Sans papiers de Forest : interview
Par Guy Van Sinoy le Mardi, 02 Septembre 2008 PDF Imprimer Envoyer

"La lutte doit être dirigée par les sans papiers eux-mêmes"

 

A la mi-août, La Gauche a interviewé Kaba N’Faly, un Guinéen, et Snoussia Mebark, une Algérienne. Tous deux sans papiers. Ils font partie du groupe des occupants de l’église Saint-Curé d’Ars Forest et ont mené une grève de la faim de 64 jours pour tenter d’obtenir leur régularisation.

Quand et comment votre combat a-t-il commencé ?

Kaba N’Faly : Le combat des sans papiers de l’église Saint Curé d’Ars à Forest a commencé en 2006, après la fin de l’occupation de l’église de Saint-Boniface à Ixelles qui avait permis la régularisation de 130 sans papiers. Après une négociation entre Ali Guissé, porte-parole de l’UDEP, et les représentants de la paroisse qui ont donné leur accord pour une occupation, des centaines de sans papiers ont afflué vers l’église Saint Curé d’Ars le 24 avril 2006 au matin.

Est-ce que ces personnes se connaissaient avant le début de l’occupation ?
Snoussia Mebark : La majorité des occupants ne se connaissait pas avant. Il y avait cependant un petit groupe, dont nous faisions partie, qui se réunissait avant cela tous les samedis à la rue de Dublin. Dès que l’occupation a commencé ici, on a inscrit en deux semaines près de 8.000 sans papiers.
Concrètement comment se sont passés ces deux ans d’occupation?

Snoussia Mebark : Bien sûr les milliers de personnes qui se sont inscrites n’ont pas été toutes actives. Certaines se sont découragées. Au bout de six mois nous étions un groupe de 215 occupants. D’autres personnes sont aussi parties parce qu’elles avaient entre-temps été régularisées. Après un an, nous étions une centaine. Au bout de deux ans, nous étions encore 61 personnes. Toutes ces personnes ne logeaient pas ici. Dans la salle du haut, une bonne vingtaine d’hommes dormaient, dans la salle du bas une quinzaine de femmes.

Kaba N’Faly : L’occupation nous permettait d’être tous ensemble et de préparer des actions démocratiques : des manifestations, des sensibilisations, des conférences de presse, des sit-in, des lettres aux parlementaires, ainsi de suite. Pendant ces deux ans, on a tenu une assemblée générale chaque semaine. Nous avons aussi été soutenus par les autorités locales.

Quand et pourquoi avez-vous entamé la grève de la faim ?
Snoussia Mebark : Au départ, nous ne pensions pas faire la grève de la faim car en faisant cela on se torture nous-même. Mais au fur et à mesure que nous occupions, nous avons vu que ceux qui faisaient la grève de la faim, même après une occupation de quelques jours, étaient régularisés : ceux de l’église des Minimes, ceux d’Evere, les Afghans, ceux de la rue Royale. Au bout de deux ans d’occupation et après avoir mené de nombreuses actions démocratiques, nous avons décidé de commencer, le 12 mai dernier, une grève de la faim. Les paroissiens n’étaient pas d’accord avec cette forme de lutte, mais ils ont quand même décidé de nous soutenir sans accepter pour autant le principe de la grève de la faim.
A ce moment-là, la grève de la faim avait déjà commencé à l’église du Béguinage ?
Kaba N’Faly : Oui, ils ont commencé quatre jours avant nous. Mais nous n’avions pas de coordination avec eux. Il y eu des envies de collaboration, de part et d’autre, mais qui n’ont pas abouti. C’est à l’origine du fossé entre ceux du Béguinage et notre groupe. Ceux du Béguinage ont lutté deux mois, ils ont obtenu une régularisation pour un an ainsi qu’un permis de travail. Nous avons fait une lutte de deux ans et quatre mois, nous n’avons obtenu qu’ une régularisation de trois mois sans permis de travail. C’est tout à fait injuste. Si nous avions été unis, nous aurions obtenu la même chose. Malgré le maigre résultat obtenu, nous ne regrettons pas notre décision d’avoir mené cette grève de la faim.
Au début de votre lutte, en 2006, l’UDEP était encore unie. Pourquoi et comment la division s’est-elle produite ?

Kaba N’Faly : Pour plusieurs raisons. D’abord, certains pensaient qu’il ne fallait lutter que pour les demandeurs d’asile et pas pour tous les sans papiers. Ensuite, parce que nous avons toujours défendu l’idée que la lutte des sans papiers devait être dirigée par les sans papiers eux-mêmes alors que certains de l’UDEP ont reçu des papiers. De plus, certains voulaient monopoliser le pouvoir dans l’UDEP. Enfin des accusations non fondées ont été portées contre Ali, un des fondateurs et le porte-parole de l’UDEP. Bien entendu, les autorités ont tout fait pour attiser ces divisions et affaiblir le mouvement.Aujourd’hui, certains mènent la lutte sur le terrain tandis que d’autres passent dans les médias sans être directement impliqués dans la lutte. Par exemple, l’UDEP Bruxelles n’a jamais été mandatée pour nous représenter, mais va parler dans toute la région en notre nom. C’est donc toute une série de choses qui ont gâché l’UDEP. Aujourd’hui, nous payons très cher le prix de cette division.

Snoussia Mebark : A Forest, nous n’avons jamais voulu être dirigés par des gens qui ont des papiers. Les paroissiens nous soutiennent mais ils ne décident pas à notre place. Ils nous respectent et nous considèrent comme des gens responsables. Quelqu’un qui a des papiers peut t’aider, mais une fois qu’il rentre chez lui, sa vie recommence : le travail, les enfants, etc. Tandis que pour un sans papier, c’est complètement différent. Quand on a des papiers, on ressent les choses différemment.

Kaba N’Faly : Etre sans papiers et essayer de se mettre à la place d’un sans papiers ce n’est pas la même chose.

Avez-vous tenté de mettre sur pied un comité de coordination entre les groupes de sans papiers en lutte ? Un comité où, par exemple, chaque groupe de sans papiers en lutte envoie deux délégués ?

Kaba N’Faly : On peut essayer car tant que l’on n’arrive pas à l’unité des sans papiers, on n’obtiendra que des résultats moyens. Mais un tel comité de coordination ne fonctionnera pas correctement tant que ce ne sont pas les sans papiers eux-mêmes qui prennent les décisions. Tant que ce sont des soutiens extérieurs qui veulent décider, cela ne marchera pas. De plus, certaines organisations censées soutenir les sans papiers, sponsorisent certains sans papiers sans pour autant soutenir ceux qui sont en lutte.

Snoussia Mebark : Alors que nous avons toujours soutenu toutes les luttes de sans papiers en Belgique : nous sommes allés à Arlon, à Charleroi, à Liège, à Gand, à Namur, à La Louvière.

Kaba N’Faly : Chaque fois que nous recevons une invitation, nous allons aux réunions du CIRE. Mais depuis que nous occupons cette église, le CIRE n’est jamais venu ici une seule fois. Quand nous avons recommencé la grève de la faim pour dire qu’il y avait injustice entre ceux du Béguinage et nous, le CIRE a crié sur tous les toits que ce n’était pas équitable. Mais il contribue lui aussi à créer l’injustice en favorisant certains sans papiers plutôt que d’autres.

Comment voyez-vous l’avenir pour les prochains mois ?
Snoussia Mebark : La lutte continue. D’ailleurs l’occupation continue. Il y aura de nouvelles actions dans les prochaines semaines.

 

Kaba N’Faly : Une fois que nous aurons des papiers, nous pourrons nous attaquer aux autres difficultés de la vie.

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