1917-2007 : Défense critique de la Révolution russe
Par Ataulfo Riera le Lundi, 05 Novembre 2007 PDF Imprimer Envoyer

Le 25 Octobre 1917 – le 7 novembre en réalité, du fait du calendrier en vigueur dans la Russie de l’époque - le monde bascule dans une nouvelle ère. Il y a 90 ans, les exploités et les opprimés de Russie se levaient pour se libérer des chaînes du capitalisme et des restes semi-féodaux de l'autocratie tsariste. Cette révolution fut un événement capital de l'histoire de l'humanité. Qu’il nous faut revisiter avec la même méthode que nous a légué Marx ; l’enthousiasme pour tout ce qui permet d’élever la capacité de l’humain à se libérer de toute forme d’oppression et d’exploitation, la rigueur et la critique impitoyable envers tout ce qui le freine ou le fait reculer de ce but.

Première révolution socialiste victorieuse, la Révolution russe a ouvert une vaste période historique aujourd’hui refermée. Mais l'événement et ses enseignements, pour qui sait les tirer, restent essentiels, non seulement pour comprendre le "court XXe siècle", mais y compris le monde d'aujourd'hui dont il est issu. Si la Révolution russe n'a jamais été un "modèle" à copier servilement pour notre courant, elle n'en demeure pas moins une source inépuisable et enrichissante d'expériences, de tentatives réussies ou avortées d'affronter certains défis révolutionnaires qui, quel que soit le contexte historique, se poseront toujours.

Sous les ruines aujourd’hui refroidies de l’effondrement de l’Union soviétique, il nous faut retrouver le formidable élan libérateur, égalitaire et généreux, comme tous les grands soulèvements populaires authentiques de l'histoire, qu’à signifié Octobre. Les humiliés, les exploités et les opprimés sont montés "à l'assaut du ciel" et ont lancé un message universel d'espoir et de fraternité. Roulant au-dessus des tranchées de la Première guerre mondiale, cet appel fit "trembler le monde".

La Révolution russe allait provoquer une explosion de la créativité et de l'imagination ouvrière et artistique, en Russie et ailleurs dans le monde. Elle allait permettre des expériences audacieuses de transformation du mode de vie. Elle allait s'atteler à combattre l'oppression des femmes. Elle allait proclamer et parfois appliquer de manière cohérente des principes directeurs du socialisme. Comme l’a décrit l’historien Marc Ferro, pourtant peu suspect de sympathies révolutionnaires : « Un immense cri d’espérance jaillit alors du fond de toutes les Russies : il s’y mêlait la voix de tous les malheureux, de tous les humiliés. Ils révélèrent leurs souffrances, leurs espoirs, leurs rêves. Et comme dans un rêve, ils vécurent quelques instants inoubliables. A Moscou, des travailleurs obligeaient leur patron à apprendre les fondements du futur droit ouvrier ; à Odessa, les étudiants dictaient à leur professeur un nouveau programme d’histoire des civilisations; à Petrograd, les acteurs se substituaient au directeur du théâtre et choisissaient le prochain spectacle; aux armées, des soldats invitaient l’aumônier à assister à leurs réunions «pour qu’il donne un sens à sa vie ». Il n’est pas jusqu’aux enfants qui n’aient revendiqué « pour les moins de quatorze ans, le droit d’apprendre la boxe pour se faire entendre des grands. » C’était le monde renversé. » (1)

Les premières années du régime révolutionnaire sont le reflet de cette espérance, de cet élan qui, renversant un monde à l’envers, le remet sur ses pieds. Elles furent à l'opposé des grossières caricatures fabriquées par les historiens et idéologues bourgeois en vogue aujourd’hui. Pour ces derniers, la filiation entre Lénine et Staline, entre les premières années de la Révolution et sa "consolidation sous Staline" coule de source. Cet amalgame n'est pas innocent. Il relève de la volonté de briser, de dénigrer l'espoir et la réalité de la Révolution d’Octobre, et par là même de toute révolution, en reportant sur cet événement la folie criminelle et dévastatrice du stalinisme. Or, nous ne le dirons jamais assez ; le stalinisme fut une antithèse, le fruit d'une véritable contre-révolution bureaucratique. Et notre courant, qui a été parmi les premiers à dénoncer ses crimes, a souffert dans ses chairs pour avoir dénoncé cela en des temps où les intellectuels à la mode encensaient le "Petit Père des peuples".

Mais la défense de la Révolution d'Octobre ne signifie nullement l'aveuglement sur les parts d’ombres des premières années du régime soviétique. Sans remettre en cause les différences qualitatives et de nature, la lutte la plus énergique pour la réalité historique face aux interprétations dominantes ne doit pas masquer les réalités critiquables aux origines même du nouveau pouvoir révolutionnaire issu d’Octobre. L'analyse des mesures et des choix politiques concrets pris par les Bolcheviks, leurs relations avec les autres partis soviétiques et révolutionnaires, leur rôle et leurs relations respectives, les erreurs criminelles prises dans le feu d’une guerre civile impitoyable et de l’encerclement capitaliste - qui ne peuvent pas tout excuser, ni expliquer - sont autant de thèmes qu'il nous faut aborder honnêtement et avec franchise.

Il reste que penser de manière critique ces années cruciales de la Révolution ne peut se faire qu'en réaffirmant la nécessité historique de cette dernière et la validité de la révolution socialiste comme réponse la plus adéquate et juste aux défis qu’affronte l’humanité. Le capitalisme porte toujours en lui son cortège d'horreurs, d'exploitation et d'oppression. Il porte toujours en lui la menace de la Barbarie déjà signalée par Rosa Luxemburg à l'aube du XXe siècle. La révolution est plus que jamais une nécessité. Mais à condition de savoir tirer les leçons, non seulement de ses réussites, mais également de ses erreurs et des crimes parfois commis en son nom. Ce à quoi tentent de s'atteler les textes que nous publions sur notre site.

(1) Marc Ferro, « La révolution de 1917 », Albin Michel, Paris 1997

Textes sur la Révolution d’Octobre et ses suites à lire sur notre site:

Les étapes de la révolution russe de 1917

Les questions d'Octobre

Les mutations du Parti bolchévik

De la révolution d’Octobre aux débats économiques des années 20, quelles conditions d’émergence du socialisme?

La révolution culturelle de la Révolution russe

L’Etat, la démocratie, et la révolution: retour sur Lénine et 1917

Le rôle de Trotsky en 1917

Octobre 1917. Identification d'un échec

La Terreur rouge

Ombres et lumières des apports de Kollontaï sur la libération des femmes

1917 en Russie : les femmes donnent le signal

La répression du soulèvement de Kronstadt: un retour critique

Le rêve naufragé. La révolution d'Octobre et la question nationale

Etat "ouvrier" et bureaucratie

Révolution et démocratie

Bolchevisme et stalinisme

Voir ci-dessus