Le rose va avec tout !
Par Céline Caudron le Lundi, 16 Juin 2008 PDF Imprimer Envoyer
Même si elles ont pris et gardent encore parfois leurs distances, les luttes LGBT et les luttes féministes sont liées, dans leurs termes, dans leur histoire, dans leur forme et dans leur objet. Quelques jours après la gay pride, La Gauche disperse les paillettes pour nuancer le portrait réducteur des mouvements LGBT dressé par les médias avec une interview de Tanguy Pinxteren, membre des Panthères Roses de Belgique.

 

Les mouvements LGBT, qu’est-ce que c’est?

On a adopté ce terme de mouvements Lesbienne-Gay-Bi-Trans (LGBT) dans une volonté de visibiliser tout le monde. Au départ, on parlait seulement des mouvements gay pour désigner aussi bien les homosexuel/les masculins et féminines. Mais ça rendait plusieurs catégories invisibles : les bisexuel/les -même s’ils et elles sont peu nombreux/ses- et surtout les lesbiennes. Par la suite, les mouvements se sont appelés LGB (lesbienne, gay et bi) puis LGBT avec les trans-sexuel/les et les trans-genre. Mais, à travers les associations et les structures, il faut bien dire que les mouvements LGBT restent quand même principalement gay ; on y trouve souvent des hommes homos, les femmes ne sont pas toujours très présentes. Et beaucoup de trans ne se reconnaissent pas forcément dans les mouvements gay et lesbiens parce que leur identité de genre et leur orientation sexuelle sont deux choses différentes.

Et les panthères roses?

Les panthères roses existent dans plusieurs pays et sont en général assez subversives. Elles dénoncent le mode de vie familial nucléaire qui reproduit le schéma de la famille monoparentale, elles dénoncent aussi les tendances familialistes des mouvements gay et lesbiens et les revendications normées de certaines associations. Des panthères interviennent parfois de façon subversive dans les gay pride, les salons du mariage, etc. Et il y a aussi des actions politiques sur d’autres fronts, pour mettre en avant a convergence des luttes. Politiquement, les panthères sont plutôt proches de l’anarchisme, avec un caractère anticapitaliste, même si, en Belgique, on n’a pas encore eu de discussion de fond là dessus. Les panthères n’ont pas de discours unique, de modèle ou de principes mais des luttes communes contre l’hétérosexisme, le patriarcat, les discriminations homophobes, transphobes, le racisme, etc.

En Belgique, les Panthères roses existent depuis février (1). Les autres assoc’ LGBT en Belgique francophone sont plutôt des clubs de gay et lesbiennes qui proposent des activités aux adhérents, des permanences ou des animations dans les écoles sans spécialement chercher de traduction politique. On trouvait que c’était important d’avoir un groupe plus politique, que ça manquait. On veut être présent pour toucher les gens en dialoguant, aller en rue, être visibles. On ne cherche pas à rester en marge avec des petits événements de notre côté. On veut intervenir dans des manifs en montrant qu’on est aussi différents et que les gay, lesbiennes et bi ne s’intéressent pas qu’à leur propres droits mais participent aussi à d’autres luttes.

On a déjà mené quelques actions. A la St Valentin, on a voulu dénoncer le caractère commercial du truc mais surtout dire qu’il y a plein de sortes d’unions possibles : homos, à 3 ou 4, …. Au 1er mai, on s’est baladé au assemblement de la FGTB avec des pancartes disant « les homos sont aussi au boulot », « ouvriers, ce sont les patrons qui vous enculent, pas les pédés », ... On a aussi organisé une manif en hommage à Luna, un transsexuel assassinée au Portugal.

On a souvent tendance à situer grossièrement l’origine des mouvements LGBT autour de mai ’68 …

Les mouvements homos ont surtout pris une expansion et une tournure politique dans les années ’70. Mais il existait des embryons avant. Dans l’entre deux-guerres, il y avait des mouvements d’émancipation mais ils ont été freinés et réprimés. Dans l’après-guerre, les mouvements homos sont réapparus, en essayant de se donner un air respectable, avec des associations aux noms assez neutres et des militants en costume cravate. Puis, les mouvements homos plus radicaux on émergé dans les années ’60 du côté anglo-saxon, dans la foulée des luttes pour les droits civiques et des mouvements féministes. En 1969, les émeutes de Stonewall (2) ont aidé la prise de conscience des mécanismes de discrimination et donné naissance à des mouvements identitaires. Depuis, ces émeutes sont commémorées par les gay pride un peu partout, pour de montrer qu’on n’a pas honte d’être homo, qu’on n’est ni malade ni dangereux. Pour rendre tout ça visible, c’est important de descendre dans la rue.

Du côté francophone, c’est principalement le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR) qui a lancé le mouvement en France au début des années ’70 (3). Dès le départ, le FHAR était vraiment situé à gauche, avec un point de vue radical et politique. Beaucoup de membres du FHAR faisaient partie de mouvements d’extrême gauche et essayaient d’y faire passer la lutte pour les droits sexuels, qui n’était pas du tout acquise, à travers des actions assez ludiques et subversives. Les mouvements plus radicaux des années ’70 ou ’80 ont mis en avant l’existence de personnes qui assument leur homosexualité, qui n’en ont pas honte. Aborder ainsi publiquement la sexualité, qui reste toujours un tabou puisqu’on la considère comme quelque chose de privé, ça va contre le savoir-vivre et les bons usages. En heurtant de front ces tabous, les mouvements homos jouaient un rôle important pour la sexualité de tout le monde.

Au-delà de ce côté subversif, les mouvements LGBT portent aussi des revendications en terme de droits légaux

La première revendication politique des mouvements homos concernait la dépénalisation de l’homosexualité, qui est quand même restée considérée comme une maladie mentale par l’Organisation Mondiale de la Santé jusqu’au début des années ‘90. Actuellement, on compte encore plus de 80 pays qui pénalisent l’homosexualité. Parfois le code pénal réprime l’homosexualité sans qu’il y ait de poursuites dans la réalité. Mais, dans beaucoup de pays, un flagrant délit débouche sur une amende, des peines de prison, voire la peine de mort. Ce sont surtout les hommes qui apparaissent dans ce genre de cas, les flagrant délit pour homosexualité féminine étant plus rares puisque la sexualité féminine est souvent considérée comme inexistante. Il y a aussi des pays où l’homosexualité n’est plus pénalisé mais où l’homophobie est encore très forte et se traduit par exemple par des lynchages.

Comme les mouvements féministes, les mouvements LGBT sont parfois instrumentalisés dans le sens où on oublie qu’il y a des difficultés partout, et même dans les pays Occidentaux. Dans la lutte contre le « terrorisme », on nous dit que, dans tel ou tel pays « barbare », les femmes et les homos n’ont aucun droit, qu’il faut y amener la démocratie, etc. Les Etats Unis sont les champions dans ce genre de discours. Pourtant, l’homophobie est encore très forte aux USA. Même si deux Etats autorisent les mariages homos, il y a régulièrement des agressions homophobes et des crimes impunis, entre autres commis par la police.

En Belgique, beaucoup de gens considèrent que, avec le mariage et l’adoption, on a maintenant obtenu tous les droits. Mais les mentalités ne sont pas toujours prêtes. On entend souvent que la situation est plus favorable aux homos en Flandres. Mais on oublie de dire que l’homophobie et les avancées en matière de mœurs font partie des motivations des électeurs du Vlaams Belang. On constate encore beaucoup discriminations, notamment au travail. Beaucoup d’homos se cachent au boulot et mènent une double vie parce qu’ils et elles ont peur d’être mis/e sur une voie de garage, voire d’être licencié/es à cause de ça, même si c’est interdit. Il y a aussi des secteurs plus délicats, comme dans l’enseignement où, après l’affaire Dutroux et Cie, on a allègrement amalgamé homosexualité et pédophilie. Et, en ce qui concerne les trans, il reste encore beaucoup de boulot, parce qu’ils et elles restent invisibilisé/es et que la société reste divisée en deux genres. Aujourd’hui, certaines composantes des mouvements LGBT revendiquent le droit de vivre comme tout le monde, notamment avec le droit à l’adoption et au mariage, et rentrent ainsi dans le moule de la société patriarcale.

Les mouvements gay des années 70 étaient contre le mariage en tant qu’institution patriarcale et judéo-chrétienne à balancer à la poubelle. Mais actuellement il y a une perte de radicalité des mouvements LGBT qui se sont fort embourgeoisés. Beaucoup manifestent pour avoir le droit de consommer gay dans leur magasin gay, de consulter leur médecin gay, etc. Avoir l’autorisation de faire tout ça, c’est obtenir le droit à l’indifférence: je suis gay et j’ai les mêmes droits que tout le monde. Le discours politique plus radical qui dénonce la famille nucléaire et le patriarcat, beaucoup de gay et lesbiennes n’en ont rien à foutre, surtout chez les gay. Le côté révolutionnaire qui rue dans les brancards s’est fort estompé. Le discours anticapitaliste est quasi absent des mouvements LGBT, à part dans les mouvement queer, punk ou anar. Avec les mouvements queer, il y a une renaissance de tout ça et c’est important. Les mouvements des transgenre (à ne pas confondre avec les transsexuel/les qui renforcent souvent les modèles hommes/femmes) y jouent aussi un grand rôle, en remettant en cause le modèle binaire du genre et en donnant ainsi des idées pour une autre société.

Une remise en cause du genre, ça fait débat avec les féministes…

C’est clair qu’il y a un fort lien avec les mouvements féministes, même s’il y a aussi eu séparation entre les féministes et les lesbiennes, la place des lesbiennes n’étant pas toujours reconnue au sein des féministes. Depuis le début des années ’90, des associations LGBT de la mouvance queer se revendiquent plutôt féministes, dans la continuité des féministes non essentialistes qui refusent les catégories. Ils/elles dénoncent l’hétérosexisme en tant que système qui instaure deux classes politiques à travers la distinction de genre et fait croire qu’il n’y en a que deux. Les différences biologiques sur lesquelles repose la distinction de genre ne sont pourtant pas binaires ni catégoriques; il y a une diversité en matière d’identité et d’orientation sexuelle. Le choix d’en faire une catégorisation binaire fait en sorte qu’il y ait une catégorie inférieure à l’autre.

Les revendications identitaires des mouvements homos ont eu l’inconvénient d’occulter la diversité des sexualités, en catégorisant les gens comme homos, hétéros ou bi et en incitant à adopter un modèle normatif, avec un parcours à travers lequel on se découvre homo à l’adolescence, puis on fait son coming out dans la famille et au boulot, etc., alors que le coming out est un processus continu, qu’on fait quasiment tous les jours. A travers les revendications identitaires des mouvements homos, ce sont surtout les gay et les lesbiennes qui ont été visibilisées en Occident. Pourtant, on n’est jamais homo ou hétéro à 100%. Et parler de femmes et hommes entretient l’idée qu’il y deux sexes alors que c’est beaucoup plus complexe. Beaucoup de gens sont très mal à l’aise dans les catégories hommes-femmes et dans les étiquettes homo-hétéro. Il y a donc maintenant des mouvements LGBT qui refusent l’étiquette gay et lesbienne mais qui veulent décloisonner les genres.

La domination a un caractère multidimensionnel, à travers l’oppression patriarcale, l’exploitation capitaliste, les discriminations racistes, …

On oublie souvent cet aspect multidimensionnel ; on n’est pas que femme, que hétéro, que homo, que ouvrier, … . Tout est dynamique et il y a des influences mutuelles entre les différentes facettes de notre identité et entre les différents types d’oppression. Mais on a souvent tendance à simplifier les choses, à faire un choix entre le féminisme ou le marxisme, les mouvements LGBT ou le féminisme, etc. Pourtant, ce sont des mouvements qui convergent et qui s’enrichissent mutuellement. Ce sont des combats à mener ensemble ; ce n’est pas l’un ou l’autre, c’est l’un et l’autre. (1) Voir www.pantheresroses.be(2) En juin 1969, une descente de police dans un bar gay de New York, déclenche des émeutes dans le quartier pendant cinq jours. Par la suite, des marches des fiertés, les gay pride, ont lieu un peu partout le dernier week-end de juin pour commémorer ces événements.(3) Le FHAR est fondé à Paris en 1971 par des féministes lesbiennes et des activistes gays. Il se fait connaître en perturbant un meeting sur l’avortement et une émission radio sur l’homosexualité et en publiant une déclaration en référence au manifeste des 343 salopes: « Nous sommes plus de 343 salopes ; Nous nous sommes faits enculer par des Arabes ; Nous en sommes fiers et nous recommencerons »

Voir ci-dessus