EGYPTE: Révolte à Mahalla
Par Hossam El-Hamalawy le Samedi, 17 Mai 2008 PDF Imprimer Envoyer
Tandis que les prix des denrées alimentaires augmentent, la lutte des classes s’échauffe.

 

Au début du mois d’avril dernier, la police égyptienne a perdu le contrôle de la ville de Mahalla - ville  située dans le Delta du Nil et où se trouve la plus grande usine de textile du Moyen-Orient avec une force ouvrière de 27 000 personnes- en cassant une grève après que les rues  de la ville se sont embrasées durant deux jours sanglants de soulèvement qui ont coûté la vie à au moins deux jeunes hommes, à cause du régime de Hosni Moubarak soutenu par les Etats-Unis. Les services de sécurité ont également étouffé les protestations en solidarité avec cette grève au Caire et dans d’autres provinces, et ont arrêté arbitrairement des centaines de citoyens ordinaires et de dissidents, y compris des blogueurs et des organisateurs.       

 

À Ghazt el-Mahall, la Ligue des ouvriers du textile, mouvance de gauche, a lancé un appel à la grève dans l’usine de textile pour le 6 avril afin de mettre la pression sur le gouvernement pour qu’il augmente le salaire minimum national qui, depuis 1984, est toujours égal au   montant dérisoire de 6.40 $. Les ouvriers ont demandé une augmentation de 222 $ par mois et ont aussi avancé d’autres revendications en rapport avec les allocations alimentaires, la sécurité industrielle et les conditions de travail.

 

Ghazel el-Mahalla est au coeur de la vague de grèves actuelle, la plus grande à avoir touché l’Egypte depuis la seconde guerre mondiale. L’usine de textile a fait grève en décembre 2006 pour des primes promises par le gouvernement. Trois mille ouvrières de l’industrie du vêtement ont fait grève et ont manifesté dans l’enceinte de l’usine exigeant que leurs collègues masculins les rejoignent dans leur action. L’usine a été obligée de fermer  complètement et pendant trois jours, la région a été le théâtre de protestations et de manifestations. La victoire a vite déteint, non seulement sur le reste du secteur du textile qui était perturbé mais aussi sur les autres secteurs de l’économie et sur les fonctionnaires.

 

Durant les deux mois qui ont suivi, quasiment tous les secteurs ont connu des grèves ou des sit-in. D’après un rapport du centre des études socialistes basé à Giza, dans la période du 7 décembre 2006 au 23 septembre 2007, plus de 650 protestations ouvrières ont eu lieu à travers le pays, dont une grande partie était des grèves. Pendant cette période, 198 400 ouvriers ont suivi les actions de grèves  et un nombre plus grand encore a organisé des sit-in et des manifestations dans les  rues : des fonctionnaires, des chauffeurs et des caissiers dans les métros et dans les passages souterrains, des ouvriers de l’usine du ciment,  des éboueurs, des pêcheurs, et même de vrais percepteurs étatiques d’impôts. Ces derniers ont fait grève pendant trois mois. Leur grève a fait baisser la perception de 90% et leur a permis d’obtenir une victoire après avoir établi un campement devant les quartiers généraux du cabinet ministériel dans le centre-ville du Caire.   Bien que les grèves étaient initialement centrées autour de revendications  économiques et des conditions de travail, dans la plupart des centres industriels urbains, les meneurs des grèves ont commencé à mettre en avant des demandes politiques comme la destitution des responsables des syndicats soutenus par le gouvernement, et des patrons de l’Etat corrompus ou encore  la liberté d’association. Pendant que Ghazl el-Mahalla était encore en grève en septembre 2007 pour demander un partage plus grand des profits annuels de la compagnie et la démission de la direction , les ouvriers ont brandi des banderoles sur lesquelles était écrit : « A bas le gouvernement».  Des vidéos montrant  des grévistes scandant des slogans contre le FMI et le colonialisme ont été mises en circulation sur le net par des blogueurs présents sur les lieux. La grève a encore une fois été victorieuse et elle a poussé le gouvernement à succomber six jours plus tard aux demandes des ouvriers. Le dirigeant de la section locale qui avait essayé de persuader les grévistes de suspendre la grève, a du être hospitalisé et il a du démissionner. Quant au PDG, il a été destitué de ses fonctions un mois plus tard.

 

En février 2008, à Ghazl el-Mahalla, des organisations de gauche ont mobilisé les plus grandes protestations ouvrières contre Moubarak depuis son ascension au pouvoir en 1981, avec dix mille ouvriers d’usines dans les rues, rejoints par un nombre égal de citoyens locaux revendiquant une augmentation du salaire minimum et scandant des slogans contre Moubarak et son fils Gamal pour lequel il prépare le terrain de sa propre succession.

 

Le militantisme de Mahalla a inspiré la classe ouvrière égyptienne qui souhaite plus d’actions dans les industries et il a aussi augmenté le militantisme des travailleurs de la classe moyenne. Pour la première fois depuis 1951, les médecins ont voté en faveur d’une grève nationale. La grève était programmée pour le 15 mars mais elle a finalement été étouffée par le conseil des syndicats des médecins partisans du gouvernement. Les professeurs d’université ont suivi l’exemple en lançant une grève nationale le 23 mars. Ils ont demandé que le campus et les classes soient libérés de l’ingérence de la Sûreté de l’Etat ainsi qu’une augmentation des salaires. Pendant que, dans les ateliers de Ghazl el-Mahalla, les organisateurs de gauche ont annoncé leurs intentions de faire la troisième grève en moins de deux ans, les groupes d’opposition et les blogueurs ont lancé un appel à la grève générale, en demandant aux citoyens de rester chez eux. 

 

Le 6 avril, des milliers de policiers ont occupé la ville de Mahalla, et les forces de l’ordre ont pris le contrôle de l’usine, ce qui a saboté la grève. Malgré cela, des manifestations spontanées ont éclaté dans la ville. Elles ont inclus des milliers de pauvres du milieu urbain, de jeunes employés et des travailleurs scandant des slogans contre le Président, la corruption et la hausse des prix.  Les manifestants étaient accueillis par des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc, et de vraies balles tirées par la police, ce qui a provoqué la mort d’au moins deux jeunes gens de 15 et 20 ans. Pendant deux jours, la ville a été le théâtre de scènes  rappelant les Territoires palestiniens occupés : selon des témoins oculaires, les manifestants lançaient violemment des pierres sur les forces de la police de Moubarak et leurs véhicules blindés en criant : « La révolution est arrivée ». Les portraits du dictateur Moubarak ont été défigurés et détruits par les émeutiers dans les lieux publics de Mahalla. 

 

Des centaines de personnes ont été arrêtées et des douzaines gravement blessées lors des répressions qui ont suivi. La police a également coupé le courant et la ville a sombré dans le noir durant deux nuits de suite interrompues par des émeutes sporadiques. Les maisons des activistes ont été attaquées aussi au Caire et dans le  Delta du Nil, suite à la dispersion des protestations de solidarité avec Mahalla. Les avocats des droits de l’homme égyptiens se battent encore pour localiser les détenus et pour avoir les chiffres exacts des arrestations. Les détenus relâchés ont évoqué des abus. Parmi les personnes emmenées au commissariat principal de Mahalla, il y avait des enfants de huit ans, des journalistes locaux et étrangers et du personnel des média qui avaient essayé de s’entretenir avec les familles des détenus.       

 

Les activistes égyptiens ont lancé un appel international de solidarité, en demandant le soutien des syndicats ouvriers, des associations, des communautés et des syndicats étudiants. Le régime de Moubarak est un allié proche de l’impérialisme américain et il représente le deuxième plus grand bénéficiaire de l’aide américaine aux pays étrangers après Israël (environ 2 billions de dollars, dont 1.3 billions pour l’aide militaire). L’Égypte est le pays arabe le plus peuplé, avec plus de 76 millions de gens, et il a aussi la plus forte classe ouvrière en terme de nombre avec une vieille tradition de militantisme. Le renversement de cette dictature soutenue par les Etats-Unis pourrait produire un effet domino dans toute la région en encourageant les luttes d’autres ouvriers arabes contre des dictateurs similaires.     

 

 Hossam el-Hamalawy est un journaliste et un blogueur socialiste égyptien. Pour les dernières mises à jour sur Mahalla et la lutte des travailleurs  en Egypte,  voir le site : http://arabist.net/arabawy/.  

Traduit de l'anglais par Thouraya Ben Youssef 

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