En Syrie comme ailleurs, en finir avec les dictateurs!
Par Alain Pojolat, Marc Saint-Upéry, Saleh al-Naimi le Mercredi, 04 Mai 2011 PDF Imprimer Envoyer

L’annonce par Bachar al Assad, jeudi 21 avril, que le pouvoir accepterait les revendications des manifestants, n’a pas suffi. Le peuple syrien réclame le départ du dictateur, qui, paniqué, ne cesse de durcir la répression. La répression en Syrie s’est considérablement accentuée au cours de ces derniers jours. Aux plus de 120 morts pour les seuls vendredi 22 et samedi 23 avril, il faut ajouter ceux du lundi 25 avril, lorsque les blindés ont investi la ville de Deraa. Cela fait plus de 400 morts depuis le 15 mars, date du début du processus démocratique. Il s’agit là d’un durcissement manifeste des autorités, prises de panique par l’ampleur d’une rébellion qui s’étend, et touche maintenant toutes les grandes villes.

Des centaines d’opposants sont arrêtés, torturés, et les organisations de défense des droits de l’homme (Human Rights Watch, Amnesty et l’Observateur syrien des droits humains) dénoncent les multiples disparitions, notamment celle du journaliste algérien Khaled Sid Mohand, arrêté par des membres de la sécurité militaire, le 9 avril, dont on est sans nouvelles depuis. Enfin, la nouvelle arrestation de Mahmoud Issa, membre du Parti du travail (communiste) est un signe de retour aux pratiques des pires heures de la dictature.

En signe de protestation face à cette répression, deux députés, ainsi que le mufti de la ville de Deraa, là où l’insurrection a débuté, ont décidé de démissionner, fait sans précédent dans la vie politique syrienne.

Pourtant, jeudi, après l’annonce par Bachar al Assad lui-même, de la réponse positive du pouvoir aux principales revendications des manifestants (levée de l’état d’urgence, abolition de la Cour de sûreté de l’État, autorisation des manifestations, libération des prisonniers politiques et de conscience, promesse d’une revalorisation de 30% des salaires dans la fonction publique), on aurait pu s’attendre à un retour à la normale, et à la reconstitution du pacte national autour d’une présidence s’engageant à réformer le système politique et laissant plus de place à l’expression démocratique. Il n’en est rien. Le rejet de la dictature héréditaire est tel que c’est le départ d’Assad qui est aujourd’hui demandé par les manifestants.

C’est aussi la fin du régime baasiste en place depuis mars 1963, dont l’article 8 de la Constitution garantit actuellement l’autoreproduction: «Le parti Baas dirige la société». Le pouvoir syrien peut bien, comme le fait également Kadhafi, hurler à un improbable complot salafiste pour justifier la répression des manifestations, il ne peut masquer le ras-le-bol général, notamment d’une partie de la jeunesse qui aspire, comme dans les autres pays qui sont aussi le théâtre de soulèvements populaires, à la démocratie, à la liberté d’expression, à la fin des dictatures. Hugo Chavez peut bien, une nouvelle fois, parler comme pour la Libye, d’un «complot américain», il ne saurait nous convaincre que les jeunes manifestants de Deraa, Latakié et Damas ne sont que des marionnettes manipulées par la Maison Blanche!

Le mouvement démocratique syrien, même s’il est dramatiquement réprimé, a d’ores et déjà marqué des points capitaux pour l’avenir. Il a considérablement terni l’image moderniste de Bachir al Assad, complaisamment colportée par une presse occidentale peu intéressée par les pratiques policières et judiciaires du régime. Il a mis fin à 48 ans d’omerta sur les pratiques de la dictature alaouite. S’inscrivant dans le contexte général du combat engagé dans les pays du monde arabe, il doit bénéficier de tout notre soutien pour chercher des convergences avec les autres mouvements de contestation.

Alain Pojolat

Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! N°100 (28/04/11)


« En Syrie, il y a la peur du régime, mais aussi de l'instabilité »

Quelles sont les différences entre la Syrie et les autres pays arabes?

Marc Saint-Upéry: Le régime du Parti Baas en Syrie est une des dictatures les plus féroces de la région. Les moukhabarat syriens – les services de sécurité – sont très craints et dans les blagues macabres abondent dans le monde arabe sur leurs « talents » de bourreaux – talents que Damas a mis au service des Etats-Unis dans sa «guerre contre le terrorisme ».

A la différence de la Libye, c'est un régime très institutionnalisé, avec un parti dirigeant et une série d'organisations de masse très contrôlées qui canalisent les intérêts des plusieurs secteurs sociaux. Le pouvoir du clan Al-Assad est plus « collectivisé ». Le régime jouit d'un niveau de légitimité plus élevé sur le terrain international, par ses postures nationalistes et son attitude face à Israël et à l'Occident. Mais en réalité, il a fait de nombreux compromis, tant avec Washington qu'avec Tel Aviv, mais sans adopter pour autant l'attitude servile de Moubarak.

En outre, Bachar Al-Assad et son épouse continuent à avoir dans une partie de la population l'image de personnes modernes et sensées, pleines de bonne volonté réformistes mais entourées par un cercle de corrompus et d'autoritaires. Cependant, en 11 ans de pouvoir, cette image s'est beaucoup érodée car Assad n'a accompli aucune de ses promesses de réforme politique. Il reste à savoir jusqu'où la terrible répression actuelle va accélérer cette usure.

Dans le domaine socio-économique, quel type de configuration prédomine en Syrie?

La base du pouvoir du clan Assad est la communauté alaouite, une secte musulmane locale, parente du chiisme et qui est considérée comme hérétique par beaucoup de sunnites (qui représentent 70% de la population syrienne). La majorité des cadres de l'appareil de sécurité et de l'armée sont alaouites. En théorie, l'idéologie du Parti Baas est une sorte de « socialisme arabe ». Il existe toujours un secteur économique étatique, très inefficace et corrompu, mais il a diminué. Déjà sous Hafez Al-Assad, le père de Bachar, il y a eu plusieurs vagues de réformes économiques et d'alliances avec les secteurs de la bourgeoisie commercial sunnite.

Ce phénomène s'est considérablement accéléré avec Bachar, qui déclare son admiration non seulement pour le modèle chinois, mais aussi pour des pays musulmans émergents avec une vigoureux capitalisme autochtone comme la Turquie et la Malaisie. Au cours de ces six ou sept dernières années, il y a une forme de libéralisation oligopolistique qui a principalement bénéficié à une étroite élite de nouveaux (et pas si nouveaux) riches entrepreneurs experts dans l'art de cultiver les relations entre le monde des affaires et le cercle dirigeant. Ces membres de la bourgeoisie urbaine sunnite ont toute licence pour s'enrichir du moment que leur prospérité aide le régime à se consolider au delà de sa base clanique et confessionnelle.

Quels sont les autres soutiens régime et qui sont les opposants?

A la différence de l'Egypte, les mobilisations contre le régime ont été jusqu'à présent plus faibles dans les deux plus grands centres urbains, Damas et Alep, où se concentrent près de la moitié de la population. Il y a eu dans ces villes d'importantes manifestations de soutien au président, très bien orchestrées par le pouvoir, mais qui expriment également un sentiment non moins authentique que les protestations massives à Deraa, celles sur la côte ouest, à Homs ou dans les zones kurdes.

Depuis le début du printemps arabe, Assad continue à répéter que « la Syrie est différente ». C'est vrai jusqu'à un certain point. La majorité du clergé musulman est domestiqué par le pouvoir. Les pauvres à la campagne sont encore contrôlés par des réseaux clientélistes et des structures tribales, bien que la révolte à Deraa démontre que la docilité tribale est toute relative. La plèbe urbaine est divisée entre une frustration sociale sans horizon et une loyauté nationaliste, mais il y a des foyers de révolte massive dans les quartiers pauvres du grand Damas, comme Duma.

Ce qui se passe, c'est qu'en Syrie le mur de la peur est double: peur du poing de fer du régime et peur de l'instabilité. Les minorités religieuses (chrétiens, alaouites, Druses, ismaélites) craignent un désir de vengeance de la majorité sunnite. Dans les débats sur les réseaux sociaux, on voit que la classe moyenne est très divisée. Tous veulent des réformes et haïssent les moukhabarat, mais tandis que certains veulent la tête d'Assad pour « venger le sang des martyrs », d'autres répondent que c'est irresponsable et que cela mènera le pays à une guerre civile de type Liban ou Irak.

Assad parle de « conspiration étrangère ». Comment se situe la crise syrienne dans l'échiquier régional?

La protestation est fondamentalement autochtone et non violente. Il s'agit de réseaux de jeunes spontanés et citoyens à la base, qui ne supportent plus l'humiliation et la répression. Les Frères Musulmans sont individuellement présents mais se font discrets (l'appartenance à cette organisation est punie par la peine de mort en Syrie), tout comme les dissidents traditionnels, surtout des communistes et défenseurs des droits de l'Homme.

Cependant, si Al-Assad est un paranoïaque, il a également de véritables ennemis. Il y a eu des cas de francs-tireurs qui ont tué des militaires et des agents de sécurité. D'après ce que les gens sur place racontent, il y a plusieurs caciques exilés du régime qui ont toujours des hommes de main dans le pays pour pêcher en eaux troubles. Il y a aussi de djihadistes radicaux infiltrés depuis le Liban ou l'Irak. Des armes peuvent entrer facilement dans le pays. C'est très dangereux car cela augmente le risque de guerre civile de type sectaire ou confessionnelle.

Cela explique la relative prudence des puissances occidentales, des saoudiens et surtout d'Israël face aux événements. Pour eux, Assad est un « mal connu », et, malgré tout, un pilier de l'ordre régional. Ce qui peut venir après lui est beaucoup plus terrible pour eux que l'instabilité en Libye.

Entretien avec Marc Saint-Upéry menée par Pablo Stefanoni pour « Página 7 »www.paginasiete.bo

Traduction française par Ataulfo Riera pour le site www.lcr-lagauche.be


Le maintien du régime syrien actuel est la meilleure option possible pour Israël

On pouvait percevoir l'étonnement du présentateur du journal matinal de la radio israélienne quand le général Effi Eitan, ex-président du Parti National Religieux et ex-ministre du logement, a montré sa préoccupation face à la probable chute du régime de Bachar Al-Assad en Syrie. Eitan n'est pas seulement l'une des personnalités les plus extrémistes de la droite israélienne, c'est aussi une personne qui réside dans la colonie de Quatzrin situé sur le Plateau du Golan syrien occupé par Israël depuis 1967.

Eitan a été ferme et sans ambiguïté dans ses commentaires sur les événements actuels en Syrie: « Le régime syrien actuel est la meilleure formation gouvernementale possible pour Israël ». Selon lui, nonobstant l'inimité déclarée du régime syrien avec Israël, ce régime reste préférable à n'importe quelle autre alternative à sa place en cas d'effondrement. Eitan a surpris ses auditeurs en déclarant qu'il ne croit pas que le régime syrien actuel réclame « sérieusement » la dévolution du Plateau du Golan. Afin d'appuyer ses propos, il a ajouté que « le problème du régime au pouvoir est qu'il repose sa légitimité dans le soutien de la minorité alaouite, ce qui fait qu'il est intéressé à préserver une situation d'affrontement permanent formelle (avec Israël) qui justifie son maintien au pouvoir à perpétuité. C'est pour cela que ce régime n'est pas intéressé à récupérer le Golan au travers d'un accord politique car il considère que ce dernier équivaudrait à rouvrir un débat sur sa légitimité et à alimenter la remise en question du contrôle de la minorité alaouite sur la majorité sunnite ».

La position actuelle du général Eitan est d'autant plus surprenante parce que dans le passé il a toujours donné un relief particulier à l'affrontement avec le régime syrien. Mais il n'est pas le seul dans ce cas. Une bonne partie de l'élite israélienne voit également le maintient du régime actuel en Syrie comme la meilleure option pour Israël. Le ministre de l'enseignement, Gideon Saar, qui repousse tout retrait israélien du Golan et exige une intensification de la colonisation du territoire occupé, considère que le maintien du régime syrien est bénéfique pour les intérêts israéliens. Au cours d'une rencontre avec les membres du parti au pouvoir Likoud, Saar a souligné que le facteur le plus important qui l'amène à croire en la nécessité d'un maintien du régime syrien est la totale tranquillité qui a caractérisé la frontière entre la Syrie et Israël depuis la fin de la guerre de 1973. Saar a dit: « L'expérience pratique démontre que le régime syrien est le plus engagé dans les accords de cessez-le-feu et dans la trêve: il a respecté ses engagements et les accords destinés à garantir les frontières partagées, et ce n'est pas peu de chose qu'il a permis la tranquillité nécessaire afin d'intensifier la construction des colonies juives dans le Plateau du Golan, ce qui a mené à un accroissement important du nombre de colons au cours de ces trois dernières décennies. »

De son côté, le ministre d'Etat et général en retraite Yose Bilid considère que, depuis l'époque d'Hafez Al-Assad et de son fils Bachar, le régime syrien n'a fait aucune tentative pour altérer les rapports de forces militaires favorables à Israël. L'armée syrienne n'est pas adaptée à la guerre moderne et n'est pas capable d'affronter militairement Israël. Il a souligné qu'au cours des 40 dernières années, la différence entre les potentiels militaires des deux pays n'a cessé de s'améliorer en faveur d'Israël.

Pour le commentateur israélien Aman Abramovitch, la caractéristique « positive » la plus importante du régime syrien actuel est son insistance à ne pas changer les règles du jeu entre les deux parties, de sorte que les Syriens n'ont jamais tenté depuis 30 ans de défier Israël ni de répondre aux provocations qu'on a monté entre les deux pays. Et il ajoute: « La force arabe qui est parvenue avec le plus de succès à neutraliser Israël est sans aucun doute la Syrie. A tel point que nous avons pu bombarder le site nucléaire du nord-est de la Syrie en décembre 2006 et assassiner au coeur de Damas Emad Mughaniya, le leader du bras armé du Hamas, tout comme attaquer les positions des milices palestiniennes à l'intérieur de la Syrie, sans que le régime syrien, ni le père ni le fils, ne réagissent ». Pour Abramovitch, il n'est pas absolument pas possible de garantir qu'un autre gouvernement qui remplace l'actuel se comportera de la même manière.

Amos Harel, analyste des affaires militaires pour le journal « Haaretz » adopte un point de vue différent. Il considère qu' « il ne faut pas verser une seule larme au cas où le régime d'Al-Assad tomberait », rappelant l'alliance entre la Syrie, le Hezbollah et l'Iran, en outre du refuge accordé aux dirigeants des organisations palestiniennes en territoire syrien. « Le gouvernement syrien », ajoute-t-il, « permet au Hezbollah de s'armer, et donne la possibilité à l'Iran de mettre un pied dans la région, menaçant les intérêts stratégiques d'Israël ». Harel indique que, malgré la supériorité militaire d'Israël, le régime syrien a concentré une partie de ses investissements dans l'acquisition de missiles capables d'atteindre n'importe quel point d'Israël, ce qui transforme la Syrie, sous le gouvernement d'Al-Assad, en un « Etat dangereux ».

Cependant, Aaron Friedman, professeur de sciences politiques à l'Institut Tejnion, rejette l'analyse de Harel et indique que, y compris s'il est possible qu'un nouveau gouvernement renonce à son alliance avec l'Iran et le Hezbollah, il renforcera par contre ses relations avec le Hamas. Dans un article publié sur le site en hébreu du journal « Yedioth Ahranot », Friedman écrit que tous les scénarios imaginables pour une Syrie post-Assad indiquent que les Frères Musulmans auraient une influence importante dans le cours des événements du pays et « il ne fait pas de doute que ce mouvement élargira le bras du Hamas, parti qui appartient à la même famille ».

Ben Kasbit, le plus important analyste du journal israélien « Maariv », tourne toute sa rage contre les appels à la démocratie dans le monde arabe car il considère que, contrairement à ce que l'on dit, les transformations démocratiques dans le monde arabe ne sont pas bénéfiques pour les intérêts israéliens car elles amènent au pouvoir des gouvernements plus belliqueux contre Israël.  Kasbit critique avec force les voix qui aux Etats-Unis réclament un soutien aux masses syriennes qui veulent en finir avec le régime d'Al-Assad: « Avec tous mes respects envers la démocratie, ce qui nous attend c'est un affrontement entre les secteurs religieux et laïcs qui exprimera de manière réelle l'opinion publique syrienne, et nous savons quelle est la position de cette opinion publique, c'est la même que dans le reste du monde arabe. Les peuples arabes, en définitive, rejettent notre existence et soutiennent la résistance contre nous. Par conséquent, parler d'un gouvernement syrien qui exprime l'opinion générale du peuple syrien, c'est nécessairement parler d'un gouvernement contraire à Israël ». Kasbit rejette l'opinion qui prêtent que les laïcs arabes seraient moins hostiles à Israël que les islamistes, soulignant que les deux forces s'opposeront à Israël afin de répondre aux souhaits de leur peuple.

Ce qui n'est fait pas de doute c'est que les événements en Syrie mettent sérieusement en difficulté les autorités de Tel Aviv, car il s'accompagnent également de convulsions destinées à changer les structures du gouvernement en Jordanie, pays sur lequel tous coïncident à affirmer, en Israël, qu'il est l'allié stratégique le plus « fiable » dans la région. Les Israéliens craignent qu'un changement en Jordanie et en Syrie, après ce qui s'est passé en Egypte, conduise à la matérialisation ce que l'on appelle à Tel Aviv la « collier sunnite » et se traduise par une augmentation de l'influence des Frères Musulmans dans la région.

De là le fait que l'équipe dirigeante au sommet du pouvoir en Israël garde le silence face à ce qui se passe de l'autre côté de la frontière avec la Syrie, dans l'espoir d'éviter tout changement régional d'un point de vue stratégique qui modifierait les règles du jeu et obligerait l'entité sioniste à assumer de nouvelles charges stratégiques et militaires. Pour l'élite au pouvoir à Tel Aviv : « quelle que soit la nature de nos relations avec le régime syrien actuellement au pouvoir, jusqu'à présent Israël a su gérer ces relations de manière favorable à ses intérêts, et il n'existe aucune garantie que cet avantage se maintienne en cas de changement de pouvoir à Damas ».

Saleh al-Naimi

Traduit de l'arabe par Alma Allende et publié sur le site www.rebelion.org . Traduction française par Ataulfo Riera pour le site www.lcr-lagauche.be

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