L’introuvable révolution islandaise
Par Dominique Angelini le Jeudi, 24 Février 2011 PDF Imprimer Envoyer

Référendum populaire refusant le remboursement de la dette d’une banque après sa faillite, élection dans la population d’une Assemblée constituante, ces ingrédients suffisent-ils pour être constitutifs d’une révolution? Une révolution anticapitaliste serait en cours en Islande dans un assourdissant silence médiatique. C’est en substance le contenu de nombreux mails qui circulent dans les réseaux anticapitalistes. Tout est à nous! a d’ailleurs succombé aux sirènes révolutionnaires en publiant une longue brève sur le sujet (1). Puis quelques jours plus tard, un article de Rue 89 (2) remettait les choses au point. Malgré tout, la rumeur a continué de se répandre et c’est pourquoi nous revenons sur le sujet.

Les faits

La crise économique et financière de 2008 touche l’Islande de plein fouet. La couronne islandaise chute de moitié et les trois grandes banques du pays, impliquées dans la crise financière sont lourdement touchées. Le gouvernement décide alors de les nationaliser. Reste Icesave, banque en ligne, filiale de l’une des banques nationalisées qui compte des déposants islandais mais également britanniques et néerlandais. Le gouvernement décide de n’indemniser que les Islandais, laissant à la Grande-­Bretagne et aux Pays-Bas le soin de rembourser leurs ressortissants, soit quelque 4 milliards d’euros. Évidemment, ces gouvernements viennent rapidement demander des comptes à l’Islande et proposent un remboursement à un taux de 5,5% sur huit ans.

Ce taux plus qu’élevé fait bondir le président Grimsson qui refuse la proposition et organise un référendum auquel participent plus de 60% de la population qui en rejettent les termes à 93 %!

Par ailleurs, dans le sillage de la crise, le gouvernement de centre-droit démissionne, remplacé par les sociaux-­démocrates en février 2009, et le 27 novembre 2010, une Assemblée constituante composée de 25 citoyens est chargée de réécrire la Constitution. Ces deux faits seraient ainsi constitutifs de la révolution en marche.

La réalité

Que la population refuse à une telle majorité de payer pour les banquiers ne peut que nous réjouir. Reste à examiner la suite des événements. En effet, le pays qui avait eu recours au FMI pour un prêt de 2,13 milliards d’euros a bien entendu subi des pressions de ce dernier qui a suspendu son aide en attendant un accord entre l’Islande et ses créanciers. À ce jour, celui-ci est en passe d’être signé. Les conditions en sont plus favorables avec un taux d’intérêt à 3% ou (3,3%) sur 30 ans. D’après un sondage d’opinion publié le 25 janvier, 56% des Islandais seraient favorables à ce nouvel accord.

Dès le 10 janvier dernier, le FMI débloquait donc une nouvelle tranche du prêt consenti en 2008.

Quant à la Constituante, il s’agit d’une promesse électorale de la gauche qu’elle a mis en application, mais le projet de changer la Constitution de 1944, calquée sur celle du Danemark, était ancien. Et seuls 36% de la population se sont déplacés pour élire la constituante, ce qui en relativise le caractère massif. De plus, il est difficile de faire des comparaisons alors que ce pays ne compte que 300.000 habitants...

Par ailleurs, un des premiers actes du nouveau gouvernement a été de demander l’adhésion de l’Islande à l’Union européenne, candidature validée par la Commission européenne en février 2010.

Reste que l’Islande qui a refusé de «sauver» les banques et a accepté la dévaluation de sa monnaie se retrouve dans une situation bien meilleure que l’Irlande, par exemple. Comme le déclarait d’ailleurs Grimsson, début janvier: «La différence avec l’Irlande c’est qu’en Islande nous avons laissé les banques faire faillite. C’étaient des banques privées et on n’y a pas injecté d’argent pour les maintenir à flot; l’État n’a pas à assumer cette responsabilité.» Nous ne pouvons qu’être d’accord.

Tout ça pour dire que les capitalistes disposent de stratégies différentes, et que celles qui protègent davantage les populations ne sont pas pour autant des révolutions. D’ailleurs, ce ne sont pas les États, mais les masses qui sont à l’origine des révolutions, comme en Tunisie et en Égypte aujourd’hui, et dans ces cas-là, ce sont bien les États et les classes dirigeantes qui tentent de les écraser.

1. Voir Tout est à nous! n°85 du 13 janvier 2011.

2. Voir l’article de Rue 89: La «révolution démocratique» en Islande tient du fantasme. www.rue89.org

Voir ci-dessus