Le Hainaut veut devenir le parc de neige de l'Europe
Par Filip De Bodt le Vendredi, 20 Juin 2008 PDF Imprimer Envoyer

La province du Hainaut, économiquement arriérée, veut devenir le parc de neige de l'Europe. L'unanimité règne chez les politiciens sur le choix pour la relance économique: des parcs de neige pharaoniques doivent amener des dizaines de milliers de visiteurs dans la province. A Lessines, on veut convertir les anciennes Carrières en la plus grande piste de ski-indoor d'Europe. Un peu plus loin, à Maubray-Antoing, le prince Charles-Antoine de Ligne se bat avec ses amis influents pour un centre sportif de 350 ha. Que les deux complexes ne correspondent pas à une politique climatologique moderne et signifient la destruction de deux réserves naturelles ne peut jusqu'à présent émouvoir que quelques-uns. Les investisseurs s'enveloppent jusqu'à aujourd'hui de brume et de brouillard: pouvons-nous apporter quelques éclaircissements?

"Vous pénétrez ici dans le pays de l'extraction de la pierre. Tout ici rappelle cette activité qui s'est développée de manière industrielle durant plus de 150 ans: les paysages lunaires des carrières en activité, le superbe environnement des anciennes carrières qui sont remplies d'eau et envahies de végétation, les quais de chargement, les voies, les maisons qui sont un reflet de l'histoire sociale, les petits sentiers, la maison du peuple, les noms de rue…" dit le site web de l'Office de Promotion du Tourisme de Wallonie et de Bruxelles à propos de Lessines.

Bientôt, cette annonce pourrait avoir une tout autre allure. Les promoteurs de Snow Games, Jean-Marc Wellens et Jean-Luc Roisin, veulent réaliser dans la Carrière Cosyns la plus grande piste de neige indoor d'Europe. On compte sur 620.000 visiteurs par an qui viendraient y skier, manger etc… On agite des chiffres de mises au travail qui montent jusqu'à cent quatre-vingt personnes et un investissement de 92 millions d'euros.

 

Au Hainaut, où les chiffres du chômage montent parfois jusqu'à 20 % et plus, on se met vite à croire à la magie. Après des années de discussion, l'administration communale de Lessines (PS-Ensemble) a modifié le Plan Communal d'Aménagement (une espèce de plan régional) et a qualifié la Carrière Cosyns de zone touristique au lieu de réserve naturelle. Malgré l'opposition de la DNF (Direction Nature et Forêts) le ministre wallon André Antoine (CDH) a approuvé le permis de bâtir (Permis Unique).

 

Ce permis doit être prolongé cette année. La coordination pour la Sauvegarde des Carrières de Lessines (CSCL°) avait lancé une pétition par internet qui a récolté dix mille signatures. Des associations du sud de la Flandre Orientale (vzw 't Uilekot, Natuurpunt Boven-Dender, Milieufront Omer Wattez…) y collaborent.

La valeur unique sur le plan de la faune et de la flore justifie le maintien du complexe des Carrières à Lessines. Il s'agit, à côté de Quenast, d'une des deux carrières de porphyre en Belgique. Comme l'exploitation de certains trous est déjà arrêtée depuis les années cinquante, ceux-ci sont remplis d'eau entourés de parois rocheuses de belle allure. On se croirait quelque part dans le sud de la France. Ce biotope unique attire des espèces qui sont introuvables ailleurs. Le site web officiel Wallonie Diversité signale la présence d'espèces européennes protégées comme le faucon pèlerin, la grèbe huppée et des variétés d'orchis et d'herbes.

Pour beaucoup, il ne s'agit pas seulement de valeurs de la nature, mais aussi d'une vision du développement économique en ces temps de réchauffement climatique: jusqu'où est-il encore responsable en l'an 2008 d'aller geler des dizaines de milliers de litres d'eau et d'installer des congélateurs géants en plein air qui absorbent des tonnes d'énergie et font circuler des millions de litres d'eau, alors que la glace est en train de fondre ailleurs. Snow Games utilisera autant d'énergie que 2500 à 5000 ménages!

Partisans

Malgré ces arguments écrasants, Snow Games trouve des partisans. En Flandre, la "Streekplatform Z.O. Vlaanderen" (plate-forme régionale), qui accourt toujours à toute allure pour se mettre du côté de projets destructeurs pour l'environnement, a reçu les preneurs d'initiatives et s'est répandue en louanges pour le projet. On trouve même dans le Nord du Hainaut un "mouvement de la nature", Choc Nature, qui apparaît comme parrain du projet. Choc Nature était précédemment contre le projet mais s'est laissé assez rapidement convertir après une unique entrevue avec les "hommes de la neige".

 

Choc Nature et son président Guy Boosten sont de vieilles connaissances: lorsque la région se battait contre l'exploitation illégale de la décharge et des carrières de sable de Marcel Fort à D'Hoppe, Boosten a choisi le côté du baron des déchets et l'a nommé (jusqu'à ce jour) conservateur d'une prétendue réserve naturelle dans les carrières de sable. Que Fort ait engrangé son premier milliard en fourrant massivement du poison dan le sol ne touchait pas Boosten, il avait cependant trouvé des insectes qui lui semblaient bien un peu bizarres sur les excréments des cerfs de Fort. Quand Fort a organisé une coupe de ses bois qui les a rendus chauves, pour se venger de la fermeture de sa décharges et des carrières de sable, Choc Nature a estampillé ceci comme entretien normal. L'association a même plaidé pour faire payer par des Fonds Européens l'assainissement des sites pollués.

A la recherche d'investisseurs

Que le reste du mouvement pour la nature lance une offensive précisément maintenant, est logique. En 2001, par manque d'asbl juridiquement capables dans la région, on a manqué une occasion d'arrêter l'affaire. La prolongation du permis est l' occasion par excellence d‘organiser la résistance. Les "hommes de la neige" sont d'ailleurs à la recherche d'investisseurs.

Wellens et Roisin ont déjà bien 62.500 € bien comptés comme capital dans l'affaire. C'est donc le moment de renverser un peu la vapeur.

Prince de Ligne

Le Hainaut n'en a toutefois pas encore assez. Tout près de la frontière française, il y a un territoire de bois marécageux de 300 hectares au canal Nimy-Blaton et au Grand Large. Son propriétaire est Charles-Antoine de Ligne, prince avec château à Antoing. Cet homme-là attrape lui aussi le microbe touristique. Le service de tourisme niche à la même adresse, tout comme Sport et Loisirs, une asbl qui organise des vacances de ski pour l'enseignement catholique.

 

Il a trouvé une nouvelle destination pour ses bois étendus: un parc de 350 hectares avec des possibilités de ski, et des sports aquatiques d'une dimension jamais vue, avec parking pour 4500 voitures, 1500 petits sièges de restaurant, un million et demi de visiteurs, une production de CO2 supposée de 12.000 tonnes par an et une utilisation de 500.000 m3 d'eau. De quoi avoir le vertige! Ici aussi, s'est créée une association qui coordonne l'action contre le projet, avec l'appellation ironique de Coordination Internationale des Alpes Occidentales.

 

Ils reprochent au prince et à ses investisseurs inconnus leur mégalomanie et leur manière irresponsable de traiter les matières premières. Ils craignent un épuisement de la nappe aquifère et des embouteillages de circulation dans la région. Les groupes d'habitants reçoivent le soutien du Parc Naturel des Plaines de l'Escaut et du Conseil régional du Nord – Pas de Calais (France).

 

Le gouvernement wallon s'est avéré également prêt à revoir le plan régional pour rendre le projet possible. Ceci ne signifie pas qu'on peut le commencer demain : différentes instances s'expriment maintenant. Dans ce dossier aussi, on attend , le tournant crucial en mai, lorsque le gouvernement wallon se prononcera définitivement sur les aspects urbanistiques du dossier. Contrairement aux preneurs d'initiatives de Snow Games, le Prince a bien réussi à avoir un impressionnant consortium d'investissement derrière lui. Toutes les questions posées à ce sujet restent sans réponse.

Celui qui épluche internet et le Moniteur Belge arrive déjà loin. La S.A. Développement du Bois de Péronne, la firme qui a été constituée dans ce but, s'articule en trois parties: le groupe des intérêts autour de Charles-Antoine et de son fils même, le groupe autour de l'architecte parisien AM Fourcade, mais surtout la SA Construction Management. Cette dernière est une petite branche de la gigantesque firme mondiale CFE. L'actionnaire de base de référence de CFE est le groupe international Vinci, avec le Français Renaud Bentegeat à sa tête. Bentegeat est président de la chambre Française de commerce en Belgique et réunit encore plus de beau monde dans son groupe: Philippe Delaunoit (Umicore, Corelio, ING), le baron Alain Philippson (d'Ieteren, banque Degroof), Dirk Boogmans (GIMV, De Lijn, P&V), Ciska Servais (Nautinvest Vlaanderen,, Astrea Advokaten). Servais est spécialisé dans le droit de l'environnement. Il y a assez de monde dans cette construction pour ménager quelques petites ramifications spéciales vers divers serviceclubs, sociétés et autorités.

Restez encore un peu assis, la deuxième partie du défilé doit encore commencer. Pour défendre ses projets devant les instances officielles, la SA Péronne y met encore plus de monde: e.a. le bureau d'architectes Namuro-Bruxellois l'Atelier de l'Arbre d'Or et l'architecte paysagiste JN Capart de JNC International. Nous retrouvons dans cette firme Antoine de Spoelberch, qui a été actif chez Dexia et à la banque Morgan Stanley. Maintenant, l'homme a jeté son dévolu sur Veracity Worldwide, un groupe d'investisseurs dans l'immobilier avec e.a. Knut Hammarskjöld (IATA en EFTA) et des investisseurs Américains comme David Callard (Wand Partners, un sponsor d'Obama) et Ted Pincus (USAID, Nasdaq…) à bord. Les preneurs d'initiatives de Lessines avaient laissé savoir qu'ils engageraient la banque Fortis mais ont pâli en face de toute cette violence économique.

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