentes avec les valeurs qu’ils prétendent défendre.

Source : « Il Manifesto », 12/08/2011, page 2. Interview réalisée par Giorgio Salvetti. Traduit par Sylvia Nerina pour le site www.lcr-lagauche.be

Notes de la rédaction :

CGIL : La Confédération générale italienne du travail (Confederazione Generale Italiana del Lavoro, CGIL) est un syndicat italien créé en 1944 en continuation de la Confederazione generale del lavoro (CGdL) créée en 1906 et dissoute en 1925. Elle est affiliée à la Confédération européenne des syndicats et à la Confédération syndicale internationale.

CISL : La Confederazione Italiana Sindacati Lavoratori (CISL - Confédération italienne des syndicats de travailleurs) est un syndicat italien d'inspiration catholique fondé en 1950. Elle est affilliée à la Confédération syndicale internationale.



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