Formation du gouvernement : quels enjeux ?
Par Thierry Pierret le Samedi, 28 Août 2010 PDF Imprimer Envoyer

Les négociations pour la formation du gouvernement achoppaient sur de grandes difficultés à l’heure d’écrire ces lignes. S’il est impossible à ce stade d’en prévoir l’issue, on peut déjà discerner les dangers de certaines mesures pour la cohésion sociale et le bien-être de la population. La N-VA de Bart De Wever, forte de son raz-de-marée électoral du 13 juin, était déterminée à déplacer le centre de gravité du niveau fédéral vers les « entités fédérées ». Dans le système actuel, le pouvoir fédéral a tous les pouvoirs sauf ceux qu’il délègue explicitement aux « entités fédérées ». Il lève les principaux impôts dont il leur alloue une partie du produit via des dotations. La N-VA veut renverser la pyramide : tout le pouvoir et tout l’argent aux « entités fédérées » sauf les matières qui seraient explicitement confiées au Fédéral avec dotations à la clé.

Un imbroglio institutionnel

Le problème, c’est que lesdites entités fédérées sont doubles : il y a les Régions qui s’occupent de matières liées à un territoire et les Communautés qui s’occupent de matières liées à des personnes. Si les Communautés exercent sans partage leurs compétences dans la région linguistique unilingue qui leur correspond, les Communautés flamande et française se font concurrence dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale. Tous les habitants, quelle que soit leur langue, y ont un accès égal aux services des deux Communautés.

La coexistence de Régions et de Communautés fait obstacle au projet de la N-VA, car elle implique la prééminence du niveau fédéral sur les entités fédérées. Plus on leur transférera de compétences et de moyens budgétaires, plus cette coexistence deviendra problématique voire impossible. Or le préformateur Elio di Rupo a déjà mis sur la table un transfert de compétences pour une masse budgétaire de 15,8 milliards d’euros. La question est de savoir quelles entités vont en bénéficier et à quelles conditions. La polémique sur les allocations familiales est assez révélatrice des difficultés et des dangers à venir.

Un enfant égalera-t-il encore son propre frère ?

Les négociateurs se sont vite mis d’accord sur le principe du transfert des allocations familiales. Mais une polémique a éclaté lorsque la N-VA a exigé leur transfert aux Communautés plutôt qu’aux Régions comme le souhaitent la plupart des autres partis. Si la N-VA devait avoir gain de cause, cela signifierait que deux familles bruxelloises habitant le même palier toucheraient des allocations différentes pour leurs enfants selon qu’ils les ont placés dans une crèche de l’ONE ou de K&G. Les enfants d’une même famille pourraient même dépendre de régimes différents si l’un a été placé à l’ONE et l’autre à K&G ! En effet, c’est le critère proposé par la N-VA pour distinguer les enfants qui dépendraient de l’un ou de l’autre régime d’allocations familiales. Cela impliquerait de rendre obligatoire le placement en crèche alors qu’il y a un manque criant de places à Bruxelles comme ailleurs dans le pays. Et que se passera-t-il si les parents inscrivent plus tard leur enfant dans une école maternelle qui ne dépend pas de la même Communauté que sa crèche ? Vont-ils basculer dans l’autre système ? Une autre « solution » serait d’obliger tous les Bruxellois à déclarer officiellement leur appartenance linguistique. Cela mettrait fin à la liberté de choix et ouvrirait la voie à un véritable apartheid social.

Une mesure antisociale

Quelle que soit la solution retenue, les allocations familiales sortiront du giron de la Sécurité sociale puisque la Sécu reste fédérale. Cela signifie qu’elles seront désormais financées par l’impôt et plus par les cotisations sociales. Il y a fort à parier qu’on en profitera pour accorder une nouvelle baisse de charges sociales aux patrons. Ils pourront garder l’argent qu’ils payaient pour financer les allocations familiales de leurs salariés. En revanche, ceux-ci vont devoir payer des impôts plus élevés pour avoir droit aux mêmes allocations qu’avant. A moins qu’on ne diminue drastiquement leur montant. C’est ce qui se passera certainement à Bruxelles et en Wallonie. En effet, ces deux entités n’ont aucune raison de mener une politique nataliste vu que la natalité y est en hausse. A Bruxelles, on frôle même le taux de remplacement des générations avec 2,06 enfants par femme. Or ce sont aussi les deux entités qui ont le moins de marges budgétaire. Le transfert des allocations familiales aux entités fédérées est aussi une première brèche dans la solidarité interpersonnelle nationale que d’aucuns vont s’efforcer d’élargir à d’autres pans de la Sécurité sociale comme l’assurance maladie/invalidité. On parle déjà d’élargir les compétences des Communautés en matière de soins de santé…

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