1989-2009: Les voies opaques de la transformation capitaliste à l’Est
Par Catherine Samary le Vendredi, 06 Novembre 2009 PDF Imprimer Envoyer

La chute du mur de Berlin et la dissolution de l’URSS marquent le début d’un tournant historique vers une restauration capitaliste dans les pays de l’Europe de l’Est et en URSS. Mais avec quels éléments de continuité et de ruptures avec le passé ? Nous proposerons une périodisation des étapes qui permettent de situer ce tournant dans l’histoire de ces sociétés. Nous examinerons ensuite, comment la « privatisation » des Etats et des formes de propriété, sans véritable apport de « capital argent » a rendu opaque la restauration capitaliste et permis initialement du moins, de contourner les grandes entreprises. L’adhésion à l’Union européenne a largement camouflé un bilan socialement désastreux. Mais elle soulève aussi, dans les consciences et les luttes possibles, le débat sur d’autres choix nécessaires.

La période 1989-1991 - de la chute du mur de Berlin à la dissolution de l’URSS et du Pacte de Varsovie – marque le début d’un tournant historique : celui d’un changement de système dans les pays de l’Europe de l’Est et en URSS.

Les mesures introduites se distinguent radicalement des tentatives de réformes de l’ancien système qui ont jalonné son histoire depuis les années 50 jusqu’à la Perestroika de Gorbatchev. La « crise de la dette » de plusieurs pays d’Europe de l’Est dans les années 1980 va les rendre vulnérables à des pressions externes, dans le cadre de la nouvelle phase de mondialisation néo-libérale. Mais l’introduction des changements « par en haut » à la faveur d’une démocratisation partielle va contribuer à toute l’ambiguïté et l’opacité d’un tournant qui vise fondamentalement à la remise en cause de tout élément de propriété sociale…

Vue d’ensemble…

L’ancien système se réclamant du socialisme était sans nul doute exploiteur : il ne permettait pas aux travailleurs, et plus largement aux populations, un véritable pouvoir de décision sur l’organisation et les buts de leur travail. Régnant au nom des travailleurs sur leur dos, il a supprimé l’unique potentiel que le socialisme peut opposer à la redoutable « efficacité » capitaliste : la responsabilisation pleine et entière des êtres humains, à la fois au plan individuel et collectif, dans une association libre… La répression et la corruption associées au parti unique sont la cause profonde à la fois d’une certaine passivité et d’une détérioration réelle des acquis sociaux, marqués par le bureaucratisme. Elles sont la cause première de la « victoire » capitaliste – sans donner à celle-ci ni une légitimation ni une stabilité : car l’écart entre les droits et valeurs socialistes reconnus et la réalité a laissé place à la suppression des droits… au nom d’une pseudo-démocratie et du marché.

Dès lors, la grande masse des populations concernée, de la Pologne à la Russie en passant par l’Allemagne l’Est ou la Yougoslavie, regarde avec nostalgie les années 1970 comme celles du « socialisme », de la stabilité, des acquis sociaux, d’une classe ouvrière présentée comme source de la valeur… La chute massive de niveau de vie est partout évoquée. Cette perception présente le passé sous un éclairage manifestement rosi : rappelons nous qu’il s’agissait des années précédant l’explosion de Solidarnosc en Pologne, ou encore celles de la normalisation de la Tchécoslovaquie après la répression du Printemps de Prague par les tanks soviétiques en 1968, ou encore de la répression de l’intelligentsia socialiste de Yougoslavie ou de Pologne… Mais quiconque présente aujourd’hui du passé la seule image du goulag ou d’une société qui n’aurait été qu’une variante de « capitalisme d’Etat » est incapable de rendre compte non seulement de l’actuelle perception populaire de ce passé, mais surtout de l’ampleur de la régression sociale des années 1990, et des changements mondiaux que cela recouvre.

Le travail de mémoire, d’analyse et de mise à plat des scénarios se heurte à de nouvelles histoires officielles qui sont les prolongements de la guerre froide : il est, pour les idéologues de la « fin de l’Histoire » datée de la chute du Mur de Berlin, hors de question d’admettre que le passé était autre chose qu’une aberrante « parenthèse » ; leur discours martèle qu’il s’agit d’un « retour à la « normalité », à l’Europe ». Comme si celle-ci avait été jamais unifiée, comme s’il n’y avait pas eu les grands empires rivaux puis une révolution industrielle où les Etats-nations dominants de l’Europe occidentale impérialiste imposèrent des relations de « périphérie » au reste de l’Europe et du monde… Comme si la révolution d’Octobre (comme toutes les autres révolution du XXè siècle) et les transformations de l’Europe de l’Est après la seconde guerre mondiale n’avaient pas eu pour enjeu profond une industrialisation en faveur des classes populaires, passant par la remise en cause des dépendances envers l’ancien centre impérialiste. Comme si les guerres impérialistes, et entre les deux guerres mondiales, le fascisme et la grande dépression capitaliste n’avaient pas profondément divisé le continent européen et donné une réelle légitimité à Stalingrad, aux résistances anti-capitalistes et anti-fascistes, aux mouvements paysans et ouvriers en quête de droits sociaux élémentaires.

Ceux qui occultent ainsi le passé, présentent aussi aujourd’hui « l’élargissement » de l’Union européenne vers l’Est comme le couronnement d’un succès – alors qu’il s’agit d’un cache-misère visant à contenir des situations explosives. Ils parlent de « rattrapages » à venir « grâce à » l’intégration européenne en terme de croissance du PIB – alors que cette croissance, fragile, s’est accompagnée de régressions sociales massives. Ils parlent de « démocratie » quand les populations boudent les urnes faute de réelles alternatives. Ils évoquent le « retour à l’Europe » quant l’Europe de l’Est se retrouve en position d’être un vaste marché périphérique.

Mais rendre intelligible le passé et le tournant des années 1980 se heurte aussi aux myopies d’autres présentations en blanc ou noir – soit la nouvelle apologie du passé ou le soutien à des recompositions entre ex-communistes et anti-communistes nationalistes et xénophobes ; soit, au nom des écarts entre idéaux socialiste et « socialisme réel », la négation de tout acquis passé et la sous-estimation profonde du tournant des années 1990.

On ne pourra rétablir une intelligibilité du « siècle soviétique » qu’avec un travail associant chercheurs et acteurs de l’ancienne « Europe de l’Est » [1] et de l’Occident, critiques à la fois des systèmes de gestion et d’oppression bureaucratique passés et de la mondialisation capitaliste.

Il ne s’agit ici que de proposer quelques jalons d’analyses nécessaires, en trois points.

1- La mise en perspective des étapes internes/externes ayant mené au tournant des années 1990, en soulignant les infléchissements préparant un tel tournant – celui de la fin des années 1960 au plan de l’intelligentsia dans ses rapports aux travailleurs ; celui des années 1970-1980 d’endettement et de montée des courants technocratiques.

2- Une caractérisation des raisons majeures qui ont rendu opaque la restauration capitaliste : la « privatisation » des Etats et des formes de propriété, sans véritable apport de capital et donc aussi en contournant les grandes entreprises…

3- L’ébauche d’un bilan largement désastreux – notamment pour la construction européenne.

Une restauration capitaliste qui éclaire le passé… et ses grandes phases

Le tournant des années 1990 ne s’opère pas dans un ciel serein. Il est à la fois rupture, (changement de système dans ses fondements) et processus marqué par des éléments de continuité qui ont contribué, justement, à rendre opaque la « transition ».

Il est abusif, bien sûr, de présenter l’ensemble des pays d’Europe de l’Est comme un tout. Les différences historiques sont considérables – entre l’URSS, la Roumanie de Ceaucescu, la Yougoslavie titiste et la Tchécoslovaquie normalisée par les tanks soviétiques ; entre la Pologne dont les conseils ouvriers de 1956 furent canalisés et la Hongrie de la même année 1956, où les conseils ouvriers furent au contraire réprimés dans le sang et l’intervention soviétique.

Pourtant, on peut distinguer en gros une première période historique allant jusqu’aux années 1970 où les contestations avaient pour logique l’exigence explicite de plus de socialisme, quelle qu’ait été la genèse précise du régime…

Le système, dans ses variantes, cherchait à consolider sa légitimité, sa base sociale, au nom des valeurs socialistes – à défaut d’émancipation il apportait une sécurité et un avenir assuré pour les enfants à la condition de ne pas être contestataire. L’augmentation du niveau de vie régulière et une gigantesque promotion verticale des paysans vers la classe ouvrière, des travailleurs vers les appareils assura, par comparaison avec les formations sociales antérieures, une industrialisation accélérée de l’Europe de l’Est. Les économistes libéraux appelaient « chômage camouflé » qu’ils osaient prétendre plus mauvais que le chômage tout court, un (mauvais) plein-emploi, une croissance gaspilleuse de ressources matérielles et humaine ; de même parlaient-ils « d’inflation camouflée » pour critiquer un système où la production des biens de consommation, des logements, des médicaments, des biens culturels, des logements, se faisait sans critères de profit et sans réels « prix de marché ». Et il était vrai qu’au niveau très bas des prix administrés, la demande était souvent infinie et donc non satisfaite (avec des queues, des arrivages par vagues, des insuffisances en qualité et de quantités fournies, à ces prix-là).

Mais il s’agissait en même temps d’un accès assuré pour tous à des biens et services de base. Le développement considé-rable de la recherche scientifique, de la scolarisation, des arts, des qualifications, de la consommation se combinait avec la réalité de la censure et des dégâts bureaucratiques...

Les tentatives de réformes introduites par les ailes réformatrices du parti unique dans les années 1950 et 1960 en URSS ou en Europe de l’Est, visaient à améliorer la qualité des produits et l’organisation de l’économie en recourant à quelques mécanismes partiels de décentra-l-isation basés sur le marché… tout en maintenant le parti unique. Mais les inégalités et l’insécurité sociale qu’elles introduisaient ont toujours produit des mouvements de résistance et l’arrêt de réformes… au nom des idéaux égalitaires, instrumentalisés par les courants « conservateurs » des appareils contre les logiques technocratiques.

Symbolique de cette période, le mouvement de la jeunesse dans le Printemps de Prague de 1968 en Tchécoloslovaquie, se réclamait des idéaux socialistes ; il en allait de même de la « Lettre ouverte » de Kuron et Modzelevski en Pologne ; et le mouvement des étudiants et de l’intelligentsia yougoslave de juin 1968 s’opposait à « la bourgeoisie rouge » en revendiquant « l’autogestion de bas en haut », la planification et des assemblées autogestionnaires contre la réforme marchande de 1965 ; tous cherchaient le contact avec la jeunesse contestataire d’Allemagne, d’Italie ou du Mai 1968 français ; tous s’opposaient à l’intervention impérialiste au Vietnam…

Mais tous furent réprimés. Tout pluralisme politique, toute expérience socialiste alternative cohérente furent donc interdits par un parti monopolisant le droit d’introduire des réformes ou de les interrompre quand le parti risquait de perdre le contrôle politique de la situation. Ces réformes ont donc toujours été rapidement bloquées, produisant éventuellement des améliorations précaires, mais dans l’ensemble une perte de contrôle croissante du « centre » sur des unités de production qui gagnaient en autonomie sans avoir jamais résolu le problème essentiel : le bureaucratisme, précisément, parasitant le plan ou le marché « socialiste ». Avec, au plan intellectuel, un basculement dont on ne mesure qu’aujourd’hui l’importance : celui d’une intelligentsia qui se tournera dans les années 1980 vers le libéralisme ou (en Yougoslavie) le nationalisme, reprochant à la classe ouvrière d’avoir été l’alliée objectif des formes répressives et conservatrices du régime.

Il fut donc fondamentalement impossible d’avoir un autre type de croissance qu’extensif et gaspilleur en ressources humaines et naturelles, mais aussi très profondément marqué par la corruption, le clientélisme d’autant plus insatisfaisant pour la jeunesse qualifiée que les besoins de base étaient, au fil du temps, désormais satisfaits et que les nouvelles générations attendaient de la vie autre chose que la grisaille bureaucratique et l’absence de libertés. Les contradictions endogènes d’un système bureaucratique régnant au nom des travailleurs et des populations, mais sur leur dos, signifiaient l’incapacité de passer à une croissance de meilleure qualité et économe de ses ressources. Les mécanismes de corruption, le conservatisme bureaucra-tique, l’absence de libertés ont aggravé la grisaille et la détérioration des acquis sociaux – peu attractifs pour les jeunes générations. Finalement, c’est « au nom du socialisme » que les troupes du Pacte de Varsovie étaient intervenues en Tchécoslovaquie et c’est cet impérialisme-là - pas l’OTAN- qui allait de plus en plus être perçu comme repoussant pour les générations qui avaient 20 ans lors du Printemps de Prague et 40 ans en 1989…

Les années 1970-1980 : montée des conflits de logiques et de la dette

Face au blocage des réformes, au cours des années 1970, les partis au pouvoir dans plusieurs pays d’Europe de l’Est (Hongrie, Roumanie, Pologne, Yougoslavie, Allemagne de l’Est) ont tenté de moderniser les économies et répondre aux aspirations d’amélioration de la consommation par des politiques d’importations massives et d’endettement extérieur. La réalité des protections des anciens systèmes planifiés contre le marché mondial se mesure à la rapidité de l’ancrage commercial à l’UE après 1991, lorsque fut démantelé l’ancien CAEM – Communauté d’aide économique mutuelle – ou COMECON, qui reliait les anciens pays du « bloc soviétique ». On est passé d’une zone quasiment autarcique par rapport au marché mondial jusqu’aux années 1970 à des échanges à plus de 60% avec l’UE – avec un déficit commercial systématique en faveur de cette dernière… La décennie 1970 marque une période charnière dans le passage d’une logique à l’autre, à la faveur de l’endettement extérieur.

Les échanges entre les pays du COMECON s’opéraient entre produits, selon des mécanismes de troc. Les prix du marché mondial étaient pris en compte… de façon qu’il soit plus avantageux de procéder à des échanges entre membres du COMECON qu’avec le marché mondial. S’il existait une certaine « division du travail » avec des spécialisations, la montée des « communismes nationaux » résistant à une simple subordination au Kremlin avait produit une subordination des échanges dans le COMECON aux planifications nationales orientées d’abord vers les objectifs d’industrialisation de chaque pays.

Ces pays sont passés en quelques décennies de formations sociales très majoritairement agricoles de la périphérie capitaliste, en pays où l’industrie représentait au tournant des années 1980 plus de 70% du PIB. Cette industrialisation passée s’est faite sur des bases extensives souvent gaspilleuses de ressources naturelles et humaines, mais en tout cas peu respectueuses de critères « marchands », et très protectrices socialement.

L’ensemble signifia jusqu’aux années 1970 un réel rattrapage par rapport aux pays capitalistes développés. Il se traduisit dans les consciences par des exigences de réduction de l’écart entre droits et valeurs socialistes reconnus et réalité ; et non pas par un rejet du projet socialiste (mouvement des conseils ouvriers de 1956 en Pologne et Hongrie ; Printemps de Prague de 1968 en Tchécoslovaquie ; juin 1968 en Yougoslavie…).

Les années 1980 : « crise de la dette »

Les années 1980 furent au contraire celles d’une « crise de la dette » impliquant la détérioration des niveaux de vie et des protections dans plusieurs pays d’Europe de l’Est – Pologne, Yougoslavie, Roumanie, Hongrie, RDA… - alors même que, dans les appareils d’Etat et des entreprises, des couches technocratiques orientées vers l’Occident tendaient à s’autonomiser des anciennes directions plus conservatrices.

La vague d’importations réalisée à crédits au cours de la décennie 70 n’était pas en mesure de résoudre les inefficacités du système ; mais la dette fut aggravée par la hausse des taux d’intérêt décidée aux Etats-Unis au début des années 1980 et se répercutant par ricochet sur l’ensemble des taux bancaires privés pesant sur les dettes. La crise signifia au cours de la décennie 1980 une phase nouvelle historiquement où les pressions externes croissantes des créditeurs (et du FMI) pesèrent sur ces régimes autrefois quasiment autarciques.

Alors que pendant plusieurs décennies l’écart de niveau de vie entre pays capitalistes développés et pays de l’Europe de l’Est s’était réduit, la course aux armements (pesant sur l’URSS) et la crise de l’endettement dans plusieurs pays d’Europe de l’Est ont signifié la chute des investissements dans la consommation et l’obsolescence des équipements de l’industrie civile. Alors que le capitalisme occidental réalisait une nouvelle révolution technologique remettant en cause l’organisations du travail et les rapports de forces sociaux issues des « trente glorieuses », l’écart entre Europe de l’Est y inclus l’URSS et l’Occident capitaliste se creusa.

La perception de cet écart par la jeunesse et les nouvelles couches qualifiées est-européennes accentua le pouvoir d’attraction de l’Europe occidentale. D’autant que les « modèles » apparemment « gagnants » dans les années 1980 y semblent plutôt être celui de la Suède ou de l’Allemagne fortement social-démocratisés. En Yougoslavie (notamment en Slovénie), comme en Hongrie en Russie ou en Pologne, des rapprochements vont s’opérer entre les opposants démocrates et une technocratie qualifiée se sentant bloquée dans sa propre promotion sociale par le conservatisme du système. [2]

L’endettement dans divers pays d’Europe de l’Est ne recouvrait pour autant pas les mêmes situations et ne se traduisit pas par les mêmes réponses des partis uniques encore au pouvoir au cours de la décennie 1980.

L’endettement polonais - plus précisément, l’importation de biens occidentaux permis par cet endettement - réalisé dans les années 1970 par Gierek, fut en fait extrêmement… populaire. Mais il fallait payer la facture. C’est la hausse des prix des biens de consommation qui produisit l’explosion de Solidarnosc : dans un système où l’économie n’est plus déterminée par les mécanismes marchands, les changements de prix deviennent – à juste titre – des choix « politiques ». Mais les millions de travailleurs – dont une bonne partie d’ailleurs membres du parti unique – avaient une certaine mémoire de 1956 : la Pologne était sur ce plan un cas à part, marqué par une accumulation d’expériences ouvrières non réprimées frontalement, mais canalisées et dénaturées par le régime. La défiance envers le parti unique était forte, autant que le brouillage des « mots » et des orientations. Le congrès de Solidarnosc reflétait ces confusions – mais son centre de gravité restait marqué par une dynamique « autogestionnaire » et non pas de privatisation des entreprises. [3] Après la décennie de répression, une partie de l’intelligentsia démocratique et anti-communiste va chercher à instrumentaliser ce qui reste de la mobilisation des travailleurs pour négocier un compromis avec le régime – la Table ronde cherche à combiner réformes libérales et maintien des éléments de monopole politique du parti. Mais, sous pression des financements étasuniens (dont l’annulation de la dette polonaise au début des années 1990, mais aussi formes de corruption directes des dirigeants syndicaux et politiques) la thérapie de choc libérale est introduite en bénéficiant – pour très peu de temps – d’une légitimation populaire contre ceux qui avaient réprimé Solidarnosc.

Dans les autres pays endettés, les scénarios sont différents. En Roumanie, Ceaucescu remboursa au cours de la décennie 1980 l’intégralité de la dette sur la base d’une dictature féroce contre son peuple – ses pairs préfèreront lui faire payer l’impopularité d’un tel régime par son assassinat au cours d’une pseudo « révolution », au tournant des années 1990.

En Yougoslavie, les années 1980 sont marquées par une inflation galopante à trois chiffres exprimant les multiples résistances sociales aux politiques d’austérité préconisées sur le dos des travailleurs ; mais les pouvoirs des républiques détournèrent le mécontentement social vers le nationalisme, avec une désagrégation de toutes les solidarités préfigurant l’éclatement de la fédération – les républiques riches, Slovénie et Croatie, cherchant à quitter le bateau qui coulait pour s’insérer en « bons européens » dans le nouvel ordre mondial, en jouant sur leurs liens historiques avec l’Autriche et l’Allemagne.

Les dirigeants hongrois, quant à eux, tentèrent de préserver la stabilité sociale et politique du système en choisissant de rembourser la dette par l’ouverture des meilleures entreprises au capital étranger…

Quant à la RDA, selon G. Mink et J-C Szurek (1999), dès novembre 1987, elle était « lâchée » par Gorbatchev qui voyait dans l’unification allemande une possible solution optimale pour la politique de désengagement militaire de l’URSS – en escomptant une sortie de la logique des « blocs ». Mais la dynamique de l’unification allemande – puis la consolidation et l’élargissement de l’OTAN, à la faveur de la crise yougoslave – suivirent un autre cours… qui échappa à Gorbatchev – de même que l’URSS elle-même.

Le démantèlement du COMECON et la destruction de l’URSS furent voulus par Eltsine, parce que, la Russie étant producteur essentiel des ressources en gaz et pétrole, il voulait pouvoir imposer aux républiques désormais indépendantes, comme aux anciens membres du « bloc », de vrais prix de marché, en devises fortes. Après s’être industrialisés dans le cadre de protections envers le marché mondial, puis après l’échec d’importations sans transformation des mécanismes de propriété et de production, les anciens pays du COMECON s’orientaient radicalement vers un projet d’insertion dans l’Union européenne.

Un tournant historique opaque

Les transformations qui ont marqué les pays dits socialistes au cours de la décennie 1990 ont été appelées « transition vers des économies de marché » par les institutions de la mondialisation. Cette formule a exprimé le fait qu’il y avait sortie de l’ancien système, et non plus volonté de le réformer, mais qu’il s’agissait d’un processus.

Comment donc s’est déterminé, dans ces sociétés, le « sens » (signification et direction) des changements ? Que désignait (qui décidait) le but de la « transition », et les traits « d’économie de marché » vers lesquels il « allait de soi » qu’elles devaient se diriger ? Qu’est-ce qu’une telle formule (« économie de marché ») pouvait bien signifier et tout d’abord pour les populations concernées par un processus que l’on prétendait en même temps « démocratique » ?

Ces populations n’avaient généralement du « marché » qu’une connaissance bien limitée, le plus souvent réduite à l’idée … qu’il s’agissait de remplir les vitrines des magasins, une perspective attractive à l’issue d’une décennie de politiques d’austérité. Quant à l’aspect démocratique du processus, il fut associé à l’apparition d’un pluralisme de partis et à des élections pluralistes.

Mais, le label de « transition » (comme le jugement porté par les « experts » internationaux sur son degré « d’avancement ») a été rapidement associé aux « privatisations », mises au cœur des réformes. Là encore, les idéologues des transformations n’ont guère précisé aux populations de quelles privatisations il s’agissait réellement – ou plus précisément, quelle en était la logique socio-économique.

La petite production marchande, l’artisanat, avaient déjà une place dans l’ancien système (en Yougoslavie et Pologne, la très grande majorité des terres était privée et de petite dimension, l’artisanat existait). La place de la petite production marchande a certes été élargie par les nouvelles réformes. Mais ce n’est pas ce qui caractérisait le tournant : celui-ci visait explicitement l’industrie et la privatisation systématique des grandes entreprises – c’est-à-dire des milliers de grandes entreprises, le cœur industriel de ces sociétés, là où gisait l’immense majorité (souvent de l’ordre de 80%) de l’emploi… que ces entreprises fonctionnent bien, ou mal. La privatisation généralisée est devenu un but « en soi », un « marqueur » du tournant, ou de l’engagement « réel » des équipes au pouvoir dans une rupture avec le passé : elle a conditionné les crédits occidentaux (sous haute surveillance et contraintes de « politiques d’ajustements structurels » du Fond monétaire international –FMI- et de la Banque mondiale –BM) ; mais aussi en substance, l’adhésion à l’Union européenne (UE).

Les buts réels de la « transition » : que s’agissait-il de détruire?

En URSS et dans les pays de l’Est, la monnaie ne fonctionnait pas comme « capital » (on ne pouvait librement vendre ou acheter des usines, des équipements, des matières premières et de la force de travail... encore moins des actions). Il n’y avait pas de critères de profit pour orienter les investissements - parce qu’il n’y avait pas de prix reflétant les coûts ou/et l’offre et la demande (dans les secteurs industriels essentiels) ; il n’y avait pas de réelle mesure des coûts d’ailleurs (le plan version « soviétique » était réalisé ou dépassé en quantités physiques, quel qu’en soit le coût...). Une des premières mesures que durent prendre les « experts » occidentaux fut d’ailleurs d’introduire une comptabilité des entreprises qui pour beaucoup d’entre elles n’évaluaient même pas leurs équipements... du moins là où il n’y a pas eu de réformes marchandes décentralisatrices sous le régime antérieur.

De façon générale, il n’y avait pas de fermetures d’entreprises travaillant « à perte », pas de licenciements économiques. Les systèmes de prix sont restés pour l’essentiel « administrés », durablement bas pour les biens et services de base ou stratégiques, ne reflétant ni les coûts, ni les rapports d’offre et demande. L’argent (la monnaie) fonctionnait donc seulement comme « revenu » permettant d’acheter des biens de consommation. Les salaires directs n’étaient souvent pas l’essentiel : les subventions aux produits et services de base (logements, transport, nourriture mais aussi biens culturels) étaient considérés comme une consommation collective (ou salaire indirect) ; s’y ajoutaient, associés à l’emploi, des formes importantes de revenus en nature distribués par les grandes entreprises, comme les logements, crèches, produits rares, etc...

Les privilèges de la bureaucratie étaient eux-mêmes essentiellement des privilèges de consommation accaparés grâce à leur position dans l’appareil politico/productif. L’époque Brejnev en Russie fut celle d’un conservatisme bureaucratique extrême, mais permettant en même temps des résistances sociales considérables sur les rythmes de travail et sur la garantie de l’emploi (même s’il s’agissait d’un mauvais emploi). Enfin, l’industrie de ces pays a été en général fortement dominée par une structure de monopoles...

En rejetant les dictatures de l’ancien parti/Etat unique, la grande masse des populations, et notamment au congrès de Solidarnosc en Pologne en 1980, ne s’est jamais mobilisée pour un projet de privatisations généralisées. Le but était de vivre mieux et plus libre, en dehors de tout débat sur des « ismes » ou des idéologies brouillées. L’espoir était souvent de bénéficier du meilleur de chaque système – et plutôt du modèle suédois que du capitalisme anglo-saxon…

Le rejet des anciennes dictatures désormais incapables d’assurer même le maintien du niveau de vie, facilita, comme en Pologne ou en Tchécoslovaquie des coalitions larges lors des premières élections libres. Mais ces fronts « contre » se sont ensuite partout divisés au cours de la décennie 1990 sur les « pour ». Les courants libéraux prétendaient remettre en cause l’arbitraire et les gaspillages de l’ancien système de parti-Etat ; mais aussi les protections sociales. Et c’est en partie pourquoi les résultats électoraux ont varié, selon les promesses des nouveaux et anciens partis plus ou moins réformés et ce que telle ou telle partie de la population (en position plus ou moins bonne pour affronter l’incertitude du marché) voulait exprimer en premier : une sanction des anciens dirigeants corrompus, une volonté de changement radical, ou encore la peur de changements perçus, à tort ou à raison, comme menaçants.

La force des courants néo-libéraux était initialement de prétendre apporter à la fois efficacité économique et libertés, sur la base des préceptes se disant universels du « Consensus de Washington ». Pour la grande masse des gens, marchés et privatisations étaient des abstractions que les économistes, souvent moins discrédités que les partis politiques, étaient censés maîtriser. En prétendant à la scientificité, ces préceptes néo-libéraux avaient un caractère volontariste et normatif : ils se sont imposés en excluant leurs choix du domaine des débats démocratiques [4]. Ils étaient dotés pour ce faire non seulement de la force des institutions de la mondialisation, mais du soutien zélé d’anciens membres de la nomenklatura.

Paradoxalement, en effet, cette caractéristique non démocratique du « consensus de Washington » a facilité le basculement socio-politique et idéologique de bon nombre d’anciens dirigeants du parti unique vers les privatisations, sous des rythmes et des étiquettes variables. Tout en se réclamant des nouveaux dogmes, ils allaient s’efforcer de transformer leurs anciens privilèges de fonction en privilèges de la propriété, sous des étiquettes politiques variables.

C’est précisément dans l’analyse des formes prises par les privatisations que l’on peut trouver le pourquoi et le comment des premières années de la « transition » - celles d’un basculement sans précédent historique [5].

Quelles privatisations comme « noyau dur » de la transition ?

Les privatisations ont été mises au centre de la transition. Mais il faut établir une distinction majeure entre la « petite privatisation » (recouvrant principalement la création de nouvelles et petites entreprises) et la « grande privatisation » (concernant les grandes entreprises, c’est-à-dire aussi l’essentiel de l’emploi et de la production de ces pays industrialisés [6].

Cette dernière a généralement été le moteur de la croissance des pays d’Europe centrale et orientale, notamment en Pologne. Elle a parfois été valorisée, comme voie privilégiée de la transition. Et il est certain qu’elles ont contribué à créer à la fois un mécanisme concurrentiel, de vrais propriétaires et un transfert plus ou moins rapide des financements vers les nouvelles firmes privées (start-up). Les exemptions d’impôts initiales en direction des nouvelles entreprises ont généralement favorisé ce processus.

Mais ces petites entreprises sont elles-mêmes souvent fragiles et leur croissance atteint très rapidement des limites. Par ailleurs, une partie substantielle des lopins de terre privés complétait en fait le niveau de vie et les protections du travail en entreprises. Autrement dit, en dépit d’une idéologie dominante souvent hostile ou défiante envers la propriété privée et en limitant étroitement les bornes, la petite propriété personnelle avait trouvé sa place et ses protections dans le système D’où l’apparent paradoxe d’une petite paysannerie privée, en Pologne comme en Serbie, s’avérant être une clientèle électorale essentielle des partis les plus populistes issus de l’ancien parti unique, car se sentant menacée par des partis libéraux partisans de « privatisations … mais sans protections sociales.

Nulle part, en pratique, les petites privatisations n’ont résolu le problème des restructurations des grandes entreprises dont le coût social, économique et politique est au centre des difficultés de la transition.

C’est donc bien la privatisation des grandes entreprises (la « grande privatisation ») qui est significative des enjeux et difficultés de la transition. Le critère essentiel de différenciation des grandes privatisations fut et demeure l’apport ou pas de capital (seule la première variante correspondant à une vente réelle).

Comment privatiser sans capital ? Ou les sources principales d’opacité de la restauration capitaliste

Le choix de la vente se confrontait à un paradoxe pour un programme de privatisations : l’insuffisance majeure de capital-argent national accumulé pour acheter les entreprises. Une insuffisance à nos yeux significative de toute la transition. Elle renvoie, en effet, à l’absence de marché du capital et aux fonctions limitées de la monnaie derrière les rapports de propriété de l’ancien système. L’économiste polonais W. Brus [7] a bien analysé ce qu’il appelait le « rôle passif » de la monnaie dans un système sans réelle relation d’achat/vente des moyens de production, où les prix n’étaient pas « significatifs » d’une économie de marché et de ses ajustements ; ce que l’économiste hongrois J. Kornaï [8] décrivait également en soulignant la « contrainte budgétaire molle » pesant sur les entreprises. Au plan socio-économique (intégrant une dimension politique), ces caractéristiques non-marchandes signifiaient la quasi impossibilité de mise en faillite des usines. Même si les réformes ont élargi les marges des mécanismes marchands, l’exemple yougoslave étant le plus extrême sur ce plan, la substance des critères de rentabilité marchande capitaliste est restée fondamentalement étrangère à la logique de ces systèmes. Ils assuraient une production organiquement extensive, peu soucieuse des coûts, notamment monétaires, révélant pleinement de ce point de vue une essence non capitaliste.

Et c’est pourquoi, dans l’ensemble, l’accumulation de capital-argent n’a pu réellement commencer qu’après le début de la transition, souvent sous les formes violentes et « primitives » d’un « capitalisme sauvage » (cf. Nagels, 1991). La privatisation par vente n’a, pour l’essentiel, trouvé comme acheteur que le capital étranger. Ce qui indique à quel point le surplus monétaire était faible dans l’ancien système.

En pratique, seules la Hongrie et l’Estonie ont opté pour des privatisations par vente au capital étranger, au début de la transition. L’objectif d’un ancrage rapide à l’Occident pour se dissocier de l’URSS a sans doute pesé sur l’orientation de l’Estonie. Le choix des dirigeants hongrois de l’ancien système dans les années 1980 obéissait initialement, comme on l’a dit, à l’objectif du remboursement de la dette externe en devises fortes accumulée dans les années 1970 : la vente d’une partie des fleurons de l’industrie visait à limiter en fait la politique d’austérité. Les investissements directs étrangers (IDE) cherchaient de leur côté à se concentrer sur les régions les plus riches et stables. C’est pourquoi les privatisations sans capital concernent en premier lieu les régions les plus sinistrées…

Si rares furent initialement les privatisations avec apport de capital, quelles formes et contenu prirent donc ce que la sociologue polonaise Maria Jarosz [9] appela les « privatisations directes », sans capital ?

Il s’agit alors d’un changement juridique de propriété visant à rendre possible un changement de logique socio-économique et de statut des travailleurs. Mais cet objectif ne pouvait être explicité, tant il était nécessaire dans les premières années de la « transition » de légitimer le processus comme « démocratique » aux yeux des populations concernées – et du reste du monde.

C’est pourquoi les privations directes ont reflété en partie la volonté initiale de préserver un caractère « national » (et si possible populaire) aux « privatisations » - notamment en Pologne, ou en Slovénie.

Tout s’est passé comme si cette exigence de légitimation avait transformé en avantage immédiat le manque de capital national ou étranger disposé à racheter les entreprises offertes, même si à terme, les « privatisations » juridiques sans apport de capital ont posé un problème majeur pour les restructurations recherchées.

Il y eut, pour l’essentiel et de façon opaque, deux grandes variantes de « privatisations directes », souvent laissées au choix des travailleurs dans la plupart des pays concernés au début de la transition : des privatisations… en faveur de l’Etat et des « privatisations de masse » quasi gratuites, en faveur des insiders (employés et managers de l’entreprise).

Ce sont les deux sources essentielles d’opacité de la restauration capitaliste.

La notion paradoxale de « privatisations » directes en faveur de l’Etat révèle en réalité le changement de logique socio-économique des nouveaux gouvernants de l’Etat. Le parti/Etat régnait « au nom des travailleurs » (sur leur dos), sans attribut d’un « vrai » propriétaire. On a appelé « privatisation » (dans les langues des pays concernés et dans les statistiques) tout ce qui remettait en cause la logique de propriété sociale antérieure, même sous ses formes les plus bâtardes et hybrides, étatistes.

Dans l’ancien système, l’Etat, quoi qu’en aient dit plusieurs approches théoriques, n’était pas un « vrai propriétaire » : les dirigeants de l’Etat-parti n’étaient pas actionnaires et ne pouvaient rien transmettre comme propriété en héritage. Ils ne pouvaient pas non plus librement acheter ou vendre les entreprises qu’ils géraient. Et les procédures de mise en faillite des entreprises ou de licenciement demeuraient exclues sans reclassement préalable. Le « propriétaire réel » théorique au nom duquel s’effectuait cette gestion, était « le peuple » ou les travailleurs. Ceux-ci n’avaient pas la démocratie économique leur permettant de contrôler et décider réellement – en dehors des marges de responsabilité locale accordées aux conseils ouvriers ou à l’autogestion ; mais le moindre mouvement de contestation pouvait coûter aux managers et autres bureaucrates en place leur statut politico-social. La stabilisation des gestionnaires des entreprises et de l’économie avait été de ce fait étroitement corrélée avec la sécurité sociale et les acquis sociaux offerts aux travailleurs dans les grandes entreprises, ou à l’université (avec les quotas à la fois sociaux, de genre, et politiques).

C’est bien cette réalité que l’intelligentsia et les courants libéraux se sont mis à mépriser et à vouloir remettre en cause en dénonçant dans les années 1990 « l’égalitarisme » et la « mentalité d’assisté » des travailleurs ; ou encore leur « conservatisme » rétrograde.

Par les privatisations directes, il s’agissait désormais au contraire de faire émerger (même sans apport d’argent) un changement radical de logique de l’Etat. Une vraie propriété permettant à la fois un changement du statut des travailleurs et, selon les besoins, la vente des entreprises.

On a là une première source d’ambiguïté de ces « réfolutions » [10] - à la fois « réformes » et changement radical de système, donc révolutions) : la radicalité du changement introduit par l’Etat n’a sans doute pas été initialement perçue par les populations concernées. Elles escomptaient sans doute une continuité avec l’Etat/parti de l’ancien régime, certes dictateur mais aussi protecteur socialement. Cette illusion de continuité protectrice fut renforcée par les victoires électorales des ex-communistes sous nouvelle étiquette socialiste ou social-démocrate dès les premières années de la transition. Ce fut notamment le cas en Pologne, après moins de trois ans de thérapie de choc libérale. Sauf que les ex-communistes social-démocratisés dont la population espérait qu’ils seraient socialement plus protecteurs, une fois de retour au pouvoir par les urnes en Pologne vont faire le choix d’être les relais zélés de l’OTAN et des transformations ultra-libérales, non sans corruption. Ils le paient aujourd’hui par le fait que c’est la droite nationaliste et xénophobe qui a porté, contre la « gauche » le discours contre la fracture sociale et vient de se faire élire en Pologne…

La deuxième source d’ambiguïté résida dans les « privatisations de masse », formes diverses d’actionnariat populaire sur des bases quasi gratuites. Elles exprimaient explicitement la reconnaissance du fait que l’ancienne propriété « collective » revenait « de droit » (donc prioritairement et gratuitement) à une échelle massive, aux travailleurs et populations. En Russie, notamment, la présentation médiatique du programme « en cinq cents jours » de privatisation élaboré par l’académicien S. Chataline au début de la décennie 1990 insistait sur la « restitution » au peuple d’une propriété usurpée et le moyen de mettre fin à la criminalité souterraine (analysée par Favarel-Garrigues, 2003). Ces « privatisations de masse » en faveur des insiders (travailleurs et directeurs des entreprises) ont été mises en œuvre dans la plupart des pays (de la Russie à la République tchèque en passant par les pays balkaniques) au début de la transition selon différents scénarios. Ils revenaient à distribuer aux populations et travailleurs un « pouvoir d’achat » de parts d’entreprises : « coupons » - vouchers en Russie - permettant d’acheter des actions, distribution gratuite ou quasi-gratuite d’actions, droits prioritaires et tarifs privilégiés dans l’acquisition de parts de leurs entreprises.... Les formes de ces privatisations varièrent, du recours à divers types de fonds d’investissements aux procédures d’enchères directes…

En substance, les deux formes de privatisations directe sans capital (par l’Etat ou les privatisations de masse) ont contribué à supprimer toute forme de droits de gestion et d’organes d’autogestion associés à un statut d’ensemble des travailleurs issu de la « propriété sociale ».

Il s’agissait de faire émerger de façon non frontale un vrai statut de salariés soumis à des contraintes marchandes. La « flexibilité » de la force de travail soumise au marché ne fut introduite dans les codes du travail qu’à la fin de la décennie 1990 – voire très récemment au cours des années 2000. Dans la première phase des « réfolutions », les « privatisations directes » ont pu au contraire apparaître comme protectrices aux yeux des travailleurs alors qu’elles remettaient en cause tout droit de gestion d’une propriété « sociale ».

En Pologne, par exemple, par la « commercialisation » l’Etat des premières années de la transition devenait le véritable propriétaire « privé » en place et lieu des travailleurs : la logique de rentabilité impliquait d’abord la suppression des conseils ouvriers dans ces entreprises. Celle-ci conditionnait la possibilité de mise en liquidation des entreprises sur la base de critères marchands, de même que leur vente ultérieure à un vrai propriétaire privé, alors même que les travailleurs avaient cru voir dans la propriété d’Etat une certaine protection.

Cette superposition de logiques contradictoires se retrouve dans les « privatisations de masse » : du point de vue des employés : le choix pragmatique de cette forme de privatisation visait au moins à protéger des droits sociaux, notamment à l’emploi contre des restructurations qu’auraient imposées des outsiders privés (l’Etat étant perçu comme moins dangereux). Alors que du point de vue des nouveaux pouvoirs en place et des réformateurs, il s’agissait d’abord de légitimer les privatisations aux yeux des populations ; simultanément, cela permettait de « prouver » aux institutions mondiales qu’il y avait « privatisation » donc rupture avec l’ancien système, ce qui conditionnait des crédits ou le rapprochement avec l’Union européenne (UE).

Ce faisant, un processus réel de polarisations sociales nouvelles et de concentration de la propriété s’engageait, notamment en faveur des anciens directeurs d’entreprise ou de branche, derrière la dispersion d’un actionnariat populaire sans argent et sans pouvoir, sauf celui de ralentir les restructurations. L’Etat « privatisé », développait des logiques clientélistes dans la gestion de ses nouveaux droits de propriété ou cédait ses parts à de « vrais » investisseurs privés nationaux ou étrangers. Nous n’entrerons pas ici dans l’analyse des montages financiers et guerres d’oligarques que tout cela à recouvert.

Le point important qu’il s’agit de souligner est le fait que les « privatisations directes » ont fait passer la pilule des privatisations, tout court.

Mais elles n’ont pas créé un capitalisme « efficace » et stable (enraciné dans une forte classe moyenne et dans une capacité à élever le niveau de vie) ; elles n’ont pas résolu notamment les questions de la restructuration des grandes entreprises et de l’étape nécessaire sur ce plan : le passage à une vraie gestion capitaliste, permettant par un apport de capital une modernisation concurrentielle – et non pas seulement la destruction de l’ancien système…

Derrière les privatisations de masse, on assista à un vidage de la substance productive des grandes entreprises… mais les contournant, c’est-à-dire contournant l’attaque frontale des travailleurs. La chute des crédits en direction de ces entreprises et au bénéfice au contraire du secteur réellement « privé », le non paiement des salaires, accompagnera un temps plus ou moins long la non fermeture d’entreprises en faillite… En Russie les relations de trocs dominantes jusqu’à la crise financière de 1998 [11] ont illustré la survivance d’éléments de l’ancien système dans cette phase particulière. La production et la distribution en nature par les grandes entreprises de biens et services, notamment gérés par les syndicats (logements, crèches, hôpitaux, produits fournis dans les « magasins » des entreprises…) jouaient dans le passé un rôle essentiel de « socialisation » et stabilisation des travailleurs dans l’entreprise. Elles ont, sous des formes totalement détériorées, servi d’amortisseur pendant un temps. Aujourd’hui Poutine est passé à la phase d’une transformation des anciens avantages en nature à des formes monétaires. Dans un contexte d’appauvrissement général, c’est la source de mouvements sociaux de protestations nouveaux…

La perte d’emploi implique la perte de tous ces avantages difficiles à « externaliser » quand les budgets sociaux des municipalités et de l’Etat se réduisent sous pression libérale, et quand les salaires deviennent trop faibles pour acheter les biens et services privatisés d’aujourd’hui… L’héritage dégradé de la gestion des anciennes entreprises, associé aux lopins de terre, a évité des explosions sociales dans des conditions de non paiement des salaires, mais conservation de l’emploi (donc des logements et autres protections en nature). Il a ralenti la montée du chômage apparent mais rend absurdes les notions de « rentabilité » utilisées généralement pour décrire la « mauvaise gestion » de ces entreprises, ne prenant pas en compte la cohérence des anciens critères de coûts « socialisés » (bien ou mal, là n’est pas la question).

Conclusion: un bilan désastreux

Sur le plan de la situation économique d’ensemble l’effondrement subi dans la première moitié des années 1990 est souvent comparé dans son ampleur, à la crise de 1929 (en dépit des différences de cadre).

Entre 1989 et 1992, la chute de croissance a été générale pour tous les pays concernés : près de 40% en Russie, mais aussi 20% en Hongrie, de 30% en république tchèque, de 50% en Pologne (dont la situation est la meilleure)... au moins aussi grave, et souvent plus, dans les nouveaux pays indépendants issus de la décomposition de l’URSS.

Après 1993, la croissance a repris en Pologne (grâce à l’annulation de la dette extérieure par les Etats-Unis – ce qu’on omet généralement de dire…) ; puis elle gagne d’autres PECO (Pays d’Europe centrale et orientale). Dix ans après la chute du Mur, en 1999, le PIB des trois pays baltes était inférieur de 20 à 40% de son niveau en 1989 ; la République tchèque, la Hongrie, la Slovaquie et la Slovénie avaient juste retrouvé ou légèrement dépassé le niveau du PIB de 1989 ; seule la Pologne avait connu une progression de 20% de son PIB par rapport à 1989 – notamment grâce à une annulation de sa dette externe au début de la décennie, rarement mentionnée. Avec le nouveau millénaire, la croissance s’accompagne du creusement du chômage et des inégalités – parce que la restructuration des grandes entreprises et de l’agriculture est à peine entamée et que les financements se concentrent sur les secteurs les plus riches…

Le volume d’emploi était en 1999 de 73% (Hongrie, Estonie) à 90% (Pologne) son niveau de 1989. Le développement du chômage se poursuit avec la « croissance » - près de 20% en Pologne au moment de l’adhésion à l’UE en mai 2004. Et il est en partie camouflé par la baisse de la « population active », avec le repli sur les lopins de terre, le travail au noir ou la montée de la prostitution.

La privatisation des services de santé et de crèche, la chute des budgets d’éducation en partie décentralisés vers des collectivités locales sans ressources accompagnent une montée générale de la pauvreté et du creusement des écarts sociaux et régionaux. Les systèmes de protection sociale ont été réformés, notamment les retraites, dans le sens des modèles néo-libéraux promus par la Banque mondiale et l’OCDE dont les experts, notamment en Pologne et en Hongrie ont directement participé à l’élaboration des réformes.

La décentralisation régionale, présentée comme démocratisation et destruction des anciens mécanismes centralisateurs est supposée aussi donner aux collectivités locales les moyens d’assurer les dépenses de formations et de sécurité sociale. Mais faute de ressources fiscales, des écoles et autres services publics ferment (notamment en Pologne) alors que les anciennes grandes entreprises lieu privilégié des protections sociales associées à l’emploi (on y trouvait des logements, des crèches, des restaurants, parfois des services hospitaliers, centres de loisirs, etc.) se trouvent démantelées ou asphyxiées faute de crédit.

En dix ans (1989-2001), l’emploi agricole est tombé de 18 % à 6,5 % en Hongrie, de 9,4 % à 4,5% en Rép. Tchèque, de 12,6 % à 6,7 % en Slovaquie. Dans le même temps, l’agriculture polonaise n’enregistrait qu’une faible diminution, en dépit des licenciements massifs dans le secteur des fermes d’Etat. Ce déclin de l’emploi agricole est appelé à se poursuivre et à s’accélérer dans des pays comme la Pologne ou la Lituanie qui ont respectivement conservé 18,8 et 17,8 % d’actifs agricoles. Mais cela signifie le gonflement du chômage rural et la progression corrélative de la pauvreté. A l’exception des territoires ruraux tchèques, le chômage rural atteint dans tous ces pays des niveaux très supérieurs à ceux enregistrés dans les centres urbains. Il concerne les anciens salariés des exploitations collectives comme les ouvriers-paysans victimes des licenciements industriels, les jeunes comme les adultes.


Le chômage rural en 2000

Pays             Taux de chômage rural en %

Slovaquie      21,2

Pologne        18,0

Lituanie        17,6

Lettonie        14,9

Estonie         13,9

Hongrie        9,2

Rép. tchèque 8,7

Source : Transition Report, 2002, European Bank for Reconstruction and Development


La pauvreté en milieu rural (en %)

Pays          Part de la population rurale en situation de pauvreté

Lettonie            51

Pologne            33

Estonie             31

Hongrie            24

Slovaquie         10

Rép. tchèque      1

Source : World Bank and EBRD, in Transition Report, 2002, European Bank for Reconstruction and Development


Au chômage officiel, il faut ajouter le chômage caché qui touche une partie de la population vivant sur les petites exploitations individuelles. En Pologne, le nombre de personnes concernées par ce phénomène s’élèverait à 1-1 ,5 millions de personnes (soit 15 à 30 % de la main d’œuvre rurale). Une proportion importante de ruraux est restée piégée dans l’agriculture de subsistance qui leur assure de médiocres revenus mais aussi un statut social (particulièrement en Pologne où le fait de détenir une exploitation de plus de deux ha interdit à l’agriculteur de se déclarer chômeur, il en est de même en Lituanie où le fait d’exploiter une terre, même sans en tirer un revenu marchand, empêche de prétendre au chômage).

On distingue, en gros deux ensembles agricoles :

- le premier est à dominante de grandes exploitations (> 100 ha), avec un emploi agricole en diminution sensible (< 10%), après les restructurations. Cette situation concerne en tout premier lieu la République tchèque, mais également la Slovaquie, la Hongrie (avec pour résultante, dans ces deux derniers pays, un chômage rural élevé).

- l’autre à structures faiblement concentrées comporte de nombreux actifs agricoles à charge, comme en Pologne où domine une agriculture familiale de type paysan supportant une nombreuse population à charge (chômage caché), ou en Lituanie où une agriculture familiale s’est reconstituée au cours de la décennie 90. Au sein de ces agricultures familiales, deux secteurs d’importance inégale coexistent : une petite agriculture de subsistance sans avenir, une agriculture marchande en voie de consolidation.

« Filet de sûreté », l’agriculture à fonction sociale est désignée en même temps par la commission européenne comme l’obstacle à la restructuration de l’ensemble du secteur. Le Fonds de sécurité sociale agricole qui absorbe le gros des ressources budgétaires sera-t-il réduit au bénéfice d’une logique productive favorable au secteur marchand compétitif ? La voie de la modernisation souhaitée par une couche d’agriculteurs marchands est conflictuelle avec la situation d’une masse de petites exploitations qui n’ont guère d’avenir économique – sauf à être réinsérés dans une politique rurale ambitieuse et créatrice de solidarités, de développement régional et d’emplois… Ce qui n’est pas véritablement à l’ordre du jour des négociations agricoles mondiales et soulève toute l’incertitude des réformes de la PAC…

Au total, les points de départ comme les trajectoires ont été différenciés. Toutefois, derrière ces différences, un même bilan pour l’ensemble de l’Europe de l’Est et l’ex-URSS peut être dressé, même par la Banque Mondiale [12] : « La pauvreté est devenue bien plus répandue et a augmenté à un rythme plus rapide que nulle part ailleurs dans le monde. » De plus, elle souligne que « l’inégalité s’est accrue dans toutes les économies en transition et de façon dramatique dans certaines d’entre elles », et ce, « bien que les pays de cette région aient commencé la transition avec des niveaux d’inégalités parmi les plus faibles du monde ».

La construction européenne – un projet sans cohésion

Le capital n’avait pas réellement besoin de l’élargissement de l’UE pour s’investir en Europe de l’Est, pour y trouver des ressources et une force de travail non protégée, qualifiée et bon marché, ou pour y rechercher quelque clientèle nouvelle. Au contraire, les investisseurs étrangers étaient ravis de ne pas avoir à s’embarrasser des contraintes réglementaires européennes, tant sur le plan social qu’écologique. La transformation de l’Europe de l’Est en marché périphérique est une réalité avant l’intégration à l’UE.

Les dirigeants de l’UE voyaient par ailleurs d’un œil sombre la montée de la pauvreté et du chômage et les lenteurs des restructurations industrielles et agricoles dans les PECO : autant de critères faisant de ces pays des bénéficiaires potentiels des fonds structurels comptant pour la moitié environ du budget européen. Si l’on appliquait aux candidats les critères existants d’éligibilité à ces fonds et à la politique agricole commune (PAC), il faudrait pour le moins doubler le budget. Ce qui n’est pas énorme en soi (puisqu’il est inférieur à 1,2% du PIB de l’Union – contre quelque 20% aux EU, par exemple). Mais ce qui entrait en contradiction frontale avec le refus des pays et régions les plus riches d’assurer un transfert vers les autres – le projet de Traité constitutionnel a explicitement enregistré comme « exception allemande » (dans une Constitution européenne !) les transferts massifs réalisés en faveurs des Länder de l’Est…

En pratique, l’UE a avancé à reculons. Même si des « critères » ont été établis à Copenhague (1993) [13] pour déterminer qui pouvait être candidat, les négociations ne commencèrent qu’en 1998, avec 5 candidats réputés plus « avancés » (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovénie et Estonie – 5 autres pays étant repoussés pour une « deuxième vague »). En réalité les pressions pour l’adhésion venaient d’Europe de l’Est. Et cet arrangement initial suscita la colère des 5 repoussés craignant que ce traitement différenciés ne creuse encore plus les écarts et les laisse durablement en marge. Le mythe des « critères » demeure. Mais en pratique ce sont des considérations géo-politiques qui guident le jugement sur qui est « candidat » possible ou non et sur l’ouverture ou pas de négociations.

Le big-bang de 1999 fut ainsi politique : le sommet de l’Union inscrivit comme « irréversible » la promesse d’intégration des dix PECO candidats – et l’élargit aux Balkans de l’Ouest, avec l’introduction d’un Pacte de stabilité de l’Europe du Sud-Est, un jour après la fin de la guerre de l’OTAN au Kosovo : le sommet de Thessalonique en juin 2003 leur confirma (sans le dater) le projet d’ouverture de l’Union, à la condition qu’ils s’entendent préalablement entre eux et respectent les « critères de Copenhague ».

Les pseudos « critères » sont d’une part susceptibles de fortes marges d’interprétation – que signifie le respect des minorités dans une construction européenne qui intègre aussi bien le « modèle » allemand que français, ou espagnol ? Que signifie être devenu une « économie de marché capable d’affronter la concurrence » - alors que tous les pays concernés ont tous un chômage et des déficits commerciaux croissants ? Quant à « l’acquis communautaire », il est évolutif et indéterminé sur la PAC et les fonds structurels.

La construction européenne va « de l’avant » pour des raisons politiques : ce sont les échecs et incertitudes de la « transition » dans la paix comme dans les guerres qui menacent le continent. Ce sont en réalité les risques d’instabilité de toute la région avec la montée des abstentions et des votes d’extrême droite anti-européens dans les élections pluralistes qui sont une des motivations principales de l’élargissement – avec l’hypothèse (malheureusement douteuse) que celui-ci permettra de modérer les risques d’affrontements.

C’est en fait la destruction des fonctions sociales des Etats et de leurs budgets, sans développement prioritaire des objectifs sociaux de la construction européenne qui conduit à une spirale désastreuse source d’explosions. Et les populations de la « Nouvelle Europe » partagent les préoccupations de celles de la vieille Europe sur la montée d’un monde unipolaire et de guerre, sur le chômage et les inégalités sociales. Avec l’espoir de recevoir des aides pour les restructurations et contre le chômage (accès aux fonds structurels du budget), et pour les jeunes notamment, d’une Europe sans frontières. Mais la libre circulation n’est vraie que pour le capital ; pour les êtres humains, elle se heurte aux nouveaux murs de pauvreté, ou bien aux dangers croissants d’être mal accueillis… Quant aux aides, elles ont fondu avec les politiques d’austérité budgétaire qu’impose l’Union…

Le fossé entre les populations et leurs « représentants » se retrouve(ra) de plus en plus sur le terrain de la construction européenne, parce qu’il touche aux questions centrales des conditions de vie et de travail.

Le danger principal est aujourd’hui visible en Pologne : c’est que la désillusion sur le contenu de la construction européenne serve des partis nationalistes et xénophobes… La mise en compétition des travailleurs, le dumping social et fiscal qui vise à attirer les capitaux privés – à défaut de financements publics – conduit au désastre.

On voit émerger, en Europe de l’Est comme au sein de l’UE15, l’idée qu’il serait possible d’avoir d’autres critères de « convergence » que ceux de la Banque centrale européenne, d’autres valeurs que celles de la bourse pour définir le projet européen ; l’idée aussi que les choix économiques sont des choix de société qui devraient relever de procédures démocratiques et non de la compétition marchande, avec des minima sociaux et des objectifs de développement, de plein emploi, de sécurité sociale assortis de salaires dignes.

Mais c’est d’une « Autre Europe » dans un tout autre monde qu’il s’agit. Ne faut-il pas radicalement y œuvrer, sur la base du bilan critique de toutes les expériences passées, une « utopie concrète » qui se forge à partir des rejets croissants du capitalisme réellement existant ?

Notes

1. Cf. la revue Ezmelet (Conscience) en Hongrie, sous la direction de Tamas Kraus et Peter Szigeti, notamment l’édition en anglais du recueil d’articles de 2005 ; la revue Alternativi en Russie éditée par Alexandre Bouzgaline, ou encore la revue polonaise Rewolucija que dirige Zbigniew Marcin Kowalewski.

2. Lire notamment E. Szalaï, 1999 ; G. Mink et J-C Szurek, 1999.

3. Cf. Inprecor n° 509 septembre 2005, Dossier Pologne – une révolution écrasée et trahie, 25 ans après.

4. J. Sapir, 2002.

5. Cf. outre les références de la note 2, Eyal, Szelenyi & Townsley, 1998, Kornai, 1990 ; Drweski, 2002, Samary 2004.

6. Le poids dominant de l’agriculture en Chine est une différence majeure avec l’Europe de l’Est et l’URSS où elle pesait entre 10% et 30% du PIB à la fin des années 1970.

7. Brus, 1968

8. Kornaï, 1984

9. Jarosz, 2000

10. Cf.T. Garton Ash, 1993.

11. Sapir, 1998 ; Zlotowski, 1998.

12. Cf. Banque mondiale, Regional Overview. Challenges, http://Inweb18.worldbank.org et rapport Transition the first ten years.

13. Les trois critères officiels, sont un Etat de droit – pluralisme politique et protection des minorités ; une économie « de marché » capable de fonctionner et de supporter la concurrence ; l’incorporation de « l’acquis communautaire ».

REFERENCES CITEES

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DRWESKI B. (2002), “Du Parti ‘ouvrier’ à la ‘gauche démocratique’. Les métamorphoses d’un parti de pouvoir polonais (1989-2001)”, in J.-M. de Waele, éd., Partis politiques et démocratie en Europe centrale et orientale, Université de Bruxelles, coll. “Sociologie politique”, pp. 71-83.

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ZLOTOWSKI Y. (1998), La crise des paiements en Russie, expression d’un consensus social ?, Études du CERI, n° 43, août, Paris : Fondation nationale des sciences politiques.

* Paru dans « La Pensée », septembre-novembre 2006.

A lire sur ce site: un document de congrès de la IVe Internationale: "Le bilan de la transition de l’URSS à la Russie, la chute du stalinisme et les conséquences d’ensemble"

Voir ci-dessus