Droit à l’avortement: le combat continue en Europe
Par Katarina Wikstrom le Samedi, 06 Décembre 2008 PDF Imprimer Envoyer

L’avortement est une question sensible. Dans certains pays européens, il n’est d’ailleurs toujours pas autorisé. Des groupes conservateurs exercent une forte pression pour imposer une législation sur l’avortement plus stricte. Mais les groupes de défense du droit des femmes à disposer d’elles-mêmes sont eux aussi très actifs. L’UE quant à elle préfère ignorer la question.

Les droits reproductifs sont les droits relatifs à la reproduction et à la santé reproductive. L’Organisation Mondiale de la Santé définit ces droits comme suit: "Les droits reproductifs reposent sur la reconnaissance du droit fondamental de tous les couples et des individus de décider librement et avec discernement du nombre de leurs enfants et de l’espacement de leurs naissances et de disposer des informations nécessaires pour ce faire, et du droit de tous d’accéder à la meilleure santé en matière de sexualité et de reproduction. Ce droit repose aussi sur le droit de tous de prendre des décisions en matière de procréation sans être en butte à la discrimination, à la coercition ou à la violence."

Un droit humain fondamental, pourrait-on penser. Or, le droit de choisir librement un partenaire, le bon moment pour une grossesse, ou le nombre d’enfants, est loin d’être acquis pour certaines femmes dans le monde. Cette incertitude existe non seulement pour les femmes les plus pauvres, dans les pays du Tiers Monde, mais aussi chez nous, en Europe, où le droit à l’avortement n’est pas sans restrictions. La possibilité d’avorter sur demande donne à une femme le droit, essentiel, de décider elle-même de son existence et de son avenir. Et pourtant, le corps de la femme – ou en l’occurrence ici, son utérus – déchaîne les passions des groupes conservateurs moraux et des fanatiques religieux de toutes nations et obédiences. Les lobbyistes anti-avortement des différents pays de l’Union Européenne sont bien organisés, et ils travaillent sans relâche pour imposer leurs convictions.

Malgré cela, dans la plupart des pays en Europe, l’avortement est légal et gratuit, en général jusqu’à la 12e semaine. La législation suédoise en matière d’avortement est l’une des plus libérales, autorisant l’avortement sur demande jusqu’à la 18e semaine de grossesse, et jusqu’à la 22e semaine dans certains cas.

Dans tous les pays, des avortements sont pratiqués, qu’ils soient légaux ou non, mais bien souvent, ils sont clandestins, et dangereux. Les femmes qui avortent clandestinement risquent des maladies, la stérilité, et parfois la mort. Rien qu’en Pologne, on estime qu’environ 200 000 avortements clandestins sont pratiqués chaque année, et tous les ans, des femmes en meurent.

L’avortement est interdit dans trois des 27 pays membres de l’Union : l’Irlande, Malte et la Pologne. En théorie, il y est possible d’avorter dans certaines circonstances, par exemple, si la grossesse menace la vie de la femme. Mais dans la réalité, cela s’avère très difficile.

Le cas récent et médiatisé d’une jeune polonaise de quatorze ans tombée enceinte à la suite d’un viol a mis en évidence les fortes réticences par rapport au droit à l’avortement. Même dans le cadre très strict de la législation polonaise en matière d’avortement, le viol est considéré comme une raison légitime pour avoir recours à l’opération. Pourtant, l’Eglise Catholique s’est mobilisée activement contre le droit de la jeune fille à choisir, jusqu’à essayer d’empêcher que l’avortement n’ait lieu. Mais en fin de compte, c’est la loi qui a prévalu, et l’adolescente a pu avorter.

Dans les pays où l’avortement n’est pas autorisé, les femmes qui veulent avorter, et qui ont les moyens, financièrement, peuvent toujours se rendre à l’étranger. Les plus défavorisées n’ont d’autre choix que la voie clandestine. Non seulement elles mettent leur vie en danger, mais elles s’exposent à des poursuites en justice. A Malte par exemple, une femme ayant eu recours à un avortement clandestin risque trois ans d’emprisonnement. A cause du risque de prison, et d’autres sanctions pénales, personne ne veut être tenu responsable si une opération tourne mal.

De bonnes nouvelles concernant la question du droit à l’avortement nous viennent du Portugal. Pendant longtemps, l’avortement y était criminalisé, mais les dernières avancées vont dans la bonne direction. En 2007, une majorité de près de soixante pour cent s’est prononcée par référendum en faveur de la dépénalisation de l’avortement – au grand dam de l’Eglise Catholique.

Un pays dans lequel le développement s’effectue malheureusement dans la direction inverse est la Lituanie. Actuellement, une procédure parlementaire est en cours, qui pourrait conduire à la prohibition du droit à l’avortement. Si la motion de loi est adoptée, l’avortement ne sera possible que si la grossesse menace la vie ou la santé de la femme, ou en cas de viol ou d’inceste. La décision est toujours en suspens.

Même les pays dans lesquels l’avortement est légal appliquent parfois leurs principes avec beaucoup de rigidité. Un cas qui a indigné l’opinion publique est celui d’une jeune roumaine de onze ans à qui on a refusé l’avortement en dépit du fait qu’elle avait été violée. La raison invoquée était que la grossesse avait dépassé de deux semaines le délai légal. Un comité d’éthique médicale a estimé que les arguments en faveur d’un sursis au délai légal étaient insuffisants – selon la loi, tout avortement réalisé après douze semaines de grossesse est illégal, à moins que le fœtus ne présente des malformations sévères, ou si la vie de la mère est en danger. Ce qui n’était pas le cas chez cette jeune fille de onze ans. Mais grâce à l’attention suscitée, au niveau international, par cette affaire, une commission gouvernementale a finalement autorisé l’avortement.

Les groupes qui se positionnent pour ou contre le droit à l’avortement peuvent être rangés en deux catégories idéologiquement opposées : les « pro-choix » et les « pro-vie ». Ces derniers sont désignés ainsi car ils considèrent que l’embryon est une personne : ses droits devraient être les mêmes que ceux de n’importe quel être humain, quelles que soient les circonstances. Peu importe que la femme ne souhaite pas, ou ne puisse pas donner la vie. Pour les plus extrémistes, que la grossesse soit la conséquence d’un viol ou d’un inceste est une considération secondaire, de même que les risques qu’une femme peut encourir à cause de la grossesse ou de l’accouchement. Pour eux, la vie du fœtus demeure plus importante que celle de la femme.

A l’inverse, les pro-choix revendiquent le droit de la femme à décider par elle-même, en fonction des circonstances. Le contexte est pris en considération, notamment la capacité de la femme à s’occuper ou non d’un enfant. L’une des organisations pro-choix les plus connues en Europe est la Women on Waves, aux Pays-Bas. Il s’agit d’une organisation à but non lucratif, fondée en 1999, qui se consacre aux droits des femmes. Sa mission est de prévenir les grossesses non désirées et les avortements clandestins dans le monde. Women on Waves a mis sur pied une clinique mobile qui peut être facilement embarquée à bord d’un bateau, ce qui lui permet d’être transportée partout dans le monde, là où on en a besoin. Avec ce bateau, Women on Waves peut fournir des avortements légaux et parfaitement sécurisés, hors des eaux territoriales des pays où l’avortement est illégal. Women on Waves dénonce les politiques restrictives de certains pays européens, en matière d’avortement, et a contribué à porter le débat devant le Parlement Européen.

En Irlande, Alliance for Choice, une organisation pro-choix, milite activement pour que soit modifiée la législation sur l’avortement. Depuis 1983, plus de 100 000 femmes irlandaises se sont rendues en Angleterre pour avorter. On estime qu’environ dix-sept femmes font le voyage chaque jour pour cette raison. Alliance for Choice aide les femmes qui ont la possibilité de prendre cette décision à préserver leur anonymat, et leur propose, le cas échéant, des solutions de garde d’enfants en leur absence.

Le réseau féministe Initiative Féministe Européenne, IFE, a des organisations membres dans 35 pays. Son objectif est la défense des droits des femmes. En avril dernier, l’IFE a émis une pétition en faveur du droit à l’avortement pour toutes les femmes dans l’Union Européenne. L’objectif est de rassembler un million de signatures, le nombre nécessaire pour que la Commission de l’UE accepte d’examiner la question. Les signatures seront présentées lors des élections européennes de 2009, afin d’inciter les politiciens de l’UE à inscrire la question du droit à l’avortement à l’agenda.

L’IFE a été constituée lors du Forum Social Européen de Rome en 2003. Elle était présente au FSE de Malmö.

On pourrait penser que la question de l’avortement relève fondamentalement des libertés humaines, et que l’Union Européenne, qui se targue d’œuvrer pour les droits de l’homme, devrait promouvoir le droit à l’avortement. En outre, l’UE est habilitée à prendre des décisions en matière de droits relatifs à la sexualité et à la procréation. Malheureusement, il lui manque un cadre de régulations commun concernant les droits sexuels et reproductifs.

Officiellement, la position qui prévaut est que le droit à l’avortement est un domaine ne relevant pas des attributions de l’UE. L’avortement est considéré comme une question de santé publique devant être régulée au niveau national par les différents pays membres. De fait, bien souvent, l’UE s’efface devant les régulations spécifiques de ses pays membres. Aucune pression n’est ainsi exercée à l’encontre des pays dans lesquels l’avortement n’est toujours pas autorisé. Pourquoi l’UE est-elle si réticente, par rapport à la question des droits reproductifs des femmes? L’esprit sous-jacent est clairement hostile à l’égard des femmes.

Le Vatican a ouvert un bureau à Bruxelles, et fait pression, conjointement avec d’autres groupes conservateurs, pour que soient édictées des lois plus restrictives en matière d’avortement, se plaçant dans la perspective d’une prévalence des lois catholiques par rapport aux lois de l’UE.

Même la Suède, avec sa législation particulièrement libérale, ne semble pas pressée de voir cette question sortir du cadre national, peut-être par peur qu’une éventuelle législation au niveau européen ne dilue son propre encadrement législatif. L’inconvénient de cette attitude est le risque que les pro-vie ne dominent le débat.

En 2002, le Parlement Européen a adopté une résolution, le «Rapport Anne van Lancker», qui constituait une tentative pour convaincre les pays de l’UE d’encourager l’accès à des avortements légaux et sécurisés, et de mettre un terme aux sanctions pénales à l’encontre des femmes ayant recours à des avortements clandestins. Le Conseil de l’Europe a récemment déclaré que l’avortement devrait être légal et accessible à toutes les femmes en Europe. Mais à l’exception du Portugal, peu de progrès ont été accomplis, et ce en dépit du fait que l’UE est mandatée pour promouvoir l’égalité et la santé, et lutter contre les discriminations. Il reste à voir si la Suède profitera de sa prochaine présidence du Conseil de l’Union européenne pour mettre cette question à l’ordre du jour.

Extrait du numéro spécial de l’hebdomadaire «Internationalen» publié par notre section-soeur suédoise, le Socialistiska Partiet, à l’occasion du Forum Social Européen (FSE) de Malmö (Suède) en septembre 2008. Ce numéro est paru en anglais, suédois et allemand.

Traduction en français: Laure Werler

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