40 heures! 42 heures! 50 heures! 60 heures!
Par M. Lievens le Samedi, 17 Juillet 2004 PDF Imprimer Envoyer

Plus que 4 millions de sans-emploi en Allemagne à ce jour. Et pourtant plusieurs patrons y lancent la revendication d'augmentation du temps de travail à 40 heures. La direction de Siemens a donné le "la". Après des mois de luttes, elle a conclu un accord avec le syndicat IG-Metall pour prolonger la semaine de travail de 35 à 40 heures dans deux de ses usines. Sinon les usines auraient été déménagées en Hongrie. Le même accord liait le pécule de vacances et la prime de fin d'année aux résultats de l'entreprise. Siemens Allemagne, qui a fait 2.651 million d' euros de bénéfice en 2003, a pu comprimer ses coûts salariaux de 30 % dans ces deux implantations. Le geste d'IG-Metall suscitait des applaudissements dans les rangs du SPD (PS allemand) et du patronat. Ce syndicat était capable, il y a vingt ans, d'imposer la semaine des 35 heures en Allemagne occidentale. Aujourd'hui, il a capitulé sous la menace de la concurrence est-européenne, où le secteur de l'automobile allemand investit massivement.

"Alles Gute kommt von Nappo"

Les constructeurs automobile BMW, Opel, Mercedes, Porsche en Daimler Chrysler ont également été séduits par ce concept et voudraient passer au 40 heures, ou certains ont même commencé à mettre la prolongation du temps de travail en pratique. Tout comme Deutsche Bahn (chemin de fer), Philips et Bayer. Thomas Cook a prolongé la semaine de travail de ses 5500 employés de 38,5 à 40 heures. Les ouvriers allemands travaillent aujourd'hui en moyenne 39,6 heures par semaine. Gerhard Schröder (premier ministre - SPD) jouait lui aussi la carte patronale en faveur de la semaine de 40 heures. C'est la forme la plus humaine de baisse salariale, selon lui. Le masque des socialistes du Neue Mitte, le Nouveau Centre dont se revendique la direction du SPD est tombé.

En même temps, le président de l'Institut allemand pour la recherche économique, Klaus Zimmerman, plaidait pour l'introduction de la semaine non pas de 40 mais de 50 heures ! Pour le fabricant de confiserie allemand Nappo Dr. Helle & Co c'est encore trop peu. Les 150 ouvrières, en majorité des femmes peu qualifiées, devaient prester ces derniers mois 60 heures par semaine, sous la menace de fermeture de l'entreprise, avec maintien du salaire de la semaine de 38 heures. Les travailleuses étaient prises en otage par les banques qui refusaient un crédit au patron "à cause des charges salariales trop élevées". La loi empêche de travailler plus de 10 heures par jour ? Pas de problème pour la direction : les ouvrières sont les bienvenues le samedi également ! L'entreprise réalise ainsi très cyniquement son slogan "Tout ce qui est bon vient de Nappo !"

Au Pays-Bas, c'est le ministre des Affaires Économique, Jan Brinkhorst (D66, lib.) qui a ouvert l'offensive pour les 40 heures. D'abord dans l'administration, puis dans le secteur privé, il a introduit l'allongement de la semaine de travail comme une alternative pour le gel des salaires que les partenaires sociaux ont convenu à l'automne 2003. A Hoogezand, l'entreprise de matériel de bureau Smead Europe, a déjà introduit la semaine des 40 heures. Les 140 employé l'ont adopté "volontairement". Les syndicats FNV en CNV sont allés devant le tribunal, qui a jugé l'expérience illégale car contraire à la convention collective de travail.

En France aussi, la semaine des 35 heures durement acquise est mise sous pression. Sarkozy a qualifié la loi des 35 heures de "pervers", tout simplement.Une première tentative du gouvernement pour vider la loi de son sens par un assouplissement des heures supplémentaires n'a pas amené beaucoup d'eau au moulin néo-libéral. Seuls quelques secteurs ont pu mettre en pratique les nouvelles règles. Sous la menace de la délocalisation, une nouvelle offensive est en cours, entre autre à l'usine Bosch de Lyon, qui fabrique des composantes pour l'industrie automobile. En juillet, les ouvriers y ont "volontairement" souscrit au prolongement de la semaine jusqu'à 36 heures.

Quand Berlin s'enrhume...

...Bruxelles éternue! C'est le VKW, le patronat chrétien du Limbourg qui a le premier senti le vent venant de l'Est et a exigé à son tour des semaines de travail plus longues. Chez Siemens Atea la parole fut suivie d'actes. En mai 2003, la maison mère Atea retirait des travaux de l'usine de Herentals. Puis la direction entamait des pourparlers avec les syndicats pour rendre l'entreprise plus compétitive, notamment en prolongeant la durée hebdomadaire du travail d'une heure.

Rudi Thomaes, le nouvel administrateur de la FEB a lui aussi choisi l'offensive, dès son entrée en fonction. Il avance l'allongement de la semaine de travail de 38 à 40 heures avec maintien du salaire.A cause de la concurrence, Madame, Monsieur ! Alors que les membres de son organisation ne respectent pas leurs promesses en matière de formation du personnel, qui est pointé du doigt comme un facteur important dans la concurrence économique. Le prolongement de la semaine de travail avec maintien du salaire signifie une baisse du salaire horaire, après des années de modération salariale à travers la norme. Alors que les prix, surtout énergétiques, sont fortement orientés à la hausse, les travailleurs ont par contre besoin d'un rattrapage salarial. Dans le cadre de la lutte contre le chômage, objectif déclaré de ce gouvernement, l'augmentation des heures prestées est évidemment aussi contre-productif. Pourquoi pas réduire le temps de travail, avec maintien de salaire, et répartir l'emploi ?

Un signe de faiblesse ?

La facilité avec laquelle la bourgeoisie fait passer la rampe au concept de l'allongement de la semaine de travail est une indication claire qu'elle tient toujours l'initiative au niveau politique. C'est la bourgeoisie qui fixe les termes du débat politique. L'offensive néo-libérale continue malgré la résistance. Cette politique surdétermine le rythme et le contenu de

mobilisation et de de la lutte sociales, qui restent généralement sur la défensive, malgré quelques exceptions, comme la lutte des Fiat à Melfi. Pourtant la bourgeoisie n' a pas réussi, malgré l'euphorie autour de la nouvelle économie ou la chute du mur, à offrir une sortie à la crise qui continue depuis les années 1970. La classe dominante n'a pas su poser les bases pour une nouvelle période de croissance économique comme l'Europe l'a connue dans les années 1950 et '60. L'offensive néo-libérale est une tentative de modifier les rapports de force entre travail et capital dans cette perspective. Mais on peut se poser la question si l'exigence d'allonger la durée du travail n'est pas aussi un signe de faiblesse.

Est-ce que le fait que la bourgeoisie doit se servir de l'allongement de la durée de la peine n'est pas un symptôme de son impuissance économique ? Le rôle progressiste que Marx voyait en son temps pour le capitalisme consistait justement dans la capacité du système de développer les forces de production à tel point que le temps de travaille pouvait être radicalement réduit, ce qui libérait du temps pour les loisirs et la participation des travailleurs à la gestion démocratique. Pendant les années grasses, la bourgeoisie a fondé son hégémonie sur sa capacité à développer les forces productives à tel point que la classe ouvrière pouvait arracher une partie importante des gains de productivité sans que cela ne cause des soucis importants à la classe bourgeoise. En échange d'une partie croissante du gâteau croissant bureaucratie syndicale était prête à paralyser la résistance. La bourgeoisie était capable dans les années glorieuses du fordisme d'offrir aux travailleuses et travailleurs une existence relativement meilleure que celle des générations précédentes avec des salaires plus élevés, des semaines plus courtes, une sécurité sociale etc. Cette base économique lui manque aujourd'hui.

Karl Marx a dédié plusieurs chapitres du Capital à la lutte autour de la taille de la journée de travail. Il appelait "plus-value absolue" la durée de la journée qui dépasse le moment où le travailleur a produit l'équivalant à son entretien.(chap.XVI du 1° Livre) En prolongeant la journée de travail, le patron augmente le nombre d'heures que les travailleurs produisent sans être rétribués. Une forme progressiste d'augmentation de la plus-value est la production de la plus-value relative : par le développement des forces productives le temps nécessaire à la production des biens nécessaires à l'entretien des travailleurs est réduit encore et encore, augmentant également la part dont s'accaparent les bourgeois. Que la bourgeoisie en est à se battre pour l'augmentation de la plus-value absolue montre clairement le rôle régressif que le capitalisme joue dans sa phase actuelle. Cela ouvre des opportunités pour la clarification politique.

D'autres mesures néo-libérales pouvaient être camouflées, jusqu'à un certain point. La flexibilité était soi-disant nécessaire parce que le consommateur exigeant veut des produits sur mesure sans attendre. La réforme des pensions semble justifiée par l'augmentation de l'âge moyen des citoyens. Et ce seraient les nouvelles techniques médicales, efficaces mais si coûteuses qui ont entraîné la réforme de la sécurité sociale. Au moins les scribouillards du néolibéralisme avaient-ils des belles histoires pour rendre acceptable ou invisibles les enjeux de la politique néo-libérale. Il est beaucoup plus difficile de vendre l'allongement de la durée du temps de travail de cette façon. Il est clair pour chacun qu'il s'agit d'un développement régressif. Il montre d'une façon presque pédagogique que c'est aux travailleuses et travailleurs de porter les charges de la crise et de la concurrence.

Le patronat tente de justifier sa démarche en nous, renvoyant à la concurrence internationale et en menaçant de délocaliser la production. Mais il s'agit en fait d'une logique pourrie : d'abord on libère le marché européen via des décisions politiques, puis les salaires doivent baisser à cause des "lois économiques" c'est à dire pour tenir tête à des concurrents qui n'avaient pas accès libre à notre marché auparavant, les entreprises est-européennes.

Voilà le discours officiel. Quand l'Espagne et le Portugal ont rejoint ce qui était alors la CEE, les salaires qui y étaient payés étaient relativement aussi bas. Il n'y a pourtant pas eu alors de discours de ce type. L'argument de la concurrence ne sort-il pas à tort et à travers chaque fois qu'on veut faire chanter le mouvement ouvrier ? Les acquis de la classe ouvrière européenne sont sous pression dans chaque pays de l'Union. Si l'Allemagne entame le mouvement, chaque bourgeoisie nationale lui emboîtera le pas au nom du pouvoir concurrentiel. L'Europe entière se trouve entraînée dans une spirale descendante et perverse.

Le compromis? Flexibilité!

Les plaidoiries sauvages pour la semaine des 40 voir 50 heures généralisées avec maintien de salaire sont surtout lancé pour mettre de la pression dans la cocotte. Il semble improbable qu'on arriverait à des mesures radicales de ce type. Au niveau de l'économie nationale une telle diminution des salaires amènerait une baisse énorme du pouvoir d'achat, et une augmentation de la surproduction.

Les sommets syndicaux s'opposent à ces mesures linéaires, mais ils sont prêts à entamer un dialogue sur la flexibilité, disent Verboven (ABVV) et surtout Cortebeeck (ACV). C'est vraisemblablement sous le drapeau de la flexibilité que des entreprises individuelles obtiendront la possibilité d'occuper les travailleurs plus que 40 heures. Avec éventuellement une limite annuelle, comme le proposait Luc Vansteenkiste de la FEB. "Dans un tel système il se peut qu'un travailleur apprend qu'il ne doit travailler qu'une demi-journée la semaine d'après. A d'autres moments de l'année, quand il y a énormément de travail, il faudra travailler davantage." (De Morgen, 28/4/4, notre trad.) Unizo (Indépendants flamands) saisit la discussion autour des 40 heures pour demander un assouplissement de la législation concernant les heures sup'.

Au niveau de l' entreprise individuelle, où les rapports de force sont très variables et souvent défavorables, il est plus facile pour le patron de démanteler furtivement les acquis des travailleurs. La LBC (CNE flamande) a proposé elle-même un allongement de la durée du travail de 36 h à 36.30 heures avec maintien du salaire pour remettre à flot les négociations pour une nouvelle convention chez Fortis. Le Setca a désapprouvé. Pourtant, Xavier Verboven de l'ABVV pense que ce genre de questions peut être abordé au niveau de l'entreprise.

Si les organisations patronales jouent le jeu à la dure, les négociations concernant l'accord salarial de l'automne seront chaudes. Surtout s'ils y ajoutent des attaques contre les pensions, une exigence de flexibilité accrue et des baisses de charges supplémentaires. La CommissionLa Commission est elle-même un des accompagnateurs actifs du "levelling-down", de harmonisation vers le bas des conditions de travail dans l'espace européen. européenne a jeté de l'huile sur le feu en prévoyant dans ses "Prévisions Printanières" que les charges salariales belges croîtraient plus vite que celle des pays voisins. Comment pourrait-il en être autrement si les offensives des gouvernements allemand, néerlandais et français continuent au rythme actuel?

Il n'entre évidemment pas dans les moeurs néo-libérales d'envisager d'harmoniser les conditions de travail en améliorant celles des États-membres est-européens, d'où viennent les nouveaux concurrents. Pourquoi ne pas imposer une normes salariale minimale à tous les pays membres ? Pourquoi ne pas pratiquer un "levelling-up" et enclencher un spirale vertueuse ? Il est indispensable que les instances syndicales opposent un non puissant à cette revendication patronale. Mais pour reprendre l'initiative il faudra une action internationale et un cahier de revendications européen offensif.

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