«Le capitalisme nuit gravement à la santé». Une campagne du syndicat wallon FGTB
Par LCR le Dimanche, 19 Avril 2009 PDF Imprimer Envoyer

L’Interrégionale wallonne du syndicat belge FGTB (Fédération Générale du Travail de Belgique, socialiste) mène depuis plusieurs mois une campagne de dénonciation sur le thème « Le capitalisme nuit gravement à la santé ». En novembre dernier, Michel Husson était invité à présenter son ouvrage « Un pur capitalisme ». En décembre, un séminaire était organisé auquel des partis de gauche, des associations et des personnes ressources étaient invitées à collaborer (en soi, une démarche novatrice et fructueuse!).

Ces échanges ont amené la direction syndicale à adopter une déclaration générale (« dénoncer le capitalisme, ensemble »), qui sert de cadre à l’élaboration de prises de position thématiques. Des réunions de formation et de sensibilisation sont organisées dans les différentes villes wallonnes, des affiches et des autocollants sont édités. Quoique ambiguë par certains côtés, l’initiative exprime une radicalisation et une prise de conscience indiscutable de la part de certains secteurs et cadres syndicaux. Mais comment passer de la dénonciation à la mobilisation ? Telle est la question qui se pose désormais.

La FGTB wallonne ne se contente plus de vagues déclarations contre le néolibéralisme: c’est le capitalisme qu’elle met en accusation. « Le premier, dit-elle, est au service du second, par définition ». « Le capitalisme n’est pas l’ordre naturel des choses, lit-on sur la page d’accueil du site ‘contre-attaque’. C’est une arme de destruction massive qui touche les hommes, les femmes, les libertés, la démocratie, la planète... » La déclaration générale précise l’idée: « La planète et les sociétés qui la peuplent sont confrontées à une crise globale (financière, économique, sociale, énergétique, climatique, alimentaire, idéologique, morale,…) dont les différentes facettes renvoient toutes au mode de développement économique dominant: le capitalisme ». (1)

Contre-attaque

La régulation des marchés financiers ne saurait, dès lors, satisfaire l’organisation syndicale. La FGTB wallonne ne se fait d’ailleurs pas d’illusions à ce sujet: « La droite voudrait soi-disant réguler le système financier… foutaises ! Ce n’est pas dans son intérêt ». L’absence de toute contrainte régulatrice digne de ce nom dans les plans de sauvetage des banques justifie cette dénonciation lapidaire. La perspective tracée dans les textes de la campagne syndicale n’est pas non plus celle de la « relance » du système : « Aujourd’hui, écrit la FGTB wallonne, libéralisme et capitalisme ont un genou à terre. C’est le moment où jamais de contre-attaquer pour les empêcher de nuire à nouveau ». Nous partageons sans réserve cette manière de voir: loin de « relancer » la machine infernale, il s’agit en effet de la combattre, dans le but de l’abattre.

Face à l’ampleur de la crise, le monde du travail a besoin d’une contre-attaque, d’un vaste plan anticapitaliste, et pas d’un catalogue limité de mesures antilibérales visant à la régulation de la finance. De nombreuses revendications mises en avant par la FGTB wallonne s’inscrivent dans cette perspective. On notera en particulier : la réduction du temps de travail à 32 heures sans perte de salaire et avec embauche proportionnelle, la levée du secret bancaire, l’établissement d’un cadastre des fortunes, la nationalisation de secteurs stratégiques comme l’énergie, la taxation des transactions financières internationales, le démantèlement des paradis fiscaux, la revalorisation de la pension légale par répartition, la liaison des allocations sociales au bien-être, l’extension du champ des services publics par la revendication de nouveaux droits sociaux, etc.

Ouverture

Outre son anticapitalisme sans détours, un autre point positif de la campagne de la FGTB wallonne est son ouverture aux luttes écologiques et son soutien aux combats des peuples du Sud. La question climatique fait une entrée remarquée au cœur du programme syndical, non pas sous la forme d’un appui au « green deal » mais en tant que contestation de la responsabilité et des mécanismes capitalistes. La déclaration générale affirme que « La combinaison de la crise économique et de la crise climatique/énergétique donne à (la) situation un caractère sans précédent. C’est un choix de civilisation qui est posé. Il s’agit de réduire radicalement notre consommation d’énergie tout en améliorant les conditions d’existence du plus grand nombre : donner à chacun un emploi, un revenu, un logement, une protection sociale de qualité, un bon enseignement, une alimentation saine, une retraite digne ». Constatant que « les réponses actuelles, utilisant les instruments de marché, sont inefficaces », la FGTB wallonne se prononce pour la création d’une entreprise publique dans le domaine de l’isolation et de la rénovation énergétiques des bâtiments. De plus, face aux réductions d’emplois inévitables à terme dans les secteurs polluants – décarbonisation de l’économie oblige , elle exige une « formation/reconversion collective des travailleurs, sous contrôle des intéressés, avec maintien des salaires et des droits jusqu’à l’obtention d’un emploi ». Ces avancées en direction d’un écosyndicalisme sont en partie le résultat du dialogue que la FGTB a mis en place avec des associations, plus particulièrement de l’intervention dans les débats du collectif « Climat et Justice Sociale ».

La fiche thématique sur le Sud témoigne quant à elle du caractère global de la réflexion anticapitaliste menée au sein de l’Interrégionale. Ce document se prononce pour l’abolition inconditionnelle de la dette du tiers-monde et pour l’annulation des créances belges sur les PVD (pays en voie de développement). Le syndicat demande qu’il soit mis fin aux politiques de déréglementation, de privatisation et de libéralisation, que les investissements dans les zones franches soient interdits et que l’agriculture vivrière soit au centre des politiques de développement. La dimension féministe est moins élaborée, malheureusement : les textes dénoncent les discriminations dont les femmes sont victimes sur le marché du travail ainsi qu’en matière de sécurité sociale, mais un programme spécifique de revendications fait défaut pour le moment. Espérons que cette lacune sera corrigée par la suite.

Bémols

Outre l’absence d’une fiche féministe, il convient de placer deux autres bémols : 1°) la campagne, jusqu’à présent, esquive les revendications précises contre la flexibilité et la précarité de l’emploi (via le travail intérimaire, notamment), qu’elle dénonce pourtant en termes généraux ; 2°) le syndicat dénonce la diminution brutale de la part salariale dans le PIB mais n’avance aucune exigence concrète pour rattraper le terrain perdu. « Le défi, c’est de transférer une part plus importante du gâteau dans la poche des travailleurs », lit-on sur la page d’accueil du site contre-attaque. Et le syndicat de préciser : « C’est par le salaire brut (et pas seulement le net) qu’on y arrivera ». Après une déclaration aussi tranchante, il est étonnant que ce défi ne soit pas relevé en termes de revendications. Les trois quarts des salariés, en Belgique, gagnent moins de 1600 Euros nets par mois et une personne sur sept vit au-dessous du seuil de pauvreté. La réduction du temps de travail, le refinancement du secteur public et la revalorisation des allocations sociales contribuent certes à redistribuer les richesses. Mais l’organisation syndicale, selon nous, ne peut s’abstenir de donner une réponse immédiate aux centaines de milliers de travailleurs qui ont le sentiment de devoir sans arrêt travailler plus pour gagner moins, et cette réponse ne peut être que salariale.

Audace et convergence… ou Plan Marshall ?

La longue grève générale victorieuse en Guadeloupe est un exemple que la FGTB wallonne pourrait méditer. D’autant plus qu’elle à été le fruit d'une collaboration inédite entres organisations syndicales, partis de la gauche radicale, associations diverses, rassemblés au sein du dynamique collectif «LKP». Or, on note une certaine similitude entre cette expérience du LKP et la déclaration générale de la FGTB wallonne, lorsqu’elle dit : « En l’absence d’une réponse radicale de la gauche gouvernementale, les acteurs individuels, associatifs, syndicaux, publics doivent se fédérer pour construire d’autres mondes possibles (…) C’est maintenant qu’il faut, ensemble, penser l’impensable (…). La reconquête des idées exige de l’audace, une volonté politique mais aussi un rapport de force… et donc une indispensable convergence à gauche des expertises de chacun ».

Comme beaucoup d’autres sans doute, nous serions prêts à prendre nos responsabilités dans une stratégie syndicale de ce type. Mais est-ce vraiment dans ce sens-là que la FGTB wallonne veut aller ? Il est trop tôt pour le dire, et une clarification s’avère nécessaire. Car, dans un autre document de la même campagne (fiche thématique sur le rôle des banques), le syndicat s’inscrit dans une attitude d’appui au « plan Marshall »wallon et « soutient l’initiative du Gouvernement wallon qui vise la création d’une caisse d’épargne et d’investissement wallonne ». Mis en œuvre par le gouvernement régional sous la houlette du PS, ce « plan Marshall » est entièrement basé sur l’idée néolibérale que les pouvoirs publics doivent créer les conditions économiques, sociales et fiscales les plus favorables aux investisseurs (y compris une subordination de la recherche scientifique aux entreprises). C’est au nom de ce projet purement capitaliste, rappelons-le, que les grévistes de Splintex, qui défendaient courageusement leur emploi, ont été accusés de « tacher » l’image de la Wallonie…

La caisse publique d’épargne et d’investissement décidée par le gouvernement wallon est un instrument au service de cette politique, et celle-ci est aux antipodes de l’anticapitalisme. D’une manière plus générale, la fiche thématique sur le rôle des banques nous semble très en-deçà des principes affirmés dans la déclaration générale de campagne. On peut y lire que « les institutions financières doivent disposer de structures capables de résister aux crises ». Selon nous, les événements des derniers mois montrent que cette préoccupation ne peut être rencontrée que par la centralisation de toutes les institutions de crédit en une seule banque publique : une nationalisation intégrale de tout le secteur financier est la seule voie permettant de le contrôler réellement, d'empêcher la spéculation-casino avec l'épargne et d'orienter le crédit vers la création de services et d'emplois socialement et écologiquement utiles.

L'ensemble des activités bancaires et du crédit doivent donc êtres conçus comme un service public, ce qui implique un monopole public. Dans le cadre de la concurrence capitaliste, une simple banque publique ne fera pas le poids face aux mastodontes privés, il est inévitable qu'elle sera entraînée dans leur sillage et finalement sous leur coupe, comme cela s'est déjà produit avec la CGER. La FGTB dénonce à juste titre la nationalisation des pertes et la privatisation des bénéfices, et elle conclut : « A partir du moment où l’Etat essuie les pertes, il nous paraît logique qu’il participe aussi aux bénéfices ». Selon nous, la nationalisation serait une conclusion éminemment plus « logique » !

Du discours à l’action

En dépit de ses ambiguïtés, la campagne de la FGTB wallonne constitue une initiative extrêmement positive et rafraîchissante. Son grand mérite est de réintroduire le rejet pur et simple du capitalisme dans le discours et dans les débats syndicaux. En soi, cela contribue à rendre l’espoir et la détermination aux militants. Mais le syndicalisme ne peut évidemment se nourrir que de discours. A cet égard, l’expérience historique du mouvement ouvrier belge est sans appel : en effet, le contenu anticapitaliste et marxisant de documents fondateurs tels que la Charte de Quaregnon ou la Déclaration de Principes de la FGTB n’a pas empêché le syndicalisme de s’enfoncer dans une pratique de collaboration, voire de cogestion du système et de sa crise, en Wallonie comme ailleurs. Que faire, dès lors, pour mettre les actes en accord avec les paroles? Dans sa brochure «Vers le socialisme par l’action », André Renard, il y a plus de soixante ans, avait esquissé une réponse. Il proposait de mettre en avant des revendications qui répondent aux besoins immédiats des travailleurs - sur lesquelles ceux-ci peuvent donc s’unir et être mobilisés en masse - tout en étant incompatibles avec le fonctionnement normal du capitalisme. Cette démarche était au cœur de « l’Opération vérité » qui allait déboucher sur la grève générale de 60-61.

C’est peu dire que les rapports de forces, aujourd’hui, sont mauvais. Mais, d’un autre côté, le mécontentement social est énorme et grandit rapidement. Cette double réalité surgit systématiquement des débats organisés dans le cadre de la campagne de la FGTB wallonne. D’une manière générale, la réponse de Renard – une « Opération vérité » et l’action de masse pour des revendications dites « de transition » - reste la seule stratégie permettant de changer le rapport de forces en élevant petit à petit la conscience de la masse des travailleurs. Aujourd’hui, on l’a vu, plusieurs thèmes et exigences avancés dans la campagne de l’Interrégionale wallonne de la FGTB pourraient aider à unifier une contre-attaque du monde du travail. Mais la comparaison s’arrête là, car le contexte s’est profondément modifié depuis cinquante ans. Notamment parce que le PS est devenu un parti social-libéral, complètement intégré à la « gouvernance » capitaliste, de sorte que toute tentative de faire pression sur lui pour relayer les revendications syndicales, ne fut-ce que partiellement, est vouée à l’échec.

Comment populariser les revendications et les transformer en mobilisation de masse ? Toute la question est là. Une convergence des forces de gauche (donc excluant la « gauche » gouvernementale social-libérale) sous la houlette d’un syndicalisme de combat pourrait fournir le levier d’une opération vérité débouchant sur l’action. Cette piste stratégique, évoquée dans la déclaration générale de la FGTB wallonne, mérite certainement d’être creusée et explicitée.

Mais les difficultés sont nombreuses, et les obstacles résident aussi au sein même de la structure syndicale. Car « le capitalisme nuit gravement à la santé », jusqu’à présent, n’est qu’une campagne de l’interprofessionnelle, c’est-à-dire de cette partie de la structure syndicale FGTB qui est habilitée à prendre des positions générales et qui organise les « groupes spécifiques » (femmes, jeunes, seniors, chômeurs). L’extension de la dénonciation anticapitaliste à large échelle, puis le passage de la dénonciation à l’action, dépendent très largement de l’implication des centrales syndicales professionnelles, dont le poids est déterminant. Or, c’est peu dire que les directions de ces centrales, jusqu’à présent, ne manifestent aucune volonté de relayer les discours anticapitalistes dans les entreprises, pour ne pas parler de faire sauter le bouchon des luttes. A quelques exceptions près, elles semblent davantage soucieuses de se chiper des affiliés pour augmenter leur poids dans la structure… et à la table de concertation sur la politique libérale. L’avenir dira ce que les responsables de l’interprofessionnelle feront face à cet obstacle au sein même de leur organisation.

(1) Les documents et le matériel de la campagne « Le capitalisme nuit gravement à la santé » sont en ligne sur le site http://www.contre-attaque.be/. On y trouve aussi un compte-rendu des débats au séminaire du 15 décembre ainsi que diverses contributions écrites de partis ou d’associations (notamment la LCR, Climat et Justice Sociale, le CADTM,…)

Daniel Tanuro, Olivier Bonfond, Céline Caudron, Denis Horman, Ataulfo Riera 

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