"Le jour où les sans-papiers prendront en charge leur lutte eux même, les choses pourront avancer."
Par Lise Slama le Mercredi, 07 Avril 2004 PDF Imprimer Envoyer

L'Ambassade Universelle (AU) est une maison dont la fonction première est l'accueil d'urgence de personnes sans papiers. Ce lieu s'est mis en place par les sans papiers eux-mêmes il y a deux ans et demi L'AU est un espace où les sans-papiers peuvent partager leur expérience, s'entraider et développer une parole publique.

Comment fonctionne l'AU?
MB :
Il n'y a pas de règlement formel. Les habitants se réunissent une fois par semaine entre eux, puis une autre fois, le mercredi à 18h à l'ambassade, avec les bénévoles. Les gens se chargent de tâches en fonctions de leurs affinités et disponibilités. De plus, une ASBL a été créée par les bénévoles. Cela a permis d'ouvrir un compte finançant les charges du bâtiment, et où l'on reçoit les soutiens financiers.

Quelles sont les activités que propose l'AU?
MB:
Au début, c'était seulement un lieu pour dormir. Puis on a commencé par éditer un journal de 4 pages. On a organisé des tables d'hôte. Aujourd'hui, des bénévoles assurent une école de devoirs pour les enfants des familles, ainsi que des cours de langue ( français, anglais et néerlandais) pour les adultes.

Quelle aide juridique est apportée ici ?
MB :
Il existe un arbitraire extraordinaire par rapport aux sans papier du fait que l'office des étrangers échappe à tout contrôle parlementaire et judiciaire. Ici, il y a deux juristes parmi les bénévoles qui font le suivi des dossiers et expliquent quelles sont les procédures. Il faut savoir que même après avoir été régularisé, on continue à avoir des difficultés avec l'administration. Ainsi le CPAS de Bruxelles-ville refuse de verser d'une aide à tout personne donnant pour adresse celle de l'Ambassade.

Est-ce que les gens qui sont régularisés, participent par la suite au fonctionnement de l'AU ?
MB :
Ce sont environ 100 personnes qui sont passés ici. La plupart du temps, on ne les revoie plus. Le parcours de la clandestinité est tellement dur surtout au niveau psychologique. Beaucoup sont maintenant régularisés et n'arrivent pas à reprendre une vie normale. On est tellement cassé, c'est très profond, et souvent on ignore cet aspect qu'est l'impact psychologique de la clandestinité.

Sur votre site (http://www.universal-embassy.be/), vous affirmez que votre action n'est pas " humanitaire "...
MB:
Ce n'est pas de l'humanitaire, et encore moins de l'assistanat. C'est un projet de vie communautaire accompagné d'un travail politique interne et externe à l'AU (au camp No Border à Strasbourg, au Forum Social Européen, dans des plates-formes comme la Coordination pour la Liberté d'Installation et de Circulation (CLIC) et le Forum Asile Emigration).

Il s'agit donc d'actions clairement politiques?
MB :
Oui, c'est de la politique. Le fait seulement que des sans-papiers vivent dans cet espace est de la politique. De plus, les habitants s'impliquent de plus en plus en dehors de l'AU et l'on sent que le sens politique s'intensifie. Il y a un problème qui commence à se résoudre: c'est la non implication des personnes concernées. Au départ, on était seulement deux à être vraiment impliqués. Puis, petit à petit, les habitants se sont investis politiquement. Cela a pris du temps mais on commence à voir des résultats.

Quel avenir pour la lutte de sans-papier ? Quel avenir pour l'AU ?
MB:
Le jour où les sans-papiers prendront en charge leur lutte eux même, les choses pourront avancer. Je fais souvent le parallèle avec la lutte contre l'esclavage. Le jour où les esclaves ont pris en main leur destin l'esclavagisme a été aboli. Ce sont les gens les premiers concernés qui doivent mener bataille.

En ce qui nous concerne, on a passé un stade où l'AU était très fragile : il y avait de fortes tensions entre les occupants. Aujourd'hui ça va mieux. Les gens de l'extérieurs ne pourront jamais leur dire comment faire. C'est aux habitants eux même de trouver les solutions à leurs problèmes. C'est ce qui se passe maintenant. Je pense que ce projet peut durer, mais je ne peux pas en dire plus. Cela dépend aussi de la situation de la Somalie. Si l'état de la Somalie se reconstitue comme état, il faudra rendre le bâtiment. Quant à l'état belge, il a essayé de nous chasser d'ici, mais cela n'a rien donné. Il a organisé une rafle, et nous a envoyé les services d'hygiène pour montrer l'insalubrité du bâtiment, mais cela n'a rien donné.

Interview publié dans La Gauche, numéro 1, février 2004

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