Quel programme de lutte? Des réformes de structure au contrôle ouvrier
Par LCR le Vendredi, 27 Octobre 2000 PDF Imprimer Envoyer

Chaque fois qu'une nouvelle période de lutte s'entame, la mémoire collective du mouvement ouvrier se remet en marche. Aujourd'hui, alors que la crise du système capitaliste s'approfondit, des solutions, des stratégies, des programmes sont avancés qui se situent dans le prolongement de certaines traditions ouvrières, et syndicales, même s'ils essayent de se présenter comme "flambant neufs".

1. Les réformes de structure de 1954 à 1956

Chaque fois qu'une nouvelle période de lutte s'entame, la mémoire collective du mouvement ouvrier se remet en marche. Aujourd'hui, alors que la crise du système capitaliste s'approfondit, des solutions, des stratégies, des programmes sont avancés qui se situent dans le prolongement de certaines traditions ouvrières, et syndicales, même s'ils essayent de se présenter comme "flambant neufs". Cela n'enlève rien à l'intérêt qu'il faut y prêter. Voilà que la FGTB lance l'idée d'un "contre-plan 1976-80"; certes, c'est lié aux élections sociales qui s'approchent. Mais il est incontestable que l'importance d'un tel contre-plan a une portée plus lointaine: il ne manquera pas de peser dans le climat social et politique qui s'alourdit.

D'autre part, le groupe B-Y (c'est-à-dire le groupe de syndicalistes wallons CSC et FGTB animé par Jacques Yerna et feu Bastin) vient de publier son second livre "Priorité 100.000 emplois", qui contient une analyse d'ensemble de la société (surtout wallonne) et y ajoute des propositions en matière de programme et de stratégie.

PARTICIPER AU DEBAT

Ainsi, un débat semble, petit à petit, s'engager sur les graves problèmes qui affectent le monde ouvrier tant en Wallonie qu'en Flandre. Il est très important que chaque travailleur conscient, chaque syndicaliste le suive et y participe. Il existe une grande méfiance parmi les travailleurs pour de telles discussions, considérées comme "sans intérêt pratique", comme "du passe-temps pour intellectuels-en-chambre" etc. Cette méfiance s'explique aisément: trop souvent les travailleurs ont été dupés par de belles paroles sans que l'action indispensable ne s'en suive; trop souvent, ces débats sont menés dans une terminologie "académique" ou "super-spécialisé", éloignées de mille lieues de la situation quotidienne et de la lutte réelle que les travailleurs ont à mener.

Aux travailleurs d'avant-garde, aux militants ouvriers révolutionnaires, aux syndicalistes de combat de rompre ce cercle vicieux, de casser ce faux dilemme: soit débat "politique", soit action directe.

REVENDICATION

Car la période qui s'ouvre devant nous, exige du mouvement ouvrier des réponses en matière de stratégie et de programme d'action. Y compris des problèmes qui naissent au sein de l'entreprise, se dénouent de plus en plus au niveau d'une mobilisation régionale, au niveau de l'économie globale, au niveau du gouvernement. Regardez ce qui s'est passé à Glaverbel-Gilly: la fermeture d'une usine a mis en branle tout un programme anticapitaliste combinant des revendications immédiates au niveau de l'usine (non aux licenciements, non au démantèlement) à des revendications anticapitalistes plus globales (les 35 heures, nationalisation du trust sans conditions; création d'une usine "float" à technologie moderne). Regardez la tactique patronale: chaque patron (ou groupe de patrons) essaye de limiter les revendications ouvrières dans l'usine. Mais en même temps, la FEB attaque globalement et propose de supprimer la liaison des salaires à l'index.

Les luttes ouvrières n'échappent donc pas à deux questions-clé: quelles revendications peuvent efficacement faire le pont entre les problèmes immédiats de l'entreprise et la solution globale (qui ne peut qu'être l'instauration du socialisme)? Et, par conséquent, quels moyens de lutte correspondent à ces différentes revendications?

Avant de discuter les projets actuellement mis en avant par certains secteurs du mouvement syndical, il est vital de tirer les leçons d'une expérience importante du mouvement ouvrier: celle des réformes de structure de la période 1954-64.

En 1954, la FGTB tient un congrès extraordinaire où elle adopte un rapport "Vers le progrès social par l'expansion économique" et décide de rédiger un rapport complémentaire "Holdings et démocratie économique" (achevé en 1956). Elle inaugurait la lutte pour ce que tout le monde allait appeler "les réformes de structure". Cette démarche de l'organisation syndicale, de s'occuper de "la politique économique", qui aujourd'hui est devenu chose commune, était à l'époque une véritable rupture dans la pensée et l'action syndicales.

Sous l'impulsion du courant de gauche, dirigé par André Renard, il s'agissait d'un pas en avant incontestable de l'ensemble du mouvement ouvrier. Jusqu'à ce moment, l'ensemble des militants syndicaux étaient complètement prisonniers du réformisme de la social-démocratie (qui dominait tant au PSB qu'à la FGTB). Ce réformisme avait profondément ancré cette idée fixe dans la tête des travailleurs, y compris l'avant-garde ouvrière: d'un côté les revendications immédiates (essentiellement salariales); d'autre part le socialisme, "but final", en fait tellement "final et lointain" qu'il était remis aux calendes grecques.

De ce point de départ stratégique (en fait il s'agit d'un véritable préjugé), découlait une conclusion organisationnelle: au syndicat les luttes ouvrières dans les entreprises, au parti (le PSB) la "lutte politique", c'est-à-dire les bonnes élections et les participations gouvernementales. Syndicalisme alimentaire et crétinisme parlementaire, à l'époque Louis Major - Dore Smets, Buset-Spaak-Van Acker, avaient mis le mouvement ouvrier sur une voie de garage et gommé la perspective socialiste et l'initiative politique de la tête des travailleurs. C'est d'ailleurs facile à expliquer: comment un bon militant syndical, honnête et combatif, pouvait-il s'imaginer intervenir "politiquement" dans son usine, alors que rien ne l'y avait préparé, du point de vue du programme et de la tactique?

Echappaient à ces illusions réformistes, une poignée de militants ouvriers, trotskystes et syndicalistes de gauche. Mais ces illusions allaient se dissiper par bonds dans des couches ouvrières de plus en plus larges: échec du mouvement de la Résistance à l'issue de la guerre à cause de la collaboration de classe du PSB et du PC; par contre, tentative d'instaurer un Etat fort et réactionnaire sous l'égide du roi Léopold III; grève générale de 1950 qui mettait cette tentative en déroute mais qui allait profiter à la direction du PSB au détriment des travailleurs combatifs (grève politique devenue "grève politicienne"); désappointement devant l'échec des conseils d'entreprise instaurés en 1948, et présentés par certains comme une étape vers le socialisme...

Bien sûr, la position de force des travailleurs d'après-guerre avait apporté des conquêtes importantes: au niveau des salaires, une sécurité sociale très développée, la liaison assez générale des salaires à l'index. Mais c'était avec consternation que les travailleurs les plus conscients voyaient ces acquis mis en danger par la crise structurelle du capitalisme belge: le chômage atteignait de nouveau le plafond en 1952-53 et mettait en danger et l'emploi et les acquis sociaux.

C'est dans ce cadre que la direction de la FGTB, sous l'impulsion de son aile gauche allait réagir, et faisait rédiger par sa "commission économique" les deux documents, mentionnés ci-dessus, qui allaient armer les militants syndicaux d'une analyse radicalement anticapitaliste et certaines revendications économiques qui présentaient une alternative globale à la politique économique de l'époque.

Un révolutionnaire pédant pourrait se limiter au constat que cette approche reste encore bien loin du programme marxiste révolutionnaire complet, qui, en effet, est seul capable d'instaurer le socialisme. Malheureusement pour ce pédantisme ultra-gauchiste, ce n'est pas ainsi que la masse des travailleurs progressent dans leur conscience de classe et dans leur politisation. Or, des dizaines de milliers de travailleurs, militants syndicaux de la FGTB (presqu'exclusivement en Wallonie, malheureusement, allaient faire un bond en avant dans leur conscience de classe), par ce programme des " réformes de structure ". Et cela en deux directions.

- En premier lieu, ils dépassaient un syndicalisme alimentaire qui veut se limiter aux seules revendications salariales (très nécessaires, mais insuffisantes), et commençaient à mettre en question le capitalisme, pas seulement "moralement" et généralement, mais à travers des revendications alternatives propres au mouvement ouvrier.

- En deuxième lieu, ils battaient en brèche ce crétinisme parlementaire (propre au PSB et au PC), car, dans la mesure où le mouvement syndical s'en faisait le défenseur principal, ils débouchaient quasi-automatiquement sur la conclusion qu'il fallait se battre en dehors du parlement, dans les usines et dans la rue, c'est-à-dire par des méthodes de lutte propres aux travailleurs. Ces idées-clé et les points programmatiques qui y étaient liés, allaient pénétrer profondément dans l'avant-garde ouvrière (wallonne), dans la période 1954-59 au fur et à mesure que la lutte de classe se radicalisait en 1957 et 1959.

A relire les deux documents, on voit aujourd'hui encore beaucoup plus clairement leurs limites et leurs carences. Car en même temps qu'il faut apprécier à sa juste valeur la rupture de 1954-56, qui ouvrait des possibilités considérables pour le mouvement ouvrier, en même temps il faut constater que ces possibilités ne furent pas réalisées.

QUELLES EN ETAIENT LES RAISONS?

En premier lieu, il y a le sabotage de la droite syndicale, majoritaire dans les instances nationales de la FGTB et seul maître en Flandre: elle n'a rien fait pour exécuter une des décisions du congrès de 1954: populariser le programme fraîchement adopté - (tiens, cela ressemble étrangement à ce qui se passe maintenant dans le PSB !). Cela allait avoir des conséquences extrêmement graves pour le mouvement ouvrier qui allait connaître un développement de plus en plus inégal, et se répercuter tragiquement sur la grève générale de 1960-61.

Mais en second lieu, ces documents, tout en rompant avec le crétinisme réformiste, restaient à mi-chemin dans cette rupture: alors que "Holdings et démocratie économique" analysait, d'un point de vue marxiste, les holdings et dénonçait le régime capitaliste le programme se limitait à combattre les carences, les "excès" et non pas les racines du capitalisme. Il s'agissait d'un programme où l'option anti-capitaliste se trouve constamment confondue dans l'option technocratique.

Pendant cette période, la gauche du mouvement syndical reste prisonnière de cette contradiction: le programme voulait être une alternative du mouvement ouvrier, mais se refusait à déboucher sur une lutte pour le socialisme.

2. Des réformes au contrôle ouvrier

Dans la première partie de cet article, nous avons analysé dans quelles conditions fut élaboré le programme de réformes de structure de 1954-56. Récapitulons brièvement les caractéristiques principales:

- un progrès important dans le sens qu'il s' agissait d'une rupture avec le syndicalisme alimentaire et 1'opportunisme parlementaire: le mouvement ouvrier devait se battre pour imposer ses propres solutions face à un système capitaliste "défaillant".

- mais des revendications ou s'entrecroisaient 1'option technocratique qui se situe à l'intérieur même du système capitaliste, afin de 1' améliorer, et 1'option anticapitaliste qui vise à contester le capitalisme et à lui substituer un régime socialiste. Ces ambiguïtés programmatiques doivent être combattues, aujourd'hui comme hier, car elles créent une grande confusion parmi les travailleurs: une action résolue exige de la clarté dans les idées.

Voyons comment les réformes de structure ont passé l'épreuve théorique et l'épreuve de la pratique.

DES FORMULATIONS AMBIGUÉS

Afin de se distancier du système autoritaire de 1'URSS, on se cantonnait dans une planification dite souple, en fait sans emprise sur les puissances économiques. Tous les organismes de planification proposés - qui furent d'ailleurs repris plus tard ... par le secteur "éclairé" du patronat: Bureau de programmation économique en 1959, Comité National d'Expansion Economique en 1960, Société Nationale d'Investissements, etc. - furent détournés de leur but anticapitaliste et utilisés pour rationaliser et restructurer le capitalisme sur le dos des travailleurs.

Ainsi, "le programme de 1954 était un programme applicable dans le cadre d'une société qui, sous ses aspects fondamentaux, demeurait capitaliste" (Jaques Yerna, " Les réformes de structure 10 ans après", p.67).

- Les nationalisations proposées se limitaient au secteur énergétique (charbon, gaz, électricité) et n'entamaient pas le pouvoir capitaliste. On vit ce qui est arrivé: ces réformes ont permis la liquidation du secteur charbonnier et la rentabilisation du gaz et de l'électricité, payée par la classe ouvrière. Il s'agit en définitive de réformes néocapitalistes.

- Le rapport "Holdings et démocratie économique" allait beaucoup plus loin et demandait (de façon également ambiguë) "le transfert des prérogatives des holdings à la Nation", ce qui, si cela devait s'appliquer, mènerait à la nationalisation de tous les secteurs-clé de l'économie capitaliste. Mais le slogan le plus populaire qu'en tira la FGTB fut "le contrôle des holdings" à travers un "statut public" (?).

- Une série d'autres réformes furent proposées (transport, logement, fiscalité, etc.), mais leur réalisation était évidemment conditionnée par la réalisation effective des réformes de fond ci-dessus.

- une carence considérable du programme des réformes de structure, c'est qu'il n'indiquait d'aucune manière aux travailleurs les moyens d'agir sur les lieux de travail, dans les entreprises. Le contrôle ouvrier est complètement absent. Jaques Yerna le dit lui-même: "...le programme des réformes de structure ne prévoyait pas l'intervention des travailleurs au niveau de leurs entreprises, ne changeait rien à la situation de dépendance des travailleurs. Il n'y était question ni de contrôle ouvrier à l'entreprise, ni de pouvoir d'intervention, ni de gestion ouvrière" (p.85).

L'épreuve de la pratique

En définitive, un programme n'est qu'un chiffon de papier. On a un intérêt évident à avoir formulations les plus correctes et les plus claires pour que l'avant-garde ouvrière et la masse des travailleurs puissent les comprendre et les mettre en pratique; mais, en fin de compte, ce sont la dynamique de la lutte des classes et la pratique des travailleurs eux-mêmes qui lèvent les ambiguïtés de doctrine, de programme et de stratégie.

Et l'expérience montre que les travailleurs, dans le cours même de la lutte, sont bel et bien capables, à partir d'un combat contre les excès du capitalisme, d'élargir ensuite la lutte contre le fondement même du système capitaliste. Ou d'aller au-delà de certaines formulations ambiguës et de lutter pratiquement dans une perspective anticapitaliste. Très souvent, les ambiguïtés programmatiques jouent dans un sens réformiste-technocratique en période de reflux des luttes, alors que dans une période de montée, "l'insolence ouvrière" pousse les travailleurs à s'emparer de certaines idées (peut-être floues au départ), et de leur donner une application nettement anticapitaliste.

Malheureusement, l'expérience pratique n'a pas eu lieu sur ce point : la grève générale de 1960-61, qui en un sens fut l'aboutissement logique de la campagne pour les réformes de structure (parce que cette campagne avait préparé les travailleurs à se défier du système capitaliste), se cantonna finalement dans une lutte contre la "loi unique" et contre Eyskens ("dehors!"). Ce paradoxe apparent peut s'expliquer par trois raisons :

- Bien sûr, il y avait les ambiguïtés et les insuffisances du programme: les nationalisations de 3 secteurs industriels seulement ne concordaient pas avec le fait que TOUTE la classe ouvrière de tous les secteurs industriels partit en grève. Il fallait un programme global de nationalisations qui pouvait donner une armature à cette épreuve de force avec le patronat.

- Il manquant surtout une STRATEGIE et une TACTIQUE: aux buts visés ne correspondaient nullement des instruments de lutte adéquats. La question du POUVOIR est posée à travers chacune de ces revendications, à travers l'idée même d'élaborer un programme du mouvement ouvrier. Il fallait répondre a la question: quel pouvoir dans l'entreprise ? Quel pouvoir dans la société, quel gouvernement, quel Etat pour appliquer un tel programme? La ligne du CONTROLE OUVRIER, le problème du GOUVERNEMENT DES TRAVAILLEURS, les méthodes de lutte prolétarienne (grève, occupation, comité de grève...) sont tout à fait absents.

- Tout cela renvoyé à la cause principale, celle de la DIRECTION OUVRIERE. Car dans leur bastion respectifs, ni Louis Major en Flandre, ni André Renard en Wallonie n'ont fait la moindre tentative de COMMENCER l'application du programme même avec ses lacunes et ses ambiguïtés. Et comme les directions syndicales gardaient à l'époque une emprise absolue sur la classe ouvrière, la combativité extraordinaire  des travailleurs fut gaspillée. Ce furent de "bonnes élections" en 1961 pour le PSB qui allait courir à la rescousse d'un patronat effrayé et secoué, et transformer les réformes de structures en "réformettes néocapitalistes".

LE CONGRES DE 1971: LE CONTROLE OUVRIER

Depuis lors, le mouvement syndical a connu une évolution assez mouvementée: récession économique de 1966-67 et recul considérable de la force de frappe syndicale en Wallonie; intégration grandissante dans le régime capitaliste à travers une "concertation sociale" de plus en plus poussée. Mais en même temps gauchissement assez important dans le programme (tant à la FGTB qu'à la CSC). Et,  aspect déterminant, l'apparition du mot d'ordre "CONTROLE OUVRIER", qui donne à la base un rôle beaucoup plus important.

Rappelons que la préparation même de ce congrès reflétait une évolution certaine: passage du pouvoir de Major à Debunne qui dès 1965, annonçait un congrès sur le contrôle ouvrier. Or celui-ci fut postposé à plusieurs reprises, jusqu' à aboutir à ... son exact contraire: sous "l'égide des technocrates Janne et Spitaels, fut déclenchée une tentative de liquider l'esprit "lutte de classe" de la FGTB. La riposte de la gauche, tant des militants révolutionnaires que des syndicalistes de combat, du PC et de la gauche de l'appareil syndical, allait mettre en échec cette opération et aboutir, au contraire, à une certaine radicalisation. On peut la résumer de la façon suivante:

- "Le contrôle ouvrier dans une perspective d'autogestion", avec le refus explicite de la cogestion, est une perspective radicale car elle lie la lutte anticapitaliste actuelle à la lutte pour la société socialiste, condition indispensable à 1'autogestion. Sa faiblesse reste, évidemment, qu'elle ne cadre pas avec une stratégie d'ensemble: comment passer du contrôle ouvrier (en régime capitaliste) à l'autogestion (en régime socialiste), si ce n'est par la grève générale révolutionnaire et la prise du pouvoir.

- Le contrôle ouvrier est conçu en liaison étroite avec le CONSEIL D'ENTREPRISE, dont les compétences devraient être élargies. Or, non seulement le conseil d'entreprise est un échec évident aux yeux des travailleurs; mais de plus c'est typiquement un organe de cogestion: les délégués y sont liés par le secret, n'ont qu'un rôle consultatif et encore sur des questions secondaires, et s'y trouvent en parité avec les patrons.

- Surtout, le contrôle ouvrier "à tous les niveaux" est identifié avec le contrôle syndical dans le sens le plus étroit. Ainsi cette revendication apparaît plutôt comme une tentative de la part des appareils syndicaux de renforcer leurs pouvoirs au sein du système capitaliste, Le risque de récupération réformiste est d'autant plus grand que le mot d'ordre du contrôle ouvrier, qui doit assurer la mobilisation la plus large des travailleurs dans l'entreprise, y est introduit sans que l'on pose en même temps la question de la démocratie syndicale et ouvrière.

Le contrôle ouvrier est un exemple typique de la façon dont la dynamique de la lutte et l'initiative des travailleurs eux-mêmes peuvent trancher des formulations ambiguës, et semi-réformistes en faveur d'une pratique de lutte nettement anti-capitaliste. Le fait que la revendication du contrôle ouvrier est apparue et s'est largement répandue crée un climat général favorable à l'initiative ouvrière à la base et dans l'entreprise. Si l'occasion se présente et si une avant-garde syndicale est en place, celle-ci peut s'emparer de ce mot d'ordre, et, se sentant couverte par rapport à l'appareil syndical, mettre DEMOCRATIQUEMENT en application la ligne du contrôle ouvrier avec occupation, avec élection démocratique d'un comité de grève, vente "sauvage" au service de la lutte, etc.

Les travailleurs se font parfois " une certaine idée " d'une revendication et cette idée ne coïncide pas forcément avec la lettre des textes réformistes ou semi-réformistes...

3. Socialiser ou concurrencer la Société Générale ?

Le congrès que la FGTB vient de tenir le week-end passé, ne manquera pas d'exercer une influence considérable sur l'ensemble du mouvement ouvrier. Sans en mesurer l'importance, il faut situer les résolutions adoptées (et le ton et le climat général dans une organisation ouvrière de masse qui sont tout aussi importants que la lettre du texte) dans l'évolution programmatique de la FGTB depuis 20 ans.

Une défiance anticapitaliste

Comme le programme de 1954-56 et, moins globalement, celui de janvier 1971, la discussion et la propagande pour ce nouveau programme de la FGTB influenceront la pensée de milliers de syndicalistes. Comme à l'époque d'André Renard (malheureusement limité à la FGTB wallonne et quelques îlots en Flandre), "la masse des travailleurs ne manquera pas de conclure que le système capitaliste est aux abois. Aujourd'hui cette prise de conscience est infiniment plus large que celle d'il y a vingt ans: elle touche cette fois l'ensemble de la FGTB, y compris au niveau flamand, ou l'offensive politique et programmatique du secrétaire général Georges Debunne, devra, tôt ou tard, mettre à l'écart la bureaucratie ultra-droitière de certaines Centrales et Régionales et mettre au pouvoir dans l'appareil une "nouvelle gauche".

Elle a déjà considérablement gauchi et radicalisé l'aile wallonne du mouvement ouvrier chrétien où le MOC se transforme lentement en un mouvement politique autonome du PSC avec ses positions anticapitalistes et où la CSC se dégage (très lentement) de l'emprise de l'appareil central dominé par Houthuys et Cie.

La dynamique interne à la FGTB (sur l'arrière fond de la lutte de classe en voie de radicalisation) jouera un rôle important pour briser dans la CSC flamande les digues derrières lesquelles se retranche un appareil bureaucratique formé à l'école de la guerre froide et de l'anticommunisme usuel, et imprégné d'un esprit "socialiste" (en réalité populiste bourgeois).

La crise actuelle du système capitaliste n'est pas que conjoncturelle: comme nous l'avions prévus, la crise conjoncturelle présente met fin à la longue période d'expansion économique qui a démarré avec la seconde guerre mondiale.

Une stratégie vers le socialisme

Progrès important en comparaison avec les congrès de 1954-56, le congrès de 1975 lie explicitement la lutte pour les réformes de structure à la transformation socialiste de la société: "La FGTB confirme sa volonté déterminée de transformer la société actuelle par une politique offensive de revendications précises, visant la réalisation d'une société socialiste démocratique". Il y a un recul évident dans le fait que cette "société" socialiste démocratique" ne repose pas sur "l'autogestion", mot d'ordre qui en 75 (contrairement à 1971) n'apparaît plus comme le prolongement du contrôle ouvrier, mais est limité à la gestion (dès aujourd'hui) de la sécurité sociale!

Ce qui est, par contre, important c'est que la transformation socialiste nécessite "une politique de revendications précises." Et plus clairement encore:"C'est afin de réaliser ces objectifs essentiels que les rapports de force doivent changer. Ces rapports de force changeront grâce aux luttes menées à tous les niveaux par les travailleurs organisés. Et de décider "une vaste campagne d'information des travailleurs sur les réformes de structures car seule leur mobilisation permettra de progresser dans cette voie."

On révélera plusieurs ambiguïtés dans ce texte; il se situe en effet dans la rupture avec le réformisme social-démocrate classique, sans déboucher sur une perspective anti-capitaliste claire: quel pouvoir dans l'entreprise? quel gouvernement? que faire avec l'Etat capitaliste? quelle(s) mobilisation(s): la grève générale, ou quoi ? Pourtant il y a un aspect important que les syndicalistes de combat ne manquerons pas de remarquer: le texte se situe dans une perspective extra-parlementaire et devant les lacunes et les limites du texte même, un DEBAT peut et doit avoir lieu pour le concrétiser devant tout les travailleurs.

A côté de ce débat stratégique général (quel socialisme et quelle stratégie) que la FGTB lance ainsi dans le mouvement ouvrier, il y en a un autre auquel les militants révolutionnaires, les syndicalistes de combat sont très sensibles, c'est celui des revendications transitoires ou, en langage plus commode, des réformes de structure. Depuis toujours, nous récusons le faux dilemme : soit revendications immédiates, soit révolution socialiste. Depuis toujours le mouvement ouvrier révolutionnaire (et Lénine en premier lieu) a lutté pour des revendications partielles, tout à fait indispensables pour répondre du tac au tac à l'offensive patronale, améliorer le sort des travailleurs et donner confiance dans leur propre force au cours de cette lutte.

Certaines de ces revendications partielles, tout en améliorant la situation des travailleurs, ne changent rien au système capitaliste lui-même, celui-ci est capable de les digérer. Mais il y en a d'autres qui ont cette double caractéristique d'être ressentie par la masse des travailleurs comme efficaces et indispensables, et, en même temps, incompatible avec l'existence même du régime capitaliste. Elles permettent d'engager pratiquement la lutte pour le socialisme. C'est de ce point de vue qu'il faut analyser certaines des "revendications précises" que la FGTB met en avant comme "une étape importante de 1a transformation de la société". La plus importante est incontestablement celle qui concerne le HOLDING PUBLIC.

La stratégie du contournement

La question des holdings touche au coeur même du système capitaliste belge. Depuis le fameux rapport "Holdings et démocratie économique" (1956), nous savons que ces sociétés de portefeuille (c.à.d. des sociétés qui possèdent des actions dans les sociétés industrielles et par un ensemble de "participations" les contrôlent économiquement sans les posséder financièrement à 100%) font la pluie et le beau temps dans notre économie (et notre système politique).

Transformer le capitalisme nécessite une stratégie vis-à-vis des ces holdings. Même 1a lutte pour des revendications immédiates exige, dans la situation actuelle, une telle stratégie (licenciements, fermetures, développement régional,...). Or, c'est sur ce point que la FGTB reste réformiste, même si c'est un réformisme endurci. Trois stratégies ont été successivement, mises en avant par rapport à ces géants capitalistes.

En 1954-56, la FGTB se limite à la nationalisation de 3 secteurs (gaz, électricité, charbon) avec indemnisations des capitalistes. Les objectifs généraux poursuivi étaient : 1) la suppression de l'exploitation capitaliste; 2) la réduction des coûts de production de 1'énergie (élément de base de l'économie); 3) la transformation en service public des trois secteurs.

Le capitalisme belge a saisi au vol la proposition: la nationalisation du secteur énergétique dans les conditions présentes lui était favorables. Le patronat y gagnait doublement: il est indemnisé avec la suppression de la "rentabilité", c'est la communauté qui prend en charge les déficits. A côté de ces nationalisations néocapitalistes, le rapport demandait "le transfert de prérogatives des holdings à la Nation afin de procéder a une économie planifiée (en opposition à une économie de marché). Il proposait de regrouper les holdings, de leur donner un statut public. Mais en même temps, il proposait de constituer de " nouveaux organes de direction ".

Mais une fois de plus, on n'était pas très clair: en ne liant pas la mise au pas des holdings à la transition vers le socialisme, en réduisant cette lutte à une bataille juridique ("statut public"), et ne l'insérant pas dans une stratégie globale, (quel programmes, quels moyens de lutte). La campagne contre les holdings désigne, bien sûr, les véritables responsables de la crise économique mais ne donne pas un objectif de lutte net et clair. En pratique, la FGTB (Wallonne) faisait essentiellement campagne pour "contrôler les holdings", ce qui est désuet en absence d'une campagne pour 1a surpression du secret bancaire, industriel ou commercial, l'ouverture des livres de compte...

Dès la fin des années '50, début des '60, le patronat prend conscience de la possibilité que lui offre une intervention plus grande de l'Etat. Tout un courant "dirigiste" se développe dans les partis bourgeois, PLP et PSC (les fameux discours de Théo Lefèvre et Jean Rey), qui admet l'intervention étatique dans le secteur privé est " défaillant ". Une législation assez développée en matière en matière d'expansion économique voit le jour entre 1960 et 1970. Dans une perspective réformiste, la FGTB essayera de l'utiliser comme un tremplin pour avoir prise sur les holdings en les insérants dans une planification "obligatoire".

Le résultat est très décevant: 1'association des holdings a la planification à travers des " contrats de progrès " n'entame en rien leur pouvoir économique. La récession actuelle le démontre à merveille! Cet échec et la crise actuelle poussent la FGTB a une nouvelle stratégie: contourner les holdings capitalistes et créer un secteur économique public très développé comme étape vers socialisme (représenté par la socialisation globale). Dans cette optique un secteur public doit être développé dans les services de transport, 1e pétrole, le gaz, l'électricité, l'énergie nucléaire, le charbon et c'est ce qui constitue l'innovation, dans l'ensemble du secteur industriel sous l'égide d'un " holding public aussi puissant que la Société Générale", capable de créer des entreprises publiques qui ont deux caractéristiques:

- "une totale autonomie de gestion" pour ne pas tomber dans la bureaucratie

- "un système de contrôle et/ou de surveillance par le personnel à tous les niveaux".

L'analyse de cette importante innovation dans la tactique du mouvement ouvrier doit donc partir de deux critères:

- en tant que voie de transition au socialisme

- en tant que tactique sur le terrain du capitalisme pour faire face aux problèmes immédiats des travailleurs.

L'initiative publique comme réforme

Une des particularité du néocapitalisme, c'est que l'Etat joue un rôle de plus en plus grand, y compris dans la vie économique. Cette évolution qui est née au début de ce siècle, s'est constamment accéléré ces dernières décennies. Aussi, on peut distinguer 5 moyens importants au travers desquels l'Etat au service du capitalisme devient le véritable garant des profits des trusts : 1) la reprise des secteurs non rentables ; 2) le renflouement d'entreprises capitalistes en difficulté (càd. nationalisation des pertes et privatisation des profits) ; 3) la remise aux trusts du domaine public ou d'entreprises construites avec les deniers publics ; 4) subsides directs ou indirects accordés aux entreprises privées ; 5) la garantie explicite du profit par l'Etat (voir Ernest Mandel dans le tome 2 de son " Traité d'économie marxiste").

Les exemples concrets abondent, y compris en Belgique. Il s'agit d'une politique consciente de l'Etat qui démontre là qu'il est vraiment au service du grand capital. Le patronat n'est pas par principe opposé à cette politique (au contraire). Il récuse évidemment le fait que le mouvement ouvrier utilise " l'initiative publique industrielle publique " dans une lutte idéologique pour démontrer les "carences du secteur privé". En outre, il veut la limiter à certains secteurs bien déterminés (les "services par exemple) et si elle devient " inévitable " pour une raison ou une autre, elle en garde complètement le contrôle politique et économique (à travers un mécanisme juridique et législatif compliqué).

L'affaire Ibramco était significative sur ce point. Comme il est également significatif que le gouvernement Tindemans reprend à son compte un projet étriqué du " holding public ". Le problème qui se pose au mouvement ouvrier c'est de savoir si oui ou non il peut et doit utiliser ce comportement de l'Etat bourgeois pour satisfaire certaines de ses revendications.

Notre réponse est OUI, SOUS CERTAINES CONDITIONS. Un des exemples a été fourni par le "Manifeste des travailleurs de Gilly". Une usine est sur le point d'être fermée. On apprend que le gouvernement, pour la sauver, lui avait octroyé un subside considérable sans condition ni contrôle (plus d'un milliard). La justification de la fermeture, c'est, outre une mauvaise conjoncture, le caractère vétuste de la technologie. Or, 2,5 milliards auraient suffit pour créer une usine hyper-moderne (procédé "float").

Dans une situation pareille, face à la carence (en fait, la démission économique) d'un groupe patronal international sur lequel personne n'a prise, le mouvement ouvrier a le droit d'exiger de l'Etat capitaliste que les subsides qu'il octroie de toute manière et de toute part pour renflouer le capitalisme et sauver la gestion en question, soient concentrés dans une entreprise publique qui serait soustraite à l'emprise du secteur privé, pour sauver l'emploi des travailleurs. Mais il faut que cela se fasse sous certaines conditions:

1) Tant que le régime capitaliste est en place, toutes les entreprises fonctionnent selon les règles de l'économie de marché. Les travailleurs doivent se méfier comme de la peste de la cogestion afin de ne pas devenir co-responsables des rationalisations ultérieures : il n'y a pas d'usine socialiste possible en régime capitaliste.

2) En conséquence, il faut se défaire de toute illusion quant à la possibilité d'assurer un emploi durable et d'en finir avec l'exploitation et l'oppression des travailleurs. Même si les contraintes dans les services publics sont en général moindres que dans le secteur privé, la situation dans les entreprises publique démontre justement que, fondamentalement, la situation des travailleurs ne change pas. Or, lorsque les initiatives publiques passeront du secteur des services à celui de la production, les contraintes de la rentabilité pèseront d'autant plus fort. Voilà pourquoi l'instauration du contrôle ouvrier (avec l'ouverture des livres de compte) mais sans responsabilité gestionnaire aucune est absolument indispensable tant pour empêcher la cogestion que pour garantir des avantages acquis.

3) Il faut se défaire de toute illusion qu'une telle usine sous initiative publique constituerait, par la multiplication, une transformation vers le socialisme. Il s'agirait tout au plus d'une lutte exemplaire pour ouvrir une brèche dans la logique capitaliste : soit elle s'élargit, le rapport de forces s'améliore, les exemples se multiplient et on débouche sur la révolution socialiste ; soit elle reste isolée, le rapport de forces recule, la brèche est colmatée et " l'usine sous initiative publique " (re)fonctionne selon les règles de l'économie capitaliste.

Socialiser la Générale!

C'est sous cet aspect-là que la proposition du " holding public " constitue une nouvelle tentative (réformiste) de contourner la puissance des holdings. C'est une illusion et une illusion dangereuse ! En tant que stratégie vers le socialisme, nous lui opposons trois objections majeures:

1) Elle mesure la puissance de la Générale par ses avoirs financiers. Or, l'emprise de la SG est bien plus que cela : c'est une ramification de liens financiers, économiques, politiques, personnels, qui englobent une puissance économique déterminante en Belgique. Sous cet angle là, on peut dire qu'il n'y a pas de place en Belgique pour deux holdings super-puissants ; un holding public et un holding privé.  Or, d'un point de vue réaliste (tant revendiqué par les directions syndicales), la constitution d'un holding public ne pourra se faire en marge d'une économie capitaliste.

2) De toute manière, même si on s'imagine un seul instant qu'une telle situation se produise, il est exclu que ces deux super-holdings fonctionnent selon deux logiques économiques contradictoires : l'économie de marché et l'économie planifiée (car si ce n'est pas le cas, si le holding public est régi par les mêmes critères que celui du privé, il ne présente aucun intérêt dans la stratégie de la FGTB elle-même !) : on aboutirait très vite à un véritable chaos, comme le Chili l'a bien démontré. Croire à une étape "mixte" de transition au socialisme, c'est une illusion. Finalement, le holding public est lié d'une façon ou d'une autre à l'Etat qui, lui, est un instrument du système capitaliste, qui favorisera de toute manière le secteur privé. Et aucune participation gouvernementale du PSB n'y changera rien.

Seul un pouvoir ouvrier étatique peut garantir la suprématie d'un holding public : autant dire que celui-ci n'existera comme institution stabilisée qu'après le capitalisme, et pas pendant.

L'alternative paraît claire:

- au lieu de vouloir concurrencer la Société Générale, il faut la socialiser, c'est à dire exproprier et la mettre sous contrôle des travailleurs.

- Au lieu de créer des illusions quant à la capacité et à la volonté de l'Etat capitaliste (car c'est à cela que correspondent les pouvoirs publics) d'assumer un tel holding public, il faut clairement dire que cela implique la création d'un Etat (pouvoir) ouvrier.

Cette stratégie n'est pas celle du "tout ou rien". Car, comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises, un ensemble de revendications anticapitalistes doit être mis en avant, non pas pour les "réaliser" en régime capitaliste, mais comme des objectifs de combat qui poussent en avant les luttes ouvrières et la conscience des travailleurs en vue de la révolution socialiste.

4. Lutter pour le contrôle ouvrier

La crise du capitalisme pousse le mouvement ouvrier à la riposte. Celle-ci ne peut plus désormais se réduire à la bataille électorale ou à des appels à la seule action directe. C'est des réponses politiques en termes de stratégie et de programme qu'il faut aux militants ouvriers.

REVENDICATIONS TRANSITOIRES

Les problèmes que rencontrent le militant syndicat et le travailleur d'avant-garde, est très souvent le suivant: "Comment répondre politiquement à l'offensive patronale dans mon entreprise". Ce qui se résume en d'autre mots: "Qu'y a -t-il à faire entre tes revendications salariales (revendications immédiates) et des revendications politiques qui m'échappent, car elles se situent au parlement".

La gauche du mouvement ouvrier, dont nous faisons partie, y a répondu: il faut lutter pour les revendications immédiates, mais il faut en même temps lier cette lutte à des objectifs qui vont plus loin parce qu'ils mettent en cause l'arbitraire et le pouvoir patronal dans l'entreprise. Ces objectifs sont appelés les réformes de structure, ou des revendications transitoires. Ces revendications forment un ensemble: elles s'en prennent aux structures mêmes de la société capitaliste. Chacune parmi elles pose la question clé: qui dirige ? Qui détient le pouvoir ? Il est, dès lors, évident que ces revendications ne peuvent être réalisées graduellement, pour aboutir au socialisme après la 100ème réforme.

En fait, chaque "réforme transitoire" pousse à la lutte anti-capitaliste mais n'est pas réalisable en régime capitaliste: il est dans la nature de ces réformes que : soit elles déclenchent des luttes de plus en plus dures qui élargissent la brèche ainsi ouverte à un point donné du régime capitaliste, soit elles se résorbent, le patronat faisant quelques concessions mineures et gardant de nouveau la totalité du pouvoir dans l'entreprise et dans la société.

La lutte pour une ou plusieurs de ces réformes anti-capitalistes n'est pas inutile. Elle augmente la conscience de classe de la masse des travailleurs, car ceux-ci apprennent par l'expérience et la pratique à s'affronter au pouvoir capitaliste; en même temps, elle stimule la lutte pour les revendications immédiates et salariales. C'est évident: des travailleurs prêts à s'en prendre au patronat en tant que tel, ne manquent pas d'arracher en cours de route d'autres revendications.

D'ailleurs, le patronat le comprend très bien: il tente très souvent de dévier la lutte anti-capitaliste en lutte revendicative, en donnant des concessions financières afin de garder l'essentiel (son pouvoir de décision et la propriété privée)

... ET LEURS DANGERS

Dans plusieurs articles nous avons mis le doigt sur les risques d'une telle stratégie. Celle-ci peut facilement dévier d'une stratégie anti-capitaliste (transitoire) vers une stratégie néocapitaliste (réformiste). Car le patronat, et surtout son aile moderniste, a un certain intérêt à "réformer le capitalisme" dans un sens néocapitaliste, afin de combattre les secteurs retardataires de l'industrie.

Il faut donc préciser comment une telle stratégie aboutit réellement au socialisme, au pouvoir ouvrier. Il y a une condition évidente: si le mouvement ouvrier et syndical était dirigé par des travailleurs révolutionnaires et des syndicalistes de combat, l'application anti-capitaliste de cette stratégie serait bien sûr assurée. Mais cela suppose résolu le problème que nous essayons également de résoudre par la lutte pour des réformes de structure anti-capitalistes, celui de la DIRECTION OUVRIERE. A savoir: comment battre le réformisme.

Or, la stratégie des réformes anti-capitaliste permet justement de dénoncer et de démasquer la collaboration de classe et le réformisme, non par un verbiage dur (perçu comme sectaire par les travailleurs), mais par la pratique même: il est en effet tout à fait possible dès aujourd'hui de faire l'expérience (limitée) d'une telle lutte anti-capitaliste et de faire la démonstration devant la masse des travailleurs de "qui est qui" dans le mouvement ouvrier.

NATIONALISATION ET CONTROLE OUVRIER

Dans une telle optique, le contrôle ouvrier est vital. Car en ce qui concerne les grandes réformes de structure, elles se situent en général en dehors de l'usine, donc en dehors de la portée des travailleurs.

Parfois, elles gagnent l'actualité: lorsque la Banque de Bruxelles perd 3 milliards ou plus par la spéculation, alors que les capitalistes refusent d'investir, le mot d'ordre de la nationalisation ou la socialisation des banques vient à la une et peut sensibiliser pas mal de travailleurs. Quant à l'action pour la réaliser c'est autre chose. Mais le fait de l'expliquer "au moment chaud" même a évidemment son importance et ne manquera pas d'exercer son influence lors des occasions futures.

Dans le cas des revendications transitoires très générales, il faut clairement expliquer :

- qu'elles doivent déboucher très vite sur une lutte décisive entre Capital et Travail et sur la conquête du pouvoir par la classe ouvrière.

- que la nationalisation ou la socialisation est un mot creux s'il n'implique pas 1'expropriation sans indemnisation des grands capitalistes.

L'INITIATIVE OUVRIERE

L'essentiel pourtant, dans la période actuelle est de favoriser L'INITIATIVE OUVRIERE, dans les deux cas: dans les problèmes à l'usine, mais également dans des problèmes plus généraux en dehors de celle-ci. L'exemple de la nationalisation des banques est excellent sur ce point. S'attaquer à une telle puissance capitaliste exige une bataille d'ensemble du mouvement ouvrier. Mais il serait tout à fait erroné d'en conclure que les travailleurs des banques n'ont qu'a attendre jusqu'à ce que te mot d'ordre vienne d'en haut. Ils sont sur les lieux de travail. Ils connaissent à merveille le mécanisme des banques: c'est eux qui avaient d'ailleurs constaté que "quelque chose clochait" à la banque de Bruxelles.

Or, le Setca (FGTB) s'est prononcée pour la socialisation des banques et pour le contrôle ouvrier. Pourquoi les employés ne pourraient-ils pas prendre l'initiative, (dans un siège d'abord en se liant aux autres par la suite), d'ouvrir les livres de compte, de supprimer dans les faits, le sacro-saint secret de banque, de constituer une commission d'enquête (composée par la délégation syndicale, les délégués ouvriers, du conseil d'entreprise et des travailleurs des différents rayons) et d'empêcher une véritable catastrophe (faillite etc.) par les employés de la banque même et par les travailleurs d'industrie employés indirectement par une banque qui est directement liée à un holding (Brufina).

Quelle que soit l'issue finale d'une telle lutte (extension ou bien résorbtion), une expérience politique éminemment riche sera acquise par les employés de banque et par une bonne partie de la classe ouvrière. Expérience plus éducative du point de vue marxiste et révolutionnaire que mille grèves salariales (par ailleurs nécessaires) et que mille tracts sur le socialisme (par ailleurs également nécessaires).

POUVOIR OUVRIER DANS L'ENTREPRISE

Mais le terrain actuellement le plus propice pour promouvoir le contrôle ouvrier, surtout pour le démarrer à la base, se situe dans les problèmes directement liés à l'entreprise: licenciements, embauche, cadences, catégories salariales, répression patronale, heures supplémentaires, primes et travail à la pièce, investissements...

Une entreprise résume en elle-même beaucoup de contradictions du système capitaliste; elle est pleine de problèmes, de conflits, de matières explosives. La dictature patronale y est, dans la plupart des cas, presque totale, presque ouverte, malgré quelques apparences "humaines" et "sociales".

"Prendre nos affaires nous-mêmes en mains", formule populaire dans les nouvelles couches militantes (jeunes et ouvrières e.a. dans le milieu chrétien) ne signifie rien d'autre que d'opter pour la ligne du contrôle ouvrier. Car celui-ci n'est pas - répétons le - une simple revendication ouvrière, à "obtenir" du patron. C'est une orientation dans chaque lutte, de chaque moment dans l'entreprise.

La ligne du contrôle ouvrier commence par le comportement pratique des travailleurs et de leurs délégués. C'est " l'insolence ouvrière " ; on s'immisce dans tes affaires dites patronales. On exige un droit de regard, un droit à l'information. Alors très vite, on constate que le capitalisme garde bien ses secrets. Il faut aller plus loin: ouvrir les livres de compte, supprimer le secret bancaire et industriel, contrôler les stocks, etc.  De là, on constate qu'être informé est bien, mais insuffisant: le patronat (un peu gêné sans doute) continue à commander.

DEMOCRATIE OUVRIERE

Il faut se mobiliser, lui opposer un pouvoir ouvrier à l'usine. Exercer un VETO OUVRIER sur toutes les questions où le patron fait du tort aux intérêts des ouvriers. Ainsi, on en arrive à la question organisationnelle: le contrôle ouvrier qui va de l'avant implique la démocratie ouvrière sur les lieux de travail. Il est à la fois antidémocratique et inefficace de vouloir limiter ce contrôle ouvrier à l'appareil syndical (parfois anti-démocratique lui-même) ou aux délégués, surtout dans un affrontement dur et prolongé avec le patronat.

Ici il faut distinguer deux choses: comment commencer le contrôle et comment l'organiser durablement ? A la première question, la réponse doit être simple: n'importe quelle instance tant soit peu représentative des travailleurs. Parfois, ce sera la délégation syndicale (ou une partie de celle-ci); parfois "la partie ouvrière" du conseil d'entreprise, ou même, du comité de sécurité et d'hygiène; parfois, l'appareil syndical de l'extérieur de l'usine, parfois un comité ouvrier qui passe à l'action. Mais de toute manière, la direction ultérieure est claire: développer la démocratie ouvrière; assemblée générale de tous les travailleurs; élection démocratique d'un comité de grève; constitution de sous-commissions avec des tâches précises.

C'est ainsi que l'on crée la DUALITE DE POUVOIR à l'usine et même la gestion (momentanée et limitée) de l'usine au service de la lutte. Ainsi le contrôle ouvrier est une arme puissante, une "école de l'autogestion socialiste". Glaverbel et Lip sont des exemples qui joueront un rôle décisif dans la révolution socialiste à venir.

Articles publiés dans La Gauche n° 16,17,18,19, avril 1975.

Voir ci-dessus