Tunisie : La révolution en marche
Par Ataulfo Riera, Fathi Chamki le Lundi, 24 Janvier 2011 PDF Imprimer Envoyer

« Le trait le plus incontestable de la Révolution, c’est l’intervention directe des masses dans les événements historiques. D’ordinaire, l’Etat, monarchique ou démocratique, domine la nation ; l’histoire est faite par des spécialistes du métier : monarques, ministres, bureaucrates, parlementaires, journalistes. Mais, aux tournants décisifs, quand un vieux régime devient intolérable pour les masses, celles-ci brisent les palissades qui les séparent de l’arène politique. (...) L’histoire de la révolution est pour nous, avant tout, le récit d’une irruption violente des masses dans le domaine où se règlent leurs propres destinées. » (*)

Pendant toute la semaine qui a suivi la chute de Ben Ali, les manifestations exigeant la dissolution de son parti, le RCD, n'ont cessé de se multiplier, allant jusqu'au saccage de ses locaux dans toutes les villes du pays. Sous la pression des masses, ce parti s'est, de facto, sabordé mais ses principaux cadres dirigeants détiennent toujours les postes clés de l'appareil d'Etat, au niveau administratif, productif, policier et bien entendu gouvernemental.

Un gouvernement provisoire affaibli

A Tunis, les manifestant-e-s ont été rejoint par des milliers de jeunes chômeurs venus en caravane du centre du pays, dont ceux de Sidi Bouzid où la révolte à commencé en décembre dernier, afin d'exiger la chute du gouvernement provisoire. Des milliers de manifestant-e-s occupent en permanence la rue, bravant y compris le couvre-feu. Signe qui ne trompe pas: les officiers de l'armée et de la police s'adressent désormais poliment à eux pour leur demander, bien en vain, de se disperser...

Le vendredi 21 janvier, de plus en plus mis en difficulté par cette pression, le Premier ministre Mohammed Ghannouchi avait pourtant promis de quitter la scène politique après les élections... tout comme Ben Ali l'avait fait peu avant sa chute! Il a aussi annoncé que toutes les lois antidémocratiques, comme la loi antiterroriste ou le code de la presse, seraient éliminées. Des partis politiques d'opposition ont été légalisés et, face à la révolte dans les prisons, des milliers de prisonniers ont été amnistiés. Mais cela ne suffit pas: la rue demande un changement radical et immédiat et, ainsi que le souligne le camarade Fathi Chamki, la légitimité est aujourd'hui dans la rue, pas dans les institutions.

Le gouvernement provisoire a ainsi décidé de rouvrir les écoles et les universités le lundi 24 janvier, mais le Syndicat Général de l'enseignement primaire à immédiatement lancé un appel à la grève générale « jusqu'à la chute du gouvernement ». Réaffirmant son «engagement complet aux revendications de notre peuple consistant à faire tomber le gouvernement actuel considéré comme un prolongement du régime de Ben Ali», ce syndicat demande «la formation d’un gouvernement provisoire qui écarte, en son sein, les ennemis de nos populations».

Pour la majorité du peuple tunisien en effet - qui l'évoque avec humour: « On a chassé Ali Baba, mais les 40 voleurs sont restés » - une chose est claire: les politiciens issus du régime de Ben Ali qui détiennent toujours les postes-clés doivent être évincés, et pas seulement du « gouvernement d’union nationale ». Ils doivent disparaître de la scène et les plus coupables jugés et condamnés pour leurs crimes. En outre, les choses n'en resteront sans doute pas là, car les masses veulent un changement en profondeur, non seulement démocratique, mais aussi social, dans les politiques économiques, dans le contrôle et la répartition des richesses du pays.

La bourgeoisie tente désespérement d'opérer un ravalement de façade avec le soutien de l'impérialisme, français et étatsunien en premier lieu. En Occident, les médias capitalistes raillent aujourd'hui le despote dont ils ont si longtemps caché les crimes. Ben Ali et son épouse servent à présent de bouc émissaire. Pour détourner l'attention du soutien dont la dictature a bénéficié de la part des milieux d'affaire. Et pour cacher les manoeuvres en cours dans la coulisse, visant à frustrer le peuple tunisien des fruits de sa victoire. C'est ainsi notamment que les "marchés" sont entrés dans la danse. En révisant à la baisse leur sacro-sainte « notation » de la Tunisie, ils cherchent à punir les masses qui ont eu l'insupportable audace de se révolter non seulement contre un despote mais aussi contre sa politique néolibérale. Tant que les masses resteront mobilisées, ces tentatives resteront compromises et la situation demeurera extrêmement instable.

Contrôle ouvrier

Lors des manifestations des 22 et 23 janvier, fait inédit, 2000 policiers - dont certains portant un brassard rouge - ont marché ensemble et se sont mélangés aux manifestant-e-s. S'il s’agit évidement de s'excuser et de se réhabiliter aux yeux du peuple après la répression féroce de ces dernières semaines, il semble aussi qu'un réel processus de conscientisation soit en cours. Ces policiers exigent ainsi la création d’un syndicat et, comme l'a dit l'un d'entre eux « Nous aussi nous sommes des prolétaires », tandis que pour un second, «La révolution, c’est pour tout le monde. Nous aussi, nous réclamons des droits, des augmentations de salaire notamment».

Moins « spectaculaire » mais sans aucun doute plus fondamental: les salariés et les fonctionnaires des entreprises publiques, des Ministères et des administrations centrales de l’État, organisent des occupations de leurs lieux de travail pour réclamer l'épuration et l’exclusion des dirigeants, quasiment tous membres notoires du RCD. Dans plusieurs cas, cette exigence est même mise en pratique, comme à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale, aux assurances STAR et à la banque BNA où les directeurs ont été chassés sous les huées des travailleurs-euses.

Des formes de contrôle ouvrier se développent également, avant tout par rapport aux livres de comptes des entreprises, afin de mettre à jour la corruption des nombreux patrons liés au régime de Ben Ali. Les employés de l’administration centrale des impôts, quant à eux, tout en exigeant la démission immédiate du directeur, ont pris le contrôle des dossiers afin d'enquêter sur les évasions fiscales des élites.

Le rôle du syndicat UGTT (qui compte 500.000 affilié-e-s, dans un pays dont la population est, à près de 70%, urbaine), dont les militant-e-s sont très présent-e-s dans les manifestations, apparaît de plus en plus comme un élément central dans le processus, à la faveur de sa reprise en main par la base et son aile gauche. Les dirigeants bureaucrates liés au régime ont été mis de côté et, après avoir forcé le retrait des ministres UGTT du gouvernement provisoire, la base syndicale a poussé la direction a prendre formellement position en faveur de la démission du gouvernement actuel, à appeler à des grèves tournantes pour appuyer cette exigence et à constituer un « gouvernement révolutionnaire » avec les forces politiques de l'opposition.

Tout le pouvoir au peuple révolutionnaire: Pour un gouvernement des travailleurs!

Au travers des comités d'auto-défense, de ravitaillement ou de contrôle ouvrier dans les entreprises, des phénomènes de dualité de pouvoir apparaissent , tandis que les forces répressives de l'appareil d'Etat commencent à se diviser, une partie d'entre elles prenant fait et cause pour le peuple. A terme, elles pourraient se désagréger si des comités de soldats et de policiers étroitement liés aux comités populaires font leur apparition.

La situation en Tunisie correspond parfaitement à la définition classique donnée par Lénine d'une situation révolutionnaire: ceux d'en haut ne peuvent plus gouverner comme avant, tandis que ceux d'en bas ne veulent plus être gouvernés comme avant. Le processus populaire, par sa dynamique propre à chaque situation révolutionnaire authentique, pose ouvertement la question du pouvoir et trace la perspective de sa transcroissance permanente en une révolution socialiste. Une telle issue n'est pas absolument garantie, mais elle est possible.

A côté des exigences démocratiques élémentaires - épuration, convocation d'une assemblée constituante, organisation d'élections réellement démocratiques - le maintien, l'extension et la centralisation/articulation des positions que les travailleurs-euses tunisiens sont en train de conquérir seront un enjeu clé dans les semaines à venir. La classe dominante fera tout son possible pour les lui arracher.

Pour l'instant – mais pour l'instant seulement - la bourgeoisie tunisienne, principal soutien de la dictature, est discréditée et se trouve dans une situation précaire tandis que l'impérialisme a été pris de court par l'ampleur et la profondeur du soulèvement populaire. L'opposition modérée est assez faible et quant aux islamistes, s'ils sont reconnus par les masses comme un courant politique qui doit légitimement s'intégrer dans le processus démocratique, ils n'ont pas de réelle influence sur elles.

Dans ce cadre, l'UGTT est la seule organisation ouvrière de masse jouissant aujourd'hui de la confiance de la population. Elle pourrait jouer, si elle se débarasse définitivement des bureaucrates qui ont été complices ou complaisants envers le régime, un rôle décisif, avec l'appui actif des militant-e-s révolutionnaires, de la gauche radicale tunisienne et avec le soutien de la solidarité internationaliste. La mise en avant du mot d'ordre d'un gouvernement des travailleurs de l'UGTT appuyé sur les comités populaires, pourrait prendre rapidement toute son importance. L'invitation que vient de lancer la direction de l'UGTT à constituer avec elle un « gouvernement révolutionnaire » va dans ce sens, mais elle s'adresse à toutes les forces politiques d'opposition, y compris à son aile bourgeoise. De nouvelles décantations seront donc nécessaires.

En définitive, comme le soulignent nos camarades de la Commission Maghreb du Nouveau Parti Anticapitaliste en France: « Face à la crise mondiale du capitalisme, les travailleurs et la population de Tunisie nous montrent la seule issue possible: la lutte la plus résolue. S’organiser et lutter ici pour une alternative à l’ordre mondial capitaliste et à l’impérialisme qu’il porte en lui, c’est aussi un soutien à tous les peuples opprimés, tout comme leurs luttes sont un soutien et un véritable encouragement pour nous. »

Ataulfo Riera

(*) Léon Trotsky, « Histoire de la Révolution russe »


Pourquoi le gouvernement de Mohammad Ghannouchi doit-il tomber ?

Par Fathi Chamki

La formule de gouvernement proposee aussitôt après la destitution de Ben Ali en Tunisie le 14 janvier, et présidé par Mohammad Ghannouchi, n’est pas celle d’un gouvernement émanant d’une révolution victorieuse, ne reflète donc pas ses aspirations et n’adopte pas ses revendications. C’est l’expression politique de la bourgeoisie locale et de son maître, la bourgeoisie mondiale, dans une tentative de conserver les bases du système économique et social capitaliste libéral, ce système qui a grandi au sein de la dictature de Ben Ali, reposant sur le système répressif du ministère de l’intérieur et sur le parti du Rassemblement Démocratique Constitutionnel.

Nous exigeons la chute du gouvernement de Mohammad Ghannouchi, et ce pour les raisons suivantes :

Qui est Mohammad Ghannouchi ? Désigné en 1975 par Bourguiba comme directeur général du Plan, il a surgi le 27 octobre 1987 pour la première fois comme ministre délégué auprès du premier ministre Ben Ali. Puis, suite au coup d’État du 7 novembre, il a été nommé en juillet 1988 par Ben Ali comme ministre du Plan, puis il a occupé plusieurs responsabilités ministérielles participant a l’élaboration et à l’application des politiques capitalistes libérales : en plus du Plan, il a occupé les finance et l’économie.

En 1992, Ben Ali le nomma ministre de la coopération internationale et de l’investissement extérieur, il menait donc les négociations avec les institutions financières internationales (la banque mondiale et le fond monétaire international), concernant la politique économique et sociale du régime de Ben Ali, avant de superviser en sa qualité de premier ministre depuis 1999 son application. Ce qu’il fit avec un grand dévouement, aux dépens des intérêts de la majorité, poussant les cercles capitalistes internationaux à qualifier le pouvoir de Ben Ali de « bon élève ».

Il a été nommé premier ministre en novembre 1999, et garda ce poste jusqu’à la destitution de Ben Ali par la révolution et à sa fuite de Tunisie. Ghannouchi est alors resté, chargé d’apaiser la marée populaire révolutionnaire et de l’empêcher de toucher aux bases du système établi.

Sur le plan politique, Mohammad Ghannouchi est depuis sa jeunesse membre du R constitutionnel, puis de sa nouvelle formule : le Rassemblement Démocratique Constitutionnel (RCD) au pouvoir dont il devint en 2002 membre du bureau politique, le quartier général politique de la dictature. Il fut ensuite nommé vice-président du rassemblement aux côtés de Hamed Al Quouraoui, puis ensuite vice-président du Rassemblement (le président étant Ben Ali) le 5 décembre 2008 et jusqu’à la chute du tyran.

Mohammad Ghannouchi, est donc un serviteur docile du capital en tant que classe, et cela explique les éloges dont il fait l’objet depuis la chute de Ben Ali. Le maître est donc parti, le serviteur est resté seul, après avoir été habitué à recevoir les ordres et à obéir. Pas surprenant qu’il continue à lui téléphoner en attendant l’arrivée du nouveau maître…

Donc, Ghannouchi concentre tout ce que représente le système établi, sur le plan économique, social ou politique : l’exploitation capitaliste sauvage des forces ouvrières locales, l’injustice sociale, le démantèlement du système des services sociaux, l’oppression policière, la répression et l’humiliation du peuple tunisien.

1- La question démocratique :

Mohammad Ghannouchi n’a rien à voir avec la révolution. Il est le vice-président du RCD et membre de son bureau politique, ce parti qui a dominé le pays, opprimé, torturé, déplacé et terrorisé tous ceux qui ont eu le courage ou essayé de faire face au despotisme. Ce parti qui a répandu les pots-de-vin et la corruption dans la société et dans tous les rouages de l’État ; les dommages provoqués par le RCD ont touché toutes les composantes de l’état, qu’il a entièrement pris dans ses filets. Puisque ce parti ne peut pas être réformé, il est illogique que nous consentions à aliéner aux symboles du régime révolu le sort de la révolution et les aspirations des travailleurs, des jeunes et du peuple tunisien en général à se libérer du joug de la persécution, surtout lorsqu’il est question de l’un des plus illustres généraux du tyran Ben Ali, qui l’a toujours servi et obéi.

Le proverbe dit : ‘la nature du poisson est de vivre dans l’eau’. Le pouvoir de Ben Ali est toujours là, même après la chute du tyran et sa fuite du pays. La preuve : l’appareil du ministère de l’intérieur, qui a toujours fidèlement gardé la sécurité de Ben Ali et qui maintenant réprime les manifestations pacifiques refusant la tentative de mettre la main sur les acquis pour lesquels le peuple a sacrifié nombre de ses enfants. Le 14 janvier, sur l’ordre de Ben Ali, les forces de la police, supervisées par le premier ministre et ordonnées par le ministre de l’intérieur Frey’a, ont sauvagement dispersé la manifestation populaire pacifique. Puis le 18 janvier, les mêmes forces ont dispersé avec la même sauvagerie la marche pacifique contre le gouvernement de Ghannouchi et de Frey’a, son ministre de l’intérieur. Le droit à la manifestation pacifique est l’un des plus importants droits politiques ; c’est un droit que les masses populaires n’ont jamais pratiqué durant toute la période dominée par Ben Ali et Ghannouchi, sauf dans des cas exceptionnels et de manière extrêmement réduite.

Quant à l’espace de liberté qui commence à surgir ici et là, au début de la récupération de la liberté de la parole, quant au droit de critique et d’expression, ce sont des acquis qui ont été arrachés des tyrans sans leur consentement. Il n’est pas du droit de ceux qui sont encore des ennemis de la liberté et de leurs nouveaux alliés de se cacher derrière ces acquis fragiles afin de justifier le gouvernement illégitime de Ghannouchi. La légitimité aujourd’hui après le déclenchement de la révolution n’est pas celle appuyée sur la constitution ou les lois injustes de Ben Ali, comme le répètent ceux qui tiennent aux restes du régime révolu ; la légitimité s’appuie aujourd’hui sur la révolution, donc sur le peuple. Seul le peuple donne la légitimité à ceux qu’il veut ou la leur retire en manifestant dans les rues, jusqu’à ce que la constitution et les nouvelles lois soient formulées. La nouvelle Tunisie démocratique et sociale à laquelle aspire le peuple sera organisée en fonction de celles-ci.

Ghannouchi a toujours servi et obéi au capitalisme mondial et veillé sur ses intérêts en Tunisie. Ces intérêts sont contraires à l’intérêt national. Il a veillé à faciliter la pénétration de ce capitalisme dans le secteur public, car le comité de privatisation œuvrait sous sa direction directe. C’est lui qui a supervisé la vente des usines de ciment à des sociétés italiennes, portugaises et espagnoles… la liste est encore longue. Le capital mondial, et plus spécifiquement européen, a réussi à s’accaparer des deux tiers de ce qui a été privatisé, bien que cela représente une grande atteinte à la souveraineté du peuple sur ses biens. Ghannouchi a également ouvert le pays au capital mondial, en tant que premier ministre et surtout parce qu’il est le meilleur connaisseur et le plus respectueux des intérêts étrangers en Tunisie. Son gouvernement a conclu plus de 60 accords bilatéraux afin de protéger les investissements en Tunisie, notamment l’accord bilatéral avec la France en 1997. Protéger cet investissement de qui ? Des catastrophes naturelles ? Ou bien peut-être faudrait-il le protéger de Ben Ali et de l’union tunisienne d’industrie et de commerce ? Ou bien du peuple tunisien ? Pourquoi faudrait-il le protéger du peuple tunisien s’il est adapté à ses intérêts ? Ce peuple ne sait-il pas où résident ses intérêts ? C’est un exemple qui montre les répercussions de la politique du gouvernement de Ben Ali / Ghannouchi sur une question extrêmement importante : le droit du peuple tunisien à déterminer son destin de toute liberté sans aucune tutelle, quelle qu’en soit l’origine ou la nature. C’est une question démocratique très importante.

Enfin, c’est bien le gouvernement de Ben Ali, présidé par Ghannouchi, qui appliquait la politique de normalisation avec l’entité sioniste, poussant le gouvernement de l’État d’Israël à regretter profondément la chute de Ben Ali. Cette politique n’a-t-elle pas renié les sentiments de l’écrasante majorité du peuple tunisien, qui refuse l’entité sioniste et soutient les revendications nationales palestiniennes ? Ghannouchi garde-t-il la légitimité qui lui permet de présider le gouvernement de la révolution ? N’est-il pas temps que Ghannouchi cesse de porter atteinte aux intérêts vitaux des tunisiens en général ?

2- La question sociale :

Il ne faudrait pas croire in seul instant, comme le gouvernement de Ghannouchi et ses semblables essayent de nous le faire croire, que la question sociale est dissociée dans la réalité de la question démocratique. Les dimensions économique et sociale sont indissociables ; elles représentent les deux bases fondamentales du pouvoir. C’est dans la politique, et précisément à travers l’appareil de l’État, que sont conçues, défendues et patronnées les politiques qui servent les intérêts économiques de la classe dominante dans la société. Donc, la question n’est pas une question morale, comme lorsqu’on dit que « Ghannouchi est un homme propre ou ‘désintéressé’… » En effet, malgré l’importance des qualités personnelles de ceux qui servent l’intérêt général, elles ne sont pas déterminantes dans la sélection du représentant du peuple, de celui qui mérite la confiance de ce dernier afin de veiller sur ses intérêts. Nous savons tous, et je n’ai rien à ajouter à cet égard, que c’est une question de programme. Oui, une question de programme. Lorsque les défendeurs de Ghannouchi, tenant verbalement aux intérêts du peuple et manœuvrant afin de justifier leur partialité pour les intérêts des ennemis de ce dernier, énumèrent ses qualités personnelles, ils omettent de parler de la chose principale qui distingue Ghannouchi des autres symboles du régime révolu, en tant que la personne la plus capable d’appliquer la politique capitaliste libérale et la plus fidèle à cette politique, celle pratiquée depuis 1987 par le régime de Ben Ali qui a profondément affecté les masses populaires tunisiennes, et en premier lieu les travailleurs et les jeunes ; ces derniers ont souffert et patienté ; mais cette patience est arrivée à son terme, et le peuple s’est soulevé tel un volcan contre l’exploitation, la pauvreté, la marginalisation et la faim et pour réclamer son droit aux bases vitales, et en premier lieu le droit au travail. Voici précisément, en plus de la dimension démocratique, le sens essentiel de la grande révolution des masses populaires en Tunisie.

Le gouvernement de Ghannouchi est-il à-même de servir ces intérêts ? Ghannouchi a-t-il mentionné de manière ouverte ou sous-entendu la nécessité du changement de politique économique et sociale, celle que le peuple a subi puis refusé de la manière la plus formidable, à travers la révolution ? Ghannouchi n’a-t-il pas affirmé par exemple, lors de l’entretien accordé à France24, que cette mauvaise politique avait connu beaucoup de succès ? Ghannouchi et ses semblables, symboles du régime révolu ou de ceux qui se sont rattachés aux conspirateurs contre la révolution, ne répètent-ils pas les déclarations concernant les acquis et les réalisations ? Pourriez-vous croire un instant qu’ils ont l’intention de renverser le système socio-économique injuste et d’instaurer un système alternatif adapté aux intérêts et aux aspirations des masses populaires ? Leur seule préoccupation n’est-elle pas de ménager le pouvoir chancelant de Ben Ali afin de réussir à s’y maintenir pour continuer à ‘servir l’intérêt du peuple’, comme prétendait avant eux le garantir le tyran chassé ?

Il est clair que le gouvernement de Ghannouchi insiste sur la continuation de la politique socio-économique dictée par les cercles capitalistes mondiaux à travers les institutions financières mondiales. C’est ce que veut dire par exemple la désignation par Ghannouchi du nouveau directeur de la banque centrale Mostafa Kamal Nabili, qui vient de quitter son poste à la banque mondiale en tant que chef de l’équipe des économistes dans la direction du Moyen-Orient et de la région arabe. Ceci ne clarifie-t-il pas assez les intentions du gouvernement et le degré de sa représentation de la volonté du peuple ? Que fera ce gouvernement pour fournir du travail aux centaines de milliers de chômeurs, plus particulièrement les universitaires ? N’est-ce pas la même politique qui a aggravé le chômage ? La lutte contre la corruption financière (si elle est effectuée au cas où le gouvernement de Ghannouchi reste) et ‘l’amélioration du climat d’investissement’ suffiront-ils à fournir le travail ? L’augmentation du rythme de développement économique (si elle se produit) suffira-t-elle pour améliorer la performance du marché de travail ? Assurément non, mille fois non.

Tous les bords politiques doivent annoncer aux masses populaires quel est le programme socio-économique qu’ils considèrent être adéquat pour répondre aux multiples revendications en la matière, et ne pas se contenter de parler du versant démocratique, aussi important qu’il soit : quelle valeur revêtit la liberté pour un chômeur ou un malade incapable de se procurer le coût du traitement ?

Tunis, le 19 janvier 2011


L' UGTT pour un "gouvernement révolutionnaire"

Nous avions un peu d'appréhension, de peur que le courant droitier, regroupé autour du Secrétaire Général A. Jrad ne réussisse à infléchir la décision de la Commission Administrative vers un revirement par rapport aux décisions de la dernière CA. Celle-ci avait en effet décidé de sortir du gouvernement de M. Ghannouchi, etc…

Par ailleurs, place Med Ali où se trouve le siège de l'UGTT des centaines de syndicalistes se sont rassemblés pour scander «JRAD DÉGAGE» ! En effet, A. Jrad a toujours été un allié de Ben Ali jusqu'à sa chute le 14 janvier dernier.

Bref, voici les décisions de la CA du 21 janvier 2011 :

Maintien de toutes les décisions du précédent CA ;

Appel à des manifestations et des grèves ;

Invite les partis politiques, les associations et les différents conseils (justice, avocats, journalistes…) à se réunir avec l'UGTT à partir de demain, en vue de constituer UN GOUVERNEMENT DE LA RÉVOLUTION, enfin le nom importe peu…

Autrement dit, vous l'avez tous compris, la révolution va se donner la chose qui lui manquait cruellement, et à défaut de mieux, un organe politique.

Fathi Chamkhi (courriel), 21 janvier - 16h23

Le syndicat tunisien UGTT demande la démission du gouvernement

Voici le texte issu d’une nouvelle réunion importante de la commission administrative de l’UGTT réunie le 21 janvier 2011. Traduction rapide et sommaire. L’UGTT aurait appelé à des grèves tournantes dans les régions.

1) La CA réaffirme que l’UGTT est une organisation nationale concernée par le fait politique, et ce vu son histoire de lutte durant l’époque coloniale ou durant la période de la construction de l’Etat moderne et en considération des liens dialectique entre l’économie, le social , le politique, le culturel qui existent dans un processus de développement et surtout durant ces jours

2) Ils rappellent que le retrait des ministres de l’UGTT du gouvernement est du au fait qu’il n’a pas été répondu aux conditions posées par le bureau exécutif de l’UGTT dans sa déclaration du 15 janvier, position qui s’est avérée juste et correspond aux demandes des manifestants et des composantes de la société politique et civile

3) Vu les grandes manifestations dans le pays qui réclament la dissolution du gouvernement et le refus d’y voir la participation de représentants du RCD, en considération, vu les démissions nombreuses vu au refus d’un certain nombre de partis et courants politiques, et vu la nécessité de rassurer tout le monde pour se consacrer effectivement aux réformes annoncées ; les membres de la CA demandent la dissolution du gouvernement et la création d’un gouvernement de coalition et de « sauvetage » nationale qui répond aux demandes des manifestants et des partis politiques, des associations, des ONG et de l’ensemble du peuple.

4) Il décident en vue de la participation effective à une commission de réformes politiques ; la création de comités syndicaux composés d’experts et de spécialistes pour la préparation des projets de l’UGTT en matière de réformes politiques, économiques , sociales qu’il y a lieu de mettre en place pour l’édification de la démocratie ; ainsi que des élections transparentes qui permettent des la liberté de choix et la création d’un gouvernement parlementaire, une information honnête. En outre l’UGTT demande a participer la commission d’enquête sur les meurtres par balles en vue de juger les responsables et aussi sa participation dans la commission contre la corruption

5) Ils appellent tous les travailleurs à se dresser contre les tentatives d’entraves au fonctionnement normal des institutions et leurs retour à la normal , et aussi à rester sur ses gardes pour la défense de nos acquis et éviter au pays tout vide

6) Ils réaffirment leur droits de lutter légitimement soit par la grève ou les manifestations pacifiques jusqu’à la composition du gouvernement selon les conditions posées par l’UGTT et qui correspondent aux demandes de toutes les composantes politique et à celles du peuples

7) Ils demandent la proclamation du 14 janvier comme fête nationale

8) Ils demandent de toute urgence aux travailleurs de maintenir l’unité de leur organisation pour permettre la continuité de la lutte et la satisfaction des revendications et de rester vigilants contre les tentatives de division.

21 janvier 2011


Déclaration fondatrice du Front du 14 Janvier

Affirmant notre engagement dans la révolution de notre peuple qui a combattu pour son droit à la liberté et à la dignité nationale et a fait de grands sacrifices dont des dizaines de martyrs et des milliers de blessés et de détenus, et afin d’achever la victoire contre les ennemis intérieurs et extérieurs et de s’opposer aux tentatives avortées pour écraser ces sacrifices, s’est constitué « le Front du 14 Janvier » [1] comme un cadre politique qui s’emploiera à faire avancer la révolution de notre peuple vers la réalisation de ses objectifs et de s’opposer aux forces de la contre-révolution. Ce cadre comprend les partis, les forces et organisations nationales progressistes et démocratiques.

Les tâches urgentes de ce Front sont :

1 – Faire tomber le gouvernement actuel de Ghannouchi ou tout gouvernement qui comprendrait des symboles de l’ancien régime, qui a appliqué une politique antinationale et antipopulaire et a servi les intérêts du président déchu.

2 – La dissolution du RCD et la confiscation de son siège, de ses biens, avoirs et fonds financiers étant donné qu’ils appartiennent au peuple.

3 – La formation d’un gouvernement intérimaire qui jouisse de la confiance du peuple et des forces progressistes militantes politiques, associatives, syndicales et de la jeunesse.

4 – La dissolution de la Chambre des Représentants et du Sénat, de tous les organes fictifs actuels et du Conseil supérieur de la magistrature et le démantèlement de la structure politique de l’ancien régime et la préparation des élections à une assemblée constituante dans un délai maximum d’un an afin de formuler une nouvelle constitution démocratique et fonder un nouveau système juridique pour encadrer la vie publique qui garantit les droits politiques, économiques et culturels du peuple.

5 – Dissolution de la police politique et l’adoption d’une nouvelle politique de sécurité fondée sur le respect des droits de l’homme et la supériorité de la loi.

6 – Le jugement de tous ceux qui sont coupables de vol des deniers du peuple, de ceux qui ont commis des crimes à son encontre comme la répression, l’emprisonnement, la torture et l’humiliation – de la prise de décision à l’exécution – et enfin de tous ceux qui sont convaincus de corruption et de détournement de biens publics.

7 – L’expropriation de l’ancienne famille régnante et de leurs proches et associés et de tous les fonctionnaires qui ont utilisé leur position pour s’enrichir aux dépens du peuple.

8 – La création d’emplois pour les chômeurs et des mesures urgentes pour accorder une indemnisation de chômage, une plus grande couverture sociale et l’amélioration du pouvoir d’achat pour les salariés.

9 - la construction d’une économie nationale au service du peuple où les secteurs vitaux et stratégiques sont sous la supervision de l’État et la re-nationalisation des institutions qui ont été privatisées et la formulation d’une politique économique et sociale qui rompt avec l’approche libérale capitaliste.

10 – La garantie des libertés publiques et individuelles, en particulier la liberté de manifester et de s’organiser, la liberté d’expression, de la presse, de l’information et de pensée ; la libération des détenus et la promulgation d’une loi d’amnistie.

11 – Le Front salue le soutien des masses populaires et des forces progressistes dans le monde arabe et dans le monde entier à la révolution en Tunisie, et les invite à poursuivre leur appui par tous les moyens possibles.

12 – La résistance à la normalisation avec l’entité sioniste et sa pénalisation et le soutien aux mouvements de libération nationale dans le monde arabe et dans le monde entier.

13 – Le Front appelle toutes les masses populaires et les forces nationalistes et progressistes à poursuivre la mobilisation et la lutte sous toutes les formes de protestation légitime, en particulier dans la rue jusqu’à l’obtention des objectifs proposés.

14 – Le Front salue tous les comités, les associations et les formes d’auto-organisation populaire et les invite à élargir leur cercle d’intervention à tout ce qui concerne la conduite des affaires publiques et les divers aspects de la vie quotidienne.

Gloire aux martyrs de l’Intifada et Victoire aux masses révolutionnaires de notre peuple.

Front du 14 Janvier, Tunisie, le 20 Janvier 2011

Ligue de la gauche travailliste; Mouvement des Unionistes Nassériens; Mouvement des Nationalistes Démocrates (Al-Watad); Courant Baasiste; Gauche Indépendante; PCOT (Parti Communiste des Ouvriers de Tunisie); PTPD (Parti du Travail Patriotique et Démocratique)

[1] Date de la fuite de Ben Ali, le président déchu

Voir ci-dessus