Maroc: vers l’affrontement
Par Lotfi Chawqui le Mercredi, 15 Juin 2011 PDF Imprimer Envoyer

Après avoir fait croire à une exception marocaine, le pouvoir, qui est incapable de répondre aux aspirations de la population, a choisi la répression du Mouvement du 20 février. La solidarité internationale est indispensable. Les journées d’action appelées par le Mouvement du 20 février (M20F) sont fortement réprimées. Le pouvoir n’hésite plus à disperser violemment les manifestants, à arrêter des centaines d’activistes du M20F et les militants les plus combatifs dans la rue ou chez eux. Toute manifestation est désormais non autorisée, y compris syndicale ou associative. Pendant ce temps, le ministre de la Communication explique que le pouvoir n’a rien contre la jeunesse et le M20F mais qu’il ne laissera pas les islamistes et l’extrême gauche les noyauter pour des objectifs de déstabilisation. En réalité, le pouvoir cherche maintenant ouvertement l’affrontement.

La stratégie mise en œuvre pour contrer le réveil social et démocratique reposait sur la combinaison d’un discrédit médiatique, d’une répression ciblée, d’un noyautage du mouvement par les partis institutionnels et la mise en chantier d’un projet de réforme constitutionnelle. Celui-ci était supposé renforcer l’État de droit, tout en divisant le mouvement entre ses composantes réformistes, radicales et islamistes. Le pouvoir a pu aussi coopter de fait les bureaucraties syndicales après un accord signé la veille du 1er Mai qui intègre des concessions dérisoires. Le calcul était celui d’une guerre d’usure visant à délimiter le périmètre social et politique de la contestation sans chercher un affrontement central qui aurait pu aboutir à une radicalisation.

Cette approche qui visait à valider «l’exception marocaine», s’est effondrée devant le maintien de la mobilisation et son ancrage populaire. En réalité, les revendications avancées par le mouvement formulent d’une manière large les aspirations sociales et démocratiques de la majorité populaire: l’exigence d’une Constitution démocratique remettant en cause le despotisme, la démission du gouvernement et la dissolution du Parlement actuel, le jugement des auteurs de crimes politiques et de la dilapidation des biens publics, la libération de tous les prisonniers politiques, la fin de la corruption. Mais aussi, l’exigence de la satisfaction des droits sociaux, l’embauche des chômeurs diplômés, une revalorisation des salaires, le droit à des conditions de vie dignes et une répartition égalitaire des richesses.

Les grands hommes d’affaires liés au palais, les généraux, les tortionnaires sont particulièrement visés. Cette plateforme s’est appuyée sur un large travail de sensibilisation en direction des quartiers populaires. Ce processus d’enracinement progressif a permis au mouvement de faire face aux manœuvres du pouvoir et de s’étendre géographiquement pour couvrir l’ensemble du pays.

Par ailleurs, il y a une extension des luttes sociales et syndicales. Chaque secteur sent que c’est le moment de mettre en avant ses revendications. Ainsi dans la santé, la fonction publique, les chemins de fer, la poste, les grèves se multiplient sous la pression de la base et sont réellement massives. Des milliers de paysans mènent des marches de protestations, les habitants des bidonvilles réclament le droit à un logement digne. L’ensemble de la société se réveille sous des formes diverses, y compris les couches les plus opprimées. Cet enracinement, la multiplication des revendications et le risque d’une convergence représentent un risque majeur pour la dictature qui n’a ni les moyens ni la volonté de répondre aux revendications populaires.

Le pouvoir vise à présenter son projet de réforme constitutionnelle au mois de juin, validé par un référendum et suivi d’élections anticipées à l’automne prochain. En réalité, les manifestants refusent une nouvelle Constitution octroyée qui ne ferait qu’embellir la façade démocratique de la dictature. Et celle-ci ne peut accepter une contestation populaire visible qui s’oppose à la volonté royale. Il s’agit de faire place nette.

Si les manifestations du dernier week-end ont été tolérées, c’est dû aux protestations populaires en réaction à l’assassinat d’un jeune militant du mouvement à Safi, indiquant un risque réel de radicalisation. Ce recul tactique ne change rien à sa volonté d’aller vers un affrontement majeur. Pour le moment, le M20F maintient le cap de la mobilisation. S’il est difficile d’apprécier si le climat répressif va entraîner un repli de la mobilisation ou au contraire radicaliser et élargir le processus, le mouvement populaire, qui jusque-là semble tenir sur la durée, cherche des appuis internationaux pour isoler le pouvoir. Notre tâche est d’y contribuer le plus largement possible.

Publié dans l’Hebdo Tout est à nous ! du NPA, n° 106 (09/06/11)

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