Quoi après le 2 décembre?
Par Jef Van der Elst - Paul Piero le Mardi, 20 Décembre 2011 PDF Imprimer Envoyer

Pour une mobilisation active vers la grève générale

Mercredi 14 décembre, les syndicats en front commun (FGTB, CSC, CGSLB) ont adressé un cahier de revendications au nouveau gouvernement fédéral et aux employeurs. En même temps, un préavis de grève a été déposé, venant à échéance au plus tard le 30 janvier. Il pourrait déboucher sur une arrêt de travail généralisé si le gouvernement ne répondait pas aux revendications.

Bon conseils bourgeois

Dès le lendemain, en éditorial du Standaard, Guy Tegenbos commentait ainsi la décision syndicale: “Le gouvernement peut encore éviter la grève en faisant des concessions aux revendications syndicales. Dans quelle mesure est-ce dramatique? Il y a deux possibilités. Soit c’est le début d’un conflit ouvert et d’une agitation sociale de longue durée, et les dirigeants syndicaux impulsent un tournant de politique radical, par des grèves et des manifestations qui font chanceler le gouvernement. Ou bien ils s’orientent vers un “conflit géré”, comme il est de tradition dans la culture politique de la Belgique(...). Quelle est la logique du “conflit géré”? Il y a évidemment résistance dans les milieux syndicaux face à un certain nombre de mesures du gouvernement. Si les dirigeants syndicaux le niaient, ou le minimisaient, la partie la plus militante de leurs troupes les déborderait et ils perdraient le contrôle du mouvement. Alors des actions incontrôlées auraient lieu qui seraient dangereuses pour eux-mêmes et pour le gouvernement. Il vaut donc mieux pour ces deux groupes que les dirigeants syndicaux prennent eux-mêmes les choses en mains et canalisent la résistance pour l’orienter vers quelques points sur lesquels ils peuvent obtenir satisfaction et qui pourront alors être présentés comme de grandes victoires”.

Cet édito résume parfaitement les scénarios possibles dans la période qui nous sépare de la grève du 31 janvier (au plus tard). Précisons que Guy Tegenbos n’est pas un ami des syndicats: comme toute la rédaction du Standaard, il mène depuis des semaines une campagne active contre les revendications “irresponsables” de ceux-ci.

Cahier de revendications

Voyons maintrenant le contenu du cahier de revendications syndicales et analysons-le du point de vue de ses forces et de ses faiblesses. Sur cette base, on pourra faire des propositions pour que la grève du 31 janvier et les actions en général soient un succès. Ce cahier de revendications est divisé en sept chapitres. Nous en parcourerons l’essentiel.

Le chapitre “sur les mesures d’assainissement” dit correctement que ces mesures toucheront en particulier quatre groupes: les jeunes, les chômeurs de longue durée, les travailleurs âgés et les femmes.

Jeunes

Les jeunes seront fort touchés par l’allongement du stage d’attente (12 mois au lieu de 9) et le fait que l’allocation d’attente est dans la plupart des cas limitée dans le temps (maximum 3 ans), et ce indépendamment des efforts déployés pour trouver un emploi. Ces règles sont de plus imposées aux jeunes qui sont déjà maintenant en stage d’attente. Le cahier de revendications syndical demande des corrections pour les chômeurs qui ont une capacité de travail réduite et pour les jeunes qui sont déjà en stage d’attente Mais le principe même d’une limitation dans le temps des allocations d’attente pour certains groupes de chômeurs n’est (hélas) pas mis en question par les syndicats. Ceux-ci se contentent  de demander des aménagements pour les jeunes avec des carrières fractionnées ou des emplois précaires.

Chômeurs/euses

Les chômeurs/euses de longue durée verront leur allocation décroître rapidement, au point de se retrouver vite au-dessous du seuil de pauvreté. Par rapport à cela, les syndicats demandent que l’exclusion  ou le passage à une période forfaitaire soit subordonnés à l’offre d’un accompagnement adapté et d’un emploi convenable. Ici aussi une exception est demandée pour les personnes avec une capacité de travail réduite.

D’une manière générale, l’ambiguïté du cahier de revendications syndical face aux mesures contre les chômeurs et chômeuses apparaît clairement dans la demande suivante: “une réforme immédiate des mesures de réduction de cotisations et d’activation afin de s’assurer de leur véritable efficacité en termes de création d’emplois stables et de qualité”. Comme si “l’activation” des sans-emlplois avait un autre but que leur exclusion pure et simple!

Travailleurs/euses âgé/e/s

Les travailleurs/euses âgé/e/s risquent d’être victimes de la combinaison de la dégradation des systèmes de prépension et du démantèlement des compléments d’ancienneté pour les chômeurs âgés. Face à cela, les syndicats demandent des mesures pour “responsabiliser” les employeurs, “en particulier lors du licenciement des travailleurs âgés de cinquante ans et plus”. N’est-ce pas un peu court?

Femmes

Les femmes ont souvent des carrières incomplètes et risquent donc d’être les principales  victimes du durcissement des conditions d’accès à la pension ou de la suppression de formes de crédit-temps qui sont censées faciliter la combinaison entre vie professionnelle et vie familiale. De même, l’allongement à 60km du déplacement caractérisant un emploi convenable (sans aucune limite quant au temps de trajet!) touche surtout les femmes (en particulier celles qui élèvent seules des enfants).

Plan de relance

Le deuxième chapitre porte sur “un plan de relance pour des emplois de qualité pour les jeunes et les moins jeunes”. Il propose une série de mesures en faveur des quatre groupes les plus touchés par l’accord gouvernemental, dans le but de leur offrir plus d’emplois. Il est demandé également que les mesures de soutien aux entreprises soient orientées autrement afin qu’elles aient un effet maximal en termes d’emplois. Il est un fait que ces mesures d’aide aux entreprises n’ont été jusqu’ici que des subides aux patrons, sans aucun engagement concret de leur part. Mais n’est-ce pas cette politique d’aide elle-même qui doit être mise en cause?

Plus loin, les syndicats demandent une concertation sur la volonté du gouvernement Di Rupo de calculer le temps de travail sur une base annuelle, et plus sur une base hebdomadaire, sur l’assouplissment du temps partiel et de l’emploi temporaire, ainsi que sur la réforme annoncée de la loi sur le travail portuaire (une nouvelle attaque en perspective contre le statut des dockers).

Le problème ici est stratégique: le mouvement ouvrier doit-il viser à augmenter le nombre d’emplois par la relance économique, ou remettre en avant la réduction radicale du temps de travail, sans perte de salaire et avec embauche compensatoire? Nous militons pour la deuxième solution, qui implique une redistribution des richesses. Elle est d’autant plus nécessaire que la crise écologique, notamment climatique, rend vraiment irresponsable toute perspective de relance de la croissance.

Rupture de la concertation sociale

Le chapitre “sur la fin de carrière et la conciliation vie privée-vie familiale “ consacre une attention particulière à la rupture de la concertation sociale. De fait, en matière de prépensions comme de crédit-temps, beaucoup de règles fixées par la concertation sont balayées unilatéralement par le gouvernement, au détriment des travailleurs et des travailleuses. Il est spécialement grave qu’un certain nombre de mesures soient changées avec effet rétroactif , ce qui revient effectivement à une rupture de contrat, comme le disent les syndicats. C’est ainsi par exemple que le système de la prépension à mi-temps est supprimé. Cependant, ces attaques contre la concertation  sociale sont surtout inacceptables pour les directions syndicales, car elles mettent en question leur fonction dans la société!

Fiscalité et régulation de la finance

Dans le chapitre sur “une fiscalité plus juste et une régulation forte de la finance”, les syndicats demandent des mesures efficaces dans le domaine de la lutte contre la fraude fiscale ainsi que des mesures pour une fiscalité plus juste  touchant davantage les patrimoines, les revenus mobiliers et les entreprises. Le texte rappelle l’exigence d’un cadastre des fortunes et de l’abandon du secret bancaire fiscal, mais ne dit rien de la suppression des intérêts notionnels, du précompte libératoire ou des paradis fiscaux.

Les syndicats demandent aussi “une régulation renforcée et effective des marchés financiers et des banques”, mais ils restent complètement vagues sur ce que cela pourrait signifier. Ce qui manque clairement ici, ce sont des revendications concrètes telles que l’interdiction des fonds spéculatifs et de la titrisation des créances, l’instauration d’un contrôle du mouvement des capitaux accompagné d’une taxation des transactions financières, l’interdiction définitive (et pas seulement pour six mois) des ventes à découvert qui permettent la spéculation sur titres.

Ce qui manque également, c’est la revendiation d’un audit de la dette publique: en effet, il n’y a que de cette manière qu’on pourra déterminer comment les déficits publics se sont formés et dans quelle mesure l’explosion de la dette publique depuis 2008 peut être considérée comme illégitime… ou pas.

Pouvoir d’achat

En matièr de pouvoir d’achat, les syndicats demandent  évidemment en premier lieu des garanties pour le maintien du système d’indexation automatique des salaires et des allocations sociales. Ils demandent aussi un contrôle sur les divers éléments qui déterminent les prix finaux de l’énergie. Enfin, ils exigent le maintien de la liaison des allocations sociales au bien-être - une autre matière dans laquelle le gouvernement Di Rupo déchire des accords conclus.

Services publics

Dans le chapitre sur le secteur public, les syndicats s’insurgent  contre toutes les mesures qui rendent impossible le fonctionnement de services publics transparents et de qualité. Plus concrètement, ils s’opposent aux coupes sombress linéaires dans les frais de personnel (par le quasi non remplacement du personnel pensionné) et contre les attaques idéologiques visant l’emploi dans les services publics. Les syndicats exigent une concertation sociale d’urgence sur les conséquences pour le personnel de la régionalisation d’un certain nombre de compétences ainsi que de l’introduction d’intérminaires dans la fonction publique. L’attaque contre le mode de calcul de la pension dans le secteur public est considérée comme inacceptable, à juste titre. Malheureusement, les directions syndicales ne se prononcent pas pour la réintroduction de la dite “loi Vande Lanotte”, une loi qui devait être prolongée d’année en année pour permettre aux fonctionnaires de travailler à 4/5e temps et/ou de prendre un mi-temps en fin de carrière. La prolongation de cette loi avait été demandée par les organisations syndicales du secteur public, via le Comité A pour tous les services publics. Mais cette demande n’a pas pu être examinée parce que le miniustre NVA Geert Bourgeois a tout simplement refusé de participer à la réunion! Il est donc tout à fait incompréhensible que la FGTB, la CSC et la CGSLB ne remettent pas cette revendication sur le tapis. De même, il est tout aussi regrettable que la revendication du refinancement de tous les services publics ne soit pas avancée.

Une Europe sociale?

Dans le dernier chapitre « Une Europe sociale et une croissance durable », il est souligné à juste titre le déficit démocratique grandissant des institutions européennes. Le texte demande un programme d’investissements européen, axé sur l'innovation durable et des projets verts. En outre des réformes sont demandées des marchés financiers au même titre que  l'harmonisation des impôts des sociétés. Il est également important qu'un système de salaires minimums européens soit demandé.

Et maintenant?

Il est évident que le paquet de revendications des trois grands syndicats est un compromis: les propositions faites sont à la fois clairement concrètes mais limitées à des points dont on espère qu'ils puissent encore être discutés avec le nouveau gouvernement Di Rupo. En outre, d’autres propositions ont été faites, qui sont radicalement contre la logique interne de la coalition. Le texte hésite entre un renversement radical de la politique et des modifications limitées au paquet existant. C'est un état de fait qui ne peut pas durer éternellement, mais qui correspond à la situation réelle dans le mouvement ouvrier organisé.

Clivages

Cette situation est caractérisée par des clivages profonds. Il ne s’agit  pas de clivages historiques entre les trois familles « politiques ». D'un côté il y a ces dirigeants syndicaux qui luttent farouchement - même si ce n'est que symboliquement! – pour garantir leur place à la table de négociation. Ils comptent principalement sur leurs alliés, les « amis politiques », dans les PS/SP.a et/ou le CD&V/CDh. De l'autre côté campent ceux qui ont perdu depuis longtemps leurs illusions en ces « amis politiques ». Des partisans de ces deux tendances se trouvent dans le syndicat chrétien aussi bien que dans les syndicats socialiste ou libéral. Malheureusement les clivages ne s’arrêtent pas là. Une ligne de rupture communautaire  - résultant des rapports de force très différents dans les deux principales régions du pays - menace toujours d’émerger au sein des syndicats eux-mêmes. En plus de cela, le gouvernement fait tout son possible pour monter les entreprises publiques contre d'autres services publics, ce qui menace de saper la « dynamique » classique des mouvements de lutte belges (dans laquelle les chemins de fer jouent un rôle crucial).

Comment dépasser cette situation?

Un premier élément se trouve dans le comportement du gouvernement lui-même: alors que nous voyons les dirigeants syndicaux demander la concertation, le ministre van Quickenborne veut - avec l'accord de tout le gouvernement! – et avant la fin de l'année, imposer à la hussarde des changements importants au régime des retraites (particulièrement celui des pensions publiques), par le biais d’amendements à une loi programme, et ce, sans consultations et en catimini. A la commission parlementaire compétente, il a soumis  un document de 50 pages ! On sait maintenant comment Quicky (qui n'a pas volé son sobriquet) a utilisé son temps au cours des 543 jours des négociations gouvernementales… Tandis que les directions syndicales laissaient tout le temps aux « politiques » pour sortir de la crise (de sorte que les militants syndicaux n'ont pas été suffisamment préparés à la lutte), les politiques, de leur côté, préparaient tranquillement leurs mauvais coups et leur plan pour prendre les syndicats par vitesse.

Action!

Les trois grands syndicats de la Fonction publique ont immédiatement réagi. D’un côté ils ont contesté dans leur réaction plusieurs idées fausses qui tournent autour de la retraite du secteur public, prétendument excessive, et ils plaident une nouvelle fois pour l’augmentation des retraites trop basses dans le secteur privé. D’un autre côté, ils demandent instamment un dialogue social. Sinon il y aura des actions à court terme (c'est-à-dire cette semaine déjà). Le syndicat  socialiste de la Fonction publique CGSP prend l’initiative et exige une réponse sérieuse pour avant lundi 19 décembre à 17 heures. « Si van Quickenborne veut de l’action, il en aura ». Ça sonne combatif. Détail intéressant: certaines centrales de la FGTB ont organisé le 19 décembre déjà une grève perlée devant les sièges des services fédéraux financiers et de pensions.

Pas seulement la faute des libéraux!

Il serait injuste de blâmer seulement les ministres libéraux pour avoir refusé brutalement le dialogue social. Le 16 décembre 2011, la ministre social-démocrate du Travail Monica De Koninck (SP.a) a demandé au cabinet ministériel de prendre des décisions concernant la « réforme » de l'allocation et du stage d'attente. Ces mesures prendront effet dès le 1er janvier 2012. Là encore il n'y a pas de dialogue social.

Opération vérité

Les syndicats et leurs militants ont un deuxième élément en main: la plupart des mesures sont très techniques et pas toujours bien comprises. Il est très important de diffuser des informations complètes et détaillées quant à leur impact sur les travailleurs concernés. Le CSC a lancé un site web (www.lesconséquences.be) grâce auquel chacun peut rapidement voir, selon sa propre situation, quel impact auront exactement les mesures gouvernementales. Entre-temps la FGTB de son côté organise des réunions syndicales interprofessionnelles des militants dans toutes les régions. Ces impulsions sont une bonne chose, mais à notre avis elles devraient être suivies par une campagne d'information beaucoup plus large et plus profonde dans les entreprises, bureaux et services. Il y a aussi des

campagnes nécessaires envers les personnes les plus touchées: les jeunes, les chômeurs, les travailleurs âgés et les femmes. De cette façon seulement nous pourrons parvenir à une « opération vérité » réelle, ce qui est absolument nécessaire pour affronter la guerre idéologique permanente menée par les médias contre tout qui essaie de se lever pour la justice sociale et la solidarité.

Dynamique de la grève générale

Que ce soit également clair : en plus de la sensibilisation et de l'information on a besoin de beaucoup plus, surtout à court terme. Vu que le gouvernement a clairement opté pour l’accélération, le mouvement ouvrier ne peut plus se permettre l’attente. Il doit y avoir une bataille et vite! Paraphrasant Rosa Luxemburg, « le mouvement ouvrier belge doit apprendre de nouveau à parler belge », cela veut dire : lancer la dynamique de la grève générale!

Jef Van der Elst et Paul Piero



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