Inflation des prix pétroliers et alimentaires.
Par Michael R. Krätke le Samedi, 28 Juin 2008 PDF Imprimer Envoyer

Qui est responsable?

Depuis que les marchés financiers sont devenus un champ de mines, les bourses de marchandises apparaissent comme un refuge attractif pour les capitaux. Ainsi, tout comme après l’éclatement de la "bulle" financière du marché des nouvelles technologies en 2000-2001 le capital s’était réfugié dans les valeurs immobilières et les dérivés financiers, aujourd’hui, suite à l’éclatement de la bulle de ces derniers marchés, il se déplace à nouveau à grande vitesse.

Vers une nouvelle "bulle" spéculative

Ces capitaux s’orientent donc massivement vers les bourses de marchandises à terme où, avec des contrats sur des titres-papiers de matières premières (pétrole, gaz, métaux, produits agricoles) ont peut rapidement gagner beaucoup d’argent et sans effort. Contrairement à ce qui se passe dans les bourses d’actions, dans les bourses de marchandises à terme, il n’y a ni intérêts ni dividendes. Quiconque y investit de l’argent fait simplement augmenter sa mise de départ en jouant sur le changement des cours, autrement dit sur l’augmentation rapide et vigoureuse des prix des "marchandises fictives" titularisées en papier. Bref, en spéculant. L’affluence colossale de ces capitaux a donc inévitablement provoqué, et en très peu de temps, une véritable explosion des prix réels. Depuis le début de l’année, l’économie mondiale chevauche ainsi une nouvelle bulle spéculative.

Les investissements financiers, qui ont placé plusieurs milliers de milliards de dollars sur le marché des marchandises «sur papier", sont les principaux responsables de la vertigineuse montée des prix des matières premières réelles. Il va de soi que les "traders" rejettent cette explication avec indignation : selon eux la spéculation dans les bourses de marchandises à terme ou le commerce international non régulé en dehors des bourses ne sont pas coupables de l’explosion des prix, les responsables seraient – à vous de choisir – les Chinois, les Hindous, ou l’ensemble des pays dits "BRIC" (Brésil, Russie, Inde, Chine) ; quant ce n’est pas le "pic" qu’aurait prétendument déjà atteint la production pétrolière.

Il est vrai, bien entendu, que les pays dits "émergents" connaissent depuis plusieurs années une importante croissance économique, atteignant parfois des rythmes records. Mais la vertigineuse montée des prix dans le marché des titres de marchandises, suivie de très près par l’envolée correspondante des prix du pétrole réel, du gaz réel, du riz réel, du soja réel et du blé réel, remonte au minimum au dernier trimestre de 2007. Depuis lors, selon les données de la Banque internationale de compensation, on observe un recul clair du volume du commerce des dérivés financiers tandis que le volume des titres papiers marchandises s’élève rapidement à l’échelle planétaire. Bien sûr, dans ce boom des prix, les bourses chinoises de marchandises à terme ont joué d’un certains poids, avec une augmentation de volume de plus de 100% en quelques mois.

Les coupables ne sont pas ceux que l’ont croit

Le commerce des matières premières et des aliments titularisés en papier possède une particularité qui le rend irrésistible pour les spéculateurs. La quantité de capital propre nécessaire est bien moindre que sur le marché des actions. Même les règles strictes de la commission de contrôle instituée par le gouvernement nord-américain, la CFTC (Commodity Futures Trading Commission), permettent à n’importe quel spéculateur d’acheter un contrat pour du pétrole brut sans devoir dépenser plus de 6% de la valeur de ce contrat. Ce qui signifie que, pour acquérir 1 baril de brut sur la bourse pétrolière de New York (la NYMEX), il suffit d’à peine 10 dollars, ce qui attire les spéculateurs en masse. Ce n’est pas un hasard que tous les grands investisseurs – les grandes banques, surtout les banques d’investissements, les fonds pensions, les assureurs ou "Hedge Funds" - se bousculent littéralement sur les bourses de marchandises à terme et dans le commerce spéculatif des titres papiers du pétrole et d’autres matières premières.

Wall Street domine le marché du pétrole

Les plus grands boursicoteurs et les plus coupables pour la montée des prix dans la NYMEX, la IPE (International Petroleum Exchange de Londres) et la ICE (Intercontinental Exchange) sont les entreprises qui mènent la baguette à Wall Street, comme Goldman Sachs, Morgan Stanley, JP Morgan Chase, ou la Bank of America, la Société Générale française et la Deutsche Bank allemande. A tous ces mastodontes, il faut également ajouter de simples investisseurs privés qui, comme le classique petit actionnaire, montent dans le train de la spéculation des matières premières. Ce ne sont donc pas les pays producteurs de l’OPEP mais bien Wall Street qui domine actuellement le marché du pétrole.

Dès 2006, le Sénat des Etats-Unis avait parfaitement compris que les grands investisseurs financiers avaient raflé le leadership aux quatre grandes multinationales pétrolières anglo-saxones et à l’OPEP. Près de 60% des récentes augmentations des prix pétroliers sont dues à ces investisseurs et entre 20 et 30% à la chute du dollars. La montée des prix n’a donc que très peu à voir avec la croissance des coûts de production ou avec l’augmentation de la demande réelle. La demande mondiale en pétrole brut augmente, depuis 2004, d’à peine plus de 1,2% par an ; par contre le prix du brut s’est envolé de plus de 250% depuis cette période. En janvier 2008, il a dépassé pour la première fois le niveau des 100 dollars le baril pour ensuite pulvériser le mur du son des 130 dollars (il est actuellement à 140 dollars… NDT). Or, les coûts de production d’un baril de brut ne s’élèvent aujourd’hui - même dans les pires conditions comme l’extraction du brut en Alaska - qu’à un plus de 30 dollars…

Aux Etats-Unis, le principal consommateur de pétrole de la planète (près de 20,7 millions de barils par jour), la demande de pétrole baisse depuis plusieurs mois et – vu la récession qui ne cesse de s’étendre – elle poursuivra vraisemblablement sur cette tendance. En Chine, qui consomme un tiers du pétrole englouti par les Etats-Unis, les importations de biens pétroliers connaissent une croissance modérée depuis 2000, représentant moins de 0,5% de la production mondiale annuelle.

Vers un pic dans la production du pétrole?

Dans de nombreux endroits du monde on découvre aujourd’hui de nouveaux champs de pétrole. L’Arabie Saoudite, le principal producteur planétaire, prévoit une augmentation importante de ses ressources (représentant jusqu’à un tiers de sa production actuelle) et va augmenter de 40% les investissements dans ses sites d’extraction. Avec des prix pétroliers aussi élevés, il est également à nouveau rentable de puiser dans des réserves pétrolières qui étaient tenues pour trop coûteuses à exploiter jusqu’à présent.

Le Brésil, par exemple, entrera prochainement dans la catégorie des dix plus grands producteurs pétroliers grâce à de récentes découvertes d’importants gisements au large de ses côtes. La thèse selon laquelle la montée des prix pétroliers reflèterait l’épuisement des ressources n’est donc pas valide non plus.

Incapables

Et qu’en est-il sur le terrain politique? A la clôture du sommet d’Osaka, les ministres des finances du G8 sont tombé d’accord sur l’idée très originale qu’il fallait peut être commencer à enquêter sur le rôle joué par la spéculation internationale dans la montée vertigineuse des prix pétroliers. Le FMI et l’IEA (Agence internationale de l’énergie) doivent présenter un rapport sur ce sujet avant le mois d’octobre. D’ici là, en tous les cas, on s’obstine à lancer des appels aux pays producteurs afin qu’ils fassent quelque chose.

Les ministres des finances réunis semblaient comme désemparés. Ou plutôt incapables de comprendre le monde du capitalisme réellement existant. Incapables également de comprendre que l’énergie et l’alimentation de la population mondiale sont des choses trop importantes que pour les laisser aux mains des spéculateurs. Ce qui, pour les fondamentalistes du marché qui nous gouvernent, n’est pas surprenant.

Michael Krätke est professeur d’économie politique et de droit fiscal à l’Université d’Amsterdam, chercheur-associé à l’Institut international d’histoire sociale de cette ville et membre du conseil de rédaction de la revue "Sinpermiso"

Source originale: www.sinpermiso.info

Traduction de l'espagnol par Ataulfo Riera pour ce site.

Voir ci-dessus