Etat espagnol : Entre tentatives de répression et élargissement, le Mouvement du 15 mai s’enracine
Par Josep Maria Antentas, Esther Vivas, Juan Luis Sánchez, Miguel Romero le Mardi, 31 Mai 2011 PDF Imprimer Envoyer

La tentative d’expulsion extrêmement brutale opérée par la police catalane contre le camp de la Plaza Catalunya à Barcelone le vendredi 27 mai a suscité une grande émotion et une remobilisation du mouvement des indignés. La plupart des camps ont décidé en assemblées générales de prolonger les occupations pendant quelques jours encore. Parallèlement, à Madrid, les assemblées de quartier ont été un énorme succès : Il y a eu plus de 120 assemblées populaires sur les places des quartiers, des municipalité et des petites villes de la Communauté madrilène. Ces assemblées ont rassemblé plus de 25.000 personnes, avec, pour les plus petites, 200 personnes et jusqu’à 2000 pour les plus grandes. Nous reproduisons ci-dessous un article de nos camarades  de Barcelone sur la tentative d’expulsion de la Plaza Catalunya ainsi que des témoignages sur les assemblées populaires de quartier à Madrid (LCR-Web).

Barcelone : Le « V » de Victoire

Josep Maria Antentas et Esther Vivas

Le Mouvement du 15 Mai a vaincu la première tentative de le réprimer. Ce vendredi 27 mai, l’opération d’expulsion du camp de la « Plaza Catalunya » à Barcelone, le second en importance jusqu’à présent dans l’Etat espagnol, a été un échec cuisant.

Une semaine après que le Mouvement ait politiquement mis en déroute l’interdiction émise par la Junte Electorale Centrale d’organiser des manifestation pendant la « Journée de réflexion » du 21 mai et le jour des élections, le 22 mai, ce vendredi matin, à la première heure, la police catalane a tenté d’expulser le camp de la Place de la Catalogne. Avec un prétexte ridicule et très peu crédible ; faciliter une opération de nettoyage de la place.

D’importants effectifs policiers ont commencé par fermer les accès à la Place où se trouvaient quelques 300 personnes, afin de permette à une brigade municipale de nettoyage de démanteler le camp. Plus d’un millier de personnes ont sont venues en solidarité avec les occupants, parvenant à « reconquérir » la place et forçant la police à battre en retraite.

La tentative d’expulsion par la police a été extrêmement brutale. Malgré les mensonges du Conseiller à l’Intérieur du gouvernement catalan, Felip Puig, les images parlent d’elles-mêmes. Tout comme le bilan : plus de 100 blessés, dont l’un très grièvement.

Provocation policière ? Erreur de calcul ? Quoiqu’il en soit, le Mouvement a remporté une victoire politique très importante. L’image d’un Felip Puig nerveux répondant aux journalistes lors de sa conférence de presse était un signe clair du fiasco politique et policier du gouvernement catalan. Au-delà de la reconquête formelle de la place, la victoire contre cette première tentative de répression a donné encore plus de force et d’énergie aux activistes et n’a fait qu’augmenter la sympathie envers eux parmi la majorité de la population.

Alors que l’attention médiatique à son égard était en baisse  au cours de la dernière semaine, une fois que les élections municipales et régionales passées, l’attaque policière du camp de Barcelone a à nouveau donné une importante visibilité au mouvement des indigné-e-s.

Selon les médias, plus de 12.000 personnes ont remplies à ras bord la Place de la Catalogne lors du rassemblement de 19h et du « concert de casseroles » de 21 heures ce vendredi 27 mai. Peu avant, vers 17h, plusieurs milliers de personnes ont participé à la marche contre les mesures d’austérité dans la santé publique, organisée par la plateforme des travailleurs de la santé « Indignés et indignées ». Cette marche est partie du monument à Christophe Colomb et s’est terminée par une entrée triomphale sur la Place de la Catalogne.

Sans aucun doute, l’assemblée qui s’est tenue à la fin de la journée a été la plus massive depuis le début du mouvement. Les slogans les plus criés constituaient un message politique très clair : « On ne nous expulsera pas de la Place de la Catalogne ! » ; « Felip Puig, démission ! », « Ici commence la révolution ! ». Les rassemblements dans les autres camps de l’Etat espagnol ont également été plus importants qu’au cours des derniers jours. La solidarité contre la répression a donné une nouvelle impulsion au mouvement, après une semaine où la fatigue a commencé à s’accumuler et faire sentir ses effets.

Il est impossible de savoir jusque quand dureront les camps et les assemblées sur les places, mais ceci n’est pas un mouvement conjoncturel ni isolé. C’est la pointe de l’iceberg d’un malaise social accumulé qui commence à se transformer en mobilisation. Une première secousse sociale qui annonce une nouvelle vague de mobilisations dont les manifestations du 15 Mai et les occupations ne sont que l’avant goût.

Les camps et les occupations de places ne doivent pas êtres analysés comme une fin en soi. Ils jouent actuellement à la fois un rôle de référence symbolique et de base d’opérations, de levier pour impulser les mobilisations à venir et de haut-parleur pour amplifier les luttes en cours.

Pendant toute la semaine, plusieurs secteurs en lutte ont participé aux activités de notre particulière « Plaza Tahrir » à Barcelone, entre autres des collectifs pour un logement digne et de familles menacées d’expulsion ; des travailleurs de la compagnie Telefonica en lutte contre la volonté de la direction de licencier 6.000 employés ; des étudiants et des travailleurs universitaires qui protestent contre les mesures d’austérité dans l’enseignement supérieur…

Presque deux semaines après le 15 Mai et le début des occupations, le mouvement de notre petit « Mai 2011 » a encore devant lui quelques défis. Le premier, c’est de continuer à s’enraciner localement, en multipliant les assemblées de quartiers et de villes et en favorisant l’auto-organisation populaire. Le second, c’est de multiplier les efforts pour se lier à la classe ouvrière, les entreprises en lutte et le syndicalisme de combat et maintenir ainsi la pression sur les syndicats majoritaires, déconcertés par un mouvement inattendu qui remet radicalement en question leur orientation actuelle en faveur de la concertation sociale. Le troisième défi consiste à faire culminer les occupations avec une date pour une puissante mobilisation unificatrice dans l’ensemble de l’Etat espagnol et, dans la mesure du possible, à l’échelle internationale. De là la nécessité de commencer à travailler sur la date du 19 juin, par le camp de Barcelone, comme objectif pour une telle mobilisation globale.

La journée du 28 mai a été décisive pour insuffler de l’énergie, activer de nouvelles solidarités et redoubler les motifs de l’indignation. Il convient maintenant de penser les prochains pas à faire de manière collective et stratégique.

Josep Maria Antentas est professeur de sociologie à l’Universitat Autónoma de Barcelona (UAB). Esther Vivas participe au Centre d’études sur les mouvements sociaux (CEMS) de l’Universitat Pompeu Fabra (UPF). Tous deux sont membres de la Gauche Anticapitaliste (Izquierda Anticapitalista – Revolta Global, en Catalogne), rédacteurs à la revue « Viento Sur » et auteurs de « Resistencias Globales. De Seattle a la Crisis de Wall Street » (Editorial Popular, 2009). Ils participent à l’occupation de la Plaza Catalunya de Barcelone.

http://esthervivas.wordpress.com/ Traduction française par Ataulfo Riera pour le site www.lcr-lagauche.be


« Nous n’avions jamais vu cela dans le quartier »

Juan Luis Sánchez

Le mouvement du 15M a commencé sa mue. Avant de lever volontairement le camp de la Puerta del Sol – qui se fera, sans doute, avant mercredi – il s’agissait de garantir une continuité dans les rues en portant les groupes de travail et les assemblées dans les quartiers et les villages, en se décentralisant.

Plus de 2.000 personnes dans le quartier de Vallecas. Des centaines à Lavapiés et, à peine à quelques mètres, sur la Place Santa Ana, d’autres centaines. A peine plus loin, sur la Place del Carro de La Latina, il y a autant de monde.  Tout comme à Prosperidad et Aravaca, au Retiro et un long etcétéra de noms qui indiquent la sortie pour les camps centraux.

« Nous n’avions jamais vu cela dans le quartier » nous commentent Toñi y Luis, deux personnes qui habitent le quartier de Tetuán depuis presque 30 ans, une zone où l’ont peut trouver des gratte-ciels de bureaux au nord et des rues où ne vivent pratiquement que des Dominicains au sud.

Madrid. Grande ville. Capitale tissée par des relations de travail et où chacun connaît chaque fois un peu moins ses voisins, symptôme, dit-on, de la sociologie postmoderne. Un mouvement d’assemblées populaires peut-il y prendre racine ? Es-ce qu’un jeune du quartier d’Usera préférera participer à la réunion dans son quartier, avec lequel il s’identifie peu, au lieu de retrouver ses amis de la Faculté à l’assemblée de Lavapiés ou de Tribuna, zones où il passe le clair de ses loisirs ? Encore une autre observation à mener dans ce phénomène qui donne plus de réponses par la voie des faits que par la voie du contenu.

Il y avait une certaine expectative quant à l’opinion des assemblées des quartiers par rapport au maintien du camp à la Puerta del Sol. En attendant la lecture des procès-verbaux des assemblées qui seront publiées sous peu, le sentiment général dans les réunions de Vallecas, Tetuán ou du Centre est que le cycle ouvert par la « Ciudad Sol » (« Cité du Soleil », NdT) s’est terminé et que ce sont les quartiers et la participation à travers internet qui doivent prendre aujourd’hui le relais.

Cependant, il y a des points de frictions qui le débat ; d’un côté, la priorité des assemblées doit-elle être de discuter des problèmes du quartier ou de contribuer au reste du mouvement du 15 mai afin d’adopter des propositions face à la société ?

D’autre part, jeudi dernier, l’assemblée générale du camp de la Puerta del Sol a diffusé 4 propositions politiques élaborées par une sous-commission qui n’est pas passée par les organes intermédiaires avant son adoption. Cela a créé un grand malaise dans les autres commissions qui, thème par thème (économie, social, écologie etc.), essayent d’élaborer un cahier de revendications pour le mouvement du 15 mai.

Cette deuxième question, qui provoque certaines tensions, et d’autres encore comme une certaine terminologie héritée du camp de Sol et de ses modalités internes, comme les « consensus minimaux », ont provoqué des « assemblées à double vitesse » entre les habitants des quartiers qui sont déjà impliqués dans le mouvement depuis le début et ceux qui tentaient de comprendre de quoi on parlait.

Comme cela s’est passé à Tetuán, ou à Carabanchel, et dans d’autres encore selon les témoignages sur Twitter, l’enthousiasme des participants pour s’inscrire dans le mouvement du 15 Mai s’est heurté à la dynamique même des assemblées. « Nous avons passé une heure et quart à décider qui allait modérer, comment on modère, quand on allait faire la prochaine réunion, à quelle heure, si on est d’accord ou pas que les gens fassent des photos ou filment les assemblées… Tout est désespéremment long » nous a dit un habitant du quartier de Vallecas. Mais, malgré tout, très peu de gens ont quitté les assemblées avant leur fin. « Ceci n’est qu’un début, dans la prochaine, nous entrerons de plein pied dans la matière » nous a commenté une habitante du quartier de La Latina.

Logement, expulsions, pensions, sont des mots qui ont surgis dans le débat de l’assemblée de Tetuán. On va créer un réseau de communication et de travail pour « soutenir nos voisins immigrés contre les rafles policières et pour améliorer la convivialité dans le quartier » affirme un habitant. 9% de la population du quartier est d’origine immigrée.

Après la fin de l’assemblée, nous conversons dans un petit groupe de discussion qui s’est spontanément formé. « Je crois que les assemblées de quartier vont aider à ce que beaucoup d’immigrés participent au mouvement du 15 mai. Beaucoup d’entre eux n’osent pas aller à Sol car ils craignent que la police n’intervienne et qu’ils aient des problèmes par rapport aux papiers, ou simplement par crainte de ne pas être écoutés » dit quelqu’un. « Ce qui se passe, c’est qu’ils ne se sentent pas représentés » répond la directrice d’une association de femmes migrantes du quartier.

Juan Luis Sánchez, journaliste à "periodismohumano"


Petite chronique d’une grande assemblée

Miguel Romero

« Quelle quantité de gens ! » nous disions-nous les uns aux autres, sous un soleil splendide, sur la place de Lavapiès (quartier populaire de Madrid, NDLR) ce samedi 28 mai à midi. Mais, c’est combien « quelle quantité de gens ! » ? Jusqu’à aujourd’hui, « quelle quantité de gens ! », en comptant y compris les activistes engagés du quartier, c’était, disons, cent personnes. Aujourd’hui, nous sommes entre 500 et 600. Et aujourd’hui, il s’agit d’autre chose que les habituels rassemblements, débats, conférences auxquels nous étions habitués. Il est clair que quelque chose de nouveau est né, un mouvement social qui est encore dans sa phase « fluide » et dont il vaut mieux qu’il continue ainsi plutôt que de se solidifier trop tôt.

L’assemblée a été très bien modérée par des gens dynamiques qui ont confirmé l’utilité des « groupes moteurs » qui agissent avec cordialité, patience et un bon sens commun pour chercher des conclusions largement partagées.

Je résume ce qui m’a paru le plus intéressant :

- Alors que l’on parle beaucoup de la « génération perdue », il y avait dans le public beaucoup de gens ayant entre 30 et 40 ans, signe d’une « génération récupérée ».

- La proposition qui a été lue sur l’organisation des débats en assemblée répond à une volonté très forte de démocratie participative. C’est très bien et il vaut mieux s’étendre sur cela que de conclure trop vite. Mais à la mesure que le mouvement se développe, et cela devrait bientôt arriver, je crois qu’il sera nécessaire d’appliquer des formes de représentation démocratique bien contrôlée. Former des groupes de travail sur base du volontariat, y compris celui qui devra transmettre les accords de l’assemblée, c’est très bien pour commencer, mais je ne sais pas si cela sera encore utile sous peu, surtout quand apparaîtront des désaccords plus importants.

- Il est très bien que se manifeste un tel respect pour les avis divergents et qu’ils s’expriment dans les mêmes conditions que les avis convergents. Il est également positif d’opter pour le principe qu’en dernier recours, « un vote est préférable à un veto » afin d’adopter par une large majorité des 4/5e des accords lorsque l’on ne parvient pas au consensus.

- Ces règles, et surtout la pratique de les utiliser, forment une espèce de « Parlement anti-parlementaire », une expérience très saine qui suppose une critique démocratique vivante du Parlement de « ceux d’en haut ».

- Le débat s’est limité à exprimer des opinions sur le maintien ou non de l’occupation de la Puerta del Sol et sur l’organisation de l’assemblée du quartier. Cela semble peu pour trois heures de discussions, mais l’assemblée n’a en rien été ennuyeuse et la démocratie prend du temps.

- On accueille très bien les opinons du type « nous sommes des citoyens indignés, ici il n’est pas important de savoir si on est de droite ou de gauche, croyant ou non-croyant », etc. Il faudra voir quel sens concret vont prendre ces expressions qui révèlent, probablement, une volonté d’inclusion, une méfiance envers les étiquettes politiques préétablies… mais aussi des idéologies en rien inclusives.

- Deux interventions contre la réforme du code du travail et la réforme des pensions n’ont pas été très bien accueillies. Comme si beaucoup de gens pensent que cela n’était pas approprié dans ce lieu. Il est vrai que ces interventions ont été assez maladroites, de type « meeting » et sloganesques, ce qui ne correspondait pas du tout au ton de l’assemblée. Mais il est également vrai qu’une intervention visant à considérer comme un objectif fondamental la seule réforme de la loi électorale a été mal reçue elle aussi. Je ne sais pas très bien comment interpréter cela. Peut être que la majorité des gens ne veut pas entrer dans ce type de discussions-là pour le moment. Peut être que cela démontre une difficulté à aborder des objectifs politiques concrets. On verra bien.

- Comme on estime énormément l’expérience et le symbole du camp de la Puerta del Sol, dont les méthodes d’organisation sont prises comme modèle et dont les opinions ont une très grande autorité, les conditions émies pour une levée du campement ont été très soigneusement et attentivement abordées et précisées. La majorité des présent-e-s était en faveur d’une levée du camp, mais toujours à la condition que tel soit le choix de l’Assemblée de Sol afin de montrer que cette décision est prise par la seule volonté du mouvement et collectivement. On veut donner à cette levée un caractère très festif et on estime nécessaire de maintenir un « point d’information » permanent sur la place, en la réoccupant de temps en temps d’une manière ou d’une autre (pas nécessairement sous forme de campement). Tout le monde exige en tous les cas l’abandon de toute poursuite judiciaire contre les 24 personnes inculpées pour les incidents survenus le 15 mai.

J’oublie certainement certains points, il ne s’agit ici que de résumer mes impressions. Un procès verbal de l’assemblée sera publié sur le site web http://lavapies.tomalosbarrios.net/. Ce qui me semble le plus important, c’est l’état d’esprit collectif qui prédominait, une sorte de « nous sommes en train de gagner ». Il faut remonter à certains moments de la campagne pour le référendum contre l’OTAN dans les années ’80 pour retrouver quelque chose de semblable.

L’assemblée à décidé de s’organiser avec des formes très militantes : une réunion hebdomadaire, des groupes de coordination d’activités spécifiques, avec une tournante quant à la composition. Et, pour terminer, juste après que la traduction en langage des signes se soit achevée, l’assemblée s’est terminée par une grande ovation. Nous sommes content-e-s. C’est un bon début.

Miguel Romero est membre de la rédaction de « VIENTO SUR » et d’Izquierda Anticapitalista. Traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be

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