Carrefour: Le droit de grève hors la loi? Libertés syndicales en danger!
Par LCR-Web le Lundi, 03 Novembre 2008 PDF Imprimer Envoyer

Les organisations syndicales mènent la lutte contre la volonté de la direction de Carrefour d'ouvrir un établissement à Bruges où les travailleur/euses seraient engagés dans le cadre d'une commission paritaire où les conditions de travail et salariales (25% de différence!) sont nettement plus défavorables par rapport à celles de leurs collègues des autres magasins. Or, ces actions syndicales légitimes (comme d'autres à Ikea, Eandis ou Cytec) se heurtent systématiquement à l'intervention des tribunaux et à la police. Ce lundi 10 novembre encore, les piquets de grève des magasins de Coxyde, Hasselt, Crainhem, Marche-en-Famenne et Eghezée ont été levés suite à l'intervention d'un huissier de justice!

Le 31 octobre dernier, la direction de Carrefour a envoyé un huissier au magasin de Ninove et une trentaine militant/es syndicaux ont même été arrêtés par la police pour «contrôle d'identité». Plus grave encore, ces militant/es ont reçus une interdiction de mener toute forme action dans les magasins Carrefour de la région pendant une durée d'un mois! Interdiction de toute action, interdiction de l'accès aux magasins et même interdiction d'accès aux parking de Carrefour. Par cette décision judiciaire, les militants syndicaux qui s'engagent pour la défense des salaires et des conditions de travail se retrouvent réduits à l'accusation de «trouble de l'ordre publique».

Dans le magasin Carrefour d'Oostakker, où l'on ne comptait que 20 non-grévistes sur un effectif total de 200 employés, les actions syndicales ont été écrasées dans l'oeuf en une demi-heure à cause de l'intervention d'un huissier de justice.

La série noire de ces des derniers jours ne fait qu'allonger la liste: des huissiers ont été envoyés aux magasins Carrefour de Sint-Agatha-Berchem, Sint-Eloois-Vijve, Kuurne et Haine-Saint-Pierre. Chez Eandis, des huissiers se sont signalés à Melle, Turnhout, Deurne et Erembodgem. Ce fut le cas également au Beaulieu-Center à Waregem et il y a quelques semaines chez Cytec.

Depuis les années 80, les syndicalistes sont confrontés à l'intervention des tribunaux civils qui se prononcent unilatéralement sur appel des directions d'entreprises afin de briser les actions de grève. Depuis toutes ces années, cette situation est discutée dans des groupes de travail, dans des forums et au sein des organisations syndicales. Ces discussions n'ont apporté à ce jour aucune solution! Au contraire, la situation empire…

Ces dernières années nous sommes en effet confrontés à 4 nouvelles évolutions dangereuses; 1) les requêtes unilatérales débouchant sur des injonctions des tribunaux avec astreintes à la clé sont utilisées à tout propos; 2) les injonctions judiciaires sont prises avant même que l'action syndicale n'ait lieu; 3) les militants syndicaux sont aujourd'hui arrêtés administrativement afin de contrôler leur identité et 4), on leur impose une interdiction de militer pendant une période déterminée (Carrefour-Ninove).

L'heure est à la contre-offensive. Les organisations syndicales doivent, en front commun, élaborer un plan d'action clair tant sur le terrain juridique que politique mais aussi et surtout sur le plan syndical. Via la discussion dans les structures syndicales, abordée de manière interprofessionnelle dans toutes les régionales et dans toutes les centrales, les organisations syndicales doivent avancer un plan d'action interprofessionnel afin d'agir efficacement et rapidement contre cette situation.

La grève a été reconnue sur le plan international comme étant un droit. Ainsi, la mise en place des piquets de grève est considérée par la Cour de cassation comme un moyen légitime de résistance. Quelle raison d'être a encore l'action syndicale si une simple requête unilatérale de la part des patrons permet, grâce au pouvoir judiciaire et à la police, d'étouffer toute forme de lutte dans l'oeuf?

Les délégations syndicales d'Agfa-Gevaert et Total-Fina, inquiètes de cette évolution, ont lancé un appel pour la protection des libertés syndicales que vous trouverez ci-dessous. Cet appel peut être signé en écrivant à Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.

La délégation syndicale de Total-Fina a également consacré un blog sur cette problématique : www.bloggen.be/syndicalevrijheden


Appel:

Huissiers, licenciements de délégués… Nous subissons depuis des années ces problématiques. Nos actions de solidarité y sont systématiquement confrontées. Et à chaque fois des appels sont lancés afin de soutenir les camarades concernés.

Depuis quelques semaines, ce problème acquiert une actualité brûlante. Nous avons tous entendu parler de ce qui s'est passé à Beaulieu, à Carrefour ou avec nos camerades de la Croix Rouge...

Les délégations syndicales signataires demandent que cette problématique soit urgement et prioritairement prise en compte par toutes les centrales syndicales, de manière interprofessionelle.

Aujourd'hui, ce sont les camarades de ces secteurs qui sont concernés. Demain ce sera peut être nous tous.

Le coeur du syndicat, ce sont les militants qui s'engagent quotidiennement pour l'intérêt des salarié/es. Nous ne pouvons pas les laisser tomber quand ils ont des problèmes. Aidons-les afin qu'ils puissent continuer à défendre leurs collègues de travail.

Les délégations syndicales de Total-Fina et Agfa-Gevaert


Le droit de grève hors-la-loi?

Depuis la semaine dernière, plusieurs piquets de grèves perturbent, voire empêchent, l'entrée de diverses enseignes commerciales. Comme un écho, à chaque piquet qui se plante à l'entrée des magasins, un recours en justice est lancé, visant à imposer la levée de celui-ci sous peine d'astreinte. Ces recours en référé auraient, selon le quotidien Le Soir, aboutit six fois sur dix dans le cadre du conflit actuel.

Ce recours à la justice, désormais quasi-systématique, pour obtenir l’interdiction d’actions de grève, fait peser une lourde menace sur le droit de grève. Il met également à mal la longue tradition de conciliation sociale en matière de conflits collectifs et risque, à terme, de voir les conflits collectifs se judiciariser.

Un Etat dans lequel les forces de l'ordre peuvent intervenir pour défaire des piquets de grève pacifiques n'agit-il pas comme si le droit de grève était hors la loi? Sans le vouloir, l'Etat belge pointe à chacune de ses interventions ses propres carences réglementaires.

En effet, la Belgique a déjà été mise en garde à plusieurs reprises quant à l'absence de cadre législatif solide fondant le système juridique de la grève. Pour rappel, le droit de grève a été reconnu dans la Charte sociale européenne et approuvée par une loi belge mais n'est toujours pas inscrit comme tel dans la loi.

En novembre 2007, le Comité des Droits Economiques, Sociaux et Culturels des Nations unies avait défini le système juridique de la grève en Belgique comme "confus et incertain » et avait conclu à la non-conformité à la Charte après avoir constaté que « des cas continuent de se présenter dans lesquels le droit de grève est restreint par (des) pratiques jurisprudentielles, et ce au-delà des restrictions autorisées par l'article 31 de la Charte »

Le Comité avait également fait part de son inquiétude face aux "restrictions au droit de grève qui se multiplient en Belgique", dans le cadre de ses observations finales concernant le rapport quinquennal remis par l'Etat belge en sa qualité d'Etat partie au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Le fait que l’Etat belge n’ait pas adapté sa législation pour prévenir les limitations au droit de grève restreint l'exercice légitime de ce droit. Cette absence de législation sur le droit de grève aboutit à des ingérences du juge difficilement acceptables.

A cette ingérence vient s'ajouter le fait que la plupart des actions intentées devant les tribunaux le sont selon la procédure du référé, par requête unilatérale. Or, ce type de recours contrevient aux droits de la défense puisque les travailleurs contre qui l'ordonnance est rendue sont rarement entendus par le juge.

Comme on le voit, la sortie de cette impasse passe moins par la périlleuse mise en confrontation du "droit au travail" et du "droit de grève" que par la mise en place d'un cadre législatif solide concernant le droit de grève.

Dans ce contexte social tendu, la Ligue des droits de l'Homme rappelle sa ferme opposition à l'atteinte au droit de grève par des procédures unilatérales : les conflits sociaux doivent se gérer de manière collective, devant une juridiction du travail, et non de manière individuelle.

Elle invite le gouvernement à enfin adopter une législation adéquate garantissant le plein exercice du droit de grève, comme le demandent également de nombreuses institutions internationales.

Communiqué de la Ligue des Droits de l'Homme du 12 novembre 2008


A lire sur notre site: "Intolérable atteinte au droit de grève" par Ataulfo Riera

 

 

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