Face à la crise: La révolte est légitime
Par Jérôme Ollier le Samedi, 06 Décembre 2008 PDF Imprimer Envoyer

La crise économique et financière a mis le capitalisme en première ligne de la critique. En général, les tenants de la politique néolibérale affirment qu’il faut poursuivre dans la même voie tout en fixant mieux les règles du jeu. Certains d’entre eux comme Alan Greenspan, ancien président de la Réserve fédérale des Etats-Unis, reconnaissent qu’ils se sont trompés durant plus de trente ans sur la capacité des dirigeants d’entreprise à s’autodiscipliner. Ces professions de foi combinées à des bribes d’autocritique prêteraient à sourire si les conséquences des politiques néolibérales n'étaient pas si dramatiques pour les citoyens du Nord comme du Sud de la planète.

Monsieur Colmant, directeur de la bourse de Bruxelles (branche belge de la société transnationale Euronext), est de ceux qui persistent et signent sans exprimer jusqu’ici la moindre remise en question. Il écrit dans une carte blanche au Soir1 que "l'inquiétude se propage de manière dispersée dans les cénacles de responsables d'entreprises" et que cela doit nous encourager à prendre des mesures audacieuses comme l'Irlande, élève modèle de l'Europe libérale. Selon lui, "Concrètement, le pays pourrait se rapprocher d'un statut de zone franche", mesure capitaliste s'il en est, permettant aux transnationales d'augmenter leur profit en abaissant impôts et taxes au strict minimum et rognant, au passage, les droits du travail et les salaires. Mauvais pari sans doute car une semaine après, l'Irlande entre officiellement en récession avec un taux de chômage qui a augmenté de 50% sur un an, une crise immobilière sans précédent et tout le système bancaire qui vacille.

Le lendemain, dans une interview2, il se félicite du rebond de l’activité de la bourse tout en reconnaissant que celui-ci est dû à 80% à des ordres d'investisseurs étrangers : "Il y a eu visiblement beaucoup de trading informatique : ces "robots" réagissent à la présence dans les dépêches d’un ensemble de mots (par exemple "Bernanke", "inflation", "pétrole"… et ils lancent un ordre d’achat sur une valeur pétrolière). Ces ordres algorithmiques, qui sont lancés par des fonds d’investissement, sont une bonne chose pour la Bourse, car ils donnent de la liquidité". En l'espace d'un mois, le BEL 20 chute cependant de 40%, dans ce que beaucoup décrivent comme une crise de liquidité. Un problème d'algorithme peut-être ? Il ajoute par ailleurs que les ventes d’actions à découvert3 sont bénéfiques et qu’il n’est nullement question de les interdire. Le lundi 23 septembre, soit à peine 48H après cette déclaration, on apprend que les ventes à découvert sont supprimées à la bourse de Bruxelles.

Ceci n'est pas l'exception mais la règle, les théories des économistes capitalistes ont toutes montré leur vacuité. Une des plus tordues étant celle du "ruissellement" qui a été répandue sur toute la planète grâce au FMI et à la Banque mondiale. Cette théorie stipule que, bien qu'il y ait une concentration de richesses dans une mince couche la population, ces richesses vont ruisseler jusqu'à la base de la population et qu'ainsi personne ne sera laissé à la marge du développement capitaliste. Or, aujourd'hui, des centaines de milliers de ménages américains sont menacés de perdre leurs logements, et le nombre de personnes souffrant de la faim a augmenté de 75 millions de personnes en 20074. Les décès, conséquences directes de la malnutrition, augmenteront donc proportionnellement. Actuellement, c’est l'équivalent de la population belge qui est rayée de la carte tous les trois mois!

Si on peut trouver des points communs entre les capitalistes aujourd'hui, c'est d'avoir une conscience de classe aiguë. Il y a quelque temps déjà, monsieur Greenspan, dans les pages du Financial Times, s'inquiétait de constater que les salaires ne progressaient plus comme avant l'ère néolibérale. Il observe que les salaires qui, historiquement, augmentaient en lien avec la productivité, se sont mis à "diverger". Tant et si bien que si ça ne venait pas à se rétablir, on pourrait craindre une perte de "soutien politique aux marchés libre" de la part des travailleurs.

Pour ce qui est de la Belgique, la part des salaires dans le revenu national a diminué drastiquement depuis 1980 au profit des capitalistes. Si bien, que l'on estime la perte pour les travailleurs belges à plus de 30 milliards d'euros par an. On s'étonne ensuite de problèmes de baisse du "pouvoir d'achat", concept on ne peut plus pratique pour éluder la question des salaires et nous réduire à notre seule dimension de consommateur condamné à l'endettement pour se procurer ce que notre salaire ne nous permet plus de nous payer.

C'est en s'endettant également que l'Etat belge veut refinancer les banques qui ont perdu gros dans la bulle immobilière. Ainsi le citoyen belge verra son transfert de richesses vers les classes les plus aisées augmenter à travers le paiement de la dette qui en 2006 représentait 12,5 milliards d'euros... juste pour les intérêts.

Ce recul des salaires a permis l'augmentation du taux de profit, qui a ainsi atteint des sommets. Ces "nouvelles richesses" ont été captées par la classe dominante à travers le phénomène de financiarisation de l'économie. Les économistes de la Commission européenne ont d'ailleurs pu suivre le phénomène en créant un taux de financiarisation. Mis en parallèle sur un même graphique, le taux de financiarisation correspond quasi-exactement à un autre taux... celui du chômage. Cela voudrait-il dire que plus il y a de chômeurs, plus il est facile de faire des profits pour les capitalistes?

Après un sommet du G20 qui propose de ne surtout rien changer, il est temps de construire un rapport de force pour s'opposer aux politiques des classes dirigeantes.

Notes:

1 Carte blanche "Imitons l'Irlande: rendons la Belgique attractive pour les investisseurs étrangers, le Soir, 19/09/08

2 "Nous avons eu des volumes inouïs", interview de Bruno Colmant par Pierre Henry Thomas, le Soir, 20/09/08

3 Vente à découvert: "vendre aujourd’hui des titres que l’on ne possède pas et qu’on achètera demain, en tablant sur le fait qu’entre-temps, ces titres auront baissé", ibid

4 Communiqué de la FAO, septembre 2008. La malnutrition permanente est passée de 850 millions de personnes début 2007 à 925 millions fin de la même année.

Voir ci-dessus