Femmes afghanes: «Si l’OTAN s’en va, nous n'aurions plus qu'un problème au lieu de deux»
Par Mariam et Malalai Joya le Vendredi, 03 Octobre 2008 PDF Imprimer Envoyer

Créée en 1977, l'Association révolutionnaire des femmes d'Afghanistan (RAWA), défend les droits des femmes afghanes. Malgré les risques, les militantes de Rawa sont parvenues à s'organiser dans leur pays pour permettre aux femmes de s'instruire, en gérant des écoles clandestines. Elles ont également créé au Pakistan et en Iran des écoles pour accueillir les enfants afghans réfugiés, des centres de soins et des centres de confection artisanale. Elles éditent également une revue et militent pour les droits des femmes, les droits de l’Homme, la laïcité, et la justice sociale en Afghanistan. Leurs activités politiques ont été marquées d'abord par des manifestations contre l'invasion soviétique de décembre 1979, puis par la lutte contre les fondamentalistes, qu'il s'agisse des taliban, du réseau de Ben Laden ou de l'Alliance du Nord, aujourd'hui au pouvoir et soutenue par l'occident.

Le journaliste indépendant Justin Podur a interviewé Mariam Rawi, l'une des animatrices de RAWA, à Islamabad (Pakistan) au mois de juillet 2008. Dans cet entretien, Mariam Rawi nous livre une vérité qu'on ne trouve pratiquement jamais dans nos médias. Selon elle, les ennemis du peuple afghan sont les Talibans, les fondamentalistes, l’OTAN et les Etats-Unis. Elle nous montre qu'entre les Talibans et l'OTAN il existe une troisième voie, celle du peuple afghan en lutte contre les forces réactionnaires et l'impérialisme.

Justin Podur: Pourriez-vous nous présenter RAWA et ses activités en Afghanistan et au Pakistan?

Mariam: RAWA a été créée en 1977 à Kaboul comme une organisation de femmes afghanes pour les droits de l’Homme et l’égalité des femmes. Après l’invasion soviétique, certains membres de RAWA ont été emprisonnées à Kaboul, et comme un très grand nombre de réfugiés ont fui vers le Pakistan, RAWA a également changé quelque peu son objectif et a commencé à travailler avec les femmes réfugiées et les enfants à Peshawar (la capitale de la Province de la frontière du Nord-Ouest au Pakistan, près de la frontière afghane).

Nous avons commencé à fournir des services humanitaires et d’assistance sociale, par le biais desquels nous avons également essayé de sensibiliser les femmes afghanes à propos de leurs droits. Nous avons continué nos activités politiques, mais en raison de la situation et des conditions de sécurité en Afghanistan, ce n’était facile. Nous avons continué à travailler clandestinement, dans certaines villes afghanes. Lorsque l’occupation soviétique a fait place à la loi sanglante des fondamentalistes, et plus tard au régime des talibans, nous avons continué à travailler en Afghanistan et au Pakistan. Nous avons construit des programmes d’alphabétisation, des orphelinats et des écoles en Afghanistan, mais une grande partie de notre activité se déroulait au Pakistan. Nous publions une revue politique « Payam-e-Zan » (« Le Message des femmes »).

Aujourd’hui, sous l’occupation de l’OTAN et après la fermeture des camps de réfugiés, nous développons la plupart de nos activités politiques également en Afghanistan, mais une grande partie de notre travail est encore semi-clandestin en raison des graves risques de sécurité.

JP: De quelle façon êtes-vous organisées, comment “recrutez-vous” et d'où viennent les animatrices de RAWA?

Mariam: Grâce à nos programmes d’alphabétisation, aux orphelinats et aux écoles, RAWA a eu des contacts avec de nombreuses filles âgées de 15 à 20 ans. Il y a une profonde différence entre la vie des femmes dans la société afghane qui ont vécu la guerre, les Talibans, les fondamentalistes, dans des conditions « normales » de vie domestique, et les filles qui ont été profondément touchées et déracinées par ces conflits ou ont travaillé avec RAWA.

Ces dernières ont une vision différente, des idées et des mentalités différentes, elles sont conscientes de leurs droits et savent qu’elles doivent se battre pour y parvenir. Certaines d’entre elles continuent à travailler pour RAWA après s’être cultivées. Certaines sont des femmes adultes et quand elles se sont impliquées, leurs familles entières se sont impliquées. Certaines jeunes filles et garçons se sont également impliqués. D’autres se sont engagées, même en ne sachant pas encore lire et écrire. Elles sont très attachées à RAWA, en particulier dans les zones rurales où des membres de RAWA vivent et travaillent et font partie de leur communauté.

JP: Quelle est la situation des réfugiés afghans au Pakistan aujourd’hui?

Mariam: En général, le Pakistan a été plus accueillant pour les réfugiés afghans que l’Iran et les autres pays voisins. Mais la vie dans les camps de réfugiés était très dure et les ressources très faibles. La majorité des camps était sous le contrôle des partis fondamentalistes qui imposaient leurs restrictions aux réfugiés. Le travail de groupes à l’esprit démocratique comme RAWA était difficile et risqué. De nombreux afghans et afghanes - militant/es de la liberté individuelle - ont été assassiné/es par des groupes Jehadi avec l’aide de l’ISI pakistanaise (les services secrets, NDLR). Meena, fondatrice de RAWA, fut l’une de ces victimes.

Mais, malgré tous ces problèmes, RAWA a maintenu sa présence dans plusieurs camps et nous avons même installé notre propre camp de réfugiés dans les banlieues de Peshawar durant plus de deux décennies, jusqu’à ce qu'il soit finalement évacué de force par le gouvernement pakistanais il y a quelques mois.

En 2001-2002, après l’invasion et l’occupation des Etats Unis, un grand nombre d’Afghans sont revenus au pays. A Peshawar, les camps de réfugiés ont été presque entièrement vidé, mais en raison des mauvaises conditions actuelles, le retour en Afghanistan est toujours une option peu attrayante pour de nombreux autres réfugiés.

Lorsque le gouvernement a décidé de fermer certains camps de réfugiés en 2006, cela a eu un effet énorme. La plupart des réfugiés ont été forcés de partir, même s’ils ont tout perdu en Afghanistan : Ils n’avaient pas d’emplois, pas d’abri, rien ne les attendait à leur retour. Et en fait personne ne sait ce qui s’est passé pour eux. Ces familles qui ont regagné l’Afghanistan sont très déçues par l’absence de travail et d’infrastructures en Afghanistan et nombreux sont ceux qui reviennent chercher refuge au Pakistan pour la seconde fois.

Aujourd’hui, selon le HCR, les réfugiés reviennent au Pakistan et ils essaient de s’installer dans les villes. Quand il y a une tension entre les gouvernements pakistanais et afghan, ce sont les réfugiés afghans qui en souffrent le plus. Le Pakistan met la pression sur les réfugiés pour qu’ils repartent en Afghanistan. Mais les gens des zones frontalières sont les mêmes personnes - ils partagent la même langue, la même culture, les mêmes vêtements, et traditions. De plus, après trente ans d'exil, de nombreux réfugiés voient le Pakistan comme leur deuxième pays. Les Afghans savent que le Pakistan soutient les talibans et les fondamentalistes en Afghanistan, mais la crise politique n’arrivera pas à affaiblir les relations entre les personnes à la frontière.

JP: Quelle est votre analyse sur la situation politique et militaire en Afghanistan?

Mariam: C’est une situation complexe. Nous avons l’occupation de l’OTAN et l’ingérence des voisins: Pakistan, Iran, Arabie Saoudite, Tadjikistan, Russie, etc, tous ceux qui ont soutenus des groupes différents de fondamentalistes au cours de ces dernières années. Les Talibans contrôlent certaines zones, et au cours des derniers mois ils ont même atteint les limites de Kaboul. Ils sont aidés par certains milieux au Pakistan. Même le régime iranien envoie des armes et des munitions aux Talibans.

Les civils afghans sont les premières victimes des brutalités des Talibans, y compris les attentats-suicides. Les frères en croyance des Talibans, l’Alliance du Nord, sont au pouvoir aujourd’hui et sont généreusement soutenus par le gouvernement étatsunien. Une grande partie du nord de l’Afghanistan est régie par les seigneurs de la guerre de l’Alliance du Nord. Le gouvernement de Hamid Karzai n’a pas de contrôle dans ces zones-là.

Les Talibans et les autres mouvements islamiques sont les ennemis du peuple afghan. Le soutien des fondamentalistes par les puissances étrangères rend la résistance à ces forces difficile pour le peuple afghan. D’autre part, les États-Unis et l’OTAN jouent au chat et à la souris avec les Talibans et Al-Qaïda, tandis que les Afghans ordinaires souffrent gravement de l’impact des bombardements aveugles de l'OTAN. Nous sommes témoins d’horribles tragédies parmi les civils et cela quotidiennement.

JP: On évoque parfois l’argument que le Pakistan et l’Afghanistan sont des pays très religieux et que tout mouvement politique doit composer avec ce fait. Certains affirment que des groupes comme RAWA s’isolent en raison de leur position intransigeante sur la laïcité et la religion. Pensez-vous que votre laïcité vous rend impopulaire?

Mariam: C’est là l’image que les médias occidentaux donnent de la société afghane. Peut-être est-ce vrai vu par leurs yeux. Comment la religion s’exprime pour chacun et chacune dépend de nombreux facteurs, notamment sociaux, culturels et économiques. Nous avons ainsi travaillé dans certaines régions qui pourraient être considérées comme les plus “arriérées”, les plus religieuses, avec peu de reconnaissance envers le droits des femmes. Mais après un certain temps, et parfois tout à fait rapidement, sur des semaines ou des mois, les populations de ces régions en viennent à apprécier ce que nous faisons et même à participer, parfois par familles entières. Je ne suis donc pas d’accord que le pays dans son ensemble n’est pas capable d’accepter des droits démocratiques ou des valeurs laïques. Il faut du temps et du travail pour construire une conscience sociale et politique, et ces dernières années, les gens n’ont pas eu cette possibilité.

La forme de l’Islam que les fondamentalistes incarnent est différente de celle commune au peuple afghan. Leur Islam est avant tout un Islam politique et chaque parti a sa propre interprétation, ce qui qui fait qu'ils se contredisent sans cesse les uns et les autres. L’Islam du mollah Omar est différente de l’Islam de Burhanuddin Rabbani ou de Rasul Sayyaf, ces groupes ont été en guerre entre eux pendant des années, mais ils ont tous la prétention d’être les seuls vrais musulmans.

Les groupes fondamentalistes ont commis des crimes sans précédent au nom de l’Islam au cours de ces deux dernières décennies. Aujourd’hui, les Afghans en ont tellement marre que la majorité des Afghans soutient toute voix qui s’élève contre les fondamentalistes. Lorsque Malalai Joya (députée socialiste et féministe afghane, NDLR) a parlé à leur encontre pendant seulement 2 minutes dans la Loya Jirga (l'assemblée parlementaire afghane, NDLR), sa parole a été aussitôt reprise et répercutée par des millions d’Afghans à travers le pays. Elle a été qualifiée d'héroïquee”, comme “la voix des sans-voix”. Les fondamentalistes imposent leur domination grâce à leurs armes, leurs maîtres étrangers et leur argent. Sans cela, ils ne pourraient pas mettre un pied dans la société afghane.

JP: Est-ce que l’occupation de l’OTAN aide ou nuit à l’Afghanistan ? Peut-elle servir en quelque sorte à renforcer les forces progressistes?

Mariam: Il y a sept ans, lorsque les États-Unis ont envahi l’Afganistan, la situation était différente. De nombreux Afghans appréciaient leur présence et étaient heureux de se débarrasser de l’oppression des Talibans. Ils pensaient; les Talibans ont été éliminés, la communauté internationale a bien travaillé, ils ont promis une vie meilleure, la démocratie, la liberté et la fin des groupes fondamentalistes. Mais en quelques mois, il était clair que le gouvernement américain continuait sa politique de soutien des fondamentalistes en Afghanistan. Nous avons compris que les États-Unis s’appuyaient sur les fondamentalistes de l’Alliance du Nord pour lutter contre un autre groupe fondamentaliste - les Talibans. Cela n’a pas d’importance s’ils combattent les Talibans ou le «terrorisme» et qu’ils soutiennent l’Alliance du Nord : pour les Afghans, les deux camps sont les mêmes, les deux sont des terroristes, des fondamentalistes, soutenus par des gouvernements étrangers, que ce soit par l’Occident, le Pakistan, l’Iran, l’Arabie Saoudite, ou par tout autre pays. Ils violent les droits de l’Homme, ils abusent des femmes, ils pratiquent la fraude, la corruption et la contrebande.

Dès le début, RAWA a annoncé que les États-Unis et l’Occident avaient leurs propres raisons d’être ici et que ces raisons n’avaient rien à voir avec la liberté du peuple afghan. Nous avons dit que ce que les États-Unis et l’OTAN font au nom de la démocratie est en fait une parodie de démocratie. C’est très clair pour nous. Aujourd’hui les bombardements de l’OTAN sont de plus en plus fréquents, de plus en plus de civils sont tués et de nombreuses autres crimes sont perpétrées par les États-Unis et l’OTAN. Et on assiste aujourd'hui à une tentative de partager le pouvoir avec les talibans et le parti terroriste de Gulbuddin Hekmatyar (Mariam fait ici référence à la politique de « réconciliation nationale » lancée par le président Karzaï, NDLR). Si ce plan est réalisé, cela signifiera une autre tragédie pour l’Afghanistan et son peuple : l’unification de tous les ennemis du peuple afghan sous le même toit afin qu’ils puissent conjointement briser le peuple afghan ainsi que l’espoir et la force de liberté des individus.

Sous la loi de la mafia, à l’ombre des armes à feu et des seigneurs de guerre, il n’y a malheureusement aucune chance pour que les forces progressistes arrivent à agir ouvertement. Toute les forces anti-fondamentaliste et anti-force d’occupation étrangère doivent encore lutter dans des conditions de clandestinité, et ils ne sont ni soutenus ni encouragés. En fait, les États-Unis ont peur de voir émerger un puissant mouvement progressiste en Afghanistan. Ceux qui critiquent ouvertement le gouvernement Karzaï et les seigneurs de la guerre font face aux menaces, à l’emprisonnement et aux restrictions. Nous sommes confrontés aux mêmes problèmes et aux mêmes risques aujourd’hui que sous le régime taliban.

La privatisation des biens publics et le système de libre marché imposés en Afghanistan depuis 2001 ouvre la voie au néolibéralisme en Afghanistan, ce qui est un cauchemar supplémentaire pour notre peuple. L'impact est désastreux sur les populations pauvres de l’Afghanistan. Le degré de misère et de pauvreté en Afganistan dépasse l’imagination. L’écart entre les riches et les pauvres se creuse de jour en jour. Plus de 70% d’Afghans vivent sous le seuil de pauvreté. Selon les statistiques officielles, 42% vivent avec seulement 10 dollars par mois. La montée en flèche des prix au cours des derniers mois a transformé la vie en une torture quotidienne pour la majorité de la population afghane.

JP: Qu’en est-il de l’argument selon lequel si l’OTAN s’en va, l’Afghanistan tomberait rapidement aux mains des Talibans, ce qui serait pire?

Mariam: Il est vrai que cela pourrait être pire sous un régime des Talibans. Mais au moins nous ne serions pas occupés par une puissance étrangère. Aujourd’hui, nous avons deux problèmes : nos propres fondamentalistes et un occupant étranger. Si l’OTAN s’en va, nous aurions un problème plutôt que deux.

RAWA a sans cesse affirmé que ni les États-Unis ni aucune autre puissance ne veut libérer le peuple afghan des chaînes des fondamentalistes. La liberté de l’Afghanistan ne peut être réalisée que par les Afghans eux-mêmes.

JP: Si l’OTAN s’en va, les Talibans auraient également plus de difficultés à se représenter comme un « mouvement de libération nationale », un argument qu’ils peuvent utiliser comme une source de prestige pour eux, aussi longtemps que l’occupation continue.

Mariam: En fait les deux camps dépendent l’un de l’autre. Si les États-Unis éliminaient définitivement les talibans, ils n’auraient plus aucun prétexte à rester ici. Mais les Talibans et le terrorisme ne sont qu’un prétexte. Ils ne sont pas honnêtes. Ils sont là pour des buts stratégiques : c’est une position centrale de contrôle de l’Iran, de la Russie et de la Chine, pour influencer le gouvernement du Pakistan, pour renforcer l’emprise sur les républiques d’Asie centrale et ainsi de suite. C’est la raison pour laquelle ils renforcent leur présence militaire en établissant des bases un peu partout. L’OTAN partira probablement un jour, mais pas les États-Unis.

JP: La « reconstruction » menée par l'ONU et l'OTAN implique un grand nombre d’organisations non gouvernementales (ONG) dans la prestation de services sociaux. Est-ce que RAWA est considérée comme une de celles-ci?

Mariam: RAWA ne s’est jamais présentée comme une ONG. Il s’agit d’une organisation politique pour les droits des femmes et les droits humains. Mais nous essayons de répondre aux besoins directs et de mettre en place des programmes sociaux. En fait, c’est à cause de notre positionnement politique et de nos activités que nos relations avec les ONG et les organismes internationaux sont si mauvaises et c’est pourquoi nous n’obtenons pas de fonds provenant des gouvernements étrangers. Les ambassades ne veulent pas donner de fonds à RAWA parce que nous sommes politiques.

Cela contraste avec les milliers d’ONG créés récemment en Afghanistan au cours des 6-7 dernières années. C’est un bon business. Vous avez certaines familles, avec un peu de connaissances en anglais et un ordinateur, qui deviennent une ONG avec des fonds internationaux. La plupart des ONG les plus importantes sont financées par les gouvernements et sont donc influencées par ces derniers. Les plus petites sont souvent impliquées dans affaires de fraudes et de corruption; elles ne travaillent pas pour le peuple afghan, mais pour leurs propres intérêts. Des millions de dollars vont aux ONG et sont gaspillés en frais généraux fictifs, salaires, frais de bureau, et ainsi de suite.

L'“ONG-isme” est une politique imposée par l’Occident en Afghanistan, ce n’est pas le souhait du peuple afghan. L’ONG est un bon outil pour détourner les gens et en particulier les intellectuels de la lutte contre l’occupation. Les ONG désamorcent la colère politique et rendent les personnes dépendantes comme des mendiants. En Afghanistan, les gens disent que les États-Unis nous ont poussé du Talibanisme vers “l’ONG-isme”!

JP: Avez-vous des critères selon lesquels vous pourriez accepter des dons?

Mariam: La question ne s’est jamais posée puisque il ne nous a jamais été proposé de fonds d’un gouvernement. Mais nous n’accepterons jamais aucun soutien de n’importe quelle source. Nous comptons sur les individus et, parfois, sur quelques groupes féministes d’autres pays qui soutiennent RAWA. Nous vendons notre propre matériel par le biais de projets: des tapis, de l’artisanat, des CD, des affiches, nous collectons des fonds chaque fois que nous allons faire des tournées de conférences dans d’autres pays. Après le 11 septembre, il y avait un certain intérêt pour RAWA et nous avions eu de bons financements pour 1-2 ans. Aujourd’hui, l’Afghanistan a les mêmes problèmes, mais nous avons dû réduire nos opérations, réduire le nombre d’enfants dans nos orphelinats, annuler certains projets, faute de financement. RAWA est confrontée à de graves problèmes financiers qui affectent aujourd’hui l’envergure de nos activités.

RAWA est fier de recevoir des dons de particuliers, d’organisations et de groupes qui ne sont pas liés aux gouvernements, et surtout pas de sources gouvernementales qui mettraient la pression sur RAWA. Nous préférons renoncer à cet argent et aux tentatives de contrôle. Même si nous faisons face à des problèmes, une centaine de dollars venant d’individus nous donne plus de courage et permet de savoir que nous avons du soutien, des milliers de dollars d’un organisme gouvernemental ne représentent pas la même chose.

JP: Les projets de RAWA sont-ils clandestins?

Mariam: Ils sont semi-clandestins, mais pas de la façon dont ils l’étaient sous le régime taliban. Nous sommes en mesure d’exécuter des projets d’éducation et d’avoir des réunions et des rassemblements en Afghanistan. Mais nous ne sommes pas déclarés auprès du gouvernement. Même si nous l’étions, nous savons qu’ils essaieraient de nous arrêter. Nous n’utilisons jamais le nom de RAWA pour nos projets. Les gens le savent le plus souvent, mais officiellement, nous ne sommes pas enregistré comme RAWA - tous les projets sont gérés comme des activités privées, des initiatives gérées par la population locale.

JP: L'Afghanistan et le Pakistan ont un nombre croissant d’opiomanes, y compris des femmes, comme conséquence de la guerre et des déplacements. RAWA a rencontré ce problème dans son travail de service social?

Mariam: Sur les 26 millions d’habitants estimés, plus d’un million sont dépendants, y compris des enfants et des femmes, et le nombre est en augmentation. Beaucoup de gens qui travaillent dans les champs de pavot deviennent progressivement dépendants: une mère qui travaille dans les champs toute la journée avec des problèmes de santé, ne peut faire dormir son enfant ou faire qu’il s’arrête de pleurer, alors elle peut en donner un peu à son enfant. Il y a beaucoup de femmes dans les prisons aujourd’hui, et un grand nombre y deviennent dépendantes.

JP: Quel est le point de vue de RAWA sur les drogues?

Mariam: Nous pensons que la culture du pavot en Afghanistan fait partie de la stratégie régionale des Etats-Unis pour contrôler cette richesse. Et ce n’est pas un phénomène nouveau, c'est un projet de la CIA pour financer les opérations clandestines dans la région depuis la guerre avec l’Union soviétique dans les années 80. Aujourd’hui, même les États-Unis et l’OTAN encouragent les agriculteurs à cultiver le pavot. Il y a des rapports qui révèlent que même les troupes américaines prennent part au trafic de stupéfiants et que le gouvernement américain s'enrichit grâce à la drogue afghane.

Depuis 2001, la culture d’opium a augmenté de 4400%. L’Afghanistan est devenu le plus grand producteur d’opium au monde, produisant 93% de la production mondiale d’opium. Karzaï est accusé par des responsables américains de soutenir la drogue et les trafiquants. Son frère Wali Karzaï dirige le plus grand réseau de la drogue dans la province de Kandahar. Gen Daud, chef du département de la lutte contre les stupéfiants du Ministère de l’intérieur, est lui-même un célèbre trafiquant de drogues ! Les seigneurs de la guerre dans le nord de l’Afghanistan contrôlent chacun la route du trafic de drogue vers les républiques d’Asie centrale. Personne ne parle de cet horrible aspect de l’occupation américaine de l’Afghanistan. Nous vivons maintenant sous un narco-État.

JP: Comme organisation politique, quelles sont les relations de RAWA avec les partis politiques en Afghanistan?

Mariam: Nous avons de bonnes relations avec certains. Mais malheureusement la plupart des groupes politiques, groupes démocratiques, des droits de l’homme, des droits des femmes, et des intellectuels, ne sont pas actifs. Il y a trente ans, il y avait beaucoup d’activités de nombreux groupes, et RAWA en était juste un parmi d'autres. De nombreux activistes ont été arrêtés, assassinés, ou ont dû fuir le pays. Notre fondatrice, Meena, et beaucoup d’autres, ont été tués ici au Pakistan, accusés d’être des espions russes ou d’ailleurs. Au cours des 30 dernières années, les forces progressistes d’Afghanistan ont fait face à de nombreuses pertes. Et aujourd’hui encore, ils sont marginalisés ou neutralisés par la politique de « l’ONG-isme ».

Ainsi, les plus puissantes forces sur la scène politique sont les fondamentalistes ou des groupes qui leurs sont liés, qui les représentent, en utilisant leurs positions politiques afin de les protéger. Les mouvements de gauche et les intellectuels ont été terriblement affaiblis. Mais il y a beaucoup de progressistes et d’individus épris de liberté, et nous avons un long chemin à parcourir pour nous unir et former une force.

Justin Podur est écrivain et activiste, ils réside à Toronto (Canada). Voir son site : www.killingtrain.com

Pour apporter une contribution financière à RAWA, voir l' « Afghan Women's Mission »: www.afghanwomensmission.org

Site internet de RAWA: www.rawa.org

Une première version de la traduction française de cette interview a été publiée sur le blog féministe: http://teteshautesregardsdroits.wordpress.com , elle a été révisée pour la présente publication dans La Gauche – www.lcr-lagauche.be

 


Discours de Malalaï Joya prononcé au Québec

A 28 ans, Malalai Joya est la plus jeune parlementaire afghane. Sa liberté de pensée et de parole lui a valu d’être la cible de quatre tentatives d’assassinat. A son retour à Kaboul après une tournée internationale de conférences, les seigneurs de guerre et les barons de la drogue lui ont réservé un accueil «personnalisé»: la majorité du Parlement afghan l’a exclue de cette assemblée pour trois ans et a demandé sa mise en accusation par la Cour suprême. Le ministère de l’Intérieur a réduit sa liberté de déplacement et elle ne peut plus quitter le pays.

Au nom de la démocratie et de la paix, mes chers amis, j’aimerais vous transmettre les salutations les plus chaleureuses du peuple afghan. Avant de parler de la situation dans mon pays, je tiens à remercier, du fond de mon cœur, mes amis au Nouveau Parti démocratique, qui ont pensé à leurs sœurs afghanes et qui m’ont invitée à ce rassemblement.

Mes amis honorables, cinq ans après la chute du régime misogyne et anti-démocratique des Talibans, presque cinq ans après le début de l’attaque menée par les États-Unis contre l’Afghanistan, vous aimeriez sans doute que je vous parle du progrès et des résultats positifs en Afghanistan, mais j’ai le regret de vous informer que l’Afghanistan est encore une terre en proie à une incendie double.

Le gouvernement américain a effectivement renversé le régime des Talibans, avec son esprit médiéval et ses maîtres d’Al Quaeda. Mais, ils ont permis que l’Alliance du Nord accède à nouveau au pouvoir. Ce groupe ressemble aux Talibans sur le plan des croyances, et ils sont aussi brutaux et anti-démocratiques que les Talibans. Parfois encore pires.

En décembre 2003, à titre de représentante à la grande assemblée, j’ai parlé de la criminalité de l’Alliance du Nord, et des dangers auxquels ils exposeraient l’Afghanistan. Mais aujourd’hui, même l’ONU accepte que l’Afghanistan devienne un narco-état sous leur régime.

Il faut que je vous dise que malheureusement, la situation désespérée du peuple afghan n’a pas changé. Lorsque le pays tout entier vit à l’ombre de l’arme à feu et des seigneurs de guerre, comment ses femmes peuvent-elles jouir des libertés les plus fondamentales ? Contrairement à la propagande diffusée par certains médias dans l’Ouest, les hommes et les femmes en Afghanistan n’ont pas été « libérés » du tout.

J’aimerais vous décrire la réalité de mon pays en pleine crise, même s’il ne s’agit que de la pointe de l’iceberg.

Selon les Nations Unies, c’est un pays qui fait face à une crise de santé qui est considérablement pire que celle occasionnée par le tsunami. Sept cents enfants et entre 50 et 70 femmes meurent chaque jour, faute de services de soins de santé. Le taux de mortalité des mères et des enfants est encore très élevé : entre 1600 et 1900 femmes sur 100 000 meurent en couches. L’espérance de vie est inférieure à 45 ans.

Chez les femmes afghanes, le taux de suicide est terriblement élevé. Selon un sondage récent effectué par UNIFEM, 65 % des 50 000 veuves à Kabul voient le suicide comme la seule issue pour s’échapper de la misère noire dans laquelle elles se trouvent. De plus, le sondage prouve que la majorité des femmes afghanes sont victimes de violence psychologique et sexuelle.

Dans un pays qui a besoin d’énormément d’efforts de reconstruction, 40 % de la main-d’œuvre est au chômage, et une vaste majorité vit au-dessous du seuil de la pauvreté. L’Afghanistan se classe 175e sur les 177 pays de l’indice du développent humain de l’ONU.

Il est ironique que cela se passe dans un pays qui a reçu 12 milliards de dollars, et qui s’est vu promettre encore 10 milliards de dollars au congrès à Londres l’année passée. Mais cet argent finira principalement dans les poches des seigneurs de guerre, pour qu’ils puissent mieux opprimer notre pays.

Les crimes et les actes de brutalité commis par les seigneurs de guerre extrémistes persistent, et ce, sous le nez des troupes américaines et de l’ISAF. Des bandits armés de l’Alliance du Nord ont violé Fatima, âgée de 14 ans, ainsi que sa mère. Ils ont violé Rahima, 11 ans, et sa grand-mère de 60 ans. C’est un pays où Amina, 30 ans, a été tuée par lapidation, où Nadia Anjuman est devenue la cible facile de la violence de son mari parce que celui-ci avait la certitude de bénéficier de l’appui des seigneurs de guerre de l’Alliance du Nord misogyne.

Sous le régime des Talibans, le ministère du Vice et de la Vertu est devenu le symbole d’abus arbitraires, surtout aux dépens des femmes et des filles afghanes. Pourtant, aujourd’hui, le cabinet afghan a décidé encore une fois de rétablir ce ministère horrible plutôt que de se concentrer sur les besoins criants de la société afghane.

Dans une déclaration de l’année passée, le comité américain pour la protection des journalistes, (Committee to Protect Journalists), a dit : « Les journalistes afghans font face à des pressions sévères exercées par les autorités afghanes, y compris des menaces, l’intimidation, même l’incarcération et le meurtre. » Voici ce qui se passe pendant que M. Karzai et les médias de l’Ouest parlent de la liberté d’expression en Afghanistan.

Ceux qui défendent la justice sont menacés de mort. Le 7 mai, 2006, j’ai été agressée physiquement par deux députés au Parlement qui soutiennent les seigneurs de guerre et les drogues, parce que j’avais dit la vérité. J’avais parlé des crimes de l’Allaince du Nord. L’un d’entre eux a même crié : « Prostituée, prenez-la et voilez-la ! »

Plutôt que de se fier aux gens pour traduire en justice ces seigneurs de guerre criminels, le président Hamid Karzai leur donne des fonctions supérieures. Par exemple, cette année, il a nommé treize anciens commandants, avec des liens à la contrebande de drogues, au crime organisé et aux milices illégales, à des de places de hauts dirigeants au sein de la police.

En raison de la situation tragique en Afghanistan, les 4 millions de refugiés afghans inscrits en Iran et au Pakistan, n’ont guère envie de retourner dans leur pays.

Mes chers amis, le gouvernement américain ne cesse de dire qu’il ne répétera pas les erreurs du passé en appuyant les extrémistes. Mais la vérité déchirante est que les États-Unis commettent exactement les mêmes erreurs. Ils appuient les extrémistes de façon généreuse, plus que jamais. Les États-Unis dépendent de l’Alliance du Nord, ceux-là mêmes qui ont transformé l’Afghanistan en enfer entre 1992 et 1996, et qui posent encore un danger énorme à la stabilité et à la paix dans mon pays.

Kathy Gannon, spécialiste en Afghanistan, dit avec raison que « les États-Unis ne s’intéressent pas à la paix en Afghanistan. Ceux qui ont tué des milliers de personnes, ceux qui ont appuyé l’industrie de la drogue, dirigent le pays. »

Les Afghans, les gens partout au monde qui croient à la justice, et des organismes internationaux en matière de droits de la personne, demandent d’une seule voix que les seigneurs de guerre et les anciens pantins pro-Moscou soient traduits en justice. Mais plutôt que d’être traduits en justice, ils se voient proposer des places supérieures et des occasions de siéger au Parlement, avec l’appui des États-Unis et de ses alliés.

Le gouvernement américain inclut Gulbuddin Hekmatyar dans sa liste des terroristes les plus recherchés, mais 34 membres de son parti siègent au Parlement afghan. Les États-Unis travaillent avec des extrémistes pro-américains, et ils s’opposent uniquement aux extrémistes anti-américains. Voilà la raison pour laquelle les gens se moquent de la « guerre sur le terrorisme ».

L’élection parlementaire elle-même a fait la honte de la démocratie, même si les médias de l’Ouest l’ont appelée une grande réussite. Selon HRW, 70 % des membres du Parlement sont accusés de crimes de guerre, dont des membres de l’état fantoche russe, des trafiquants de drogues, des Talibans et des tueurs de l’Alliance du Nord.

Mes chers amis, les États-Unis ne se soucient pas de la racine du terrorisme en Afghanistan. Voilà pourquoi nous ne considérons pas les États-Unis comme le « libérateur » de notre pays.

J’espère que vous avez compris, à l’aide des petits exemples que je viens d’énumérer, que mon pays se trouve encore entre les griffes d’extrémistes et de terroristes meurtriers. La situation en Afghanistan, surtout celle des femmes afghanes vouées au malheur, ne changera jamais pour le mieux, tant et aussi longtemps que les seigneurs de guerre ne seront pas désarmés, et que la politique en Afghanistan ne sera pas délivrée des terroristes pro et anti-États-Unis.

Je pense qu’aucun pays ne peut donner la liberté à un autre pays.

Seulement le peuple lui-même peut s’affranchir. Les événements actuels an Afghanistan et en Irak en sont la preuve.

Je pense que si le Canada et d’autres gouvernements tiennent vraiment à aider le peuple afghan et à effectuer des changements positifs, il faudrait qu’ils agissent de façon autonome, plutôt que de devenir un outil avec lequel le gouvernement américain peut imposer ses mauvaises politiques. Il faut qu’ils s’alignent sur les besoins et les désirs du peuple afghan et qu’ils cessent d’aider les seigneurs de guerre et les éléments réactionnaires et ignorants au sein du système. C’est seulement en adoptant une telle approche que les pays pourront gagner la confiance des gens et prouver leur amitié envers le peuple afghan.

Nous sommes profondément désolés pour la perte des soldats canadiens en Afghanistan. Si le gouvernement canadien ne peut pas agir de façon indépendante plutôt que de suivre le programme du Pentagone, nous craignons que les efforts des troupes canadiennes ne servent que le gouvernement américain avant tout, et non pas le peuple afghan.

Nous voulons que le gouvernement canadien exerce une pression pour que des criminels comme Sayyaf, Rabbani, Qanooni, Mohaqiq, Fahim, Mullah Rakiti, les Khalqi et les Parchami soient délogés du pouvoir et traduits en justice. Il faut que les décideurs canadiens sachent que les seigneurs de guerre de l’Alliance du Nord sont également responsables des circonstances désespérées du peuple afghan et du malheur qui sévit actuellement en Afghanistan.

Je suis consciente des difficultés et des défis, et du risque de mourir aux mains des forces anti-démocratiques. Mais je me fie à mon peuple. Un jour ils pourraient me tuer, puisqu’ils ont des armes à feu, ils détiennent le pouvoir et ils ont l’appui du gouvernement américain, mais ils ne pourront jamais me réduire au silence ni cacher la vérité.

Merci.

Malalai Joya

 

Discours fait à Québec le 9 septembre 2006 devant le congrès du parti NPD





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