Voix contre l'intervention impérialiste et la dictature en Libye
Par M. Shafiq, T. Ali, R. Brauman, S. Assaf, R. Seymour, P. Fuentes, Via Campesina le Mardi, 29 Mars 2011 PDF Imprimer Envoyer

L'intervention des puissances impérialistes en Libye continue à susciter d'âpres polémiques à gauche. Sans pour autant partager tous les points de vue exprimés ici, nous reproduisons ci dessous une série de prises de position qui partent de la nécessité de rejetter cette intervention, tout en soutenant les exigeances démocratiques du peuple libyen dans sa volonté de chasser le dictateur Kadhafi. (LCR-Web)

La force d'inertie de Kadhafi et l'ingérence états-unienne

Par Mounir Shafîq

On attendait de la jeune révolution populaire en Libye qu'elle se termine de la même manière que se sont terminées les révolutions en Tunisie et en Égypte : avec le départ du président et la chute de son régime. C'était sans compter quelques difficultés et surtout le caractère de Kadhafi et la nature de son régime. La révolution en Libye est une partie de la révolution qui s'est développée dans la plupart des pays arabes à commencer par la Tunisie et l'Égypte, en passant par le Yémen et le Bahreïn. Cependant, les derniers événements qui ont conduit à l'intervention militaire des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne en Libye, ont changé la donne et nous obligent à revoir notre analyse.

Avant l'intervention, le peuple faisait face à un tyran qui s'était rallié aux États-Unis depuis 2003. Lui et ses enfants s'emparaient des revenus du pétrole. Environ 30 milliards de dollars furent déposés dans des banques et des sociétés états-uniennes et environ 20 milliards de dollars en Grande-Bretagne. A cela, il faut ajouter son rôle important dans la sécession du sud du Soudan et ses efforts pour poursuivre le démembrement du Soudan en commençant par le Darfour.

L'ingérence étrangère, qui a commencé par le bombardement de sites militaires libyens, continue sous le prétexte de sauver les civils des massacres perpétrés par les forces militaires pro-Kadhafi que ce soit à Benghazi, à Misrata ou dans de nombreuses autres villes.

Menée par l'Amérique, on ne peut pas considérer cette ingérence étrangère comme un soutien aux opprimés contre l'oppresseur car les États-Unis sont les plus grands oppresseurs des peuples du monde. De même, on ne peut pas ignorer les dangers et la portée de cette ingérence dans le futur. Le prix réclamé par les États-Unis à la suite de cette intervention, sera plus important que ne pourra le supporter le peuple libyen. Cette intervention constitue un précédent dangereux pour le futur du monde arabe. Elle a été organisée sous couvert d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, d'une résolution du Conseil de la Ligue arabe et à la suite de l'appel à l'aide d'un peuple dont les corps sont déchiquetés par les bombes de Kadhafi et de ses forces armées.

Toute personne qui croit que les États-Unis défendent les valeurs de la liberté, des droits de l'homme et de la démocratie, se leurre. Toute l'histoire des États-Unis est marquée par une opposition à ces valeurs. Les Étasuniens ont exterminé les Indiens d'Amérique et ont bâti leur pays sur un système esclavagiste puis sur un système de domination raciale qui laissa de nombreuses traces. Aujourd'hui, la discrimination s'est déplacée en direction des habitants d'origine hispanique ou arabe et cette dernière décennie sur les musulmans.

Concernant leurs relations avec les autres peuples, les États-Unis se sont toujours distingués, au cours de leur histoire, par leur politique impérialiste qui s'appuie sur des systèmes autoritaires corrompus. Ces systèmes n'ont aucun rapport avec la liberté, les droits de l'homme et la démocratie. Pour preuves de cette politique impérialiste, leur histoire négative en Amérique du sud, leur soutien illimité à l'Entité sioniste et les guerres qu'ils ont menées contre l'Afghanistan et l'Iraq au cours de la dernière décennie.

Même si l'on considère que les États-Unis ont sauvé l'Europe des nazis, ils en ont profité pour la contrôler politiquement, économiquement et culturellement – contrôle qui s'exerce encore. De même, les Étasuniens ont combattu les Serbes sous prétexte de sauver de l'extermination les musulmans victimes du régime de Slobodan Milosevic en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo. En réalité, cette intervention n'était pas fondée sur une volonté de secourir les musulmans menacés d'anéantissement. Actuellement, les espoirs d'indépendance et de souveraineté de ces pays se sont transformés en cauchemars.

L'actuelle intervention états-unienne en Libye ne peut pas être considérée comme une aide apportée à un peuple contre les massacres pratiqués par un tyran fou qui, hier encore, avait parié sur les États-Unis pour protéger son régime. Ce tyran répondait favorablement à toutes leurs demandes en échange de la protection accordée à son régime. En raison de cette intervention, la révolution en Libye risque d'être étouffée. De plus, cela menace directement les révolutions tunisienne et égyptienne.

Les principaux responsables de l'intervention américano-européenne sont Mouammar Kadhafi, ses enfants et les piliers du régime car ils ont refusé de se soumettre à la volonté du peuple. Ils ont lancé une guerre criminelle contre les villes qui se sont soulevées et qui se sont libérées de leur autorité. Ils ont profité de leur supériorité dans le domaine de l'aviation et de l'artillerie et de soutiens extérieurs suspects leur permettant le recrutement de soldats et de pilotes pour massacrer les civils. Ainsi, ils ont entraîné, consciemment ou pas, l'ingérence extérieure.

Hugo Chavez et Fidèle Castro se trompent en ne percevant pas de la même manière la révolution libyenne et les révolutions tunisienne et égyptienne. Ils se tromperont bien plus encore, s'ils soutiennent, en réponse à l'ingérence états-unienne, Kadhafi contre son peuple.

Les États-Unis qui furent surpris par la rapidité avec laquelle Hosni Moubarak et Zine el-Abidine Ben Ali furent renversés, sont maintenant contraints de flatter les révolutions tunisienne et égyptienne. Il n'est pas permis de douter de la nature de ces révolutions bien qu'elles se soient tournées, par nécessité, vers les États-Unis qui soutenaient, pourtant, Zine el-Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak en raison de leur alignement politique sur Washington.

Ainsi, la position correcte exige de s'opposer fermement à l'intervention militaire états-unienne et contre Mouammar Kadhafi, ses crimes et son régime et de rester aux côtés du peuple et de la révolution en Libye.

Prendre position aux côtés de la révolution et du peuple impose de ne pas se disperser. C'est la seule garantie pour se débarrasser de l'ingérence militaire états-unienne et de ses desseins odieux. De même, il faut veiller à ne pas soutenir Kadhafi et son régime qui, en raison des événements, s'est transformé en adversaire de l'ennemi extérieur. Kadhafi est pourtant responsable de cette intervention en ayant refusé de partir et en persévérant dans le massacre son peuple.

Prendre position contre Mouammar Kadhafi et son régime exige de ne pas être ébranlé par l'intervention militaire américaine. Kadhafi est l'un des premiers alliés des États-Unis. Il s'est soumis aux États-Unis après l'invasion de l'Iraq et il dépensa des dizaines de milliards de dollars pour les satisfaire. De même, il œuvra de manière directe ou indirecte à la partition du Soudan, à soutenir la rébellion au Darfour et à soutenir la politique africaine des États-Unis.

Aujourd'hui, Kadhafi est le plus à même de négocier avec les États-Unis sa protection, celle de ses enfants et de son régime. On ne peut pas oublier cela en s'alignant sur ses positions sous prétexte de résister à l'ingérence militaire états-unienne.

L'alignement doit se faire sur la révolution et le peuple libyen en s'opposant fermement à l'intervention militaire américano-européenne et en demandant la chute de Kadhafi et de son régime.

La Libye doit sortir de cette épreuve libre et indépendante. Sa révolution est une partie de la révolution arabe qui a triomphé en Tunisie et en Égypte. Cette révolution a ouvert le chemin tant attendu et peu importe les difficultés qu'elle aura à affronter.

Source : As-Sabeel.net . Traduction : Souad Khaldi


La Libye n’est qu’un autre cas occidental de justice sélective

Par Tariq Ali

Bombarder Tripoli tout en soutenant d’autres despotes dans le monde arabe montre que les frappes sous couvert de l’ONU pour renverser Kadhafi relèvent du cynisme pur et simple. L’intervention US-OTAN en Libye sous couvert du conseil de sécurité de l’ONU s’inscrit dans une réponse orchestrée pour montrer un soutien à un mouvement contre un dictateur en particulier et, de la sorte, mettre un terme aux rébellions arabes en affirmant le contrôle occidental, en confisquant leur élan et leur spontanéité pour essayer de restaurer le statu quo antérieur.

Il est absurde de penser que les raisons pour bombarder Tripoli ou pratiquer le tir au pigeon aux alentours de Tripoli ont pour but de protéger les civils. Ce dernier argument est avancé pour s’attirer le soutien des citoyens d’Europe et d’Amérique et d’une partie du monde arabe. « Regardez-nous, » expliquent Obama/Clinton et leurs satrapes de l’Union Européenne, « nous faisons le bien. Nous sommes du côté du peuple ». Un tel cynisme laisse pantois. Nous sommes supposés croire que les dirigeants qui ont les mains rouges de sang en Irak, en Afghanistan et au Pakistan sont en train de défendre le peuple libyen. Dans leur bassesse, les media britanniques et français sont capables de gober n’importe quoi, mais le fait que des libéraux [des gens plutôt de gauche dans le vocabulaire anglo-saxon, NdT] sincères avalent encore ces bobards est déprimant. La société civile est facilement émue par certaines images et la brutalité de Kadhafi envoyant son aviation bombarder son peuple a été le prétexte saisi par Washington pour bombarder une autre capitale arabe.

Dans le même temps, les allies d’Obama dans le monde arabe étaient à pied d’oeuvre pour promouvoir la démocratie. Les Saoudiens sont entrés au Bahreïn où la population est tyrannisée et où ont lieu des arrestations en grand nombre. Le tout avec un soutien actif des Etats Unis. « Al Jazeera » n’en parle pas beaucoup. Je me demande pourquoi? Cette chaîne télévisée semble avoir été quelque peu contenue et ramenée sur la ligne politique de ceux qui la financent.

Le despote du Yémen, honni par la majorité de son peuple continue à tuer chaque jour sa propre population. Pas le moindre embargo sur les armes, ne parlons même pas d’une « zone d’exclusion aérienne, » ne lui a été imposé.

La Libye est encore un autre cas de justice sélective de la part des Etats-Unis et de leurs chiens d’attaque en Occident. Ils peuvent compter aussi sur les Français. Sarkozy était impatient d’agir. Incapable de sauver son ami Ben Ali en Tunisie, il a décidé de contribuer à évincer Kadhafi. Les Britanniques sont toujours prêts à rendre service et dans ce cas, après avoir soutenu le régime libyen ces deux dernières décennies, ils font en sorte d’être du bon côté afin de ne pas rater le partage du butin.

Que peuvent-ils obtenir? Les divisions à l’intérieur de l’élite politico-militaire des Etats Unis au sujet de toute cette opération révèlent qu’elle n’a pas d’objectif clair. Obama et ses satrapes Européens parlent de changement de régime. Les généraux font de la résistance et disent que ça ne fait pas partie de leur vision de la situation.

Le département d’Etat s’affaire à préparer un nouveau gouvernement constitué de collaborateurs Libyens anglophones. Nous ne saurons donc jamais combien de temps l’armée déliquescente et affaiblie de Kadhafi aurait pu maintenir sa cohésion devant une forte opposition. La raison pour laquelle il perdait du soutien dans ses forces armées était justement qu’il leur avait ordonné de tirer sur sa propre population. Maintenant il parle de la volonté de l’impérialisme de le renverser et de prendre le pétrole et même de nombreuses personnes qui le méprisent peuvent voir que c’est vrai. Un nouveau Karzai est en route.

Les frontières du misérable protectorat que l’Occident va créer sont décidées à Washington. Même ces Libyens qui, par désespoir, soutiennent les bombardements de l’OTAN, pourraient – à l’instar de leurs équivalents Irakiens – regretter leur choix.

Tout cela pourrait déclencher une troisième phase à un moment donné : la montée d’une colère nationaliste qui pourrait submerger l’Arabie Saoudite et là, soyez en certain, Washington fera tout ce qu’il faudra pour maintenir la famille royale au pouvoir. Qu’ils perdent l’Arabie Saoudite et ils perdront les Etats du Golfe.

L’agression contre la Libye, grandement facilité par l’imbécillité de Kadhafi à tous les niveaux, a été conçue pour retirer l’initiative à la rue en se présentant comme les défenseurs des droits de la population. Les Bahreïnis, les Tunisiens, les Egyptiens, les Saoudiens et les Yéménites n’en seront pas convaincus, et même dans l’Euro-Amérique il y a plus de gens pour s’opposer à cette dernière aventure que pour la soutenir. La bataille n’est en aucune façon terminée.

Obama parle d’un Kadhafi sans pitié, mais la propre pitié de l’Occident ne tombe jamais du ciel comme une fraîche ondée sur ceux qui sont en dessous. Elle n’est angélique que pour la puissance qui la déverse, la puissance parmi les puissances.

Publié dans « The Guardian », 29 mars 2011, traduit de l’anglais par Djazaïri


«Je ne crois pas aux bombardements pour instaurer la démocratie»

Par Rony Brauman

Une partie des opposants à l’intervention américaine en Irak soutiennent cette fois la résolution du Conseil de sécurité sur la Libye. Pas vous. Pourquoi ?

Parce que je ne crois pas plus qu’avant aux vertus de bombardements aériens pour installer la démocratie ou «pacifier» un pays. La Somalie, l’Afghanistan, l’Irak, la Côte-d’Ivoire sont là pour nous rappeler aux dures réalités de la guerre et de son imprévisibilité. «Protéger les populations» signifie, en pratique, chasser Kadhafi et le remplacer par un Karzaï local si l’on va au bout de la logique, ou diviser le pays en gelant la situation. Dans les deux cas, nous ne serons pas capables d’en assumer les conséquences. A quel moment cette guerre sera-t-elle considérée comme gagnée ?

Faut-il assister en spectateur à l’écrasement de la rébellion libyenne par les troupes de Muammar al-Kadhafi ?

Non. Entre la guerre et le statu quo, il y a un espace d’actions : la reconnaissance du Conseil national de transition [l’instance politique des insurgés, ndlr] par la France était un geste politique important, qu’il faut poursuivre en soutenant militairement l’insurrection : lui fournir des armements et des conseils militaires pour rééquilibrer le rapport des forces sur le terrain, ainsi que des informations sur les mouvements et préparatifs des troupes adverses. L’embargo commercial, l’embargo sur les armes et le gel des avoirs du clan Kadhafi sont autant de moyens de pression auxquels le régime de Tripoli ne peut être indifférent.

Ne risque-t-on pas de laisser faire une tragédie ?

Prenez le Rwanda, souvent invoqué comme un exemple de ce qu’il ne fallait pas faire : l’ONU avait des soldats et les a retirés avant le génocide, ce qui est retenu comme la grande faute. Mais, pour compréhensible qu’elle soit, cette critique morale est aveugle au fait que, pour changer le cours des choses, il aurait alors fallu établir une tutelle complète sur le pays, ce qui est impossible. Selon moi, notre tort n’a pas été le retrait en 1994, mais l’intervention en 1990 pour sauver le régime en place, sous l’illusion de pouvoir imposer la paix. Il valait mieux accepter les violences du moment que de geler, pour un temps forcément limité, le rapport de forces. Ce sont les plus radicaux des deux côtés qui en ont tiré profit.

Même si l’on se contente d’interventions aériennes ?

Une opération aérienne n’a jamais permis de remporter une guerre. Cette illusion technologique relève de la pensée magique. Le bilan des interventions armées internationales montre que nous n’avons plus les moyens de décider ce qui est bon ou pas à l’étranger. Le remède est pire que le mal. A partir du moment où la force ne nous permet plus de faire avancer à notre convenance une histoire qui hésite, mieux vaut en éviter l’usage et rompre avec les rêves de la «guerre juste». En cette matière comme en d’autres, la politique de l’émotion est très mauvaise conseillère.

Est-ce une opposition de principe à toute intervention ?

Non, les Brigades internationales parties combattre en Espagne aux côtés des républicains, en 1936, sont un grand moment de solidarité internationaliste - mais sûrement pas de défense des libertés démocratiques ! - et j’applaudirais des deux mains l’idée de brigades internationales allant soutenir la rébellion libyenne. Mais les interventions étatiques sont une tout autre affaire ! J’ajoute que la morale est loin de trouver son compte dans les choix de situations justiciables d’une intervention internationale par rapport aux populations que l’on abandonne à leurs oppresseurs : la Tchétchénie, la Palestine, le Zimbabwe, la Corée du Nord, etc. Pour ne prendre qu’un exemple récent : parmi ceux qui appellent à une zone d’interdiction de survol au-dessus de la Libye, combien auraient défendu la neutralisation des forces aériennes israéliennes en janvier 2009 sur Gaza ou en août 2006 sur le Liban ?

Il n’y a donc pas de diplomatie des droits de l’homme possible ?

Allez demander aux manifestants du Bahreïn, réprimés par nos alliées les monarchies pétrolières du Golfe, ce qu’ils en pensent. Les Iraniens pourraient bien s’intéresser à leur tour à la défense des droits de l’homme dans la péninsule arabique. Non, les droits de l’homme ne sont pas une politique, et l’opposition canonique entre droits de l’homme et realpolitik est une impasse. Il y a une politique tout court, qui est l’art de vouloir les conséquences de ce qu’on veut. Les droits de l’homme sont convoqués ou révoqués à leur guise par les Etats.

Que dites-vous aux Libyens qui appellent l’Occident au secours ?

Je leur dis qu’ils se font des illusions sur notre capacité à redresser la situation à leur profit et que ce sont eux qui en paieront le prix fort. Souvenez-vous que, en 2003, de très nombreux Irakiens étaient en faveur d’une intervention armée. Ils croyaient que les Américains couperaient la tête du tyran et s’en iraient. Les médecins savent, mais pas seulement eux, que donner l’illusion d’une protection peut être pire que ne pas donner de protection.

La reprise en main de la Libye par Kadhafi, n’est-ce pas la fin du printemps arabe, voire une menace sur les révolutions tunisienne et égyptienne ?

Je ne vois pas pourquoi. D’une part, ce n’est pas la situation en Libye qui déterminera à elle seule l’avenir démocratique des pays arabes ; d’autre part, on voit qu’à l’ombre de l’intervention en cours la répression s’abat sur d’autres manifestations dans les pays du Golfe. Par ailleurs, nous sommes bien placés, en France, pour savoir qu’entre la révolution et la démocratie, il y a du chemin à faire et des retours en arrière. Le printemps arabe n’échappera sans doute pas à cette règle. Je suis convaincu que le rejet des pouvoirs despotiques et corrompus est profondément inscrit dans l’ensemble des sociétés contemporaines, mais que c’est à elles de faire de ce rejet un programme politique.

Rony Brauman est ancien président de Médecins sans frontières. Professeur associé à Sciences-Po, il réfléchit depuis des années aux effets des interventions humanitaires.

Interview parue dans le journal Libération, le 21 mars 2011


L’Occident n’est pas l’ami de la révolte libyenne

Par Simon Assaf

Les opérations militaires occidentales en Libye nous sont présentées comme une « intervention humanitaire » qui aurait pour pour objectif de défendre la révolution.

Le soulèvement contre le régime brutal de Muammar Kadhafi, qui a commencé le 17 février, est toujours en cours, et Kadhafi s’est livré à des attaques contre des civils, des bombardements de manifestations, des rafles massives et des exécutions. Cela a plongé dans le désespoir beaucoup de gens, qui ont eu le sentiment qu’une intervention occidentale était la seule solution pour sauver leurs vies.

Mais les intérêts de l’Occident ne sont pas ceux de la révolution libyenne. Les gouvernements occidentaux ne sont ni innocents ni impartiaux. Ils utilisent cette occasion pour raffermir leur influence dans la région.

La classe dirigeante mondiale a été secouée par les révolutions populaires de masse qui ont renversé ses alliés – Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte. Si la sympathie de l’Occident pour les révolutions populaires qui ont renversé des dictateurs sanguinaires est sincère, pourquoi ne soutiennent-ils pas les autres révolutions ? Où est l’opposition à la répression des manifestations en Arabie saoudite, au Bahrein et au Yémen ? Cette semaine, Israël a lancé de nouvelles attaques aériennes sur la bande de Gaza – à notre connaissance, les Occidentaux n’ont pas menacé Israël d’une zone d’exclusion aérienne.

L’hypocrisie de l’impérialisme est évidente. Ces régimes sont ses alliés, et cela leur permet d’agir en toute impunité. L’Occident a soutenu Ben Ali et Moubarak jusqu’à ce qu’il soit clair que leur règne était terminé.

Le soutien de la Ligue arabe aux actions des occidentaux a été utilisé comme couverture. Pourtant la Ligue arabe est constituée par les mêmes dictateurs que ceux que les révolutions tentent de renverser.

Ils se sont montrés dans le passé de solides alliés de l’impérialisme occidental, et n’ont manifesté aucune compassion pour le mouvement populaire de leurs pays. D’ailleurs l’alliance commence à se fragmenter à mesure que la nature des bombardements devient claire.

Après le premier jour des bombardements, Amr Moussa, le chef de la Ligue arabe, a protesté : « Ce qui se passe en Libye s’éloigne de l’objectif qui était d’imposer une zone d’exclusion aérienne, ce que nous voulons c’est la protection des civils et non pas de nouveaux bombardements de civils. »

L’intervention occidentale n’a pas pour but de protéger des civils innocents ou d’appuyer la cause de la révolution. Elle est destinée à garantir les accords conclus avec Kadhafi par le passé. Les puissances occidentales ont d’ailleurs dès le début mis des bâtons dans les roues à la révolution.

Le Conseil National de Transition Libyen (CNT) issu de la révolution a émis, dans les premières journées cruciales du soulèvement, une série de revendications simples. Il a demandé la reconnaissance du CNT, l’accès aux milliards bloqués du régime pour acheter des armes et des équipements essentiels, et la cessation immédiate des « vols mercenaires » qui fournissent ses fantassins au régime de Kadhafi.

Les gouvernements occidentaux n’ont accepté aucune de ces demandes. Leur objection aux ventes d’armes a été qu’elles pouvaient tomber entre les mains de « terroristes islamistes ». A lieu de cela, les gouvernements occidentaux ont posé à la révolution un certain nombre de conditions. Ils ont exigé que le futur gouvernement libyen, quel qu’il soit, honore les contrats signés par Kadhafi et notamment les concessions pétrolières. Ils ont exigé qu’une répression stricte des mouvements « islamistes » soit poursuivie, et que le futur gouvernement continue a assumer le rôle assumé par la Libye de chien de garde de la migration africaine en Europe du Sud. L’occident s’est, dans la réalité, livré à un chantage contre la révolution.

« L’intervention humanitaire » a une histoire sanglante. Celle de la Guerre des Balkans, au cours des années 1990, s’est transformée en couverture pour les invasions de l’Afghanistan et de l’Irak. Ces deux pays sont toujours occupés par des troupes. La guerre d’Afghanistan en est à sa dixième année.

La classe dirigeante a été profondément déstabilisée par l’énorme mouvement qui balaie le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, et elle utilise son intervention comme un moyen de rétablir son emprise et sa crédibilité. Il n’y a aucune garantie que l’Occident va quitter la Libye rapidement, et le danger de partition du pays est réel.

La révolution libyenne n’est pas perdue – elle a été contrainte de faire des compromis.Les exigences de liberté, de la suppression de la pauvreté et de l’oppression sont plus brûlantes que jamais, et le mouvement par en bas continue à donner de l’espoir pour l’avenir à long terme des peuples de la région.

Paru dans Socialist Worker n°2244 du 26 mars 2011, sous le titre "The West is no friend of Libya’s revolt". Traduction JM Guerlin pour la revue « Que faire » animée par des militants du NPA (France)


Une Intervention Humanitaire ?

Par Richard Seymour

Le prétexte avancé pour l'intervention en Libye est bien sûr « humanitaire », comme il se doit afin de donner une légitimité aux puissances Occidentales. Les oeuvres d'auteurs comme Noam Chomsky, Mark Curtis et vous-même, parmi tant d'autres, ont cependant démontré que la politique étrangère occidentale a tendance à avoir comme première préoccupation le pouvoir et le privilège de possession des élites nationales. Quel est alors le réel motif de ceux qui soutiennent l’intervention en Lybie ? Que pensez-vous qu’ils cherchent fondamentalement à réaliser ?

Je pense qu'il y a plusieurs motifs . Il s'agit d'abord de rétablir la crédibilité des USA et de ses alliés en apparaissant au côté d’une population en danger et ainsi effacer partiellement le syndrome de l'Irak. Il faut également tenter d'effacer les décennies de ventes d’armes et le financement des dictatures. Mais un des principaux motifs, fondamental, peut être déduit à partir du contexte : la région arabe est traversée par un tumulte révolutionnaire et la révolution en Libye n'est pas moins sincère et authentique que celle en Tunisie et en Egypte (tout comme les soulèvements au Bahreïn et au Yémen).

Cette vague révolutionnaire, ce n'est pas juste contre des dictatures, mais c'est aussi contre l’impérialisme, contre le FMI et les alliances avec Israël. Donc, je formulerais l'hypothèse que les USA et leurs alliés tentent désespérément de trouver une manière d'interrompre ce processus révolutionnaire, d'une façon ou d'une autre. Ils veulent maintenir l’hégémonie étatsunienne dans la région.

Les anciens éléments du régime de Kadhafi qui sont passé dans le camp de la rébellion libyenne sont les plus ouverts à une alliance avec les USA, en partie à cause de l'histoire particulière et de la nature du régime Kadhafi, dont la légitimité a continué à compter un peu sur sa position passée comme un adversaire régional de l'impérialisme. Cela a donné aux USA et à l'UE une occasion unique d'introduire dans le processus, même s'ils ne peuvent pas le contrôler.

Cela a dit, c'est un coup de dés de la part des USA : il n'y a aucune garantie concernant le contrôle de cette révolte. Particulièrement dans l'est de la Libye où les forces politiques ne sont pas favorables à l'impérialisme. Ce n’est pas parce que le Conseil national de transition de l'opposition libyenne a appelé une zone d'exclusion aérienne qu'il s'agit d'une demande unanime partagée au sein de tout le mouvement révolutionnaire. Le Conseil national de transition a peu d'autorité réelle sur les mouvements qu'il tente de représenter. Ils ont plus ou moins admis en théorie que des conseils révolutionnaires locaux envoient des délégués, ce n'est pas vraiment arrivé.

La révolution libyenne n'est pas un mouvement non équivoque, centralisé, et le Conseil transitoire n'est pas le Viet Minh. C'est idéologiquement disparate, désarticulé au niveau de l’organisation et dispersé sur le territoire. Ainsi, tandis que les révolutionnaires essayeront sans aucun doute de profiter d'un moment de répit possible, ils tourneront cette intervention à leur avantage, il y a des millions de gens dont les opinions n'ont pas été prises en compte et cela pourrait ainsi entraîner un retournement de situation si celle-ci ne change pas.

Peut-être que, depuis leur perspective, le meilleur résultat des attaques sera que les USA et l'UE imposent une division de facto du territoire libyen, entre une partie « pro-occidentale » et une dictature à l'ouest de la Libye. La résolution de L'ONU cherche un résultat négocié sur le conflit basé sur le soutien à l'insurrection, mais cela peut conduire à une impasse. Étant donné que Kadhafi ne va probablement pas céder le pouvoir, la partition du pays peut être un résultat plausible. Et ce serait très mauvais pour la Libye, vu que les divisions régionales et « tribales » sont partiellement enracinées dans l'histoire coloniale de la Cyrénaïque et Kadhafi l’a délibérément renforcée avec sa politique de sous-développement de l'est du pays. Ce scénario pourrait mener à une dégénérescence de la révolution et à une guerre civile. Diviser pour mieux régner, ce n'est pas exactement une stratégie peu familière dans les annales de l'impérialisme.

Certains soutiennent que, même si les Etats impérialistes ont des motifs abominables, si leur intervention mène à la chute de Kadhafi ou à sauver des vies, alors elle est justifiée. Quel est votre avis?

Je pense qu'il faut prendre de tels arguments au sérieux, mais leurs partisans ne le font souvent pas très bien eux-mêmes. Les prendre aux sérieux signifie essayer de juger si la nature de ces Etats impérialistes peut provoquer un résultat positif, une délivrance. On nous demande de parier sur l'idée que les intérêts des Etats impérialistes coïncideront avec ceux de la révolution alors que leur position dans la région est clairement contre-révolutionnaire. Certains pensent qu'en dépit de ces intérêts, leur action provoquera, involontairement, une Libye authentiquement libre. Et si ce n'était pas le cas ? Et si, comme je l'ai suggéré, la coalition d’Etats impliqués dans les bombardements en agissent ainsi en réalité pour empêcher une victoire révolutionnaire, en créant une impasse ? Et si la guerre aérienne s’intensifie et provoque des massacres ?

Il peut y avoir toutes sortes de restrictions, les fameuses «  règles d'engagement », mais celles-ci sont subordonnées à la logique militaire et ont tendance à être élargies quand les choses ne se passent pas comme prévu. Rappelez-vous que quelques semaines après le déclenchement de la guerre en ex-Yougoslavie en 1999, également menée sous un prétexte humanitaire, les USA ont commencé à étendre les bombardements contre les infrastructures civiles, y compris en bombardant une chaîne de télévision. Et c'était une guerre de « basse intensité »! Dans les parties de la Libye que Kadhafi contrôle, il y a des millions de gens qui souffriraient énormément si une telle tactique était déployée, et ils s'opposeraient amèrement à l'intervention. Et cela touche à la question de la guerre civile de nouveau - si ces civils blâment les forces révolutionnaires, ils peuvent devenir les bourreaux de la contre-révolution.

Il existe des risques assez énormes que l'on nous demande de prendre, en considération des vies et du bien-être des Libyens, en approuvant l'intervention militaire par les Etats impérialistes. Mais je n'ai vu personne qui favorise une intervention analyser sérieusement les conséquences possibles.

Quelle serait la meilleure alternative réaliste ?

Les Etats dans la région interviennent déjà des façons diverses. L'Egypte a fourni des armes et formé des soldats pendant quelques semaines. Le régime en Egypte est toujours militaire et capitaliste et il poursuivra ses propres intérêts. Mais ce n'est pas un Etat impérialiste et ces efforts peuvent indiquer la volonté du régime de s'affirmer comme une puissance principale dans une nouvelle région, avec une configuration de forces qui sont plus indépendantes de Washington. Mais je ne pense pas que nous devrions y placer nos espoirs car le direction militaire égyptien n'a pas encore rompu ses liens avec ses protecteurs, et j'ai tendance à penser que nous devrions éviter des réponses d'Etat-centralisés. Je pense que nous devrions compter sur les forces révolutionnaires dans le Moyen-Orient. Des volontaires des pays voisins ont déjà rejoint la révolution libyenne et le peuple à fait des comparaisons avec la Guerre civile espagnole. C'est un modèle de solidarité et d’ « interventionnisme » dont la gauche peut être fière.

Nous pourrions aider d’une autre façon, par la création de mouvements de solidarité avec les révolutions, en récoltant de l'argent et un soutien politique. Nous pourrions faire pression sur nos gouvernements pour utiliser les fonds gelés de Kadhafi en faveur de la révolution, les laisser acheter toutes les armes dont ils ont besoin. Mais nous ne devons pas permettre à nos gouvernements de tenter de déterminer la nature et l'allure de cette révolution, les peuples de la région sont les seuls à devoir décider et c’est pour cette raison que nous devons vraiment argumenter contre n'importe quelle dépendance de la révolution envers une fausse « aide » et aux promesses occidentales.

20 Mars 2011. Richard Seymour rédige le blog « Lenin's Tomb », collabore au journal « The Guardian » et est l'auteur de « The Liberal Defense of Murder » et « The Meaning of David Cameron ». Entretien mené par Edward Lewis de la New Left Review sur la guerre en Libye.

http://leninology.blogspot.com/ Traduction française: Daniel Liebman pour le site www.lcr-lagauche.be


La révolution arabe et la politique de l’impérialisme — Un debat nécessaire

Par Pedro Fuentes

1. L’intervention des puissances impérialistes pour mettre en place une zone d’exclusion aérienne, et de cette manière intervenir dans la guerre civile en Libye, a suscité un débat légitime – surtout parmi les socialistes et anti-impérialistes d’Amérique Latine - concernant la position que l’on doit-prendre face à la révolution árabe à partir de cette intervention. Une partie très importante de ces secteurs – qui ont soutenu, bien qu’avec des appréhensions, les révolutions démocratiques en Tunisie et en Egypte - ont fini maintenant par affirmer que toute la politique devient celle de la lutte contre l’intervention impérialiste. Dans ce sens, ils ont critiqué la résolution votée unanimement par le Comité Exécutif du PSOL, parce que, sans ignorer l’intervention impérialiste, on continue d’y affirmer que la première revendication est celle de la défaite du dictateur Khadafi.

2. Dans la déclaration du PSOL, comme dans tous les textes que nous avons écrits, nous n’arrêtons pas de clarifier et de dénoncer la politique impérialiste dans la región et son objectif réactionnaire : arrêter la révolution en cours.

Le point de départ de l’analyse de la politique en Libye doit être placé dans le cadre de la politique globale pour la región. On ne peut pas analyser la Libye de manière isolée par rapport au processus d’une révolution régionale qui continue à s’étendre à d’autres pays – il touche à présent la Syrie – sous la forme d’une vague de révolutions démocratiques contre les régimes autocratiques et pro-impérialistes qui ont dominé la región durant les trois dernières décennies. Ces régimes, en particulier l’égyptien, furent la pièce maîtresse permettant à l’impérialisme d’isoler totalement la glorieuse Intifada palestinienne, et à l’Etat sioniste de perpetrer des massacres. Ils ont eu un rôle clé également pour que le Hezbollah ne puisse pas prendre tout le pouvoir au Liban. Ils furent aussi un soutien fondamental pour les deux guerres de l’empire contre l’Irak.

Les révolutions démocratiques en cours – dont les premiers triomphes furent le renversement de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Egypte au prix de 200 et de 400 assassinats respectivement, qui ont déjà leurs dizaines de martyrs également au Yémen et au Bahrein, et des morts en Algérie, en Syrie et au Maroc - signifient pour ces régimes un cours quasi irréversible de fin ou de décadence. Cela constituera une grande défaite de l’impérialisme, la plus grande que les masses auront infligé dans les dernières décennies à la domination mondiale actuelle.

3. Pour freiner la révolution árabe, la politique de l’impérialisme a différents visages, réagissant de manière défensive ce qui même pour la population américaine apparaît comme quelque chose d’incongru. En Egypte et en Tunisie où la révolution démocratique a déjà tromphé, ils essaient maintenant – après avoir soutenu les dictateurs jusqu’au dernier moment - de s’adapter au processus en créant de nouvelles conditions pour freiner ces révolutions le plus rapidement posible, par le biais de quelques réformes, en soutenant d’anciens dirigeants qui maintenant assument un rôle démoratique, ou en essayant de coller aux secteurs surgis de la révolution même. A Bahrein, où est installée la flotte américaine, ils ont soutenu l’invasion des forces d’Arabie Saoudite qui a déjà coûté des centaines de morts. Un triomphe de la révolution dans ce pays gouverné par une minorité sunnite signifierait l’instauration d’un régime basé sur la majorité chiite de la population, le deuxième dans la region après l’Iran. La même politique de soutien aux dictatures est menée en Arabie Saoudite, de même qu’au Yémen où la révolution démocratique a progressé en profondeur et le régime est en décomposition, mais où ils continuent à soutenir un gouvernement dictatorial et repressif.

4. La première question à laquelle nous devons répondre en Libye est : quelle est la ligne de partage qui sépare la révolution de la contre-révolutions dans la guerre civile actuelle ? La réponse était, et se trouve toujours, du côté du peuple qui s’est soulevé et a affronté l’armée de Khadafi ; qui a réussi faire basculer de son côté un secteur de cette armée ; qui lutte pour renverser un régime qui s’est transformé depuis deux décennies en agent de la politique de l’impérialisme. Avec les confusions inhérentes à toute révolution démocratique, c’est celle-ci la ligne de partage entre révolution et contre-révolution. Si le régime autocratique de Khadafi est renversé en Libye, ce será une conquête des masses du monde entier. Ce n’est pas un hasard si les gouvernements autocratiques du Maroc et de l’Algérie, où l’heure des mobilisations est arrivée aussi, soutiennent le dictateur libyen avec armes et mercenaires.

5. La politique de l’impérialisme en Libye poursuit les mêmes objectifs que dans tous les pays árabes : arrêter la révolution. L’impérialisme a gardé le silence et n’a pas bougé pendant les trois premières semaines, lorsque la révolution était arrivée à Tripoli et menaçait de renverser le dictateur. L’impérialime est intervenu, avec la zone d’exclusion, en toute dernière minute, lorsque Khadafi était en train de pénétrer dans Benghazi. Autrement dit, lorsque la révolution en Libye était en plein recul, affaiblie, et lorsque ses forces étaient durement frappées par la contre-révolution de Khadafi.

La façon d’agir de l’impérialisme montre clairement ses objectifs : une fois arrêtée la révolution, essayer de contrôler la situation et coopter les rebelles. Toute intervention impérialiste porte en elle une grande menace. Ils essayeront donc de contrôler cette partie du monde arabe, et ses richesses pétrolières. Mais ce n’est pas Khadafi qui pourrait empêcher cela, lui qui continue à massacrer les rebelles libyens. C’est le mouvement révolutionnaire en cours qui peut le faire. Plus vite les révolutionnaires rebelles renverseront le dictateur mieux ce será. Leur principal allié pour ce faire, ce sont les masses árabes qui sont en train de réaliser cette tâche dans toute la región.

Pour cette raison, ceux qui de la lutte contre l’invasion font le centre de leur politique, laissant de côté la lutte contre Khadafi, se placent objectivement du côté de Khadafi et de son armée, dont l’objectif est de massacrer la résistance des rebelles révolutionnaires et ainsi de porter un coup à la révolution arabe en cours.

6. Le gouvernement rebelle a été catégorique pour dire qu’il était contre une intervention terrestre des forces de l’OTAN. Ce que veulent les rebelles, ce dont ils ont besoin, ce sont les armes et l’aide humanitaire, et c’est ce qu’ils ont exigé des autres pays. La meilleure forme de combattre les plans de l’impérialisme en Libye est de lutter contre Khadafi. La prétendue neutralité du gouvernement brésilien devient une politique totalement ambiguë et hypocrite : on laisse faire Khadafi et les pays impérialistes. L’unique alternative correcte serait de reconnaître le gouvernement rebelle comme force belligérante, de les soutenir sous toutes les formes posibles et de répondre positivement à leurs demandes. Entretemps, la position que devraient défendre les socialistes et les anti-impérialistes – sans cesser de reconnaître et de dénoncer les objectifs de l’intervention impérialiste – c’est de continuer à soutenir par tous les moyens posibles le renversement de Khadafi. Plus vite il tombera mieux ce sera pour l’autodétermination et la souverainté du peuple libyen et pour la révolution arabe qui s’étend à de nouveaux pays.

23 mars 2011.

Pedro Fuentes est membre du Secrétariat des relations internationales du PSoL brésilien. Traduction française Stefan Bekier.


Soutien aux peuples arabes en lutte – Non aux bombardements en Libye

Par Via Campesina

Depuis la Tunisie et l’Egypte, jusqu’au Yemen et à la Syrie, en passant par Bahrein et l’Arabie Saoudite, les peuples se lèvent en masse pour mettre à bas des régimes autoritaires, dictatoriaux.. Depuis maintenant plus d’un mois des centaines de milliers de libyens sont descendus dans la rue pacifiquement, d’abord, pour réclamer la fin du régime de Khadafi

Le régime de Khadafi est resté sourd et a choisi la logique du pire. C’est lui qui porte la responsabilité des morts et du sang versé en Libye. En choisissant le bombardement des villes et le massacre des populations civiles, il a lui même donné l’opportunité que l’impérialisme occidental attendait pour pouvoir tenter de reprendre la main dans la région.

Aujourd’hui, la France, les Etats-Unis, le Canada et la Grande-Bretagne, sont engagés dans une opération d’invasion de la Libye. Après avoir regardé pendant des semaines le peuple Libyen se faire massacrer et en se gardant bien d’organiser une pression politique internationale nécessaire pour sortir de l’impasse, ils se font passer aujourd’hui pour des sauveurs.

Les premiers bombardements des infrastructures libyennes à Tripoli et ailleurs ont déjà commencé. Les bombardements occidentaux vont continuer de manière à pouvoir soit préparer une occupation sous bannière ONU de la Libye, soit, au mieux, à permettre de choisir et d’imposer les interlocuteurs de l’opposition qui seront les plus favorables aux intérêts occidentaux.

Cette opération militaire en Libye, sert aussi à faire diversion : pendant ce temps là, la répresison au Yemen, à Bahrein, et ailleurs continue.

  • La Via Campesina demande que la volonté des peuples soit respectée.
  • La Via Campesina demande un arrêt immédiat de l’intervention militaire occidentale.
  • La Via Campesina demande à tous et à toutes de se mobiliser pour une solution pacifique à la crise libyenne.

Via Campesina, 28 mars 2011


Nous avons également reproduit sur notre site les déclarations et prises de position de forces anticapitalistes dans le monde arabe

Voir ci-dessus