Mission « Bienvenue en Palestine » : un bilan avec notre camarade Dominique Waroquiez
Par Dominique Waroquiez, Céline Caudron le Dimanche, 24 Juillet 2011 PDF Imprimer Envoyer

L.G.: Ces dernières semaines, des flottilles maritimes ont tenté de briser le blocus de Gaza en rejoignant Gaza par bateau. Début juin, c'est une flottille aérienne qui s'est organisée pour rejoindre les Palestinien-ne-s des territoires occupés de Jérusalem-Est et de Cisjordanie. Cette opération s'appelait "Bienvenue en Palestine". Tu peux nous en dire plus?

D.W.: L’appel "Bienvenue en Palestine" a été lancé par une quinzaine d’associations de la société civile palestinienne, des centres culturels, des camps de réfugiés, l’Alternative Information Center et les comités populaires qui résistent au vol des terres et au mur. Ils nous ont appelés pour qu'on vienne voir la réalité sur place.

L'objectif était aussi d'être ensemble le 9 juillet, date à laquelle, sept ans plus tôt, la Cour Internationale de La Haye a déclaré illégal que ce qui se passe en Cisjordanie et Jérusalem-Est, c’est-à-dire l’occupation, la colonisation et le mur qui continue à prendre de plus en plus de terres aux Palestiniens. On voulait rappeler ensemble aux Etats qu’ils sont tenus de faire respecter le droit, ce qu’ils ne font pas  puisque tout continue : les Palestiniens perdent tous les jours des terres, des maisons, des ressources agricoles, …

Nous étions environ 800 à répondre à l'appel, avec des Allemands, des Italiens, des Américains, une soixantaine de Belges et plus ou moins 300 Français. En Belgique, ça s’est surtout organisé à partir de Bruxelles, de Charleroi et de Liège-Verviers mais il y avait aussi quelques néerlandophones. On a créé des caisses de solidarité. C’était aussi l’occasion pour des jeunes qui voulaient aller en Palestine et qui n’osaient pas trop, de peur d'être refoulés, d’essayer de rentrer en groupe.

L.G.: Pourquoi passer par Tel Aviv?

D.W.: Avant, pour aller là-bas, il y avait un aéroport palestinien, payé avec l’argent de l’UE mais il a été détruit par l’armée d’Israël. Maintenant, c’est Israël qui contrôle toutes les frontières. Il faut passer soit par Tel Aviv, soit par la Jordanie où, là aussi, il y a un contrôle israélien puisque toute la vallée du Jourdain est considérée comme une zone militaire israélienne. L'objectif était donc de partir le plus nombreux possible pour arriver le 8 juillet à l’aéroport de Tel Aviv en déclarant vouloir passer à Jérusalem-est et en Cisjordanie. On avait une invitation sur papier du centre culturel du camp de réfugiés de Aïda à Bethléem. C’était clair, on avait ce but et on l’a annoncé.

L.G. L'essentiel des belges participant à la flottille ont pu prendre l'avion à Zaventem. Mais tu as été bloquée à l'aéroport de Paris. Que s'est-il passé?

D.W. Je me suis retrouvée à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle parce que j’avais acheté mon ticket d’avion depuis très longtemps. A l'époque, je ne savais pas qu’il y allait avoir toute une organisation en Belgique qui a fait partir l’essentiel du groupe de Zaventem. Avec les Français, on était trois belges à Roissy, moi-même, une copine et son fils de 12 ans.

On avait nos papiers en règle et on avait payé le vol d’avion depuis longtemps. Mais, déjà avant le contrôle des bagages, certains se sont fait arrêter. D’autres, comme moi, mon amie et son fils, ont été arrêtés juste au moment où on montait dans l’avion. A la passerelle, on nous a demandé notre passeport et on nous a interdit de monter dans l’avion en nous disant qu’on était sur une liste de 342 personnes interdites.

A Zaventem, trois français ont aussi été empêchés d’embarquer. Mais les autres belges ont pu partir. Moi, j’étais sur Alitalia mais plusieurs compagnies ont fait la même chose. Certains étaient boqués à Budapest, trois autres à Bruxelles. A Paris, on devait être une centaine bloqués. C’était une opération de grand ampleur avec comme seul motif que nous étions sur une liste de personnes non grata sur des avions à destination de Tel Aviv. Pourquoi? C’était la question.

On a demandé de voir cette liste mais on n’a pas pu obtenir plus d’informations. C’était interdiction un point c’est tout. On s’est donc retrouvé interdits de circulation à cause d’une liste. Nous, on voulait savoir pourquoi on nous interdisait de voyager, ce qu’était cette liste, ce qu'elle représentait. Mais on n’a jamais eu la lumière. On peut penser que c’est la sûreté israélienne, le Mossad, qui a mis la main sur une liste de gens qui partaient en Palestine. Ils n'avaient pas les noms de tout le monde. Ils ont surtout ciblé les gens inscrits via Euro Palestine, comme moi. Je suppose qu'ils ont intercepté des mails. Arrêter une partie des militants dans les aéroports de départ, c'est une manière pour eux d'éviter de devoir mettre tout le monde en taule à Tel Aviv.

D’abord, on s'est rendus aux guichets des compagnies qui nous bloquaient. On voulait prendre l’avion, on avait payé notre billet. Comme on compte encore essayer d’aller à Tel Aviv, on voulait au moins récupérer notre argent mais ils ne voulaient même pas nous rembourser. On a donc demandé un justificatif; c'était un vol motivé par une décision politique et on avait besoin d'une preuve écrite pour récupérer le prix de notre billet. Finalement, on a quand même obtenu un papier à l’arrachée. C’était un certificat de non embarquement qui précisait le motif « non admissible sur le territoire israélien sur instruction du gouvernement israélien ». Les compagnies déclinaient toute responsabilité. Normalement, elles ne peuvent pas refuser des passagers pour raison politiques par exemple. Si on va voir des Palestiniens, il n’y a pas de raison de nous l’empêcher. Israël aurait fait pression sur les compagnies en disant que, si elles nous embarquaient, elles devaient nous rapatrier mais, de toute manière, on avait payé l’aller-retour. C’est un prétexte qui ne tient pas debout. Les compagnies ont purement et simplement obéi aux instructions d’Israël.

L.G.: Comment ont réagi les autorités publiques?

D.W.: Tout ça est illégal. C’est une entrave terrible à la liberté de circulation. On n’a même pas pu faire escale à Rome. C’est choquant. Roissy et Zaventem sont devenus un check-ont d’Israël où seulement certains ont pu passer. Il suffit qu’Israël donne une liste nous considérant comme des terroristes, dangereux pour la sécurité, pour nous enlever notre liberté de circuler alors qu'on a des passeports en règle et qu'on a passé tous les contrôles. Ce qui m'a dégoûtée aussi, c'est le deux poids deux mesures. Parmi les passagers, il y avait sûrement des colons, des soldats d'Israël ou des gens qui font leur service militaire là-bas. Eux, ils n'ont pas été interdits de monter dans l'avion, même s'ils sont clairement dangereux pour les Palestiniens.

Le comble, c’est qu’il n’y a eu aucune intervention des consuls, français ou belges, pour nous aider à partir, alors qu’ils étaient au courant. De la part du gouvernement belge, je n'ai pas vu beaucoup de réactions. Dans La Libre Belgique du 9 juillet, Philippe Mahoux (PS) dénonce une forte ingérence des autorités israéliennes par rapport au droit des pays d'où partent les gens qui tentent de traverser le blocus. Mais, quand le journaliste lui demande ce qui se fait au niveau belge contre cela, il esquive. Il dit défendre l'idée d'avoir deux Etats et soutenir une proposition de loi dans ce sens. Mais ça ne reste toujours que du papier et du blabla. En attendant la colonisation continue et ils laissent faire Israël.

On voit que c’est vraiment une décision politique d’obéir et de renforcer le blocus qu’Israël pratique sur les territoires palestiniens. Ce qui est tombé, c’est les mensonges des gouvernements européens qui disent qu’ils sont contre la colonisation, qu’on a le droit d’aller en Palestine. On voit bien que ce n’est pas vrai. Ils considère quasiment Israël comme un Etat européen et se rendent complices de ses crimes.

L.G.: Vous avez protesté à Paris. Et vous avez été fermement réprimés...

D.W.: A Roissy, on était dans l’aéroport en attendant nos papiers et les autorités nous ont envoyé les CRS. Ils étaient de plus en plus nombreux et accompagnés de militaires bien armés. Ils sont vite devenus très agressifs alors qu’on manifestait pacifiquement. C’est difficile de dire combien on était dans l'aéroport. Ca allait et venait vu que plusieurs compagnies avaient bloqué des passagers. Mais à certains moments, les CRS nous encerclaient carrément, en nous bloquant totalement, en nous empêchant même d’aller aux toilettes.

Il y a aussi eu des blessés. Les CRS tordaient les poignets et  balançaient des lacrymogènes dans la figure, même des enfants. C’était des lacrymos comme dans les grosses manifs qui peuvent coupler le souffle. J’ai vu une fille qui faisait une crise respiratoire. C’était difficile d’aller les assister parce que, quand ils nous encerclaient, on ne pouvait pas sortir de leur étau et ils utilisaient leur matraque très facilement. Les service de secours ont dû venir à l'aide blessés, les amenant en civière aux ambulances, et il a fallu évacuer des enfants, des personnes plus âges. Mais ils ne voulaient pas qu’on réclame quoi que ce soit. Ils ne nous ont pas traité comme des passagers normaux.

Le gros des passagers interdits de vol était encerclé. On faisait un sit-in, on ne voulait pas partir de l’aéroport. En soirée, ils sont venus avec des renforts et ils nous ont jetés et entassés dans des cars pour nous évacuer dans des stations de métros, alors qu'ils ne circulaient déjà quasi plus, pour nous disperser.

Le lendemain, on a manifesté à Paris, devant l’hôtel de ville. où on a été à nouveau traités de la même manière si pas pire. Les CRS sont à nouveau intervenus. Après maltraitances, ils nous ont amenés dans différents commissariats. Là, on a été fouillés et ils nous ont demandé toute sorte d’informations. Moi,  ils m’ont même demandé ma filiation.

L.G. Que va-t-il se passer maintenant?

D.W.: Israël pense qui a gagné en coulant la flottille aérienne et maritime mais ce n’est pas du tout le cas. D'abord, les deux flottilles, maritime et aérienne, ont été fort médiatisées parce qu'elles ont été sabotées en même temps par Israël et ses sbires. Alors que la flottille maritime était déjà arrêtée avec des sabordages de bateaux, un des derniers bateaux, avec notamment Olivier Besancenot, venait d’être arraisonné le 8 juillet au moment du départ de a flottille aérienne. Israël  a beaucoup joué là-dessus en se disant assiégé, attaqué de tous côtés, par des hooligans, terroristes, antisémites, ou encore malotrus, qu’il fallait arrêter. Ils nous ont traités de tous les noms et c'était ridicule. Ca a fait de l'effet. Et c'est finalement très bien, Israël a fait lui-même la jonction entre les deux opérations: la flottille maritime qui voulait arriver à Gaza pour dénoncer le blocus et nous qui voulions aller en Cisjordanie, l’autre partie occupé militairement par Israël, pour être là le 9 juillet.

Ensuite, on a déjà obtenu une victoire. Ce qu'a fait Israël, en emprisonnant 120 personnes qui avaient pu prendre l'avion jusque Tel Aviv, vient d'être reconnu par un juge israélien comme illégal. Le juge a dit qu'on avait le droit de passer par Israël pour aller en Palestine.

Enfin, pour notre part, on nous a volé notre argent et on veut aller en Palestine, avoir le droit de circuler sur des avions. C’est loin d'être fini. On va se voir pour savoir ce qu'on va faire. On doit s'organiser. L'idéal est qu'on se mette ensemble pour dénoncer ce qui s'est passé et qu'on y voie plus clair. On doit pouvoir circuler et les gouvernements européens doivent arrêter ce sale jeu hypocrite. En tout cas, nous allons continuer ce genre d'initiatives, en nous battant nous-mêmes pour détruire le blocus, l'occupation et ce mur de silence de l'Europe complice.

Propos recueillis par Céline Caudron









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