Régularisation des sans papiers: quel bilan et quelles perspectives d’actions? Entretien avec France Arets
Par Denis Horman le Mercredi, 24 Mars 2010 PDF Imprimer Envoyer

Entrevue avec France Arets, porte-parole du CRACPE, coordinatrice du comité de soutien aux sans papiers de Liège, militante de la LCR: "Pour ce qui n’est pas délocalisable, comme l’agriculture ou la construction des maisons, on utilise un tiers monde à domicile. D’où l’importance de la convergence des luttes, notamment à travers le soutien des organisations syndicales aux sans papiers !" Propos recueillis par Denis Horman, le 22 mars 2010

La Gauche : Quel bilan tires-tu de « l’instruction » gouvernementale de 2009 pour la régularisation des sans papiers ?

France Arets : D’après certaines informations, il y aurait quelque 40 000 dossiers rentrés et les réponses tombent au compte à goutte. A Liège par exemple, il y a des personnes qui reçoivent des réponses positives, mais ce sont des personnes qui ont complété ou réintroduit des dossiers datant de bien avant « l’instruction » gouvernementale. La plupart des occupants de la gare de Bressoux, ayant introduit un dossier, n’ont encore reçu aucune réponse. Donc, à l’heure actuelle, il est bien difficile de tirer un bilan, de savoir si les critères fixés pour la régularisation ont été interprétés de manière large ou restrictive, notamment le critère correspondant à l’ancrage local durable. On s’étonne de la lenteur dans le traitement des dossiers alors que du personnel supplémentaire a été engagé à L’Office des Etrangers.

Sur le fond, il est important de rappeler que cette opération de régularisation était ponctuelle. Elle s’échelonnait sur trois mois, les sans papiers pouvaient rentrer leurs dossiers entre le 15 septembre et le 15 décembre. Une série de personnes pourraient rentrer dans les critères, si l’opération était prolongée, ce qui n’est pas le cas. Cette opération ponctuelle laisse de côté des gens qui restent dès lors dans la clandestinité. Un des aspects de notre revendication d’une commission permanente de régularisation, c’est de permettre une régularisation permanente et pas seulement pendant une période précise et limitée.

Il y a eu une régularisation « one shot », sur une courte période en 1999-2000. Il n’y a plus rien eu par la suite. Ce qui explique un nombre de plus en plus grand de personnes survivant dans la clandestinité, du fait d’une politique d’asile de plus en plus restrictive. Actuellement, 3/4 des demandes d’asile entraînent une réponse négative.

Nous demandions également que cette commission de régularisation soit indépendante, qu’elle soit constituée, non pas par l’Office des Etrangers, ni par le Ministre lui-même, mais par des représentant-e-s des ONG, des syndicats, des magistrats…

Je rappelle également que la revendication de beaucoup de mouvements des sans papier reste la revendication de régularisation de tous les sans papiers.

La Gauche : On arrive à la fin de l’occupation de l’ancienne gare de Bressoux par les sans papiers, la convention avec la Ville et la SNCB n’étant pas renouvelée. Pourquoi ? Que va-t-il se passer ?

France Arets : L’occupation de la gare a débuté le 6 juin 2009, à l’initiative de l’OSP, l’Organisation des Sans Papiers. Une convention a été conclue entre la Ville et la SNCB et les occupants. La Ville a soutenu matériellement l’occupation (électricité, douches, chauffage, travaux...), également pour la constitution de dossiers de régularisation. Elle a permis aussi que les occupants aient leur adresse de résidence à la gare de Bressoux. Cela concerne 175 sans papiers, même si ne logent sur place que 35 à 40 personnes. Cela s’explique par une certaine rotation des personnes logeant sur place. Cette occupation a été soutenue par plusieurs collectifs et de nombreux citoyens. Depuis la mi-décembre, le bourgmestre de Liège a demandé que l’occupation soit ouverte à des sans abri.

Toutes ces personnes, sans papiers et sans abri, doivent quitter les lieux le 21 mars. La convention avec la SNCB se termine le 31 mars et des travaux de réfection doivent commencer à partir du 22 mars. Beaucoup d’occupants souhaitaient la poursuite de l’occupation. Mais ils se heurtent à un refus de la SNCB, propriétaire des lieux qui aurait un projet de réaffectation du bâtiment, peu précis... Quant à la Ville de Liège, celle-ci n’est pas disposée à soutenir davantage les coûts financiers pour l’occupation, ni d’ouvrir de nouveaux lieux d’hébergement. Toutefois, nous avons obtenu de la Ville que les sans papiers, occupant la gare, puissent garder l’adresse de la gare, avec une boîte-aux-lettres sur place. Ainsi, ils gardent une résidence. C’est important pour les démarches de régularisation. Les occupants sont à la recherche d’un autre lieu pour la suite...

Il faut souligner que l’occupation de l’ancienne gare comportait deux dimensions : un lieu de résidence pour des sans papiers, leur permettant d’introduire des dossiers de régularisation et, en même temps, un lieu d’hébergement pour des sans abri, avec ou sans papiers, posant ainsi la question du droit au logement. Le droit au logement est un droit constitutionnel en Belgique – article 23 de la Constitution belge-, comme d’autres droits sociaux, toujours bafoués. Cette question du droit au logement reste entière. Il n’y a pas assez de places d’hébergement pour sans abri à Liège.

Sur question de l’ouverture de lieux supplémentaires d’hébergement permanents et du droit au logement , avec réquisition des bâtiments inoccupés, nous n’interpellons pas seulement les autorités communales , mais aussi le gouvernement fédéral qui trouve l’argent pour faire des cadeaux en réduisant les charges sociales et impôts pour les patrons du privé, mais ne dégage pas les budgets suffisants pour le « social ». Sans parler de ce que rapporterait un impôt sur les grosses fortunes ou une réelle répression de la fraude fiscale...

La Gauche : le CRACPE de Liège, Collectif de résistance aux centres pour étrangers, organise, le dimanche 28 mars, une nouvelle manifestation jusqu’au centre fermé de Vottem. Quel est le but de cette manifestation ?

France Arets : Malheureusement, ce sont les mêmes raisons liées aux manifestations précédentes. Rien ne change. La politique d’enfermement et d’expulsion des sans papiers se poursuit. C’est d’ailleurs une politique de l’Europe forteresse. Ce qui est nouveau, c’est que les situations sont toujours plus interpellantes. Il y a des situations de violence quotidienne, surtout lors des expulsions. Des personnes vivent très mal l’enfermement, sans suivi psychologique. Cela peut aboutir à des suicides ou à la mort dans des circonstances inexpliquées, comme cette personne qui est décédée à Vottem le 4 janvier, soi-disant d’une overdose. Des sans papiers placés au cachot, parce qu’ils se rebellent... Pour nous, le centre fermé reste un lieu d’exception, avec très peu de contrôle de l’extérieur, où on enferme des personnes qui n’ont commis aucun délit, si ce n’est un délit administratif, celui de ne pas avoir les « bons » papiers...

Il faut savoir que, dans l’accord gouvernemental de mars 2007 sur la politique de régularisation, accord mis en œuvre en 2009,s’il est bien dit qu’on va procéder à des régularisations, il est prévu aussi que les personnes non régularisées seront expulsées. De plus, on va accroître les capacités de détention en centres fermés et donc le nombre d’expulsions, puisque les centres fermés ont pour fonction d’organiser les rapatriements.

Evolution également dans les rapatriements : par exemple, il y a aujourd’hui, dans les centres fermés, une grande proportion de personnes qui viennent d’Irak et d’Afghanistan. On renvoie ces personnes vers leurs pays, en prétextant que, dans ces pays, il y a plusieurs régions qualifiées de sûres ! On renvoie aussi ces personnes vers le premier pays de l’Union Européenne par lequel elles sont passées pour venir ici et où elles été localisées, par exemple en Grèce, alors qu’on sait bien que, dans ce pays, il n’y a pas la capacité ni la volonté d’accueillir tous ces réfugiés. Il y a même eu des poursuites à l’encontre de l’Etat grec pour mauvais traitements envers les demandeurs d’asile.

La Gauche : Combien de sans papiers se retrouvent-ils à Vottem ?

France Arets : Vottem est un des centres qui regroupent le plus de monde. En 2008, 1400 personnes sont passées par Vottem, dont à peu près les deux tiers ont été expulsés. Les personnes libérées, le sont avec ordre de quitter le territoire. Récemment, il y a eu une personne, et c’est peut-être une ou deux par an, qui est sortie de Vottem, avec une réponse positive à une deuxième demande d’asile. C’est exceptionnel. Les personnes « libérées » retournent à la clandestinité.

Nous continuons à réclamer la suppression des centres fermés et l’arrêt immédiat des expulsions et, plus globalement, la mise en place d’une politique d’asile et d’immigration qui respecte les droits humains.

La Gauche : La LCR mène une campagne pour interdire les licenciements et pour le droit à l’emploi, contre le travail précaire, pour des emplois de qualité, socialement et écologiquement utiles. A propos des sans papiers, acculés à la clandestinité, le CRACPE parle « d’esclavage moderne, la clandestinité étant presque toujours une exploitation dont profitent des secteurs importants de notre économie ». Ne trouve-t-on pas là une des dimensions importantes de cette campagne pour l’emploi ?

France Arets : Je voudrais d’abord revenir sur les origines de la clandestinité. Ce n’est pas spécifique à la Belgique. C’est lié à la politique de fermeture des frontières européennes qui consiste à ne plus donner le droit de séjour, à ne plus donner les visas, etc.. Or, on sait très bien que les migrations ne vont pas s’arrêter, parce que toutes les raisons d’immigrer restent entières. La première chose, ce serait d’avoir la liberté de circulation.

Les sans papiers, qui se trouvent dans la clandestinité n’ont pas d’autres choix que d’accepter un emploi surexploité et sous-payé. C’est de l’esclavage moderne, une main d’œuvre taillable et corvéable à merci. Les emplois en question, on les retrouve dans toute une série de secteurs, la construction, l’Horeca, le nettoyage, l’agriculture, le textile, les services aux personnes. Ces emplois se sont fortement développés, ces dernières années, en même temps que s’est développée, sur le marché du travail, la précarité. Depuis les années 1980, on a le développement des emplois à temps partiel, les contrats à durée déterminée, les intérimaires. C’est ce qu’on pourrait appeler le deuxième marché du travail.

Et puis, on a le troisième, avec les sans papiers. Ce qui permet de diviser les travailleurs, d’exercer une pression sur les salaires. Là, où les comités de soutien aux sans papier rejoignent les travailleurs en lutte aujourd’hui, c’est dans la revendication d’un emploi convenable, avec une salaire convenable pour tous, également dans la lutte contre la flexibilité, contre les licenciements, contre les délocalisations. A propos des délocalisations, d’un côté, on délocalise certaines entreprises dans des pays où la main d’oeuvre est moins chère, et, d’un autre côté, pour ce qui n’est pas délocalisable, comme l’agriculture ou la construction des maisons, on utilise un tiers monde à domicile. D’où l’importance de la convergence des luttes, notamment à travers le soutien des organisations syndicales aux sans papiers. Pour le moment, aussi bien la FGTB que la CSC syndicalisent des sans papiers. Mais, ce n’est pas à partir de leur lieux de travail que ces sans papiers sont syndiqués ; c’est avec l’appui de comités de soutien qui les invitent à se syndiquer. Il y a tout un travail de syndicalisation à faire, sur place, dans ces secteurs qui surexploitent cet esclavage moderne.

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