Dossier Italie: Crise du berlusconisme et remontée des luttes
Par Salvatore Cannavò, Lidia Cirillo, Sinistra Critica le Samedi, 23 Octobre 2010 PDF Imprimer Envoyer

Le samedi 16 octobre dernier, plusieurs centaines de milliers de travailleurs ont manifesté à Rome à l'appel de la FIOM - le syndicat des métallos de la CGIL, principale centrale du pays - contre la volonté de la direction de la FIAT et de la Cofindustria (le patronat italien) de liquider les conventions collectives. Outre l'appui du gouvernement, le patronat jouit également de la complicité des autres centrales syndicales (CISL et UiL) et d'une attitude jusqu'à présent passive de la CGIL. Mais le succès de la manifestation du 16 octobre, qui démontre la capacité de mobilisation de la classe ouvrière et sa volonté de lutte - le slogan dominant était « grève générale! » - a changé la donne et marque une nouvelle étape dans la situation sociale italienne. Mis sous pression, le secrétaire général de la CGIL, Epifani, a annoncé une « journée d'action » pour le 27 novembre prochain, permettant « d'évaluer » la possibilité d'une grève générale. Parallèlement, le mouvement étudiant est en train de se remobiliser contre les mesures d'austérité dans l'enseignement supérieur. L'Italie pourrait donc connaître prochainement une vague de mobilisations similaire à celle qui se déroule actuellement en France. Cette évolution s'inscrit en outre dans un cadre politique marqué par la crise du berlusconisme et de son bloc au pouvoir, face à un centre-gauche incapable de se constituer en véritable alternative. (LCR-Web)

Crise du « berlusconisme » avec une gauche hors jeu

Par Salvatore Cannavò

Si, au cours de ses quinze années de vie politique, Berlusconi a réussi à composer une sorte de « bloc social », il ne l’a pas fait autour d’une vision économique et sociale commune, mais en juxtaposant les intérêts divergents et les divers secteurs dans un périmètre ne tenant que par la rhétorique et la propagande, c’est-à-dire par la force idéologique du personnage médiatique.

Si la crise politique italienne est, de manière évidente, entrelacée avec la crise économique internationale, qui dure depuis déjà deux ans, ce fait est totalement absent du débat politique, qui se concentre sur l’aspect imprévu de la crise du berlusconisme et de son alliance de centre-droite. Imprévue, elle l’est bien sûr pour tous ceux qui ont fait de Berlusconi le spectre apte à cacher la réalité des rapports entre les classes et du glissement à droite de notre pays. Ainsi l’un des plus fidèles alliés de Berlusconi, le président de la Chambre des députés, Gianfranco Fini, se détourne de lui et de son parti pour fonder une nouvelle organisation, Futuro e Libertà (L’Avenir et la liberté). Pour la droite italienne il s’agit d’un choc, car l’infaillibilité du chef est ainsi mise en cause et qu’une crise grave — même si ce n’est pas, encore, une crise gouvernementale — annonce la fin d’un cycle, celui ouvert par Berlusconi lui-même lors de son entrée sur la scène politique en mai 1994.

Les analyses de ce choc et de cette crise par la grande presse italienne mettent surtout en avant les « caractères » des deux personnages et leur conflit personnel, en occultant les aspects structurels. Pourtant la crise économique, tellement omniprésente et si structurelle, ne manque pas d’avoir de lourdes retombées sur les équilibres politiques, les transformant en une crise politique et même parfois en une crise institutionnelle. Il suffit de regarder les difficultés du président Obama qui, après un triomphe électoral il y a deux ans, risque de perdre la majorité au Congrès. Ou encore le cas français connaissant une évolution similaire : élu triomphalement en 2007, Nicolas Sarkozy est aujourd’hui à son plus bas niveau de popularité... Oui, la crise économique engendre les crises politiques.

Crise du « berlusconisme »

Le gouvernement Berlusconi avait remporté les élections d'avril 2008 en premier lieu du fait de la faillite du centre-gauche. En termes absolus son score en 2008 ne pouvait être comparé à son résultat de mai 2001, le plus haut point atteint par le berlusconisme. Mais, grâce à l’escroquerie (1) que représente la loi électorale, Berlusconi a pu jouir d’une large majorité parlementaire qu’il a utilisé efficacement pour attaquer le mouvement ouvrier aux racines, en minant ses conquêtes fondamentales (le Code du travail), en réduisant le salaire réel (réforme des contrats de l’emploi public), en redistribuant les ressources au profit des secteurs de référence du centre-droite (petites et moyennes entreprises, professions libérales, fraudeurs du fisc, grands patrimoines, banques et finance) et en lançant, avec le fédéralisme fiscal, une politique de subversion du pacte social qui a dominé le pays depuis la fin de la guerre. La crise a mis ce projet en question en accentuant les différences des projets, les intérêts divergents et les conflits politiques. La distanciation de Fini avec Berlusconi ne concerne pas les questions de justice (2) mais l’économie. Fini a défendu la fonction publique (en particulier les forces de sécurité et l’enseignement), le Sud de l’Italie et une politique industrielle fondée sur le compromis entre « le capital et le travail » en critiquant la manœuvre du ministre de l’économie, Giulio Tremonti. L’analyse de la crise et les orientations pour en sortir constituent bien l’arrière-plan de la bataille.

Dans cette bataille le centre-droit montre toutes ses limites et dévoile sa crise. Si, au cours de ses quinze années de vie politique, Berlusconi a réussi à composer une sorte de « bloc social » — les petites et moyennes entreprises du Nord, l’économie illégale du Sud, les commerçants, les professions libérales, les fraudeurs du fisc, mais aussi le lumpenprolétariat assisté, les jeunes précaires et l’électorat âgé —, il ne l’a pas fait autour d’une vision économique et sociale commune, mais en juxtaposant les intérêts divergents et les divers secteurs dans un périmètre ne tenant que par la rhétorique et la propagande, c’est-à-dire par la force idéologique du personnage médiatique. Atteint et érodé par la crise, le berlusconisme — cette colle qui fait tenir le bloc social — met à nu la propagande et la rhétorique. Aujourd’hui, Fini se porte candidat pour représenter une partie de ces secteurs autour d’un projet politique allant au-delà de Berlusconi et visant à redéfinir un nouveau centre-droit. L’hypothèse du troisième pôle, plus qu’un projet stratégique, est un passage pour reconstruire une force conservatrice, alternative libérale au centre-gauche, qui soit adaptée aux besoins des classes dominantes.

La crise pèse évidemment même sur les classes dominantes, sur le pouvoir fort, sur la Confindustria (le Medef italien) et sur les banques, sur le capital financier. Aujourd’hui elles ne savent plus s’il faut miser encore sur le gouvernement Berlusconi, qui offre sa détermination pour broyer le monde du travail — comme le montre le conflit chez Fiat — ou bien engager la construction d’un équilibre différent. Si Emma Marcegaglia, la présidente actuelle de Confindustria, continue à jouer les équilibres actuels, l’ancien président de la Confindustria, Luca Cordero di Montezemolo, cherche une solution nouvelle. La différence entre les deux derniers présidents du patronat est finalement emblématique de cette incertitude. Le problème, c’est que malgré sa crise et son usure — et la crise met en lumière que le berlusconisme n’a en réalité rien à offrir — Berlusconi jouit toujours d’un fort consensus social et que son alliance avec la Ligue du Nord lui préserve la possibilité d’une victoire. Tout cela rend la situation très incertaine.

En tout cas, malgré cette incertitude, l’offensive contre les travailleuses et les travailleurs est poursuivie sans hésitation. Fiat a ainsi profité de la phase de la crise et des craintes du monde du travail pour mettre fin aux conventions collectives nationales et à la nécessité de négocier les conditions de l’emploi avec les syndicats. Le gouvernement appuie cette stratégie et envisage la réforme du Statut des travailleurs (3) alors que l’attaque contre la Fonction publique — en particulier l’école publique — se poursuit. Tout ceci éclaire la situation politique : la crise du gouvernement, dont on ne peut que se réjouir, n’est pas accompagnée d’une crise des couches dominantes qui, au contraire, tendent à se renforcer.

Opposition inadéquate

Évidemment dans cette situation l’opposition parlementaire — mais aussi extra-parlementaire — apparaît totalement inadéquate. La confusion et l’incertitude du Parti démocrate (PD) ne sont pas seulement l’expression de ses divisions internes irréversibles, mais le fruit de son intégration complète dans le cadre de la crise. Il ne faut pas oublier qu’à l’occasion du vote au Parlement du plan européen de « sauvetage » de la Grèce — la plus dure attaque jamais subie par les travailleurs dans ce pays — le Parti démocrate fut celui qui s’est le plus engagé en sa faveur. Une diligence européiste, rigoriste et pro-patronale qui est maintenant inscrite dans son ADN et qui permet de comprendre pourquoi, malgré les difficultés de Berlusconi, ce parti ne récupère pas une voix et n’a aucun rôle propulsif dans le pays.

A l’incapacité de l’opposition « démocratique » s’ajoute la complicité avec l’offensive patronale d’une large part du mouvement syndical. Fiat tente de faire sauter les accords collectifs nationaux, pour désarticuler le monde du travail, laisser les mains libres aux entrepreneurs par un recul du droit du travail au niveau d’avant 1968-1969. Il le fait, parce que sa dimension internationale, depuis l’alliance avec Chrysler, lui impose d’agir sur le coût du travail à défaut d’autre chose. Dans cette offensive il a pris la tête du patronat italien. Le gouvernement soutient activement cette stratégie, mais les deux syndicats minoritaires, la CISL et l’UIL — qui, ensemble, ont environ six millions de membres — l’appuient activement. La CGIL, qui à elle seule a plus de cinq millions de membres, s’y oppose jusqu’à présent, mais avec beaucoup d’hésitation, et sa résistance repose surtout sur celle du syndicat des métallurgistes, la Fiom, au sein duquel la gauche syndicale est majoritaire. Et c’est encore la Fiom qui a pris l’initiative de la plus importante mobilisation de cet automne, la manifestation nationale du 16 octobre prochain, à laquelle toute la gauche radicale italienne s’est associée.

La question centrale de la phase actuelle c’est la construction de la résistance à la crise par l’unité des luttes et un processus de recomposition sociale : l’unification des luttes contre la crise, telle est notre tâche actuelle. Au cours des mois à venir nous devons travailler en vue de renforcer et de coordonner les luttes, prendre appui sur les expériences des mobilisations construites d’en bas (« autoconvocate »), construire les comités unitaires contre la crise, faciliter les relations unitaires entre les diverses gauches syndicales et entre les autres acteurs sociaux, tels les étudiants et les précaires. La manifestation du 16 octobre sera une étape dans cette direction.

Malheureusement ces potentiels n’ont pas de débouchés immédiats sur le plan strictement politique. Une fois encore la centre-gauche démontre ici son caractère inadéquat et « résiduel » dans le champ politique. La Parti démocrate propose une fois encore un « nouvel Olivier (4) », comme force motrice d’une coalition qui engloberait non seulement l’Union démocrate-chrétienne de Casini, mais même le nouveau parti de Fini. Une perspective complètement défensive et politicienne, dont le contenu social est dans la continuité de l’expérience désastreuse du gouvernement de centre-gauche.

Les forces majoritaires de la gauche radicale ont cependant déjà choisi l’alliance avec le Parti démocrate. Il s’agit, d’une part, de la Sinistra e Libertà (Gauche et Liberté), dont le dirigeant, Nichi Vendola, devenu un leader populaire, espère remporter l’investiture pour la présidence du Conseil, et de l’autre, de ce qui reste du Parti de refondation communiste (5) et qui ne vise qu’une alliance électorale avec l’espoir de revenir ainsi au Parlement. Du fait du système électoral italien, cela lui impose d’appuyer le projet gouvernemental du Parti démocrate, c’est-à-dire de faire disparaître son orientation politique propre. Tout cela ne pourrait que produire une sorte d’Alliance démocratique dont les contours restent encore obscurs.

A notre avis, la perspective qui reste d’actualité, mais qui est fragile, c’est au contraire celle d’une gauche de classe en mesure de représenter une autre option que celle du Parti démocrate et du centre-gauche. Une Gauche anticapitaliste définie par quelques coordonnées simples : son extériorité par rapport à la coalition « démocratique » sous l’hégémonie du Parti démocrate ; un programme radical de sortie de la crise ; une perspective orientée vers l’avenir, tournant résolument le dos au conservatisme (fut-il « de gauche ») et à toute nostalgie (qui caractérise encore une large partie de la gauche de classe italienne), mais au contraire, capable d’offrir une solution politique innovatrice ; sa capacité d’attraction des mouvements sociaux, des comités de lutte, en particulier des nouvelles générations plus ouvertes à la résistance sociale et à une hypothèse alternative. En cas d’élections anticipées mais aussi en prévision des élections locales du printemps prochain, nous avons l’intention de travailler en vue de la formation d’une liste anticapitaliste avec ces caractéristiques. Nous ne sommes pas intéressés à planter le drapeau de la Sinistra critiqua (Gauche critique) ni d’annoncer urbi et orbi notre présence électorale autonome. Nous voulons construire un « processus » capable de conduire à une proposition attractive, innovante, utile pour les luttes et animée par elles et par les jeunes générations. C’est avec cette proposition que nous nous tournons vers les forces politiques et surtout sociales disponibles, pour réaffirmer une fois encore que nos vies valent mieux que leurs profits.

Salvatore Cannavò, membre du Bureau exécutif de la IVe Internationale, fait partie de la direction de l’organisation italienne Sinistra critica (Gauche critique), qui lors de sa conférence nationale en novembre 2009 a décidé d’établir des relations de « solidarité politique » avec la IVe Internationale, y apportant sa contribution et son expérience historique propre.

Traduit par J.M. pour Inprecor N° 566, octobre 2010

Notes:

1. Le système électoral italien prévoit une prime de majorité pour le parti ou la coalition de partis qui arrivent en tête. Ainsi, avec 45 % des suffrages exprimés l’alliance entre Berlusconi et la Ligue du Nord a obtenu 55 % des sièges de député.

2. De nombreux procès encore en cours, où Berlusconi est en accusation, ont été bloqués par les lois « ad personam », approuvées par le Parlement ou seulement par le gouvernement. Fini a décidé de les contester.

3. Cette appellation renvoie à la loi n° 300 du 20 mai 1970 sur les « Dispositions de la protection de la liberté et de la dignité des travailleurs, de la liberté syndicale et de l’activité syndicale sur le lieu du travail et syndicat et des règlements de l’emploi » qui est une des principales normes de la législation du travail en Italie.

4. L’Olivier a été le nom de l’alliance électorale de centre-gauche autour de Romano Prodi, active de 1995 à 2007.

5.Le Parti de refondation communiste (PRC) a connu une nouvelle scission en 2009 : le courant autour de Bertinotti l’a quitté en fondant Sinistra e Libertà (Gauche et Liberté), qui s’est fait connaître grâce à la popularité de Nichi Vendola, président de la région des Pouilles. Une partie des Verts et une scission de gauche du Parti démocrate ont rejoint cette organisation, créditée par les sondages de 5 %. Le PRC restant a pour sa part créé, avec le Parti des communistes italiens (issu d’une précédente scission de droite du PRC), la Fédération de la gauche (Federazione della sinistra), qui dans les sondages n’atteint pas 2 %. La Federazione della sinistra est alliée au Parti démocrate dans presque toutes les régions gouvernées par ce dernier. Dans la gauche radicale, outre la Sinistra critiqua (Gauche critique), qui a obtenu 0,5 % lors des législatives de 2008, on compte encore le Parti communiste des travailleurs, dirigé par Marco Ferrando, qui a récolté 0,6 % en 2008 et qui a déjà annoncé son intention de présenter sa propre liste aux élections prochaines.


Du PCI au Parti démocrate : un cheminement tortueux

Par Lidia Cirillo

Héritier de la majorité du Parti communiste italien (PCI), le Parti démocrate (PD) n’a obtenu que 26,13 % des suffrages exprimés aux élections européennes de juin 2009. Aux législatives de 2008 il obtenait encore 33,2 % des voix, mais c’était déjà une perte de 5 180 000 électeurs par rapport aux élections de 2006, qui avaient permis la formation du gouvernement de centre-gauche de Romano Prodi. Très faible, ce dernier n’a tenu que deux ans avant de laisser la place à celui de Silvio Berlusconi (centre-droite).

Les résultats électoraux enregistrent l’ampleur de la crise de cette gauche-là. Ils ne disent rien pourtant sur sa nature et sa dynamique. La campagne électorale du PD, concentrée en grande partie sur son leader, provisoire et peu charismatique, Dario Franceschini, a été plus explicite, par les appels répétitifs aux anciens électeurs du PCI pour qu’ils ne s’abstiennent pas. Car au cours des années précédentes, le nombre de votants s’est en effet réduit et c’est la gauche qui en a perdu le plus. Une partie de ces abstentionnistes pourrait être sans doute reconquise, dans un moment de forte polarisation dans une élection d’un autre type ou en réaction à la politique menée par la droite. Mais une autre partie d’entre eux constitue un phénomène relativement nouveau pour l’Italie : une portion importante de la société, active politiquement, non seulement ne s’identifie plus avec un des partis politiques, mais considère le vote comme un rituel inutile et aliénant.

La recherche d’un contact avec l’électorat, susceptible de concurrencer le monopole médiatique de Silvio Berlusconi, fut une autre caractéristique révélatrice de la campagne électorale. Berlusconi contrôle désormais cinq des six grands réseaux de télévision, qui sont en partie sa propriété et en partie sous le contrôle de son gouvernement. Là encore la campagne était menée dans un style « à l’américaine » : le secrétaire du PD a visité personnellement les lieux les plus fréquentés de diverses villes, les a traversé à vélo en compagnie de petits cortèges de militants-cyclistes décorés des symboles du parti, serrant les mains et souriant. Mais si une telle campagne n’est pas totalement inefficace, elle ne tient pas la comparaison avec la capacité de la droite à construire avec l’électorat des rapports plébiscitaires.

Le Parti démocrate (et plus généralement toute la gauche) est atteint d’une maladie très grave : il lui manque les canaux qui le reliraient au corps social. Sur ce terrain-là, la droite a pu le concurrencer grâce aux médias et aux autres réseaux irriguant le corps social de façon diffuse, comme l’Église catholique et le crime organisé. Naturellement, ni l’Église, ni le crime organisé ne se confondent avec la droite ni ne sont à son service, mais, chacun à sa façon, contribuent à « l’épaisseur réactionnaire » (Gramsci) spécifique des forces conservatrices de la société italienne.

La crise organisationnelle du vieux PCI peut être résumée par quelques chiffres. En 1989 — année ou le parti change de nom et de symbole — il compte près d’un million et demi de membres, tout en en ayant perdu environ 50 000 depuis 1988. Un an après le virage, près de 200 000 ne renouvellent pas leur carte et, en 1992, le Parti démocratique de la gauche (PDS, nouveau nom pris par le PCI) compte 789 000 membres, soit la moitié des inscrits de 1989 et un tiers seulement par rapport à l’époque où le parti était dirigé par Enrico Berlinguer (1). En 2002, lorsque le PDS changera encore de nom pour celui de Démocrates de gauche (DS), il comptera 534 000 inscrits. Devenu Parti démocrate (PD) en 2007, il ne fournit plus d’informations sur le nombre de cartes. Il est de notoriété publique, que certaines des adhésions furent calculées sur la base du nombre de certificats délivrés à ceux qui ont voté lors des « primaires » en vue de la tête de liste aux élections législatives de 2006, au cours desquelles, en théorie (mais parfois aussi en pratique) des électeurs de centre-droite pouvaient voter également. « Plus que d’un parti souple (pour reprendre une définition véhiculée en 1989) il est désormais question d’un parti vaporeux », écrit Luca Telese en analysant l’évolution des adhésions (2).

Finalement, l’identité du parti héritier de la majorité du PCI apparaissait complètement fanée au cours de la campagne pour les élections européennes de 2009. La droite était immédiatement identifiable, d’abord par son discours contre l’immigration et, en second lieu, à travers la figure de son leader reproduisant le mythe fasciste de « l’homme du destin » et se présentant comme celui qui fait, agit, résout et gère les affaires du pays avec l’habileté de l’entrepreneur qui a réussi dans les affaires. Mais quelqu’un qui n’aurait pas lu avec attention la presse quotidienne aurait du mal à dire quelque chose au sujet des propositions du PD. Il était d’autant plus difficile de dire ce que ce parti voulait car il semble que le parti ne le savait pas lui même. Était-ce un parti du centre semblable aux moins corrompus et aux moins philocléricaux des démocrates chrétiens ? Une social-démocratie, c’est-à-dire une organisation continuant à se référer encore au travail salarié, malgré les pratiques d’adaptation innombrables qui marquent cette formation ? Le parti de Kennedy et d’Obama en Italie, comme le suggère son nouveau nom ? Cela ne veut pas dire que de telles hypothèses sont formulées explicitement ni que des courants soient porteurs de telles hypothèses. Ce problème d’identité existe objectivement et les discussions au sein du groupe dirigeant tournent autour de manière plus ou moins claire, par exemple lors de l’adhésion au Parti socialiste européen, à laquelle une partie du PD était opposée. La constitution du groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et des démocrates au Parlement européen a seulement permis de régler un aspect conjoncturel, mais non celui, plus complexe, de l’identité du PD.

Si le PD maintien encore un score électoral non négligeable, c’est parce que le leader de la droite suscite une répulsion dans une partie de l’électorat et non parce que ces électeurs partagent le discours ou la pratique politique du PD, voire même les connaissent. Toutefois, dans ses groupes dirigeants et plus généralement au sein de la gauche la crainte d’une « défaillance structurelle » du parti est vive, d’autant que les autres formations politiques ne semblent pas être en mesure de le remplacer aujourd’hui. Le fait, que la direction du PD ait accepté avec un soupir de soulagement le résultat négatif des élections européennes est de ce point de vue significatif et révèle la conscience de la profondeur de la crise.

Métamorphose et identité

Pour expliquer les raisons de la régression du plus grand parti communiste du monde occidental, finissant comme le parti « vaporeux » de Dario Franceschini, secrétaire du PD, il faudrait revenir sur l’histoire européenne et sur celle du mouvement communiste, ce qui dépasse le cadre de cet article. En bref, on se limitera à mentionner ici les dynamiques les plus récentes qui ont conduit ce parti à la perte de ses réseaux organisationnels, à son identité fanée et incertaine et à la crainte pour sa propre survie.

Le 12 novembre 1989, dans la section de Bologne, Achille Occhetto, alors secrétaire du PCI, annonçait que le parti devrait changer de nom. Cette annonce allait provoquer une révolte de la base, qui pourtant, à l’instar de Job, avait auparavant soutenu toutes les preuves et avait accepté toutes les négations concrètes de l’adjectif « communiste ». L’effet le plus tangible de cette révolte ce sera l’abandon du parti : 200 000 cartes ne seront pas reprises dès l’année suivante et l’hémorragie, comme nous l’avion vu, ne va plus s’arrêter. Les biographies, les autobiographies, les articles et les interviews ont raconté l’histoire du Tournant (avec la majuscule) de manières diverses et contradictoires. Mais au-delà des interprétations personnelles, les événements de cette période expliquent assez clairement les bonnes et les mauvaises raisons de ce choix.

Le mur de Berlin venait de tomber et quelques mois plus tôt, au début juin, le massacre de la place Tienanmen avait mis à jour la face la plus répugnante du « communisme ». En Italie, c’était l’époque du gouvernement « pentapartito » (3), fondé sur l’alliance de la DC et du PSI de Bettino Craxi, parrain et protecteur de l’entrepreneur Silvio Berlusconi. Les événements survenant en Chine et en Europe de l’Est constituaient un excellent prétexte pour attaquer le PCI, sur lequel les intellectuels et les amis libéraux exerçaient depuis longtemps une pression pour qu’il change son nom et ses symboles. C’est l’occasion aussi pour dire des choses sensées sur la faillite d’une expérience et sur l’exigence de ne pas être identifié à elle. Ce ne sont même pas les citations de Lénine qui manquent et il est rappelé que le dirigeant de la Révolution d’Octobre n’avait pas hésité à changer le nom de son parti pour des raisons sans commune mesure avec l’ignominie des Staline, Pol Pot et Ceaucescu.

Fondé en janvier 1991, le Parti démocratique de la gauche (PDS) sera déchiré entre les identités social-démocrate, kennedyène et « nouvelle ». En 1998, l’inclusion des morceaux d’origine, surtout, chrétienne-démocrate et socialiste, donne naissance aux Démocrates de gauche (DS). En 2007, en fusionnant avec un parti centriste (la Marguerite de Romano Prodi), il deviendra le Parti démocrate et élira Walter Veltroni au poste du secrétaire à travers des élections primaires. A cette occasion d’autres groupes et des individus du vieux système chrétien-démocrate ont rejoint le PD à la recherche de sièges dans les assemblées élues et dans un parti encore significatif. Mais ni les changements, ni l’incorporation des fragments centristes, et même de partis entiers, ne suffisent à expliquer la crise d’identité. Après tout, l’identité d’un parti est fondée sur ses pratiques et sur sa politique… Mais c’est précisément sur ce terrain que le PD est le plus faible.

En 1996, le centre-gauche a pu former un gouvernement, car il apparaissait comme le défenseur de l’État-providence, déjà mis à mal par le premier gouvernement de Berlusconi en 1994. Les pratiques des deux gouvernements de centre-gauche (1996-2001 et 2006-2008) vont liquider cette image. Le PD n’apparaît même pas comme un parti libéral garantissant les droits civiques : les groupes catholiques absorbés sur le chemin menant du PCI au PD ont empêché que le dernier gouvernement Prodi reconnaisse les droits des lesbiennes, des gays et des trans et ont même réussi à bloquer une inoffensive loi contre l’homophobie. Mais s’il n’a pas réussi les tests gouvernementaux, le PD a aussi du mal à gérer son rôle d’opposant. Il ne peut poursuivre la droite sur son terrain, même si des tentatives d’une telle orientation n’ont pas manqué. Le racisme et la politique de la peur de la droite italienne vont en effet au-delà des limites tolérables pour les modérés et la hiérarchie catholique elle-même est intervenue à plusieurs reprises en appelant à la solidarité et à la modération. Le PD ne peut pas non plus déplacer le conflit politique sur le terrain des droits des salariés, car l’attitude de toutes ses composantes (y compris celle originaire du PCI) vise à soutenir « la dynamique économique » et les intérêts des « classes productives » (comme on nomme dans le PD les petits et les grands patrons).

En outre, face à la crise économique, une identité fondée sur la modération et sur la patience (« patiemment » est l’adverbe le plus employé par l’ex-secrétaire Veltroni) n’est pas admise dans les secteurs populaires, enragés, non sans raisons, mais orientés par la droite contre le bouc émissaire de l’immigration.

Le sol mouvant de la société italienne

Le vieux Parti communiste et ses héritiers ont traversé les ruptures et les processus de transformation de la structure sociale en comprenant peu ou rien de ce qui se passait. Ils ont pris la fin des trente années d’ascension économique (1945-1975) pour une crise conjoncturelle. Ils ont interprété le processus de mondialisation et de financiarisation comme la confirmation de l’irréductible vitalité du capitalisme. Ils n’ont pas réalisé la puissance destructrice de l’agression patronale contre le travail salarié. Bien évidemment ce n’est pas avant tout d’incompréhension qu’il s’agissait : le PCI-PDS-DS-PD a joué le même rôle que la social-démocratie dans le reste de l’Europe en collaborant activement à la défaite du mode du travail.

Au cours des dernières décennies, les liens du parti avec les classes populaires, déjà distendus au cours des années 1980, ont été rompus. En Italie, comme ailleurs, les défaites, la précarisation, l’externalisation, etc. ont contribué à déstabiliser le terrain sur lequel le PCI était enraciné. Mais en Italie, plus qu’ailleurs, la crise des grandes usines a rendu difficile toute forme de réorganisation du travail salarié. A la fin des années 1960, lorsque les luttes des travailleurs ont connu une forte montée, l’Italie disposait d’un réseau de complexes industriels parmi les plus grands en Europe, qui est devenu le point de référence des luttes sociales jusqu’au milieu des années 1980. Mais ces grandes usines sont aussi entourées d’entreprises petites et très petites, souvent submergées par la préoccupation d’échapper au fisc, aux obligations légales et aux conflits syndicaux. La liquidation des grandes usines a donc désintégré et fragmenté ce tissu, rendant plus graves les conséquences d’un phénomène qui n’était pas seulement italien.

En Italie, comme ailleurs, la déstructuration du travail salarié a affaibli les syndicats, même si la CGIL conserve encore une certaine capacité de réaction et reste encore le seul canal permettant au PD de préserver des contacts indirects avec les secteurs populaires.

Plus que dans d’autres pays, la crise des syndicats italiens a représenté une perte irréparable. Durant un peu moins de vingt ans, depuis 1969, les syndicats y ont été organisés dans des conseils élus par les travailleuses et les travailleurs et ces conseils ont joué un rôle fondamental lors des épisodes majeurs de lutte et de résistance. Le déclin et la fin du « syndicalisme des conseils » ont été non seulement l’effet mais aussi la cause de la déstructuration sociale. La classe ouvrière des grandes usines (Fiat, Alfa Romeo, Italisider, etc.) a perdu le bras de fer avec le patronat parce que les conseils ont perdu le leur avec la bureaucratie syndicale. Un seul des deux camps — la bureaucratie, bien sûr — était pleinement consciente de ce conflit dont vous pouvez trouver des traces claires dans la presse syndicale des années 1980.

La mutation du modèle du parti

La fragmentation et la dispersion du salariat rendaient de toute façon difficile sa réorganisation. Mais au-delà de ces difficultés objectives, le PD, né d’une série de métamorphoses, ne s’est même pas posé les problèmes que ses structures n’étaient de toute façon pas capables de résoudre. C’est cette particularité qui a condamné les gauches, qui apparaissaient aussi au sein du parti, à la défaite permanente. Elles étaient souvent conscientes des conditions nécessaires pour arrêter l’écroulement du rapport de forces social, mais elles s’adressaient alors à un parti qui n’avait ni les moyens ni l’intérêt pour tenter de les réaliser.

Depuis 1997, la formation des courants est autorisée au sein du parti, mais ceux-ci se chevauchent et se confondent avec un autre phénomène, celui de groupes de pouvoir. Le vieux parti monolithique s’est progressivement transformé en un espace balkanisé au sein duquel les journaux, revues, fondations, associations, etc. se forment autour d’un leader en vue de promouvoir sa carrière personnelle. Une logique très semblable à celle des « notables » de la vieille Démocratie chrétienne, celle des personnalités qui contrôlent les cartes et les clientèles. Mais il serait erroné de croire que ce sont avant tout les anciens démocrates chrétiens qui portent la responsabilité de cet état de choses. Pour une large part il s’agit d’un phénomène de mutation interne de la bureaucratie du PCI qui n’est pas sans rappeler celle des bureaucrates qui étaient au pouvoir en Europe de l’Est. L’adaptation invariable à l’environnement politique et social tel qu’il se présente et les critères de cooptation des dirigeants ont sélectionné un personnel politique dont les motivations sont bassement matérialistes et les habitudes fort particulières. L’intérêt particulier de ces dirigeants, préoccupés avant tout par les luttes intérieures pour les postes et par les places dans les institutions, s’oppose au travail fatigant et incertain de reconstruction des liens entre les travailleurs. De plus la quasi-disparition du modèle traditionnel du militant du parti a fait disparaître l’indispensable intermédiaire entre l’appareil et la société. Le parti démocrate dispose toujours des sections, mais elles fonctionnent comme des comités électoraux et sont beaucoup moins efficaces que dans le passé.

Soyons clairs, le PD est encore capable de réunir des grandes foules, d’organiser des primaires auxquelles des centaines de milliers de personnes participent et de convoquer des manifestations massives. Mais il s’agit d’événements exceptionnels et le « peuple » indifférencié de membres et sympathisants qui y participe reste passif jusqu’à la prochaine occasion.

Une autre histoire

Pour comprendre vraiment l’épilogue de l’histoire du Parti communiste italien il faudrait aussi parler de ceux qui ont refusé le « Tournant » et qui ont fondé le Parti de refondation communiste (PRC). Le récit parlerait d’une longue série de scissions, d’exclusions et de ruptures.

Cet héritage du PCI est aujourd’hui divisé entre ceux qui ont gardé le nom du PRC et ceux qui ont suivi l’ancien secrétaire, Fausto Bertinotti, en créant la Gauche et la liberté (SL). Bien que leur histoire soit différente de celle du PD, les résultats sont assez similaires : échec électoral (ni le PRC, ni la SL n’ont obtenu des élus au Parlement italien, ni au Parlement européen), identité troublée de défenseurs des travailleurs, avec ou sans le marteau et la faucille, le même manque de racines sociales, balkanisation, liquéfaction des structures militantes, luttes intérieures pour le pouvoir, préoccupations centrées sur les postes électifs et plus généralement sur les institutions.

Lidia Cirillo, membre de la Coordination nationale de Sinistra critiqua et rédactrice de la revue Erre, militante de la IVe Internationale depuis 1966, animatrice de la Marche mondiale des Femmes en Italie, est aussi fondatrice de la revue féministe Quaderni Viola (Cahiers violets). Écrivaine et analyste, elle a publié : Meglio Orfane (Plutôt orphelines), Lettera alle Romane (Lettre aux Romaines), La luna severa maestra (La lune maîtresse sévère), Da Vladimir Ilic a Vladimir Luxuria (de Vladimie Ilitch à Validimir Luxuria), La Straniera (L’étrangère) et L’emancipazione malata (L’émancipation malade).

Traduit par J.M., de l'italien pour Inprecor N° 566, octobre 2010

Notes

1. Enrico Berlinguer a été secrétaire général du PCI de 1972 à sa mort en 1984. Il a autonomisé le PCI vis-à-vis de l’Union soviétique et fut à l’origine de « l’eurocommunisme ». Sous sa direction le PCI obtint, en juin 1976, son meilleur score électoral (33,4 % et 227 députes ; 33,8 % et 116 sénateurs).

2. Luca Telese, Qualcuno era comunista, Sperling & Kupfer, 2009, p. 90.

3. L’expression employée pour définir la coalition qui gouvernait l’Italie entre 1980 et 1992, composée de cinq partis : la Démocratie chrétienne (DC), le Parti socialiste italien (PSI), le Parti socialiste démocratique italien (PSDI), le Parti républicain italien (PRI) et le Parti libéral italien (PLI).


Unir les luttes pour un automne d'opposition à Berlusconi et Marchionni. Déclaration politique de l'Exécutif National de Sinistra Critica

La crise politique italienne s'entremêle de manière évidente à la Crise économique internationale qui dure maintenant depuis plus de deux ans. Et pourtant ce fait qui saute aux yeux est totalement évacué du débat politique par des analyses qui se concentrent sut les tempéraments des protagonistes, sur leurs contacts personnels et laissent dans l 'ombre les aspects structurels de la Crise.

La crise économique en revanche est si envahissante et structurelle qu'elle ne manque pas d'avoir de pesantes retombées sur les équilibres politiques et se transforme elle-même en crise tout à la fois politique et institutionnelle. Il suffit de considérer les difficultés du président Obama qui, après une victoire triomphale il y a moins de deux ans , risque aujourd'hui de perdre la majorité au Congrès. La situation française elle aussi a un déroulement analogue, avec un Sarkozy lui aussi élu triomphalement en 2007 et qui se retrouve aujourd'hui au niveau le plus bas de sa popularité. La crise politique est donc bien fille de la crise économique.

Le gouvernement Berlusconi a remporté les élections de 2008 avant tout grâce à la faillite du centre-gauche. En termes absolus, les suffrages récoltés par le centre-droite ne sont même pas comparables à ceux atteints par lui au moment le plus élevé du berlusconisme en 2001.

Et pourtant, grâce à une loi électorale caviardée, Berlusconi a pu jouir d'une ample majorité parlementaire. Celle-ci a été utilisée plutôt efficacement dans une direction précise: attaquer à la racine le mouvement ouvrier en minant des conquêtes fondamentales ( le statut des travailleurs), en réduisant le salaire réel (contrats d'Emploi public), en redistribuant les ressources vers les secteurs de référence du centre-droite (PME, professions libérales, pratiquants de la fraude fiscale, grands patrimoines, les banques et la finance) et en menant à travers le fédéralisme fiscal une politique de dénaturation du Pacte social qui a régi ce pays depuis l'après-guerre.

La crise a mis ce programme en débat, ou a fait resurgir à tout le moins des projets divers, des intérêts différents et des contacts politiques qui ont été ramenés à l 'essentiel. Le coeur du discours de Fini à Mirabello et de sa prise de distance vis-à-vis de Berlusconi, ce n 'est pas la Justice (en fait un nouveau «  bouclier judiciaire » a été promis à ce dernier) , mais l'économie. Fini a défendu la fonction publique (au travers des Forces de sécurité et de l 'Ecole publique), le Sud de l'Italie, une politique industrielle basée sur le compromis entre Capital et Travail , il a critiqué la manoeuvre de Tremonti. Le conflit de fond porte donc sur l'analyse de la Crise et les voies à suivre pour en sortir. Dans ses affrontements, le centre-droite montre ainsi ses limites et toute sa crise.

Berlusconi a réussi à composer une sorte de « bloc social » au cours de ses quinze ans de vie politique : PME du Nord, économie illégale du Sud , commerçants, professions libérales, fraudeurs fiscaux, mais aussi sous-prolétariat assisté, jeunes en précarité et électorat âgé. Mais il l'a fait sans les impliquer dans une vision économique et sociale commune de leurs différents intérêts. Il a juxtaposé ces différents secteurs dans un conglomérat dont le liant a été, avec la rhétorique et la propagande, la force idéologique de son personnage médiatique. Le Berlusconisme agrège un Bloc social qui de toutes manières, dès l'instant où il se trouve piégé et érodé par la crise, remet en question la propagande et la rhétorique.

Fini aujourd'hui se propose de représenter une partie de ces secteurs dans un projet qui vise, au delà de Berlusconi, à définir les horizons d'un nouveau centre-droite. L'hypothèse d'un Troisième Pôle est de même, plus qu'un projet stratégique, un passage pour reconstruire une force conservatrice et libérale alternative au centre-gauche et adéquate aux besoins des classes dominantes.

La crise a évidemment une répercussion sur ces dernières, les puissances telles que la Cofindustria (Confédération patronale italienne, NDLR), les banques, le Capital financier. Aujourd'hui aucune ne sait s' il faut encore miser sur le gouvernement Berlusconi qui affiche une claire détermination à écraser le travail salarié – voir la manoeuvre Tremonti ou la controverse FIAT – ou s' il faut au contraire construire des équilibres différents. Si Emma Marcegaglia continue à peser en faveur des équilibres actuels , Luca Cordero de Montezemola cherche une nouvelle solution. Les divergences entre les deux derniers présidents de la Cofindustria est au fond emblématique de cette incertitude. Le problème est que malgré ses cafouillages et son usure, - la crise mettant en évidence que le berlusconisme n' a rien à offrir - Berlusconi jouit encore d'un fort consensus social et son alliance avec la Ligue du Nord est une garantie pour lui d 'une possibilité de victoire.

Tout cela rend la situation incertaine, mais en tout cas, même dans l 'incertitude, l'offensive contre les travailleurs et les travailleuses se poursuit sans hésitations. La FIAT a profité de la période de crise et des peurs du monde du travail pour régler son compte au contrat national d 'emploi et à l 'obligation de traiter des conditions de travail dans l'entreprise avec le syndicat. Le gouvernement soutient cette stratégie avec son projet de réforme du Statut des travailleurs. L'attaque contre l'emploi public – en premier lieu dans l'enseignement – a ouvert le chemin.

Tout cela aide à mieux mettre en lumière la situation politique: la crise du gouvernement, de laquelle on peut évidemment se réjouir, ne s'accompagne pas d'une crise de l'ordre dominant, celui-ci au contraire tend à se renforcer.

Il est évident que la situation offre la vision d'une opposition totalement inadéquate, tant parlementaire qu'extraparlementaire. La confusion et l'indécision du PD (Parti Démocrate) expriment non seulement ses divisions internes irréversibles mais la pleine appartenance de ce parti au cadre de la Crise. On ne peut oublier qu'à l'occasion du vote parlementaire sur le programme de « sauvetage » de la Grèce, programme constituant la plus dure attaque jamais subie par les travailleurs de ce pays, c'est le PD qui s'est le plus battu pour un vote favorable à ce programme.

Ce zèle européiste, rigoriste et pro-patronal appartient désormais à son ADN. Il ne faut donc pas s'étonner que l'ex-ministre du gouvernement Prodi , Padoa-Schiappa ait déclaré à l'émission «  Sole 24 Ore » qu'il y avait une continuité entre la politique économique de Tremonti et celle du gouvernement de centre-gauche.

Mais au delà de l'inconsistance et des complicités de l'opposition de centre-gauche, la période se caractérise par une réelle régression des principales forces syndicales. La CISL (démocrate-chrétienne) et la UiL (d'origine social-démocrate) sont désormais directement asservies à la logique patronale et aux intérêts de la grande industrie, et la CGIL (historiquement liée à l'ancien Parti communiste, NDLR) cherche à courir après cette politique, mais avec une opposition interne qui mise avant tout sur la capacité de résistance de la FIOM (Fédération italienne des Ouvriers Métallurgistes). Celle-ci tient ferme sur le conflit avec FIAT et dans l'opposition à la stratégie patronale même si c'est essentiellement au niveau local. Malgré des incertitudes ou des oscillations, elle demeure un point névralgique de la résistance de classe.

Les espaces pour la relance d'un syndicalisme alternatif basé sur la représentation réelle, la démocratie et la confrontation sont donc amples. Le même syndicalisme de base a une nouvelle opportunité qu'il ne semble pourtant pas à présent en mesure de saisir, pour des motifs complexes et multiples. Notre soutien à son combat reste ferme, conscients pourtant qu'un changement de démarche s'impose .

Si la crise économique se traduit en crise politique, la tâche centrale de la période consiste à construire une résistance à celle-ci et à tracer une perspective pour en sortir. La voie fondamentale de cette perspective, c'est celle de l'unité des luttes, de la recomposition sociale -à partir des immigrés comme partie intégrante du nouveau prolétariat – , de la définition d'une plate-forme unitaire qui vise à faire payer la crise à ceux qui l 'ont provoquée.

S'attaquer aux profits et aux rentes, aux nouvelles rigidités dans l'organisation du travail, pour la régularisation du travail précaire, des droits nouveaux et plus avancés, notamment les droits sociaux, pour la défense écologique du territoire, le contrôle public des rouages essentiels de l'économie et des ressources communes , à commencer par l'eau, la défense des droits des immigrants. Unir les luttes contre la crise demeure notre objectif à cette étape.

Pour ce faire, nous travaillerons dans les prochains mois à renforcer les coordinations des luttes, y compris avec les initiatives autoconvoquées, à construire des comités unitaires de lutte contre la crise, à faciliter les rapports unitaires entre les différentes gauches syndicales comme entre protagonistes divers, par exemple les étudiants et les travailleurs précaires en formations. La manifestation du 16 octobre est une occasion dans ce sens, même si actuellement, les formes d'organisation de la manifestation elle-même ne semblent pas exploiter cette possibilité. Nous croyons que cette échéance, rendez-vous central, doit avoir un lendemain: la présence dans la rue le 16 octobre sera d'autant plus utile qu'elle donnera vie à des organismes unitaires pour une résistance commune à la Crise, aux attaques du gouvernement et du patronat.

Un second rendez-vous central de l'automne est fixé pour la préparation du référendum sur l'eau; il verra le mouvement référendaire se réunir à Florence les 17 et 18 septembre. Sinistra Critica est pleinement intégrée dans cette bataille à travers les structures du mouvement, tant des Comités que du Forum national , qui demeurent les lieux de décision rassemblant les personnes en charge de la contestation. Pour appuyer cette lutte, nous oeuvrerons dans les prochains mois à une convention à caractère international qui servira à mettre à l'épreuve notre identité écologiste, partie constitutive de notre mouvement politique.

Sur le plan strictement politique, la prochaine étape pourrait déboucher sur des élections anticipées. La Ligue du Nord le veut, Berlusconi ne les dédaigne pas, même si la peur de perdre et les sondages le rendent prudent. Le paradoxe, c'est que c' est l'opposition qui les redoute le plus, alors qu'elle ne réussit pas à capitaliser la crise aigüe du centre-droite et ses convulsions à ciel ouvert. Une fois de plus, le centre-gauche expose au grand jour son inadéquation dans le paysage politique.

Le PD repropose aujourd'hui un nouvel « Olivier » comme force motrice d 'une nouvelle coalition. Celle-ci pourrait embrasser non seulement l'UDC (Union démocrate chrétienne) mais aussi le nouveau parti de Gianfranco Fini, perspective totalement défensive et politicienne dont le contenu social est en continuité directe avec les expériences de gouvernement précédentes du centre-gauche.

Les perspectives que se donnent les forces de la soi-disant « gauche radicale », une OPA sur le PD version Vendola ou le «  désistement » de la Fédération de la Gauche ont comme résultat flagrant d'avaliser ce cadre politique, de sanctionner la formule de centre-gauche dans sa version «  alliance démocratique » comme la seule qui soit en mesure de débloquer la situation. De cette façon , ils se lient les mains et se condamnent à une évidente marginalité politique.

Selon nous, la perspective qui demeure actuelle, si fragile qu 'elle puisse apparaître, c'est celle d'une Gauche de classe, capable d'offrir une autre option que celle du PD et du Centre gauche. C'est celle d'une gauche anticapitaliste qui possède quelques caractéristiques simples :

- sa propre extériorité par rapport à la coalition «  démocratique » sous hégémonie du PD .

- un programme radical de sortie de la crise débarrassé des résidus, ou pire, de la nostalgie du passé qui imprègne encore une partie des classes de la gauche italienne.

- un programme qui en revanche offre des solutions innovantes, capables d'exercer un attrait sur les mouvements sociaux, les comités de lutte et par dessus tout, sur de nouvelles générations plus ouvertes à la résistance sociale et à un projet alternatif.

Dans l'éventualité d'élections politiques anticipées, et en tout cas en prévision des élections administratives du printemps prochain, nous entendons oeuvrer à la mise en place d'une liste anticapitaliste qui possède ces caractéristiques. Brandir le petit drapeau de Sinistra Critica ne nous intéresse pas, pas plus que de proclamer « urbi et orbi » notre participation électorale autonome. Nous voulons enclencher un processus qui débouche sur un projet attractif, innovant, utile à la confrontation, animé par les conflits et les jeunes générations. C'est sur un tel programme que nous nous adresserons aux forces politiques disponibles pour réaffirmer une fois encore que nos vies valent plus que leurs profits !

Septembre 2010

Traduction de l'italien: Mathieu Desclin pour www.lcr-lagauche.be

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