Les femmes bradées toute l’année. Trop longtemps que ça dure !
Par Barby Illuminati le Jeudi, 03 Avril 2008 PDF Imprimer Envoyer

En Belgique, avec un écart salarial de 25%, les femmes doivent travailler environ trois mois de plus que les hommes pour atteindre la masse salariale moyenne que ceux-ci accumulent en un an. Ainsi, depuis quatre ans, la FGTB a choisi le 31 mars pour fêter la journée annuelle de l’égalité salariale, l’Equal Pay Day(1). Plus de quarante ans après la grève historique de douze semaines déclenchée par les « femmes-machines » de la FN à Herstal sur base du principe « A travail égal salaire égal » inscrit dans le Traité de Rome mais non appliqué par le patronat, c’est l’occasion de faire le point sur l’évolution de l’écart salarial entre hommes et femmes.

Par Barby Illuminati*

Les quelques chiffres qui suivent sont extraits du rapport 2008 de l’Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes (IEFH) sur l’écart salarial(2). Basés sur les « indicateurs généraux » établis en 2001 par le Conseil de l’Union Européenne(3), ils démontrent que, malgré les législations et conventions à ce propos, l’égalité de salaire pour un travail égal n’a pas lieu dans la réalité. En 2005, les femmes représentent 45,17% des salarié/es (les hommes 54,83%) et travaillent 40,53% du total des jours ouvrables rémunérés (contre 59,47% pour les hommes). Mais les femmes ne bénéficient que de 36,68% de la masse salariale totale, 63,32% en revenant aux hommes.

Depuis 1999, l’écart salarial entre les salaires moyens des hommes et des femmes a peu évolué et tendrait même à stagner (19% en 1999 ; 16% en 2001 ; 14% en 2002 ; 17% en 2003 ; 15% en 2004). L’IEFH calcule pour 2005 un écart salarial de 15% entre le salaire mensuel brut moyen des hommes (2.807 euros) et celui des femmes (2.387 euros) qui travaillent à temps plein dans l’industrie et les services marchands. Mais, lorsqu’on prend aussi en compte les salaires mensuels bruts des travailleurs et travailleuses à temps partiels, l’écart salarial atteint 25% puisque le temps partiel reste à plus de 80% une affaire de femmes.

Selon l’IEFH, deux facteurs sont responsables d’environ la moitié de l’écart salarial : les ségrégations qui existent entre hommes et femmes sur le marché de l’emploi et la moindre participation quantitative des femmes à l’emploi. Les femmes rencontrent en effet une ségrégation horizontale (les travailleuses sont majoritaires dans des secteurs moins rémunérés, même si le travail peut y être très dur, notamment parce que les temps pleins y sont rares) et une ségrégation verticale (les femmes sont majoritaires aux fonctions « moins élevées »). Par ailleurs, les femmes prestent moins d’heures de travail salarié, ce qui fait baisser leur salaire, même s’il est calculé sur base horaire. Mais ces facteurs n’expliquent pas tout.

La division sexuée du travail « à la maison » et « à l’extérieur » a la peau dure, à tel point que le salaire des femmes reste encore considéré erronément comme un « salaire d’appoint », leur tâche principale devant rester le soin du foyer. Ce genre de conceptions alimente la dévalorisation salariale des secteurs féminins et le maintien d’une majorité de travailleuses dans les temps pleins mal payés ; 43% des femmes travaillent à temps plein pour un salaire inférieur à 2.000 euros contre « seulement » 25% des hommes. Pourtant, le salaire féminin est loin de n’être toujours qu’un « salaire d’appoint » pour les ménages. Et il est très difficile, avec un loyer à payer et deux enfants à charge, de vivre avec 835 euros par mois en travaillant dans le nettoyage, secteur essentiellement féminin (60%) où les temps plein sont pratiquement hors d’atteinte et où les cadences sont infernales (4). Certes, l’enseignement et l’éducation jouent un rôle dans cette division sexuée du travail. Mais il est illusoire de lutter contre l’écart salarial en sous-évaluant les contraintes qui pèsent encore majoritairement sur les femmes une fois qu’il s’agit de concilier des tâches « familiales » et l’emploi.

Marre d’être en vitrine

Il est primordial de dénoncer et de combattre à tous les niveaux politiques à la fois l’usage que le patronat fait du patriarcat pour produire son profit et l’hypocrisie de l’état qui, tout en revendiquant la diminution de l’écart salarial entre hommes et femmes, tolère et encourage la domesticité et l’exploitation des femmes avec toutes les conséquences que cela a sur leur vie (logement, pensions, …). Comme on met des pin-up sur les voitures pour vendre les prototypes aux hommes dans les salons de l’auto, on met les femmes en vitrine du nouveau modèle d’organisation du travail, à titre expérimental avant d’étendre le « modèle » au salariat masculin. C’est ce qui a été fait avec la promotion du temps partiel dès les années 70. « Allez-y, les femmes, c’est pour votre bien, vous pourrez ainsi vous « occuper de la famille » pendant que Monsieur « travaille » ».

 

Et la mode actuelle des titres-services, qui organise dans le contexte de la « chasse aux chômeuses/eurs » un véritable « précariat » essentiellement féminin, aggrave encore la situation… Si les femmes sont majoritaires dans les temps partiels, ce n’est nullement dû au hasard ni par choix. Comme les crédits temps, les congés parentaux ou les titres-services, il s’agit pour la majorité d’entre elles de « choix forcés » dans le contexte du patriarcat qui induit un partage inégal du travail salarié et du travail domestique. L’Etat, plutôt que de favoriser des solutions collectives pour accorder à toutes et tous plus de temps pour sa vie privée, sociale, familiale, …, favorise surtout des solutions individuelles qui aboutissent pour les femmes à moins d’autonomie financière et à plus de travail domestique. Ce « modèle » individualisé est profitable au patronat qui peut ainsi bénéficier d’une réserve de main d’œuvre latente, d’une flexibilité accrue ou d’une déstructuration syndicale. Mais il tend aussi à se généraliser aux hommes, via les CDD, les intérims etc…, même si les femmes sont à nouveau majoritaires dans ces statuts précaires.

Que faire?

Depuis les années 1970 et le renouveau du féminisme, de nombreux outils et toute une série d’instruments juridiques existent pour lutter contre l’écart salarial. Avec l’adoption de la charte « gendermainstreaming » en 2004, les syndicats belges se manifestent régulièrement à ce propos. Ils insistent notamment sur l’actualisation de la Convention Collective de Travail n°25(5) et sur la nécessité d’une évaluation de fonctions sexuellement neutre(6), qui devrait, selon eux, permettre davantage de transparence dans les critères de rémunération et éviter que les stéréotypes de genre continuent à défavoriser les salaires féminins. Ils avancent aussi d’autres propositions, comme les crédits-temps masculins, l’amélioration des conditions de travail à temps partiel ou encore la création de structures d’accueil collectives financées notamment par la taxation du capital. Du boulot, du fric, des loisirs et du repos, pour toutes, pour tous!!

L’écart salarial d’aujourd’hui est à situer dans la société d’aujourd’hui, une société où l’écart de revenus entre les salariés et les patrons ne cesse de croître et où le nombre de « working poors » ne cesse d’augmenter, y compris chez les hommes, et cela dans un pays qui se situe en troisième position mondiale au niveau de la productivité. Il reste nécessaire de croiser l’analyse de genre avec l’analyse de classes et les préoccupations écologiques pour éviter que l’écart salarial ne devienne finalement l’arbre qui cache la forêt. Pour cela, il faut plus qu’une simple amélioration des temps partiels ou qu’un « rapiéçage d’un modèle qui craque de partout » (expression reprise à Dominique Meda) ; il faut revenir à une lutte globale, forte et durable:

- pour une véritable réduction collective du temps de travail avec maintien des salaires et embauches compensatoires;

- pour de véritables services publics de qualité avec des emplois socialement et écologiquement nécessaires, accessibles pour toutes et tous

- pour la fin des heures supplémentaires, des CDD, des intérims, des titres-services et autres sous-statuts qui créent un véritable précariat

- pour une individualisation des droits en sécurité sociale (ce qui implique aussi la suppression complète du statut cohabitant) et une prise en compte pour toutes et tous du poids des charges familiales sur la vie professionnelle dans le calcul des allocations et les critères pour les obtenir et les conserver.

- pour des droits égaux pour tous et toutes, avec ou sans papiers

 

(1) L’Equal Pay Day est initié en 1996 par le National Committee on Pay Equity (NCPE), une coalition fondée en 1979 par des syndicats et associations américaines (www.pay-equity.org) pour symboliser l’écart salarial entre hommes et femmes.

(2) Téléchargeable sur le site www.iefh.fgov.be (rubrique « domaine d’action »)

(3) Selon le Conseil européen, il convient de se pencher essentiellement sur une comparaison des salaires moyens et sur la répartition de la masse salariale totale entre hommes et femmes refléter l’écart salarial pour l’ensemble de l’économie. Mais le choix des valeurs comparées influence le résultat obtenu (comparaison du salaire horaire, annuel, ou mensuel, inclusion ou non des travailleur/euses à temps partiel dans le calcul, inclusion ou non des secteurs majoritairement féminins, comme le secteur du travail domestique, des soins de santé ou du socio-culturel qui ne sont pas repris dans les indicateurs européens, …). Par ailleurs, au-delà de l’écart salarial global, il existe des variations selon les secteurs d’activité, le statut et l’âge des travailleurs/euses ou encore leur état civil.

(4) Voir Syndicats de février 2008.

(5) Cette CCT, conclue en 1975, vise l’égalité de rémunération entre travailleurs masculins et féminins dans le secteur privé. En 1978, le chapitre V de la loi de réorientation économique impose à tous les secteurs l’égalité de traitement entre travailleuses et travailleurs quant à l’accès à l’emploi, la formation, la promotion, le licenciement et les conditions de travail, dont la rémunération.

(6) L’IEFH a développé à ce propos le programme EVA. Voir www.iefh.be.

* A la LCR/SAP, la commission femmes s’appelle "Barby Illuminaty". Cet article est une production collective issue de nos réflexions sur les mécanismes de l'oppression des femmes et les alternatives féministes anticapitalistes. Nous élaborons nos textes à travers une liste de discussion par internet. Cette liste est ouverte à toute membre ou sympathisante des idées de la LCR. Pour y participer, il suffit de nous écrire à Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir. .

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